I Sujet
1 Platon
Théétète, 166b-c
Mais
crois-tu que qu’on te concède que la mémoire
présente de l’affection passée est la même
affection, celle dont on a été affecté et
dont on n’est plus affecté ? Loin s’en faut ! Ou
qu’on recule devant l’affirmation que le même à la
fois sait et ne sait pas la même chose ? Ou, si l’on
craint de l’affirmer, qu’on accordera que celui qui est devenu
autre soit le même qu’avant de devenir autre ? Ou
plutôt, s’il faut s’armer l’un contre l’autre dans une
guerre des mots, crois-tu qu’on accordera qu’on est un et non
plusieurs, alors même que cette pluralité devient
infinie en nombre dès qu’il y a altérité ?
Mais mon excellent ami, dira-t-il, combats plus généreusement
ce que je dis moi, si tu en as la force ; réfute
l’affirmation que nos sensations sont propres à celui
d’entre nous à qui elles surviennent, et que si elles lui
surviennent en propre, celle qui survient n’apparaît qu’à
un seul d’entre nous, ou s’il faut employer le mot être,
qu’elle n’est que pour celui à qui elle apparaît.
(trad. Dorion - La
pensée de Platon n’est pas nécessairement engagée
par les propos qu’il prête aux personnages de ses dialogues)
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Celui qui parle s’exprime-t-il pour son propre
compte ?
Que dit-il de l’identité des affections ?
Des savoirs ?
Qu’en est-il de l’identité du sujet à
lui-même ? Que peut-on appeler moi ?
Quelle portée a la pluralité du
sujet ? La connaissance est-elle possible ?
La mot vérité a-t-il un sens ?
->
un éclairage
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2 Descartes
Méditations, I
Comment
est-ce que je pourrais nier que ces mains et ce corps-ci soient à
moi ? si ce n’est peut-être que je me compare à
ces insensés, de qui le cerveau est tellement troublé
et offusqué par les noires vapeurs de la bile, qu’ils
assurent constamment qu’ils sont des rois, lorsqu’ils
sont très pauvres ; qu’ils sont vêtus d’or
et de pourpre, lorsqu’ils sont tout nus ; ou
s’imaginent être des cruches, ou avoir un corps de
verre. Mais quoi ? ce sont des fous, et je ne serais pas
moins extravagant, si je me réglais sur leurs exemples.
Toutefois j’ai ici à
considérer que je suis homme, et par conséquent que
j’ai coutume de dormir et de me représenter en mes
songes les mêmes choses, ou quelquefois de moins
vraisemblables, que ces insensés, lorsqu’ils
veillent. Combien de fois m’est-il arrivé de songer,
la nuit, que j’étais en ce lieu, que j’étais
habillé, que j’étais auprès du feu,
quoique je fusse tout nu dedans mon lit ? Il me semble bien à
présent que ce n’est point avec des yeux endormis que
je regarde ce papier ; que cette tête que je remue
n’est point assoupie ; que c’est avec dessein et
de propos délibéré que j’étends
cette main, et que je la sens : ce qui arrive dans le sommeil
ne semble point si clair ni si distinct que tout ceci. Mais, en y
pensant soigneusement, je me ressouviens d’avoir été
souvent trompé, lorsque je dormais, par de semblables
illusions. Et m’arrêtant sur cette pensée, je
vois si manifestement qu’il n’y a point d’indices
concluants, ni de marques assez certaines par où l’on
puisse distinguer nettement la veille d’avec le sommeil, que
j’en suis tout étonné ; et mon étonnement
est tel qu’il est presque capable de me persuader que je
dors. (trad. De Luynes)
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De
quoi l’auteur prétend-il douter ?
Qu’est-ce
que les fous omettent de mettre en doute ?
La
folie n’est-elle pas quotidienne à chacun ?
Les
rêves manquent-ils de clarté et de distinction ?
Qu’est-ce que ça prouve ?
Si
l’on ne peut prouver qu’on ne rêve pas, qu’est-ce qui résiste
au doute ?
->
une explication
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3 Descartes
Méditations, II
Que
sais-je s’il n’y a point quelque autre chose
différente de celles que je viens de juger incertaines, de
laquelle on ne puisse avoir le moindre doute ? N’y
a-t-il point quelque Dieu ou quelque autre puissance, qui me met
en l’esprit ces pensées ? Cela n’est pas
nécessaire ; car peut-être que je suis capable
de les produire de moi-même. Moi donc à tout le moins
ne suis-je pas quelque chose ? Mais j’ai déjà
nié que j’eusse aucun sens ni aucun corps. J’hésite
néanmoins, car que s’ensuit-il de là ?
Suis-je tellement dépendant du corps et des sens, que je ne
puisse être sans eux ? Mais je me suis persuadé
qu’il n’y avait rien du tout dans le monde, qu’il
n’y avait aucun ciel, aucune terre, aucuns esprits, ni
aucuns corps ; ne me suis-je donc pas aussi persuadé
que je n’étais point ? Non certes, j’étais
sans doute, si je me suis persuadé, ou seulement si j’ai
pensé quelque chose. Mais il y a un je ne sais quel
trompeur très puissant et très rusé, qui
emploie toute son industrie à me tromper toujours. Il n’y
a donc point de doute que je suis, s’il me trompe ; et
qu’il me trompe tant qu’il voudra, il ne saurait
jamais faire que je ne sois rien, tant que je penserai être
quelque chose. De sorte qu’après y avoir bien pensé,
et avoir soigneusement examiné toutes choses, enfin il faut
conclure, et tenir pour constant que cette proposition : Je
suis, j’existe, est nécessairement vraie, toutes les
fois que je la prononce ou que je la conçois en mon esprit.
(trad. De Luynes)
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Que signifie constant ? Qu’est-ce qui est
incertain ?
Quel est le but de cette recherche ?
Qui peut me donner à croire ce qui n’est
pas ?
Sous quelles formes apparaît le pronom
personnel ? Pourquoi ?
Qu’est-ce qui reste indubitable ?
->
une explication
cf. Descartes (I,2)
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4 Berkeley
Principes de la connaissance humaine, § 139
S’il n’y a pas d’idée signifiée par les mots âme, esprit et substance, on objectera qu’ils sont totalement vides de sens et qu’ils ne veulent rien dire. Je réponds que ces mots veulent dire ou signifient une chose réelle, qui n’est ni une idée ni semblable à une idée, mais qui perçoit les idées et qui veut et raisonne à leur sujet. Ce que je suis moi-même, ce que je désigne par le mot je, est la même chose qui est désignée par âme ou substance spirituelle. Si l’on dit que c’est jouer sur les mots, puisque ce que signifient immédiatement les autres noms est, d’un commun accord nommé idées, et qu’on ne peut assigner aucune raison pour laquelle ce que signifient les noms esprit ou âme ne devrait pas partager la même appellation, je réponds que tous les objets non pensants de l’intelligence s’accordent en ce qu’ils sont entièrement passifs et que leur existence ne consiste qu’à être perçus, tandis qu’une âme ou esprit est un être actif dont l’existence ne consiste pas à être perçu, mais à percevoir les idées et à penser. C’est la raison pour laquelle il est nécessaire, afin d’écarter tout malentendu et de confondre des natures parfaitement discordantes et différentes, que nous fassions la distinction entre esprit et idée.
(trad. Dorion)
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Que veut dire que les noms signifient généralement des idées ?
Que conclue-t-on d’un nom qui ne signifie pas une idée ?
Quels noms faut-il cependant opposer à la plupart de ceux qui sont dans ce cas ?
Pourquoi ceux-ci ne signifient-ils pas une idée ?
Quel rôle particulier ont les choses qu’ils signifient ?
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5 Rousseau
Profession de foi du Vicaire savoyard
J’existe,
et j’ai des sens par lesquels je suis affecté. Voilà
la première vérité qui me frappe et à
laquelle je suis forcé d’acquiescer. Ai-je un sentiment
propre de mon existence, ou ne la sens-je que par mes sensations ?
Voilà mon premier doute, qu’il m’est, quant à
présent, impossible de résoudre. Car, étant
continuellement affecté de sensations, ou immédiatement,
ou par la mémoire, comment puis-je savoir si le sentiment
du moi est quelque chose hors de ces mêmes sensations, et
s’il peut être indépendant d’elles ?
Mes
sensations se passent en moi, puisqu’elles me font sentir mon
existence ; mais leur cause m’est étrangère,
puisqu’elles m’affectent malgré que j’en aie, et qu’il ne
dépend de moi ni de les produire, ni de les anéantir.
Je conçois donc clairement que ma sensation qui est en moi,
et sa cause ou son objet qui est hors de moi, ne sont pas la même
chose.
Ainsi,
non seulement j’existe, mais il existe d’autres êtres,
savoir, les objets de mes sensations ; et quand ces objets ne
seraient que des idées, toujours est-il vrai que ces idées
ne sont pas moi.
Or,
tout ce que je sens hors de moi et qui agit sur mes sens, je
l’appelle matière ; et toutes les portions de matière
que je conçois réunies en êtres individuels,
je les appelle des corps. Ainsi toutes les disputes des idéalistes
et des matérialistes ne signifient rien pour moi :
leurs distinctions sur l’apparence et la réalité des
corps sont des chimères.
Me voici déjà
tout aussi sûr de l’existence de l’univers que de la mienne.
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Que suis-je en dehors de mes sensations ?
Par quel moyen mes sensations m’affectent-elles ?
Puis-je n’en être pas affecté?
Qu’est-ce que ça prouve ?
L’altérité de la cause de mes
sensations suffit-elle à établir leur objectivité ?
Qu’est-ce que la matière ? Qu’est-ce
que les corps ?
->
une explication
cf. Descartes (I,2 & 3)
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6 Kant
Critique de la raison pure, I, partie 2,
division 1, livre 1, § 16
Le je pense doit
pouvoir accompagner toutes mes représentations ;
sinon serait représenté en moi quelque chose qui ne
pourrait pas du tout être pensé, ce qui signifie tout
aussi bien que la représentation serait impossible, ou du
moins qu’elle ne serait rien pour moi. Cette représentation
qui peut être donnée avant toute pensée
s’appelle intuition. Donc tout le divers de l’intuition a
un rapport nécessaire au je pense dans le même
sujet où se rencontre ce divers. Mais cette représentation
est un acte de la spontanéité, c’est à
dire qu’elle ne peut être censée appartenir à
la sensibilité (...) Elle est cette conscience de soi qui,
en produisant la représentation je pense, doit
pouvoir accompagner toutes les autres, et qui, une et identique en
toute conscience, ne peut être accompagnée d’aucune
autre (...) Car les diverses représentations qui sont
données dans une certaine intuition ne seraient pas toutes
ensemble mes représentations, si elles
n’appartenaient pas toutes ensemble à une conscience de
soi, c’est à dire qu’en tant qu’elles sont mes
représentations (même si je ne suis pas conscient
d’elles en tant que miennes), elles doivent bien être
nécessairement conformes à la condition sous
laquelle seule elles peuvent être groupées
dans une conscience de soi en général, puisque
autrement elles ne m’appartiendraient pas absolument.
(trad. Dorion)
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Qu’est une représentation que je ne pense pas ?
Sous quelle condition une représentation est-elle mienne ?
Qu’est-ce que la spontanéité ?
De quoi se distinguent ses actes ?
En quoi la représentation “je pense” se distingue-t-elle des autres ?
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7 Nietzsche
Généalogie de la morale, I,
§ 13
La langue dévoyée,
qui cristallise les erreurs fondamentales de la raison, ne connaît
– et méconnaît – un acte que comme
conditionné par un agent, un sujet. Exactement comme le
peuple distingue la foudre de son éclair et désigne
le second comme l’effet d’un sujet qu’il appelle la foudre, la
morale populaire distingue aussi la force de l’extériorisation
de la force, comme si derrière le fort il existait un
substrat indifférent, libre d’extérioriser ou non la
force. Mais ce substrat n’existe pas. Il n’y a pas d’être
derrière le faire, l’agir, le devenir. L’agent n’est que
rajouté à l’acte, qui est tout. Au fond le peuple
redouble l’acte quand il fait éclairer la foudre : c’est
deux fois faire. Il pose le même événement
d’abord comme cause et une autre fois comme effet. Les physiciens
ne font pas mieux, quant ils disent “la force meut, la
force provoque” etc. Toute notre science, malgré
sa froideur, son émancipation des affects, est encore
victime du dévoiement de la langue, elle n’est pas libérée
des fantômes supposés, des “Sujets”
: l’atome par exemple, est un de ces fantômes (...) Le
Sujet, en langage populaire : l’âme, a été
jusqu’à ce jour le meilleur article de foi du monde,
peut-être pour cette raison qu’il a rendu possible à
la majorité des mortels, aux faibles et aux opprimés,
cette sublime tromperie de présenter la faiblesse elle-même
comme un choix libre et son état comme un mérite.
(trad. Dorion)
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Quelle erreur l’auteur rejette-t-il ?
Quelle en est la source ?
La pensée scientifique en est-elle purifiée ?
Quel en est le résultat, sinon le but ?
Le sujet est-il autre chose que ses actes ?
->
une explication
cf. Platon (I,1)
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8 Lagneau
Fragment 90
La
certitude est une région profonde où la pensée
ne se maintient que par l’action. Mais quelle action ? Il n’y
en a qu’une, celle qui combat la nature et la crée ainsi,
qui pétrit le moi en le froissant. Le mal, c’est l’égoïsme,
qui est au fond lâcheté. La lâcheté,
elle, a deux faces, recherche du plaisir et fuite de l’effort.
Agir, c’est la combattre. Toute autre action est illusoire et se
détruit. Serions-nous seuls au monde, n’aurions-nous plus
personne ni rien à quoi nous donner, que la loi resterait
la même, et que vivre réellement serait toujours
prendre la peine de vivre.
Mais faut-il la prendre et
faire sa vie au lieu de la subir ? Encore une fois, ce n’est
pas de l’intelligence que la question relève ; nous
sommes libres, et en ce sens le scepticisme est le vrai ;
mais répondre non, c’est faire inintelligibles le monde et
soi, c’est décréter le chaos et l’établir en
soi d’abord. Or le chaos n’est rien. Etre ou ne pas être,
soi et toutes choses, il faut choisir.
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Comment le rapport de l’intelligence à l’action est-il posé ?
Qu’est-ce que combattre la nature ? Pétrir le moi ?
Qu’est-ce que l’égoïsme ?
Quel est l’enjeu du choix présenté ?
Y a-t-il une raison qui rende compte du choix ?
cf. Platon (I,1); Nietzsche (I,7)
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9 Bergson
la Pensée et le mouvant, Introduction (Deuxième partie)
Science et art nous introduisent ainsi dans l’intimité d’une matière que l’une pense et que l’autre manipule. De ce côté, l’intelligence finirait, en principe, par toucher un absolu. Elle serait alors complètement elle-même. Vague au début, parce qu’elle n’était qu’un pressentiment de la matière, elle se dessine d’autant plus nettement elle-même qu’elle connaît la matière plus précisément. Mais, précise ou vague, elle est l’attention que l’esprit prête à la matière. Comment donc l’esprit serait-il encore intelligence quand il se retourne sur lui-même ? On peut donner aux choses le nom qu’on veut, et je ne vois pas grand inconvénient, je le répète, à ce que la connaissance de l’esprit par l’esprit s’appelle encore intelligence, si l’on y tient. Mais il faudra spécifier alors qu’il y a deux fonctions intellectuelles, inverses l’une de l’autre, car l’esprit ne pense l’esprit qu’en remontant la pente des habitudes contractées au contact de la matière, et ces habitudes sont ce qu’on appelle couramment les tendances intellectuelles. Ne vaut-il pas mieux alors désigner par un autre nom une fonction qui n’est certes pas ce qu’on appelle ordinairement intelligence ? Nous disons que c’est de l’intuition. Elle représente l’attention que l’esprit se prête à lui-même, par surcroît, tandis qu’il se fixe sur la matière, son objet. Cette attention supplémentaire peut être méthodiquement cultivée et développée. Ainsi se constituera une science de l’esprit, une métaphysique véritable, qui définira l’esprit positivement au lieu de nier simplement de lui tout ce que nous savons de la matière. En comprenant ainsi la métaphysique, en assignant à l’intuition la connaissance de l’esprit, nous ne retirons rien à l’intelligence, car nous prétendons que la métaphysique qui était œuvre d’intelligence pure éliminait le temps, que dès lors elle niait l’esprit ou le définissait par des négations. (...) Nous avons ainsi, d’une part, la science et l’art mécanique, qui relèvent de l’intelligence pure : de l’autre, la métaphysique, qui fait appel à l’intuition.
|
Comment l’intelligence est-elle définie ?
Par quelles voies procède-t-elle ?
Que doit rompre l’esprit pour se tourner vers lui-même ?
Qu’élimine d’essentiel une connaissance de l’esprit par l’intelligence ?
L’esprit peut-il être attentif à lui-même sans l’être à un objet ?
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10 Alain
manuscrit, 1928
Dans
le sommeil, je suis tout ; mais je n’en sais rien. La
conscience suppose réflexion et division. La conscience
n’est pas immédiate. Je pense, et puis je pense que je
pense, par quoi je distingue Sujet et Objet. Moi et le monde. Moi
et ma sensation. Moi et mon sentiment. Moi et mon idée.
C’est bien le pouvoir de douter qui est la vie du moi. Par ce
mouvement, tous les instants tombent au passé. Si l’on se
retrouvait tout entier, c’est alors qu’on ne se reconnaîtrait
pas. Le passé est suffisant, dépassé. Je ne
suis plus cet enfant, cet ignorant, ce naïf. A ce moment-là
même j’étais autre chose, en espérance, en
avenir. La conscience de soi est la conscience d’un devenir et
d’une formation de soi irréversible, irréparable. Ce
que je voulais, je le suis devenu. Voilà le lien entre le
passé et le présent, pour le mal comme pour le bien.
Ainsi le moi est un refus
d’être moi, qui en même temps conserve les moments
dépassés.
|
En quel sens suis-je “tout” dans le sommeil ?
Comment le doute est-il lié au Je pense ?
Pourquoi le passé est-il dépassé ?
Comment le dépassé est-il conservé ?
Pourquoi le sujet est-il la conscience d’un devenir ?
cf. Platon (I,1); Descartes (I,2 & 3); Kant (I,6)
|
programme
II Conscience
1 Platon
Phédon, 66d-67b
“Il nous est
réellement prouvé que si nous devons avoir une
connaissance pure, il nous faut nous séparer du corps et
considérer les choses elles-mêmes par l’âme
elle-même. Et ainsi, semble-t-il, nous obtiendrons ce que
nous désirons et dont nous nous déclarons amoureux,
l’intelligence des choses, lorsque nous aurons achevé notre
vie, comme le montre ce raisonnement, mais pas vivants. Car si
aucune connaissance pure n’est possible au moyen du corps, de deux
choses l’une : ou bien il n’est possible d’atteindre la
connaissance d’aucune chose, ou bien cela se pourra lorsque nous
en aurons fini, lorsque l’âme, séparée du
corps, vivra en elle-même et par elle-même, mais pas avant. Par suite, aussi longtemps que nous vivrons, nous
n’approcherons de la connaissance, autant que cela est possible,
que si nous n’avons de relation et de communauté avec le
corps que ce qui est strictement nécessaire ; si nous
ne sommes pas souillés par ce qui relève de sa
nature, et que nous nous en purifions, jusqu’à ce que le
dieu lui-même nous libère. Ainsi, purs et éloignés
de la folie du corps, nous serons semblables à ces choses
et au milieu d’elles, et connaîtrons par nous-mêmes
tout ce qu’il y a de pur. Voilà probablement la vérité.
A qui n’est pas pur, il n’est pas permis de se saisir du pur.”
Voilà, Simmias, ce que doivent croire et se dire entre eux,
je pense, tous ceux qui aiment le vrai savoir. (trad. Dorion
- La pensée de Platon n’est pas nécessairement
engagée par les propos qu’il prête aux personnages de
ses dialogues)
|
De quoi le corps est-il responsable ?
Quelle opération la mort opère-t-elle ?
Qu’est-ce qui est “strictement
nécessaire” ? Qu’est-ce qui en est écarté ?
A quoi s’oppose une connaissance pure ?
Pourquoi l’argumentation est-elle rapportée
par celui qui parle ?
->
une explication
|
2 Platon
Philèbe, 21a-d
- Socrate :
Voudrais-tu, Protarque, vivre toute ta vie en jouissant des
jouissances les plus grandes ? - Protarque :
Pourquoi pas ?
- S :
Mais aurais-tu encore besoin de quelque chose, si tu les avais
sans limite ? - P : De rien.
- S :
Examine bien si tu n’aurais pas besoin de conscience,
d’intelligence, de raisonnement, et de tout ce qui leur est
semblable ? - P : Mais de quoi ? J’aurais
tout en ayant la jouissance.
- S :
Vivre toute ta vie ainsi te ferait jouir des plus grands
plaisirs ? - P : Pourquoi pas ?
- S :
Mais, manquant de l’intelligence, de la mémoire, de la
science, du jugement vrai, tu ignorerais tout d’abord
nécessairement si tu jouis ou si tu ne jouis pas, puisque tu
manquerais de toute conscience. - P : Nécessairement. - S : Et sans mémoire,
tu ne pourrais pas maintenant te souvenir que tu aies joui auparavant, ni ensuite te souvenir du plaisir que tu as
maintenant. Et sans jugement vrai, tu ne pourrais pas former le jugement que tu jouis au moment même où tu jouis. Et sans raisonnement, tu ne pourrais pas raisonner comment jouir dans l’avenir. Ta vie ne serait pas celle d’un homme, mais
d’une éponge ou d’une moule ! Est-ce bien cela,
ou peut-on en déduire autre chose ? - P : Mais
comment le pourrait-on ? (trad. Dorion
- La pensée de Platon n’est pas nécessairement
engagée par les propos qu’il prête aux personnages de
ses dialogues)
|
La jouissance implique-t-elle la conscience ?
Implique-t-elle la mémoire, l’opinion, le raisonnement ?
La vie de plaisir vaut-elle d’être vécue ?
De quelle valeur est le plaisir ?
Quelle est la vie d’homme ?
->
un éclairage
|
3 Descartes
Méditations, III
Il
ne reste que la seule idée de Dieu, dans laquelle il faut
considérer s’il y a quelque chose qui n’ait pu
venir de moi-même. Par le nom de Dieu j’entends une
substance infinie, éternelle, immuable, indépendante,
toute connaissante, toute-puissante, et par laquelle moi-même,
et toutes les autres choses qui sont (s’il est vrai qu’il
y en ait qui existent) ont été créées
et produites. Or ces avantages sont si grands et si éminents,
que plus attentivement je les considère, et moins je me
persuade que l’idée que j’en ai puisse tirer
son origine de moi seul. Et par conséquent il faut
nécessairement conclure de tout ce que j’ai dit
auparavant, que Dieu existe ; car, encore que l’idée
de la substance soit en moi, de cela même que je suis une
substance, je n’aurais pas néanmoins l’idée
d’une substance infinie, moi qui suis un être fini, si
elle n’avait été mise en moi par quelque
substance qui fût véritablement infinie.
Et je ne me dois pas
imaginer que je ne conçois pas l’infini par une
véritable idée, mais seulement par la négation
de ce qui est fini, de même que je comprends le repos et les
ténèbres par la négation du mouvement et de
la lumière : puisqu’au contraire je vois
manifestement qu’il se rencontre plus de réalité
dans la substance infinie que dans la substance finie, et partant
que j’ai en quelque façon premièrement en moi
la notion de l’infini, que du fini, c’est à
dire de Dieu, que de moi-même. Car comment serait-il
possible que je pusse connaître que je doute et que je
désire, c’est à dire qu’il me manque
quelque chose et que je ne suis pas tout parfait, si je n’avais
en moi aucune idée d’un être plus parfait que
le mien, par la comparaison duquel je connaîtrais les
défauts de ma nature ? (trad.
De Luynes)
|
Sur quel attribut de Dieu se fonde l’argument ?
Les autres y jouent-ils un rôle ?
Que veut prouver l’auteur ?
Pourquoi l’idée d’infini n’est-elle pas la
négation de celle de fini ?
D’où me vient ma conscience de ma
finitude ?
Quel type de Dieu est prouvé ici ?
->
une explication
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4 Malebranche
de la Recherche de la vérité, Livre III, partie II, ch 7
Encore que nous n’ayons pas une entière connaissance de notre âme, celle que nous en avons par conscience ou sentiment intérieur suffit pour en démontrer l’immortalité, la spiritualité, la liberté et quelques autres attributs qu’il est nécessaire que nous sachions, et c’est pour cela que Dieu ne nous la fait point connaître par son idée comme il nous fait connaître les corps. La connaissance que nous avons de notre âme par conscience est imparfaite, il est vrai, mais elle n’est point fausse ; la connaissance, au contraire, que nous avons des corps par sentiment ou par conscience, si on peut appeler conscience le sentiment de ce qui se passe dans notre corps, n’est pas seulement imparfaite, mais elle est fausse. Il nous fallait donc une idée des corps pour corriger les sentiments que nous en avons ; mais nous n’avons point besoin de l’idée de notre âme, puisque la conscience que nous en avons ne nous engage point dans l’erreur, et que pour ne nous point tromper dans sa connaissance il suffit de ne la point confondre avec le corps, ce que nous pouvons faire par la raison, puisque l’idée que nous avons du corps nous découvre que les modalités dont il est capable sont bien différentes de ce que nous sentons. Enfin, si nous avions une idée de l’âme aussi claire que celle que nous avons du corps, cette idée nous l’eût trop fait considérer comme séparée de lui. Ainsi elle eût diminué l’union de notre âme avec notre corps, en nous empêchant de la regarder comme répandue dans tous nos membres, ce que je n’explique pas davantage.
|
Quelles deux voies de connaissance faut-il distinguer ?
Quelle est celle qui convient aux corps ? Pourquoi ?
Que sentons-nous des corps ? Quelle idée claire en avons-nous ?
Quel sentiment avons-nous de notre âme ?
Quel avantage paradoxal trouvons-nous à n’en avoir pas l’idée ?
|
5 Hegel
Esthétique
Le
principe d’où l’art tire son origine est celui
en vertu duquel l’homme est un être qui pense, qui a
conscience de lui, c’est-à-dire qui non seulement
existe, mais existe pour lui. Etre en soi et pour soi, se
redoubler sur soi-même, se prendre pour objet de sa propre
pensée et par là se développer comme activité
réfléchie, voilà ce qui constitue et
distingue l’homme, ce qui fait qu’il est un esprit.
Or, cette conscience de soi-même, l’homme l’obtient
de deux manières, l’une théorique, l’autre
pratique ; l’une par la science, l’autre par
l’action : 1° par la science, lorsqu’il
se connaît en lui-même dans le développement de
sa propre nature, ou se reconnaît au dehors dans ce qui
constitue l’essence ou la raison des choses ; 2° par
l’activité pratique, lorsqu’un penchant le
pousse à se développer à l’extérieur,
à se manifester dans ce qui l’environne, et aussi à
s’y reconnaître dans ses œuvres. Il atteint ce
but par les changements qu’il fait subir aux objets
physiques, qu’il marque de son empreinte, et où il
retrouve ses propres déterminations. Ce besoin revêt
différentes formes, jusqu’à ce qu’il
arrive au mode de manifestation de soi-même, dans les choses
extérieures, qui constitue l’art. Tel est le principe
de toute action et de tout savoir. L’art trouve en lui son
origine nécessaire. (trad.
Bénard)
|
Qu’est-ce
que se reconnaître dans l’essence des choses ?
Cette
activité théorique se rencontre-t-elle chez d’autres
êtres ?
Qu’est-ce
qui distingue l’art d’autres manifestations de soi à
l’extérieur ?
Voit-on s’y adonner d’autres espèces ?
Les
déterminations imprimées aux choses extérieures
par l’art sont-elles subjectives ?
|
6 Marx
l’Idéologie allemande
La production des idées,
des représentations et de la conscience est d’abord
directement et intimement mêlée à l’activité
matérielle et au commerce matériel des hommes, elle
est le langage de la vie réelle. Les représentations,
la pensée, le commerce intellectuel des hommes apparaissent
ici encore comme l’émanation directe de leur comportement
matériel. Il en va de même de la production
intellectuelle telle qu’elle se présente dans la langue de
la politique, celle des lois, de la morale, de la religion, de la
métaphysique, etc. de tout un peuple. Ce sont les hommes
qui sont les producteurs de leur représentations, de leurs
idées, etc. mais les hommes réels, agissants, tels
qu’ils sont conditionnés par un développement
déterminé de leurs forces productives et des
rapports qui y correspondent, y compris les formes les plus larges
que ceux-ci peuvent prendre. La conscience (das Bewusstsein)
ne peut jamais être autre chose que l’être conscient
(das bewusste Sein) et l’être des hommes est leur
processus de vie réel. Et si, dans toute l’idéologie,
les hommes et leurs rapports nous apparaissent placés la
tête en bas comme dans une camera oscura (chambre
noire), ce phénomène découle de leur
processus de vie historique, absolument comme le renversement des
objets sur la rétine découle de son processus de vie
directement physique. (trad. marxists.org + Dorion)
|
De
quoi la conscience est-elle le produit ?
Quel
est son rapport au langage ?
Quel
est le rapport de la production intellectuelle à l’activité
matérielle ?
Que
signifie que les hommes apparaissent la tête en bas ?
Quel
est le processus de vie historique d’où découle ce
phénomène ?
->
un éclairage
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7 Nietzsche
le Gai savoir, I, § 11
La conscience est la dernière et
la plus tardive évolution de la vie organique, et par suite
aussi la plus inachevée et la plus impuissante. De la
conscience sont issues d’innombrables méprises qui font
qu’un animal, un homme s’effondre plus tôt que la nécessité
ne l’exigeait, “contre son destin”, comme
dit Homère. Si le lien conservateur des instincts n’était
tellement plus fort, s’il ne servait en tout de régulateur,
l’humanité devrait s’effondrer du fait de ses jugements à
l’envers, de ses délires les yeux ouverts, de sa légèreté
et de sa crédulité, bref de sa conscience même :
ou bien plutôt il n’y aurait plus d’humanité depuis
longtemps ! Avant qu’une fonction soit formée et mûre,
elle est un péril de l’organisme : tant mieux si
longtemps elle est beaucoup tyrannisée ! Ainsi la
conscience est beaucoup tyrannisée et ce n’est pas par
l’orgueil qu’elle l’est le moins ! On pense que là
serait le noyau de l’homme : son permanent, son éternel,
son ultime, son originel ! On tient la conscience pour une
valeur stable donnée ! On nie sa croissance, ses
intermittences ! On la tient pour l’unité de
l’organisme ! Cette surestimation et cette méconnaissance
ridicules de la conscience ont eu la très utile conséquence
de retarder sa formation trop rapide. Parce que les hommes
croyaient disposer déjà de la conscience, ils se
sont donné moins de peine pour l’acquérir, et
maintenant encore il n’en va pas autrement ! C’est encore et
toujours une tâche toute nouvelle, qui poind à peine
à l’œil humain, presque pas discernable, de s’incorporer
le savoir, de le rendre instinctif, une tâche qui n’est
distinguée que de ceux qui ont compris que jusqu’à
présent seules nos erreurs nous étaient incorporées
et que toute notre conscience ne se rapporte qu’à des
erreurs ! (trad. Dorion)
|
La conscience est-elle “le noyau” de l’homme ?
Engendre-t-elle la lucidité ?
Qu’est-ce qui conserve l’humanité ?
Est-il heureux que la conscience soit tyrannisée ?
Quel est son avenir ?
->
une explication
cf. Rousseau (XXVII,9 & 10); Marx (II,6)
|
8 Lagneau
Fragments 9-10
De l’inconscient au sens strict : c’est la pensée spontanée, élémentaire, sans liaison, c’est à dire la sensation sans aucune pensée proprement dite : il y a de l’inconscient, mais non dans la pensée. La conscience, comme la pensée même, est le sentiment ou affirmation spontanée d’un tout du senti, c’est à dire d’un rapport de subordination entre le tout et un centre qui l’éclaire, un but poursuivi qui l’explique. Point de conscience sans activité volontaire et finalité, sans effort, sans lutte. - Dans la réflexion un degré de plus de liaison, d’unité : le centre de pensée, le moi, se subordonne au Tout absolu, affirme, éprouve sa dépendance. Plus de conscience proprement dite : la conscience disparaît avec l’indépendance, la volonté, l’effort, le moi.
La conscience n’est pas distincte de la pensée (proprement dite) même. Le moi qui s’y affirme n’est distinct de la pensée même que logiquement, abstraitement, dans l’expression. Si nous voulons réellement l’atteindre comme être en soi, nous passons de la conscience à la réflexion. Cet effort vers l’esprit moi est vain : le moi échappe, l’esprit seul, universel, est atteint par le sentiment du nécessaire absolu à la fois subi et subissant, c’est à dire de l’unité totale et absolue. Le fond des choses et leur explication n’est pas dans les phénomènes ou objets (nécessaires), ni dans les esprits ou sujets (limités), mais dans l’esprit, ou sujet, absolu et un. La psychologie dans sa source et son fond est la métaphysique même.
|
Quel rapport est-il établi entre la pensée, la sensation et l’inconscient ?
Quel est le sujet de la conscience ?
Celui de la réflexion ?
Quel est le centre qui éclaire le tout ?
Comment le tout de la conscience et celui de la réflexion se distinguent-ils ?
|
9 Bergson
Essai sur les données immédiates de la conscience, ch II
Nulle part cet écrasement de la conscience immédiate n’est aussi frappant que dans les phénomènes de sentiment. Un amour violent, une mélancolie profonde envahissent notre âme : ce sont mille éléments divers qui se fondent, qui se pénètrent, sans contours précis, sans la moindre tendance à s’extérioriser les uns par rapport aux autres ; leur originalité est à ce prix. Déjà ils se déforment quand nous démêlons dans leur masse confuse une multiplicité numérique : que sera-ce quand nous les déploierons, isolés les uns des autres, dans ce milieu homogène qu’on appellera maintenant, comme on voudra, temps ou espace ? Tout à l’heure chacun d’eux empruntait une indéfinissable coloration au milieu où il était placé : le voici décoloré, et tout prêt à recevoir un nom. Le sentiment lui-même est un être qui vit, qui se développe, qui change par conséquent sans cesse ; sinon, on ne comprendrait pas qu’il nous acheminât peu à peu à une résolution : notre résolution serait immédiatement prise. Mais il vit parce que la durée où il se développe est une durée dont les moments se pénètrent : en séparant ces moments les uns des autres, en déroulant le temps dans l’espace, nous avons fait perdre à ce sentiment son animation et sa couleur. Nous voici donc en présence de l’ombre de nous-mêmes : nous croyons avoir analysé notre sentiment, nous lui avons substitué en réalité une juxtaposition d’états inertes, traduisibles en mots, et qui constituent chacun l’élément commun, le résidu par conséquent impersonnel, des impressions ressenties dans un cas donné par la société entière.
|
Les éléments d’un sentiment sont-ils extérieurs les uns aux autres ?
Peut-il être analysé ? Les mots peuvent-ils le dire ?
Un sentiment est-il immobile ?
Pourquoi la durée où il vit est-elle irréductible au temps ?
Que disent les mots du sentiment ?
|
10 Alain
manuscrit non daté
L’unité indivisible
de la conscience se traduit à la fois dans les perceptions
et dans les souvenirs. D’abord toute conscience a, si l’on peut
dire, les mêmes dimensions que le monde. En vain l’on
essaierait de ne percevoir qu’une chose, et séparée.
Les relations loin et près, qui supposent une continuelle
comparaison par dessus toute limite, maintiennent devant la pensée
une existence totale et indivisible, d’avance totale et
indivisible. Les souvenirs sont comme des perceptions volantes,
esquissées et niées ; ou bien ramenées à
l’unité du monde présent, ou bien rapportées
à l’unité du monde passé ou à venir.
Tout ce qui est pensé est rapporté à un temps
unique et sans limites. Il n’y a point de conscience qui ne
suppose un monde qui a toujours été et sera
toujours. C’est là-dessus que reposent les souvenirs et les
projets... Dire moi, c’est se mouvoir sans cesse selon l’ordre du
temps.
|
Qu’impliquent les relations d’espace ?
Les relations de temps ?
Pourquoi devant la pensée l’existence est-elle “d’avance” totale et indivisible ?
Qu’implique de dire moi ?
Quelle portée a l’unité de la conscience ?
|
programme
III Perception
1 Platon
Théétète, 184c-185a
- Socrate :
Fais attention : quelle est la plus correcte des deux
réponses, que nos yeux sont ce en quoi nous voyons ou que
nous voyons par leur moyen, que nos oreilles sont ce en quoi nous
entendons ou que nous entendons par leur moyen ? - Théétète :
Nous percevons chaque chose par leur moyen, me semble-t-il
Socrate, plutôt qu’en eux. - S :
Ce serait étrange en effet, mon garçon, que des
sensations, nombreuses, siègent en nous comme dans des
chevaux de bois, et qu’il n’y ait pas une forme unique, qu’il
faille la nommer âme ou autrement, en laquelle, toutes ces
sensations se rassemblant, nous percevons les nombreux sensibles
atteints au moyen de ces instruments. - T :
Cela me semble être plutôt ainsi qu’autrement. - S :
Je veux te faire examiner s’il y a quelque chose en nous-mêmes,
toujours le même, en quoi, et au moyen des yeux nous
atteignons le blanc et le noir, au moyen des autres sens les
autres sensibles ; et si tu rapportes toutes ces fonctions au
corps. Mais il vaut mieux que tu répondes plutôt que
je me tue à le faire à ta place. Donc dis-moi :
ce au moyen de quoi on perçoit le chaud, le dur, le léger,
le doux le rapportes-tu au corps ou à quelque chose
d’autre ? - T :
A rien d’autre. - S :
Voudras-tu m’accorder aussi que ce que tu perçois par un
certain moyen, il est impossible de le percevoir par un autre ?
Par exemple par le moyen de la vue ce qu’on perçoit par
celui de l’ouïe, et réciproquement ? - T :
Comment n’y pas consentir ? - S :
Si donc tu connais quelque chose qui se rapporte aux deux, ce
n’est ni au moyen de l’un ni au moyen de l’autre que tu perçois
ce qui se rapporte aux deux ?
-
T : Sûrement pas. (trad.
Dorion - La pensée de Platon n’est pas nécessairement
engagée par les propos qu’il prête aux personnages de
ses dialogues)
|
Que serait voir en les yeux ?
Entendre en les oreilles ?
Que nous diraient des sensations siégeant
en nous comme dans des chevaux de bois ?
Quel est le rôle de la forme unique ?
L’œil ou l’oreille peuvent-ils percevoir que le
dur est et que le blanc est ? Que les deux
sont ?
Qu’est-ce qui perçoit l’être
commun aux deux ? Et le deux ?
->
une explication
|
2 Descartes
Méditations, II
Prenons
pour exemple ce morceau de cire qui vient d’être tiré
de la ruche : il n’a pas encore perdu la douceur du miel
qu’il contenait, il retient encore quelque chose de l’odeur des
fleurs dont il a été recueilli ; sa couleur, sa
figure, sa grandeur, sont apparentes ; il est dur, il est
froid, on le touche, et si vous le frappez, il rendra quelque son.
Enfin toutes les choses qui peuvent distinctement faire connaître
un corps, se rencontrent en celui-ci.
Mais
voici que, pendant que je parle, on l’approche du feu : ce
qui y restait de saveur s’exhale, l’odeur s’évanouit, sa
couleur se change, sa figure se perd, sa grandeur augmente, il
devient liquide, il s’échauffe, à peine le peut-on
toucher, et quoiqu’on le frappe, il ne rendra plus aucun son. La
même cire demeure-t-elle après ce changement ?
Il faut avouer qu’elle demeure ; et personne ne le peut nier.
Qu’est-ce donc que l’on connaissait en ce morceau de cire avec
tant de distinction ?
(...)
Considérons-le attentivement, et éloignant toutes
les choses qui n’appartiennent point à la cire, voyons ce
qui reste. Certes il ne demeure rien que quelque chose d’étendu,
de flexible et de muable. Or qu’est ce que cela : flexible et
muable ? N’est-ce pas que j’imagine que cette cire étant
ronde est capable de devenir carrée, et de passer du carré
en une figure triangulaire ? Non certes, ce n’est pas cela,
puisque je la conçois capable de recevoir une infinité
de semblables changements, et je ne saurais néanmoins
parcourir cette infinité par mon imagination, et par
conséquent cette conception que j’ai de la cire ne
s’accomplit pas par la faculté d’imaginer.
(...) Il faut donc que je
tombe d’accord, que je ne saurais pas même concevoir par
l’imagination ce que c’est que cette cire, et qu’il n’y a que mon
entendement seul qui le conçoive.
(trad. De Luynes)
|
Que perçois-je de la cire sortie de la
ruche ? Qu’en reste-t-il quand elle est chauffée ?
Que me font connaître les sens ?
Que peut l’imagination ? De quoi est-elle
incapable ? Pourquoi ?
L’identité de la cire n’est ni sentie ni
imaginée ; qu’est-elle ?
Percevoir est-il seulement recevoir de
l’extérieur ?
->
une explication
cf. Platon (III,1); Aristote (XV,2)
|
3 Malebranche
de la Recherche de la vérité,
Livre I, ch 7
D’ordinaire
notre imagination ne se représente pas plus d’étendue
entre les objets si elle n’est aidée par la vue sensible
d’autres objets qu’elle voie entre deux, et au-delà
desquels elle puisse encore imaginer.
C’est
pour cela que quand la lune se lève ou qu’elle se couche,
nous la voyons beaucoup plus grande que lorsqu’elle est fort
élevée au-dessus de l’horizon ; car étant
fort haute, nous ne voyons point entre elle et nous d’objets dont
nous sachions la grandeur pour juger de celle de la lune par leur
comparaison. Mais quand elle vient de se lever ou qu’elle est
prête à se coucher, nous voyons entre elle et nous
plusieurs campagnes dont nous connaissons à peu près
la grandeur ; et ainsi nous la jugeons plus éloignée,
et à cause de cela nous la voyons plus grande.
Et il faut remarquer que
lorsqu’elle est élevée au-dessus de nos têtes,
quoique nous sachions très certainement par la raison
qu’elle est dans une très grande distance, nous ne laissons
pourtant pas de la voir fort proche et fort petite ; parce
qu’en effet ces jugements naturels de la vue ne sont appuyés
que sur des perceptions de la même vue, et que la raison ne
peut les corriger. De sorte qu’ils nous portent souvent à
l’erreur en nous faisant former des jugements libres qui
s’accordent parfaitement avec eux.
|
Qu’implique la représentation de la distance ?
Y a-t-il d’autres objets entre nous et la lune lorsqu’elle est élevée ? Lorsqu’elle est à l’horizon ?
Quelle comparaison se fait dans le premier cas ? Dans le second ?
Ces comparaisons fondent-elles des jugements ?
La raison peut-elle s’opposer à ces jugements ?
|
4 Leibniz
Nouveaux essais, Avant-propos
La coutume fait que nous ne
prenons pas garde au mouvement d’un moulin ou à une chute
d’eau, quand nous avons habité tout auprès depuis
quelque temps. Ce n’est pas que ce mouvement ne frappe toujours
nos organes et qu’il ne se passe encore quelque chose dans l’âme,
qui y réponde, à cause de l’harmonie de l’âme
et du corps ; mais les impressions qui sont dans l’âme
et le corps, destituées des attraits de la nouveauté,
ne sont pas assez fortes pour s’attirer notre attention et notre
mémoire, qui ne s’attachent qu’à des objets plus
occupants. Toute attention demande de la mémoire, et quand
nous ne sommes point avertis, pour ainsi dire, de prendre garde à
quelques unes de nos propres perceptions présentes, nous
les laissons passer sans réflexion et même sans les
remarquer ; mais si quelqu’un nous en avertit incontinent et
nous fait remarquer, par exemple, quelque bruit qu’on vient
d’entendre, nous nous en souvenons et nous nous apercevons d’en
avoir eu tantôt quelque sentiment. Ainsi c’étaient
des perceptions dont nous ne nous étions pas aperçus
incontinent, la perception ne venant dans ce cas d’avertissement
qu’après quelque intervalle, tout petit qu’il soit.
|
Un objet peut-il faire impression sur nos organes sans qu’il se passe quelque chose dans l’âme ?
Avons-nous des perceptions que nous n’apercevons pas ?
Pour quelle raison ?
Que faut-il pour les apercevoir ?
Que suppose l’attention ?
|
5 Berkeley
Principes de la connaissance humaine, §
3
Que ni nos pensées,
ni nos passions, ni les idées formées par
l’imagination n’existent sans l’esprit, c’est ce que chacun
accordera. Et à moi il ne me semble pas moins évident
que les différentes sensations ou idées imprimées
dans les sens, de quelque manière qu’elles soient mélangées
ou combinées les unes aux autres (c’est à dire quels
que soient les objets qu’elles composent) ne peuvent exister
autrement que dans un esprit qui les perçoit. Je pense
qu’une connaissance intuitive de ceci peut être obtenue par
quiconque sera attentif à ce qui est signifié par le
mot exister lorsqu’il est appliqué aux choses
sensibles. La table sur laquelle j’écris, dis-je, existe,
c’est à dire que je la vois et la touche ; et si j’étais
sorti de mon bureau je dirais qu’elle existe, signifiant par là
que si j’étais dans mon bureau je pourrais la percevoir, ou
qu’un autre esprit actuellement la perçoit. Il y avait une
odeur, c’est à dire on la sentait ; il y avait un son, c’est
à dire on l’entendait ; une couleur ou une forme, elle était
perçue par la vue ou le toucher. C’est tout ce que je peux
comprendre par ces expressions et celles qui leur ressemblent. Car
quant à ce qu’on dit de l’existence absolue des choses qui
ne pensent pas, abstraction faite de ce qu’elles sont perçues,
cela semble parfaitement inintelligible. Leur esse (être)
est percipi (être perçues) et il n’est pas
possible qu’elles aient une existence hors des esprits ou choses
pensantes qui les perçoivent. (trad.
Dorion)
|
Où existent nos sensations (ou idées) ?
Qu’implique leur existence ? Que n’implique-t-elle pas ?
Qu’est-ce qu’un objet ?
Que veux-je dire quand j’affirme qu’il existe ?
En quoi l’existence d’un esprit se distingue-t-elle de celle d’un objet ?
->
un éclairage
|
6 Hume
Traité de la nature humaine, Livre I, partie 1, section 1
Toutes les perceptions de l’esprit humain se répartissent en deux genres distincts, que j’appellerai impressions et idées. La différence entre ces perceptions consiste dans les degrés de force et de vivacité avec lesquels elles frappent l’esprit et font leur chemin dans notre pensée ou conscience. Les perceptions qui entrent avec le plus de force ou de violence, nous pouvons les nommer impressions ; et sous ce terme, je comprends toutes nos sensations, passions et émotions, telles qu’elles font leur première apparition dans l’âme. Par idées, j’entends les images affaiblies des impressions dans la pensée et le raisonnement. Telles sont, par exemple, toutes les perceptions excitées par le présent discours, à l’exception seulement de celles qui proviennent de la vue et du toucher, et à l’exception du plaisir immédiat ou du désagrément qu’il peut occasionner. Je crois qu’il ne sera pas nécessaire d’employer beaucoup de mots pour expliquer cette distinction. Chacun, de lui-même, percevra facilement la différence entre sentir et penser. (trad. Folliot)
|
Comment se définit une impression ?
Comment se définit une idée ?
Sur quel critère les distingue-t-on ?
Pourquoi faut-il les distinguer ?
Pourquoi renvoie-t-on à chacun de faire la différence ?
cf. Descartes (I,2)
|
7 Rousseau
Profession de foi du Vicaire savoyard
Je réfléchis sur les objets de mes sensations ;
et, trouvant en moi la faculté de les comparer, je me sens
doué d’une force active, que je ne savais pas avoir
auparavant.
Apercevoir,
c’est sentir ; comparer, c’est juger : juger et sentir
ne sont pas la même chose. Par la sensation, les objets
s’offrent à moi séparés, isolés, tels
qu’ils sont dans la nature ; par la comparaison, je les
remue, je les transporte pour ainsi dire, je les pose l’un sur
l’autre pour prononcer sur leur différence ou sur leur
similitude, et généralement sur tous leurs rapports.
Selon moi la faculté distinctive de l’être actif ou
intelligent est de pouvoir donner un sens à ce mot est. Je
cherche en vain dans l’être purement sensitif cette force
intelligente qui superpose et puis qui prononce ; je ne la
saurais voir dans sa nature. Cet être passif sentira chaque
objet séparément, ou même il sentira l’objet
total formé par les deux ; mais n’ayant aucune force
pour les replier l’un sur l’autre, il ne les comparera jamais ;
il ne les jugera point.
Voir
deux objets à la fois, ce n’est pas voir leurs rapports ni
juger de leurs différences ; apercevoir plusieurs
objets les uns hors des autres n’est pas les nombrer. Je puis
avoir au même instant l’idée d’un grand bâton
et d’un petit bâton sans les comparer, sans juger que l’un
est plus petit que l’autre, comme je puis voir à la fois ma
main entière sans faire le compte de mes doigts. Ces idées
comparatives, plus grand, plus petit, de même que les idées
numériques d’un, de deux, etc., ne sont certainement pas
des sensations, quoique mon esprit ne les produise qu’à
l’occasion de mes sensations.
|
Comment l’être actif se distingue-t-il de
l’être sensitif ?
Quels verbes expriment la faculté d’être
actif ? Quels verbes les activités ?
Comment faut-il les entendre ?
Quel rapport le jugement entretient-il avec la
sensation ?
L’être sensitif peut apercevoir ; quel est
l’acte où intervient le jugement sur la sensation ?
->
une explication
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8 Lagneau
Fragment 53
La troisième dimension ou éloignement est la dimension essentielle qui réalise l’étendue, puisqu’elle représente la permanence de l’objet, c’est à dire le système réel des sensations possibles, indépendamment de nous. Elle peut être donnée à l’aide du toucher seul avec déplacement et ébranlement, mais elle est facilitée par l’exercice des autres sens pour lesquels l’objet éloigné est encore présent.
L’épaisseur et la profondeur sont cette même troisième dimension. Elles représentent en effet la réalité de l’objet en dehors de nous, de ce que nous touchons ou voyons : même le toucher double ne nous les donne pas. Il ne nous donne que notre surface. Seulement dans le déplacement de l’objet apparaît son unité et par suite sa réalité. La vue peut nous aider à percevoir la profondeur dans les corps transparents.
La perception proprement dite c’est la fusion de plusieurs groupes de sensations spécifiquement différentes en un seul tout circonscrit par le toucher. Nous percevons à la fois notre corps et les corps extérieurs. C’est dans le toucher seul que l’unité de l’objet apparaît : c’est la base de la perception. Dans le concours des deux mains et d’abord dans celui des doigts, l’objet paraîtrait multiple sans l’ébranlement ou le transport. Une fois cette idée acquise, elle est confirmée plutôt par la multiplicité des contacts.
|
Quel sens nous donne la troisième dimension ?
Qu’impliquent le déplacement et l’ébranlement en plus du toucher même double ?
Que signifie que le système réel des sensations possibles est indépendant de nous ?
Pourquoi le rôle des autres sens est-il moindre que celui du toucher ?
Que serait notre perception sans la troisième dimension ?
cf. Malebranche (III,3)
|
9 Alain
Idées, I 5
Etrange condition que la
nôtre ! Nous ne connaissons que des apparences, et
l’une n’est pas plus vraie que l’autre ; mais si nous
comprenons ce qu’est cette chose qui apparaît, alors par
elle, quoiqu’elle n’apparaisse jamais, toutes les apparences sont
vraies. Soit un cube de bois. Que je le voie ou que je le touche,
on peut dire que j’en prends une vue, ou que je le saisis par un
côté. Il y a des milliers d’aspects différents
d’un même cube pour les yeux, et aucun n’est cube. Il n’y a
point de centre d’où je puisse voir le cube en sa vérité.
Mais le discours permet de construire le cube en sa vérité,
d’où j’explique ensuite aisément toutes ces
apparences, et même je prouve qu’elles devaient apparaître
comme elles font. Tout est faux d’abord et j’accuse Dieu ;
mais finalement, tout est vrai et Dieu est innocent.
|
Que vois-je d’un objet ?
Y a-t-il un point d’où est vue sa vérité ?
Comment est établie sa vérité ?
Les apparences sont-elles vraies ?
De quelle portée est un Dieu innocent ?
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10 Alain
les Dieux, Introduction
Il
n’est pas vrai que la lune semble plus grosse à l’horizon
qu’au zénith. Appliquez votre mesure ici comme vous avez
fait au bâton brisé, vous trouverez quelque chose de
neuf, quoique bien connu, et de trop peu considéré,
c’est que l’apparence de la lune est la même dans les deux
cas ; vous croyez la voir plus grosse, vous ne la voyez pas
plus grosse. (...) Est-ce donc surprise, étonnement,
peut-être frayeur, à rencontrer ce pâle visage
parmi des toits et des cheminées ? J’en suis persuadé.
(...)
L’imagination est toute
dans le corps humain, et consiste seulement dans les mouvements du
corps humain. Tenant ferme ce principe, au moins comme instrument,
je vins à considérer une autre vision qui n’est pas
non plus vision, mais qui est bien plus émouvante que la
lune à son lever. Le vertige nous envahit et presque nous
précipite, en même temps que le précipice se
creuse devant nos yeux. Mais il ne se creuse point ; cela
n’est pas. Les couleurs et les ombres ont toujours la même
apparence ; seulement nous nous sentons tomber, nous nous
défendons, nous goûtons la peur ; d’où
cette apparence effrayante que prend le gouffre. Or cette
apparence n’apparaît même pas ; nous croyons
qu’elle apparaît. A vrai dire il faut faire longtemps
attention aux perceptions de ce genre pour arriver à
rapporter à des préparations musculaires et à
des émotions vives ce que nous voudrions prendre pour un
aspect visuel des choses. (...) Je conclus, et certainement trop
vite, que la lune à l’horizon ne nous semble apparaître
si grosse que par un léger mouvement de crainte ou de
surprise, lequel, comme on le mesure ici avec la dernière
précision, ne change nullement l’image du monde telle
qu’elle résulte des jeux de la lumière et de la
structure des yeux.
|
Que voit-on en mesurant la lune à l’horizon et au zénith ?
Peut-on vraiment la voir plus grosse dans le premier cas ?
Les lois de l’optique expliquent-elles ce qu’on perçoit alors ?
Pourquoi voit-on ce qui n’apparaît pas ?
Que produisent les mouvements du corps ?
->
un éclairage
cf. Malebranche (III,3)
|
programme
IV Inconscient
1 Platon
Ménon, 85d-86a
- Socrate :
Ainsi il acquerra un savoir, pas du tout de quelqu’un qui lui
enseigne, mais de quelqu’un qui l’interroge ! retrouvant
lui-même en lui-même le savoir. - Ménon :
Oui. - S :
Retrouver soi-même en soi-même le savoir, n’est-ce pas
se souvenir ? - M : Tout à fait. - S : Ce
savoir, qu’il a maintenant, soit il l’a trouvé autrefois,
soit il l’a toujours eu ? - M : Oui. - S :
Mais s’il l’a toujours eu, il a toujours été savant ;
et s’il l’a trouvé autrefois, ce n’est pas dans la vie
présente qu’il le trouve. Ou alors quelqu’un lui a enseigné
la géométrie ? Car il fera de même de
toutes les questions de géométrie, et de toutes les
autres sciences. Y a-t-il donc quelqu’un qui lui ait enseigné
tout cela ? Tu dois le savoir, puisque c’est dans ta maison
qu’il est né et a été élevé. -
M : Je sais que personne jamais ne le lui a enseigné.
- S :
Forme-t-il ces jugements, oui ou non ? - M : Il
le faut, Socrate, semble-t-il. - S : Si ce n’est pas dans la vie
présente qu’il les a trouvés, n’est-il pas évident
que c’est dans un autre temps qu’il les a acquis et qu’il en a
formé la science ? - M : C’est ce qu’il
semble. (trad. Dorion - La
pensée de Platon n’est pas nécessairement engagée
par les propos qu’il prête aux personnages de ses dialogues)
|
Le savoir dont on parle a-t-il été enseigné ?
A-t-il toujours appartenu à celui qui l’a ?
Comment sortir de cette difficulté ?
Comment comprendre un souvenir venu d’un autre temps ?
Qu’est-ce qu’un savoir qu’on ne sait pas avoir ?
->
un éclairage
|
2 Platon
Théétète, 197c-198a
- Socrate :
Vois s’il est possible de posséder le savoir sans le
détenir, comme qui aurait pris à la chasse des
oiseaux sauvages, colombes ou autres, et les élèverait
dans un colombier construit chez lui. En un sens, nous pourrions
dire qu’il les détient toujours, puisqu’il les
possède. N’est-ce pas ? - Théétète :
Oui. - S : Et en
un autre sens nous dirions qu’il n’en détient
aucun, mais puisqu’il les a sous la main dans son enclos,
qu’il a la puissance de les prendre et de les détenir quand
il le voudra, en chassant à chaque fois celui qu’il désire,
et à nouveau de le libérer, et qu’il peut le faire
aussi souvent qu’il lui plaît. - T : C’est
bien cela. -
S : (...)
Construisons dans chaque âme une sorte de colombier avec
toutes sortes d’oiseaux, les uns vivant en colonies séparés
les unes des autres, les autres en petit nombre, et quelques-uns
uniques et volant au hasard parmi tous les autres. - T :
Le voilà construit, et ensuite ?
- S : Il
faut dire que cette réserve est vide dans l’enfance, et au
lieu des oiseaux se représenter des savoirs. Le savoir
possédé étant enfermé dans l’enclos,
il faut dire que la chose dont on a le savoir on l’a étudiée
ou découverte, et que cela est savoir. - T :
Soit.
- S : Et maintenant, de ces savoirs
chasser celui qu’on veut, et en le prenant le détenir et
puis le libérer, examine de quels noms désigner ces
opérations, des mêmes que dans la première
prise de possession ou d’autres ? (trad. Dorion
- La pensée de Platon n’est pas nécessairement
engagée par les propos qu’il prête aux personnages de
ses dialogues)
|
Comment distingue-t-on le détenir et le posséder ?
Comment le colombier de l’âme s’emplit-il ?
Qu’y trouve-t-on dans l’enfance ?
Comment nommer le savoir possédé quoique non détenu ?
Qu’est-ce que le chasser ? Le libérer ?
->
un éclairage
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3 Descartes
Lettre, 06/06/1647
Lorsque j’étais
enfant, j’aimais une fille de mon âge, qui était
un peu louche ; au moyen de quoi l’impression qui se
faisait par la vue en mon cerveau, quand je regardais ses yeux
égarés, se joignait tellement à celle qui se
faisait aussi pour émouvoir en moi la passion de l’amour,
que longtemps après, en voyant des personnes louches, je me
sentais plus enclin à les aimer qu’à en aimer
d’autres, pour cela seul qu’elles avaient ce défaut ;
et je ne savais pas néanmoins que ce fût pour cela.
Au contraire, depuis que j’y ai fait réflexion, et
que j’ai reconnu que c’était un défaut,
je n’en ai plus été ému. Ainsi lorsque
nous sommes portés à aimer quelqu’un, sans que
nous en sachions la cause, nous pouvons croire que cela vient de
ce qu’il y a quelque chose en lui de semblable à ce
qui a été dans un autre objet que nous avons aimé
auparavant, encore que nous ne sachions pas ce que c’est. Et
bien que ce soit plus ordinairement une perfection qu’un
défaut, qui nous attire ainsi à l’amour,
toutefois, à cause que ce peut être quelquefois un
défaut, comme en l’exemple que j’ai apporté,
un homme sage ne se doit pas laisser entièrement aller à
cette passion, avant que d’avoir considéré le
mérite de la personne pour laquelle nous nous sentons émus.
Mais à cause que nous ne pouvons pas aimer également
tous ceux en qui nous remarquons des mérites égaux,
je crois que nous sommes seulement obligés de les estimer
également ; et que, le principal bien de la vie étant
d’avoir de l’amitié pour quelques uns, nous
avons raison de préférer ceux à qui nos
inclinations secrètes nous joignent, pourvu que nous
remarquions aussi en eux du mérite. Outre que, lorsque ces
inclinations secrètes ont leur cause en l’esprit, et
non dans le corps, je crois qu’elles doivent toujours être
suivies ; et la marque principale qui les fait connaître,
est que celles qui viennent de l’esprit sont réciproques,
ce qui n’arrive pas souvent aux autres.
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Quelle
association s’est faite dans l’enfance de l’auteur ?
Est-elle
consciente ?
Sont-ce
les inclinations qui sont secrètes ou leur cause ?
Est-il
utile d’en connaître la cause ? Dans quel but ?
Quelque
chose s’oppose-t-il à cette prise de conscience ?
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une explication
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4 Leibniz
Nouveaux Essais, Avant-Propos
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