Analyser les textes

des philosophes

(et de quelques autres auteurs)

 

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Destinée aux néophytes, cette page se donne pour objet de les guider dans leur analyse des textes philosophiques. Les questions posées visent à attirer leur attention sur les concepts employés par les auteurs et les relations qu’ils entretiennent entre eux. Aucune réponse ne leur est donnée, mais souvent un lien les renvoie à d’autres pages de ce site, où ils trouveront des éclaircissements, voire une explication en forme. Les extraits qu’ils trouveront ici sont – pour la plupart – classiques et, quoique ils puissent être rapportés à différents concepts philosophiques, sont classés sous une notion du programme établi par l’Inspection générale de philosophie. (03/09/09)

version-13 (20/10/10
365 textes,
un pour chaque jour de l’année)

 

Index des auteurs et des œuvres


Programme

I sujet

 

VIII culture

 

XIV raison/réel

 

XXI politique

 

XXV morale


I Sujet



1 Platon

Théétète, 166b-c

Mais crois-tu que qu’on te concède que la mémoire présente de l’affection passée est la même affection, celle dont on a été affecté et dont on n’est plus affecté ? Loin s’en faut ! Ou qu’on recule devant l’affirmation que le même à la fois sait et ne sait pas la même chose ? Ou, si l’on craint de l’affirmer, qu’on accordera que celui qui est devenu autre soit le même qu’avant de devenir autre ? Ou plutôt, s’il faut s’armer l’un contre l’autre dans une guerre des mots, crois-tu qu’on accordera qu’on est un et non plusieurs, alors même que cette pluralité devient infinie en nombre dès qu’il y a altérité ? Mais mon excellent ami, dira-t-il, combats plus généreusement ce que je dis moi, si tu en as la force ; réfute l’affirmation que nos sensations sont propres à celui d’entre nous à qui elles surviennent, et que si elles lui surviennent en propre, celle qui survient n’apparaît qu’à un seul d’entre nous, ou s’il faut employer le mot être, qu’elle n’est que pour celui à qui elle apparaît.

(trad. Dorion - La pensée de Platon n’est pas nécessairement engagée par les propos qu’il prête aux personnages de ses dialogues)

Celui qui parle s’exprime-t-il pour son propre compte ?

Que dit-il de l’identité des affections ? Des savoirs ?

Qu’en est-il de l’identité du sujet à lui-même ? Que peut-on appeler moi ?

Quelle portée a la pluralité du sujet ? La connaissance est-elle possible ?

La mot vérité a-t-il un sens ?

-> un éclairage



2 Descartes

Méditations, I

Comment est-ce que je pourrais nier que ces mains et ce corps-ci soient à moi ? si ce n’est peut-être que je me compare à ces insensés, de qui le cerveau est tellement troublé et offusqué par les noires vapeurs de la bile, qu’ils assurent constamment qu’ils sont des rois, lorsqu’ils sont très pauvres ; qu’ils sont vêtus d’or et de pourpre, lorsqu’ils sont tout nus ; ou s’imaginent être des cruches, ou avoir un corps de verre. Mais quoi ? ce sont des fous, et je ne serais pas moins extravagant, si je me réglais sur leurs exemples.

Toutefois j’ai ici à considérer que je suis homme, et par conséquent que j’ai coutume de dormir et de me représenter en mes songes les mêmes choses, ou quelquefois de moins vraisemblables, que ces insensés, lorsqu’ils veillent. Combien de fois m’est-il arrivé de songer, la nuit, que j’étais en ce lieu, que j’étais habillé, que j’étais auprès du feu, quoique je fusse tout nu dedans mon lit ? Il me semble bien à présent que ce n’est point avec des yeux endormis que je regarde ce papier ; que cette tête que je remue n’est point assoupie ; que c’est avec dessein et de propos délibéré que j’étends cette main, et que je la sens : ce qui arrive dans le sommeil ne semble point si clair ni si distinct que tout ceci. Mais, en y pensant soigneusement, je me ressouviens d’avoir été souvent trompé, lorsque je dormais, par de semblables illusions. Et m’arrêtant sur cette pensée, je vois si manifestement qu’il n’y a point d’indices concluants, ni de marques assez certaines par où l’on puisse distinguer nettement la veille d’avec le sommeil, que j’en suis tout étonné ; et mon étonnement est tel qu’il est presque capable de me persuader que je dors.

(trad. De Luynes)

De quoi l’auteur prétend-il douter ?

Qu’est-ce que les fous omettent de mettre en doute ?

La folie n’est-elle pas quotidienne à chacun ?

Les rêves manquent-ils de clarté et de distinction ? Qu’est-ce que ça prouve ?

Si l’on ne peut prouver qu’on ne rêve pas, qu’est-ce qui résiste au doute ?

-> une explication



3 Descartes

Méditations, II

Que sais-je s’il n’y a point quelque autre chose différente de celles que je viens de juger incertaines, de laquelle on ne puisse avoir le moindre doute ? N’y a-t-il point quelque Dieu ou quelque autre puissance, qui me met en l’esprit ces pensées ? Cela n’est pas nécessaire ; car peut-être que je suis capable de les produire de moi-même. Moi donc à tout le moins ne suis-je pas quelque chose ? Mais j’ai déjà nié que j’eusse aucun sens ni aucun corps. J’hésite néanmoins, car que s’ensuit-il de là ? Suis-je tellement dépendant du corps et des sens, que je ne puisse être sans eux ? Mais je me suis persuadé qu’il n’y avait rien du tout dans le monde, qu’il n’y avait aucun ciel, aucune terre, aucuns esprits, ni aucuns corps ; ne me suis-je donc pas aussi persuadé que je n’étais point ? Non certes, j’étais sans doute, si je me suis persuadé, ou seulement si j’ai pensé quelque chose. Mais il y a un je ne sais quel trompeur très puissant et très rusé, qui emploie toute son industrie à me tromper toujours. Il n’y a donc point de doute que je suis, s’il me trompe ; et qu’il me trompe tant qu’il voudra, il ne saurait jamais faire que je ne sois rien, tant que je penserai être quelque chose. De sorte qu’après y avoir bien pensé, et avoir soigneusement examiné toutes choses, enfin il faut conclure, et tenir pour constant que cette proposition : Je suis, j’existe, est nécessairement vraie, toutes les fois que je la prononce ou que je la conçois en mon esprit.

(trad. De Luynes)

Que signifie constant ? Qu’est-ce qui est incertain ?

Quel est le but de cette recherche ?

Qui peut me donner à croire ce qui n’est pas ?

Sous quelles formes apparaît le pronom personnel ? Pourquoi ?

Qu’est-ce qui reste indubitable ?

-> une explication

  • cf. Descartes (I,2)



  • 4 Berkeley

    Principes de la connaissance humaine, § 139

    S’il n’y a pas d’idée signifiée par les mots âme, esprit et substance, on objectera qu’ils sont totalement vides de sens et qu’ils ne veulent rien dire. Je réponds que ces mots veulent dire ou signifient une chose réelle, qui n’est ni une idée ni semblable à une idée, mais qui perçoit les idées et qui veut et raisonne à leur sujet. Ce que je suis moi-même, ce que je désigne par le mot je, est la même chose qui est désignée par âme ou substance spirituelle. Si l’on dit que c’est jouer sur les mots, puisque ce que signifient immédiatement les autres noms est, d’un commun accord nommé idées, et qu’on ne peut assigner aucune raison pour laquelle ce que signifient les noms esprit ou âme ne devrait pas partager la même appellation, je réponds que tous les objets non pensants de l’intelligence s’accordent en ce qu’ils sont entièrement passifs et que leur existence ne consiste qu’à être perçus, tandis qu’une âme ou esprit est un être actif dont l’existence ne consiste pas à être perçu, mais à percevoir les idées et à penser. C’est la raison pour laquelle il est nécessaire, afin d’écarter tout malentendu et de confondre des natures parfaitement discordantes et différentes, que nous fassions la distinction entre esprit et idée.

    (trad. Dorion)

    Que veut dire que les noms signifient généralement des idées ?

    Que conclue-t-on d’un nom qui ne signifie pas une idée ?

    Quels noms faut-il cependant opposer à la plupart de ceux qui sont dans ce cas ?

    Pourquoi ceux-ci ne signifient-ils pas une idée ?

    Quel rôle particulier ont les choses qu’ils signifient ?



    5 Rousseau

    Profession de foi du Vicaire savoyard

    J’existe, et j’ai des sens par lesquels je suis affecté. Voilà la première vérité qui me frappe et à laquelle je suis forcé d’acquiescer. Ai-je un sentiment propre de mon existence, ou ne la sens-je que par mes sensations ? Voilà mon premier doute, qu’il m’est, quant à présent, impossible de résoudre. Car, étant continuellement affecté de sensations, ou immédiatement, ou par la mémoire, comment puis-je savoir si le sentiment du moi est quelque chose hors de ces mêmes sensations, et s’il peut être indépendant d’elles ?

    Mes sensations se passent en moi, puisqu’elles me font sentir mon existence ; mais leur cause m’est étrangère, puisqu’elles m’affectent malgré que j’en aie, et qu’il ne dépend de moi ni de les produire, ni de les anéantir. Je conçois donc clairement que ma sensation qui est en moi, et sa cause ou son objet qui est hors de moi, ne sont pas la même chose.

    Ainsi, non seulement j’existe, mais il existe d’autres êtres, savoir, les objets de mes sensations ; et quand ces objets ne seraient que des idées, toujours est-il vrai que ces idées ne sont pas moi.

    Or, tout ce que je sens hors de moi et qui agit sur mes sens, je l’appelle matière ; et toutes les portions de matière que je conçois réunies en êtres individuels, je les appelle des corps. Ainsi toutes les disputes des idéalistes et des matérialistes ne signifient rien pour moi : leurs distinctions sur l’apparence et la réalité des corps sont des chimères.

    Me voici déjà tout aussi sûr de l’existence de l’univers que de la mienne.

    Que suis-je en dehors de mes sensations ?

    Par quel moyen mes sensations m’affectent-elles ?

    Puis-je n’en être pas affecté? Qu’est-ce que ça prouve ?

    L’altérité de la cause de mes sensations suffit-elle à établir leur objectivité ?

    Qu’est-ce que la matière ? Qu’est-ce que les corps ?

    -> une explication

  • cf. Descartes (I,2 & 3)



  • 6 Kant

    Critique de la raison pure, I, partie 2, division 1, livre 1, § 16

    Le je pense doit pouvoir accompagner toutes mes représentations ; sinon serait représenté en moi quelque chose qui ne pourrait pas du tout être pensé, ce qui signifie tout aussi bien que la représentation serait impossible, ou du moins qu’elle ne serait rien pour moi. Cette représentation qui peut être donnée avant toute pensée s’appelle intuition. Donc tout le divers de l’intuition a un rapport nécessaire au je pense dans le même sujet où se rencontre ce divers. Mais cette représentation est un acte de la spontanéité, c’est à dire qu’elle ne peut être censée appartenir à la sensibilité (...) Elle est cette conscience de soi qui, en produisant la représentation je pense, doit pouvoir accompagner toutes les autres, et qui, une et identique en toute conscience, ne peut être accompagnée d’aucune autre (...) Car les diverses représentations qui sont données dans une certaine intuition ne seraient pas toutes ensemble mes représentations, si elles n’appartenaient pas toutes ensemble à une conscience de soi, c’est à dire qu’en tant qu’elles sont mes représentations (même si je ne suis pas conscient d’elles en tant que miennes), elles doivent bien être nécessairement conformes à la condition sous laquelle seule elles peuvent être groupées dans une conscience de soi en général, puisque autrement elles ne m’appartiendraient pas absolument.

    (trad. Dorion)

    Qu’est une représentation que je ne pense pas ?

    Sous quelle condition une représentation est-elle mienne ?

    Qu’est-ce que la spontanéité ?

    De quoi se distinguent ses actes ?

    En quoi la représentation “je pense” se distingue-t-elle des autres ?



    7 Nietzsche

    Généalogie de la morale, I, § 13

    La langue dévoyée, qui cristallise les erreurs fondamentales de la raison, ne connaît – et méconnaît – un acte que comme conditionné par un agent, un sujet. Exactement comme le peuple distingue la foudre de son éclair et désigne le second comme l’effet d’un sujet qu’il appelle la foudre, la morale populaire distingue aussi la force de l’extériorisation de la force, comme si derrière le fort il existait un substrat indifférent, libre d’extérioriser ou non la force. Mais ce substrat n’existe pas. Il n’y a pas d’être derrière le faire, l’agir, le devenir. L’agent n’est que rajouté à l’acte, qui est tout. Au fond le peuple redouble l’acte quand il fait éclairer la foudre : c’est deux fois faire. Il pose le même événement d’abord comme cause et une autre fois comme effet. Les physiciens ne font pas mieux, quant ils disent “la force meut, la force provoque” etc. Toute notre science, malgré sa froideur, son émancipation des affects, est encore victime du dévoiement de la langue, elle n’est pas libérée des fantômes supposés, des “Sujets” : l’atome par exemple, est un de ces fantômes (...) Le Sujet, en langage populaire : l’âme, a été jusqu’à ce jour le meilleur article de foi du monde, peut-être pour cette raison qu’il a rendu possible à la majorité des mortels, aux faibles et aux opprimés, cette sublime tromperie de présenter la faiblesse elle-même comme un choix libre et son état comme un mérite.

    (trad. Dorion)

    Quelle erreur l’auteur rejette-t-il ?

    Quelle en est la source ?

    La pensée scientifique en est-elle purifiée ?

    Quel en est le résultat, sinon le but ?

    Le sujet est-il autre chose que ses actes ?

    -> une explication

  • cf. Platon (I,1)



  • 8 Lagneau

    Fragment 90

    La certitude est une région profonde où la pensée ne se maintient que par l’action. Mais quelle action ? Il n’y en a qu’une, celle qui combat la nature et la crée ainsi, qui pétrit le moi en le froissant. Le mal, c’est l’égoïsme, qui est au fond lâcheté. La lâcheté, elle, a deux faces, recherche du plaisir et fuite de l’effort. Agir, c’est la combattre. Toute autre action est illusoire et se détruit. Serions-nous seuls au monde, n’aurions-nous plus personne ni rien à quoi nous donner, que la loi resterait la même, et que vivre réellement serait toujours prendre la peine de vivre.

    Mais faut-il la prendre et faire sa vie au lieu de la subir ? Encore une fois, ce n’est pas de l’intelligence que la question relève ; nous sommes libres, et en ce sens le scepticisme est le vrai ; mais répondre non, c’est faire inintelligibles le monde et soi, c’est décréter le chaos et l’établir en soi d’abord. Or le chaos n’est rien. Etre ou ne pas être, soi et toutes choses, il faut choisir.

    Comment le rapport de l’intelligence à l’action est-il posé ?

    Qu’est-ce que combattre la nature ? Pétrir le moi ?

    Qu’est-ce que l’égoïsme ?

    Quel est l’enjeu du choix présenté ?

    Y a-t-il une raison qui rende compte du choix ?

  • cf. Platon (I,1); Nietzsche (I,7)



  • 9 Bergson

    la Pensée et le mouvant, Introduction (Deuxième partie)

    Science et art nous introduisent ainsi dans l’intimité d’une matière que l’une pense et que l’autre manipule. De ce côté, l’intelligence finirait, en principe, par toucher un absolu. Elle serait alors complètement elle-même. Vague au début, parce qu’elle n’était qu’un pressentiment de la matière, elle se dessine d’autant plus nettement elle-même qu’elle connaît la matière plus précisément. Mais, précise ou vague, elle est l’attention que l’esprit prête à la matière. Comment donc l’esprit serait-il encore intelligence quand il se retourne sur lui-même ? On peut donner aux choses le nom qu’on veut, et je ne vois pas grand inconvénient, je le répète, à ce que la connaissance de l’esprit par l’esprit s’appelle encore intelligence, si l’on y tient. Mais il faudra spécifier alors qu’il y a deux fonctions intellectuelles, inverses l’une de l’autre, car l’esprit ne pense l’esprit qu’en remontant la pente des habitudes contractées au contact de la matière, et ces habitudes sont ce qu’on appelle couramment les tendances intellectuelles. Ne vaut-il pas mieux alors désigner par un autre nom une fonction qui n’est certes pas ce qu’on appelle ordinairement intelligence ? Nous disons que c’est de l’intuition. Elle représente l’attention que l’esprit se prête à lui-même, par surcroît, tandis qu’il se fixe sur la matière, son objet. Cette attention supplémentaire peut être méthodiquement cultivée et déve­loppée. Ainsi se constituera une science de l’esprit, une métaphysique vérita­ble, qui définira l’esprit positivement au lieu de nier simplement de lui tout ce que nous savons de la matière. En comprenant ainsi la métaphysique, en assi­gnant à l’intuition la connaissance de l’esprit, nous ne retirons rien à l’intelli­gence, car nous prétendons que la métaphysique qui était œuvre d’intelligence pure éliminait le temps, que dès lors elle niait l’esprit ou le définissait par des négations. (...) Nous avons ainsi, d’une part, la science et l’art mécanique, qui relèvent de l’intelligence pure : de l’autre, la métaphysique, qui fait appel à l’intuition.

    Comment l’intelligence est-elle définie ?

    Par quelles voies procède-t-elle ?

    Que doit rompre l’esprit pour se tourner vers lui-même ?

    Qu’élimine d’essentiel une connaissance de l’esprit par l’intelligence ?

    L’esprit peut-il être attentif à lui-même sans l’être à un objet ?



    10 Alain

    manuscrit, 1928

    Dans le sommeil, je suis tout ; mais je n’en sais rien. La conscience suppose réflexion et division. La conscience n’est pas immédiate. Je pense, et puis je pense que je pense, par quoi je distingue Sujet et Objet. Moi et le monde. Moi et ma sensation. Moi et mon sentiment. Moi et mon idée. C’est bien le pouvoir de douter qui est la vie du moi. Par ce mouvement, tous les instants tombent au passé. Si l’on se retrouvait tout entier, c’est alors qu’on ne se reconnaîtrait pas. Le passé est suffisant, dépassé. Je ne suis plus cet enfant, cet ignorant, ce naïf. A ce moment-là même j’étais autre chose, en espérance, en avenir. La conscience de soi est la conscience d’un devenir et d’une formation de soi irréversible, irréparable. Ce que je voulais, je le suis devenu. Voilà le lien entre le passé et le présent, pour le mal comme pour le bien.

    Ainsi le moi est un refus d’être moi, qui en même temps conserve les moments dépassés.

    En quel sens suis-je “tout” dans le sommeil ?

    Comment le doute est-il lié au Je pense ?

    Pourquoi le passé est-il dépassé ?

    Comment le dépassé est-il conservé ?

    Pourquoi le sujet est-il la conscience d’un devenir ?

  • cf. Platon (I,1); Descartes (I,2 & 3); Kant (I,6)

  • programme


    II Conscience



    1 Platon

    Phédon, 66d-67b

    “Il nous est réellement prouvé que si nous devons avoir une connaissance pure, il nous faut nous séparer du corps et considérer les choses elles-mêmes par l’âme elle-même. Et ainsi, semble-t-il, nous obtiendrons ce que nous désirons et dont nous nous déclarons amoureux, l’intelligence des choses, lorsque nous aurons achevé notre vie, comme le montre ce raisonnement, mais pas vivants. Car si aucune connaissance pure n’est possible au moyen du corps, de deux choses l’une : ou bien il n’est possible d’atteindre la connaissance d’aucune chose, ou bien cela se pourra lorsque nous en aurons fini, lorsque l’âme, séparée du corps, vivra en elle-même et par elle-même, mais pas avant. Par suite, aussi longtemps que nous vivrons, nous n’approcherons de la connaissance, autant que cela est possible, que si nous n’avons de relation et de communauté avec le corps que ce qui est strictement nécessaire ; si nous ne sommes pas souillés par ce qui relève de sa nature, et que nous nous en purifions, jusqu’à ce que le dieu lui-même nous libère. Ainsi, purs et éloignés de la folie du corps, nous serons semblables à ces choses et au milieu d’elles, et connaîtrons par nous-mêmes tout ce qu’il y a de pur. Voilà probablement la vérité. A qui n’est pas pur, il n’est pas permis de se saisir du pur.” Voilà, Simmias, ce que doivent croire et se dire entre eux, je pense, tous ceux qui aiment le vrai savoir.

    (trad. Dorion - La pensée de Platon n’est pas nécessairement engagée par les propos qu’il prête aux personnages de ses dialogues)

    De quoi le corps est-il responsable ?

    Quelle opération la mort opère-t-elle ?

    Qu’est-ce qui est “strictement nécessaire” ? Qu’est-ce qui en est écarté ?

    A quoi s’oppose une connaissance pure ?

    Pourquoi l’argumentation est-elle rapportée par celui qui parle ?

    -> une explication



    2 Platon

    Philèbe, 21a-d

    - Socrate : Voudrais-tu, Protarque, vivre toute ta vie en jouissant des jouissances les plus grandes ?
    - Protarque : Pourquoi pas ?
    - S : Mais aurais-tu encore besoin de quelque chose, si tu les avais sans limite ?
    - P : De rien.
    - S : Examine bien si tu n’aurais pas besoin de conscience, d’intelligence, de raisonnement, et de tout ce qui leur est semblable ?
    - P : Mais de quoi ? J’aurais tout en ayant la jouissance.
    - S : Vivre toute ta vie ainsi te ferait jouir des plus grands plaisirs ?
    - P : Pourquoi pas ?
    - S : Mais, manquant de l’intelligence, de la mémoire, de la science, du jugement vrai, tu ignorerais tout d’abord nécessairement si tu jouis ou si tu ne jouis pas, puisque tu manquerais de toute conscience.
    - P : Nécessairement.
    - S : Et sans mémoire, tu ne pourrais pas maintenant te souvenir que tu aies joui auparavant, ni ensuite te souvenir du plaisir que tu as maintenant. Et sans jugement vrai, tu ne pourrais pas former le jugement que tu jouis au moment même où tu jouis. Et sans raisonnement, tu ne pourrais pas raisonner comment jouir dans l’avenir. Ta vie ne serait pas celle d’un homme, mais d’une éponge ou d’une moule ! Est-ce bien cela, ou peut-on en déduire autre chose ?
    - P : Mais comment le pourrait-on ?

    (trad. Dorion - La pensée de Platon n’est pas nécessairement engagée par les propos qu’il prête aux personnages de ses dialogues)

    La jouissance implique-t-elle la conscience ?

    Implique-t-elle la mémoire, l’opinion, le raisonnement ?

    La vie de plaisir vaut-elle d’être vécue ?

    De quelle valeur est le plaisir ?

    Quelle est la vie d’homme ?

    -> un éclairage



    3 Descartes

    Méditations, III

    Il ne reste que la seule idée de Dieu, dans laquelle il faut considérer s’il y a quelque chose qui n’ait pu venir de moi-même. Par le nom de Dieu j’entends une substance infinie, éternelle, immuable, indépendante, toute connaissante, toute-puissante, et par laquelle moi-même, et toutes les autres choses qui sont (s’il est vrai qu’il y en ait qui existent) ont été créées et produites. Or ces avantages sont si grands et si éminents, que plus attentivement je les considère, et moins je me persuade que l’idée que j’en ai puisse tirer son origine de moi seul. Et par conséquent il faut nécessairement conclure de tout ce que j’ai dit auparavant, que Dieu existe ; car, encore que l’idée de la substance soit en moi, de cela même que je suis une substance, je n’aurais pas néanmoins l’idée d’une substance infinie, moi qui suis un être fini, si elle n’avait été mise en moi par quelque substance qui fût véritablement infinie.

    Et je ne me dois pas imaginer que je ne conçois pas l’infini par une véritable idée, mais seulement par la négation de ce qui est fini, de même que je comprends le repos et les ténèbres par la négation du mouvement et de la lumière : puisqu’au contraire je vois manifestement qu’il se rencontre plus de réalité dans la substance infinie que dans la substance finie, et partant que j’ai en quelque façon premièrement en moi la notion de l’infini, que du fini, c’est à dire de Dieu, que de moi-même. Car comment serait-il possible que je pusse connaître que je doute et que je désire, c’est à dire qu’il me manque quelque chose et que je ne suis pas tout parfait, si je n’avais en moi aucune idée d’un être plus parfait que le mien, par la comparaison duquel je connaîtrais les défauts de ma nature ?

    (trad. De Luynes)

    Sur quel attribut de Dieu se fonde l’argument ? Les autres y jouent-ils un rôle ?

    Que veut prouver l’auteur ?

    Pourquoi l’idée d’infini n’est-elle pas la négation de celle de fini ?

    D’où me vient ma conscience de ma finitude ?

    Quel type de Dieu est prouvé ici ?

    -> une explication



    4 Malebranche

    de la Recherche de la vérité, Livre III, partie II, ch 7

    Encore que nous n’ayons pas une entière connaissance de notre âme, celle que nous en avons par conscience ou sentiment intérieur suffit pour en démontrer l’immortalité, la spiritualité, la liberté et quelques autres attributs qu’il est nécessaire que nous sachions, et c’est pour cela que Dieu ne nous la fait point connaître par son idée comme il nous fait connaître les corps. La connaissance que nous avons de notre âme par conscience est imparfaite, il est vrai, mais elle n’est point fausse ; la connaissance, au contraire, que nous avons des corps par sentiment ou par conscience, si on peut appeler conscience le sentiment de ce qui se passe dans notre corps, n’est pas seulement imparfaite, mais elle est fausse. Il nous fallait donc une idée des corps pour corriger les sentiments que nous en avons ; mais nous n’avons point besoin de l’idée de notre âme, puisque la conscience que nous en avons ne nous engage point dans l’erreur, et que pour ne nous point tromper dans sa connaissance il suffit de ne la point confondre avec le corps, ce que nous pouvons faire par la raison, puisque l’idée que nous avons du corps nous découvre que les modalités dont il est capable sont bien différentes de ce que nous sentons. Enfin, si nous avions une idée de l’âme aussi claire que celle que nous avons du corps, cette idée nous l’eût trop fait considérer comme séparée de lui. Ainsi elle eût diminué l’union de notre âme avec notre corps, en nous empêchant de la regarder comme répandue dans tous nos membres, ce que je n’explique pas davantage.

    Quelles deux voies de connaissance faut-il distinguer ?

    Quelle est celle qui convient aux corps ? Pourquoi ?

    Que sentons-nous des corps ? Quelle idée claire en avons-nous ?

    Quel sentiment avons-nous de notre âme ?

    Quel avantage paradoxal trouvons-nous à n’en avoir pas l’idée ?



    5 Hegel

    Esthétique

    Le principe d’où l’art tire son origine est celui en vertu duquel l’homme est un être qui pense, qui a conscience de lui, c’est-à-dire qui non seulement existe, mais existe pour lui. Etre en soi et pour soi, se redoubler sur soi-même, se prendre pour objet de sa propre pensée et par là se développer comme activité réfléchie, voilà ce qui constitue et distingue l’homme, ce qui fait qu’il est un esprit. Or, cette conscience de soi-même, l’homme l’obtient de deux manières, l’une théorique, l’autre pratique ; l’une par la science, l’autre par l’action : 1° par la science, lorsqu’il se connaît en lui-même dans le développement de sa propre nature, ou se reconnaît au dehors dans ce qui constitue l’essence ou la raison des choses ; 2° par l’activité pratique, lorsqu’un penchant le pousse à se développer à l’extérieur, à se manifester dans ce qui l’environne, et aussi à s’y reconnaître dans ses œuvres. Il atteint ce but par les changements qu’il fait subir aux objets physiques, qu’il marque de son empreinte, et où il retrouve ses propres déterminations. Ce besoin revêt différentes formes, jusqu’à ce qu’il arrive au mode de manifestation de soi-même, dans les choses extérieures, qui constitue l’art. Tel est le principe de toute action et de tout savoir. L’art trouve en lui son origine nécessaire.

    (trad. Bénard)

    Qu’est-ce que se reconnaître dans l’essence des choses ?

    Cette activité théorique se rencontre-t-elle chez d’autres êtres ?

    Qu’est-ce qui distingue l’art d’autres manifestations de soi à l’extérieur ?

    Voit-on s’y adonner d’autres espèces ?

    Les déterminations imprimées aux choses extérieures par l’art sont-elles subjectives ?



    6 Marx

    l’Idéologie allemande

    La production des idées, des représentations et de la conscience est d’abord directement et intimement mêlée à l’activité matérielle et au commerce matériel des hommes, elle est le langage de la vie réelle. Les représentations, la pensée, le commerce intellectuel des hommes apparaissent ici encore comme l’émanation directe de leur comportement matériel. Il en va de même de la production intellectuelle telle qu’elle se présente dans la langue de la politique, celle des lois, de la morale, de la religion, de la métaphysique, etc. de tout un peuple. Ce sont les hommes qui sont les producteurs de leur représentations, de leurs idées, etc. mais les hommes réels, agissants, tels qu’ils sont conditionnés par un développement déterminé de leurs forces productives et des rapports qui y correspondent, y compris les formes les plus larges que ceux-ci peuvent prendre. La conscience (das Bewusstsein) ne peut jamais être autre chose que l’être conscient (das bewusste Sein) et l’être des hommes est leur processus de vie réel. Et si, dans toute l’idéologie, les hommes et leurs rapports nous apparaissent placés la tête en bas comme dans une camera oscura (chambre noire), ce phénomène découle de leur processus de vie historique, absolument comme le renversement des objets sur la rétine découle de son processus de vie directement physique.

    (trad. marxists.org + Dorion)

    De quoi la conscience est-elle le produit ?

    Quel est son rapport au langage ?

    Quel est le rapport de la production intellectuelle à l’activité matérielle ?

    Que signifie que les hommes apparaissent la tête en bas ?

    Quel est le processus de vie historique d’où découle ce phénomène ?

    -> un éclairage



    7 Nietzsche

    le Gai savoir, I, § 11

    La conscience est la dernière et la plus tardive évolution de la vie organique, et par suite aussi la plus inachevée et la plus impuissante. De la conscience sont issues d’innombrables méprises qui font qu’un animal, un homme s’effondre plus tôt que la nécessité ne l’exigeait, “contre son destin”, comme dit Homère. Si le lien conservateur des instincts n’était tellement plus fort, s’il ne servait en tout de régulateur, l’humanité devrait s’effondrer du fait de ses jugements à l’envers, de ses délires les yeux ouverts, de sa légèreté et de sa crédulité, bref de sa conscience même : ou bien plutôt il n’y aurait plus d’humanité depuis longtemps ! Avant qu’une fonction soit formée et mûre, elle est un péril de l’organisme : tant mieux si longtemps elle est beaucoup tyrannisée ! Ainsi la conscience est beaucoup tyrannisée et ce n’est pas par l’orgueil qu’elle l’est le moins ! On pense que là serait le noyau de l’homme : son permanent, son éternel, son ultime, son originel ! On tient la conscience pour une valeur stable donnée ! On nie sa croissance, ses intermittences ! On la tient pour l’unité de l’organisme ! Cette surestimation et cette méconnaissance ridicules de la conscience ont eu la très utile conséquence de retarder sa formation trop rapide. Parce que les hommes croyaient disposer déjà de la conscience, ils se sont donné moins de peine pour l’acquérir, et maintenant encore il n’en va pas autrement ! C’est encore et toujours une tâche toute nouvelle, qui poind à peine à l’œil humain, presque pas discernable, de s’incorporer le savoir, de le rendre instinctif, une tâche qui n’est distinguée que de ceux qui ont compris que jusqu’à présent seules nos erreurs nous étaient incorporées et que toute notre conscience ne se rapporte qu’à des erreurs !

    (trad. Dorion)

    La conscience est-elle “le noyau” de l’homme ?

    Engendre-t-elle la lucidité ?

    Qu’est-ce qui conserve l’humanité ?

    Est-il heureux que la conscience soit tyrannisée ?

    Quel est son avenir ?

    -> une explication

  • cf. Rousseau (XXVII,9 & 10); Marx (II,6)



  • 8 Lagneau

    Fragments 9-10

    De l’inconscient au sens strict : c’est la pensée spontanée, élémentaire, sans liaison, c’est à dire la sensation sans aucune pensée proprement dite : il y a de l’inconscient, mais non dans la pensée. La conscience, comme la pensée même, est le sentiment ou affirmation spontanée d’un tout du senti, c’est à dire d’un rapport de subordination entre le tout et un centre qui l’éclaire, un but poursuivi qui l’explique. Point de conscience sans activité volontaire et finalité, sans effort, sans lutte. - Dans la réflexion un degré de plus de liaison, d’unité : le centre de pensée, le moi, se subordonne au Tout absolu, affirme, éprouve sa dépendance. Plus de conscience proprement dite : la conscience disparaît avec l’indépendance, la volonté, l’effort, le moi.

    La conscience n’est pas distincte de la pensée (proprement dite) même. Le moi qui s’y affirme n’est distinct de la pensée même que logiquement, abstraitement, dans l’expression. Si nous voulons réellement l’atteindre comme être en soi, nous passons de la conscience à la réflexion. Cet effort vers l’esprit moi est vain : le moi échappe, l’esprit seul, universel, est atteint par le sentiment du nécessaire absolu à la fois subi et subissant, c’est à dire de l’unité totale et absolue. Le fond des choses et leur explication n’est pas dans les phénomènes ou objets (nécessaires), ni dans les esprits ou sujets (limités), mais dans l’esprit, ou sujet, absolu et un. La psychologie dans sa source et son fond est la métaphysique même.

    Quel rapport est-il établi entre la pensée, la sensation et l’inconscient ?

    Quel est le sujet de la conscience ?

    Celui de la réflexion ?

    Quel est le centre qui éclaire le tout ?

    Comment le tout de la conscience et celui de la réflexion se distinguent-ils ?



    9 Bergson

    Essai sur les données immédiates de la conscience, ch II

    Nulle part cet écrasement de la conscience immédiate n’est aussi frappant que dans les phénomènes de sentiment. Un amour violent, une mélancolie profonde envahissent notre âme : ce sont mille éléments divers qui se fondent, qui se pénètrent, sans contours précis, sans la moindre tendance à s’extério­riser les uns par rapport aux autres ; leur originalité est à ce prix. Déjà ils se déforment quand nous démêlons dans leur masse confuse une multiplicité numérique : que sera-ce quand nous les déploierons, isolés les uns des autres, dans ce milieu homogène qu’on appellera maintenant, comme on voudra, temps ou espace ? Tout à l’heure chacun d’eux empruntait une indéfinissable coloration au milieu où il était placé : le voici décoloré, et tout prêt à recevoir un nom. Le sentiment lui-même est un être qui vit, qui se développe, qui change par conséquent sans cesse ; sinon, on ne comprendrait pas qu’il nous acheminât peu à peu à une résolution : notre résolution serait immédiatement prise. Mais il vit parce que la durée où il se développe est une durée dont les moments se pénètrent : en séparant ces moments les uns des autres, en déroulant le temps dans l’espace, nous avons fait perdre à ce sentiment son animation et sa couleur. Nous voici donc en présence de l’ombre de nous-mêmes : nous croyons avoir analysé notre sentiment, nous lui avons substitué en réalité une juxtaposition d’états inertes, traduisibles en mots, et qui constituent chacun l’élément commun, le résidu par conséquent impersonnel, des impressions ressenties dans un cas donné par la société entière.

    Les éléments d’un sentiment sont-ils extérieurs les uns aux autres ?

    Peut-il être analysé ? Les mots peuvent-ils le dire ?

    Un sentiment est-il immobile ?

    Pourquoi la durée où il vit est-elle irréductible au temps ?

    Que disent les mots du sentiment ?



    10 Alain

    manuscrit non daté

    L’unité indivisible de la conscience se traduit à la fois dans les perceptions et dans les souvenirs. D’abord toute conscience a, si l’on peut dire, les mêmes dimensions que le monde. En vain l’on essaierait de ne percevoir qu’une chose, et séparée. Les relations loin et près, qui supposent une continuelle comparaison par dessus toute limite, maintiennent devant la pensée une existence totale et indivisible, d’avance totale et indivisible. Les souvenirs sont comme des perceptions volantes, esquissées et niées ; ou bien ramenées à l’unité du monde présent, ou bien rapportées à l’unité du monde passé ou à venir. Tout ce qui est pensé est rapporté à un temps unique et sans limites. Il n’y a point de conscience qui ne suppose un monde qui a toujours été et sera toujours. C’est là-dessus que reposent les souvenirs et les projets... Dire moi, c’est se mouvoir sans cesse selon l’ordre du temps.

    Qu’impliquent les relations d’espace ?

    Les relations de temps ?

    Pourquoi devant la pensée l’existence est-elle “d’avance” totale et indivisible ?

    Qu’implique de dire moi ?

    Quelle portée a l’unité de la conscience ?

    programme


    III Perception



    1 Platon

    Théétète, 184c-185a

    - Socrate : Fais attention : quelle est la plus correcte des deux réponses, que nos yeux sont ce en quoi nous voyons ou que nous voyons par leur moyen, que nos oreilles sont ce en quoi nous entendons ou que nous entendons par leur moyen ?
    - Théétète : Nous percevons chaque chose par leur moyen, me semble-t-il Socrate, plutôt qu’en eux.
    - S : Ce serait étrange en effet, mon garçon, que des sensations, nombreuses, siègent en nous comme dans des chevaux de bois, et qu’il n’y ait pas une forme unique, qu’il faille la nommer âme ou autrement, en laquelle, toutes ces sensations se rassemblant, nous percevons les nombreux sensibles atteints au moyen de ces instruments.
    - T : Cela me semble être plutôt ainsi qu’autrement.
    - S : Je veux te faire examiner s’il y a quelque chose en nous-mêmes, toujours le même, en quoi, et au moyen des yeux nous atteignons le blanc et le noir, au moyen des autres sens les autres sensibles ; et si tu rapportes toutes ces fonctions au corps. Mais il vaut mieux que tu répondes plutôt que je me tue à le faire à ta place. Donc dis-moi : ce au moyen de quoi on perçoit le chaud, le dur, le léger, le doux le rapportes-tu au corps ou à quelque chose d’autre ?
    - T : A rien d’autre.
    - S : Voudras-tu m’accorder aussi que ce que tu perçois par un certain moyen, il est impossible de le percevoir par un autre ? Par exemple par le moyen de la vue ce qu’on perçoit par celui de l’ouïe, et réciproquement ?
    - T : Comment n’y pas consentir ?
    - S : Si donc tu connais quelque chose qui se rapporte aux deux, ce n’est ni au moyen de l’un ni au moyen de l’autre que tu perçois ce qui se rapporte aux deux ?
    -  T : Sûrement pas.

    (trad. Dorion - La pensée de Platon n’est pas nécessairement engagée par les propos qu’il prête aux personnages de ses dialogues)

    Que serait voir en les yeux ? Entendre en les oreilles ?

    Que nous diraient des sensations siégeant en nous comme dans des chevaux de bois ?

    Quel est le rôle de la forme unique ?

    L’œil ou l’oreille peuvent-ils percevoir que le dur est et que le blanc est ? Que les deux sont ?

    Qu’est-ce qui perçoit l’être commun aux deux ? Et le deux ?

    -> une explication



    2 Descartes

    Méditations, II

    Prenons pour exemple ce morceau de cire qui vient d’être tiré de la ruche : il n’a pas encore perdu la douceur du miel qu’il contenait, il retient encore quelque chose de l’odeur des fleurs dont il a été recueilli ; sa couleur, sa figure, sa grandeur, sont apparentes ; il est dur, il est froid, on le touche, et si vous le frappez, il rendra quelque son. Enfin toutes les choses qui peuvent distinctement faire connaître un corps, se rencontrent en celui-ci.

    Mais voici que, pendant que je parle, on l’approche du feu : ce qui y restait de saveur s’exhale, l’odeur s’évanouit, sa couleur se change, sa figure se perd, sa grandeur augmente, il devient liquide, il s’échauffe, à peine le peut-on toucher, et quoiqu’on le frappe, il ne rendra plus aucun son. La même cire demeure-t-elle après ce changement ? Il faut avouer qu’elle demeure ; et personne ne le peut nier. Qu’est-ce donc que l’on connaissait en ce morceau de cire avec tant de distinction ?

    (...) Considérons-le attentivement, et éloignant toutes les choses qui n’appartiennent point à la cire, voyons ce qui reste. Certes il ne demeure rien que quelque chose d’étendu, de flexible et de muable. Or qu’est ce que cela : flexible et muable ? N’est-ce pas que j’imagine que cette cire étant ronde est capable de devenir carrée, et de passer du carré en une figure triangulaire ? Non certes, ce n’est pas cela, puisque je la conçois capable de recevoir une infinité de semblables changements, et je ne saurais néanmoins parcourir cette infinité par mon imagination, et par conséquent cette conception que j’ai de la cire ne s’accomplit pas par la faculté d’imaginer.

    (...) Il faut donc que je tombe d’accord, que je ne saurais pas même concevoir par l’imagination ce que c’est que cette cire, et qu’il n’y a que mon entendement seul qui le conçoive.

    (trad. De Luynes)

    Que perçois-je de la cire sortie de la ruche ? Qu’en reste-t-il quand elle est chauffée ?

    Que me font connaître les sens ?

    Que peut l’imagination ? De quoi est-elle incapable ? Pourquoi ?

    L’identité de la cire n’est ni sentie ni imaginée ; qu’est-elle ?

    Percevoir est-il seulement recevoir de l’extérieur ?

    -> une explication

  • cf. Platon (III,1); Aristote (XV,2)



  • 3 Malebranche

    de la Recherche de la vérité, Livre I, ch 7

    D’ordinaire notre imagination ne se représente pas plus d’étendue entre les objets si elle n’est aidée par la vue sensible d’autres objets qu’elle voie entre deux, et au-delà desquels elle puisse encore imaginer.

    C’est pour cela que quand la lune se lève ou qu’elle se couche, nous la voyons beaucoup plus grande que lorsqu’elle est fort élevée au-dessus de l’horizon ; car étant fort haute, nous ne voyons point entre elle et nous d’objets dont nous sachions la grandeur pour juger de celle de la lune par leur comparaison. Mais quand elle vient de se lever ou qu’elle est prête à se coucher, nous voyons entre elle et nous plusieurs campagnes dont nous connaissons à peu près la grandeur ; et ainsi nous la jugeons plus éloignée, et à cause de cela nous la voyons plus grande.

    Et il faut remarquer que lorsqu’elle est élevée au-dessus de nos têtes, quoique nous sachions très certainement par la raison qu’elle est dans une très grande distance, nous ne laissons pourtant pas de la voir fort proche et fort petite ; parce qu’en effet ces jugements naturels de la vue ne sont appuyés que sur des perceptions de la même vue, et que la raison ne peut les corriger. De sorte qu’ils nous portent souvent à l’erreur en nous faisant former des jugements libres qui s’accordent parfaitement avec eux.

    Qu’implique la représentation de la distance ?

    Y a-t-il d’autres objets entre nous et la lune lorsqu’elle est élevée ? Lorsqu’elle est à l’horizon ?

    Quelle comparaison se fait dans le premier cas ? Dans le second ?

    Ces comparaisons fondent-elles des jugements ?

    La raison peut-elle s’opposer à ces jugements ?



    4 Leibniz

    Nouveaux essais, Avant-propos

    La coutume fait que nous ne prenons pas garde au mouvement d’un moulin ou à une chute d’eau, quand nous avons habité tout auprès depuis quelque temps. Ce n’est pas que ce mouvement ne frappe toujours nos organes et qu’il ne se passe encore quelque chose dans l’âme, qui y réponde, à cause de l’harmonie de l’âme et du corps ; mais les impressions qui sont dans l’âme et le corps, destituées des attraits de la nouveauté, ne sont pas assez fortes pour s’attirer notre attention et notre mémoire, qui ne s’attachent qu’à des objets plus occupants. Toute attention demande de la mémoire, et quand nous ne sommes point avertis, pour ainsi dire, de prendre garde à quelques unes de nos propres perceptions présentes, nous les laissons passer sans réflexion et même sans les remarquer ; mais si quelqu’un nous en avertit incontinent et nous fait remarquer, par exemple, quelque bruit qu’on vient d’entendre, nous nous en souvenons et nous nous apercevons d’en avoir eu tantôt quelque sentiment. Ainsi c’étaient des perceptions dont nous ne nous étions pas aperçus incontinent, la perception ne venant dans ce cas d’avertissement qu’après quelque intervalle, tout petit qu’il soit.

    Un objet peut-il faire impression sur nos organes sans qu’il se passe quelque chose dans l’âme ?

    Avons-nous des perceptions que nous n’apercevons pas ?

    Pour quelle raison ?

    Que faut-il pour les apercevoir ?

    Que suppose l’attention ?



    5 Berkeley

    Principes de la connaissance humaine, § 3

    Que ni nos pensées, ni nos passions, ni les idées formées par l’imagination n’existent sans l’esprit, c’est ce que chacun accordera. Et à moi il ne me semble pas moins évident que les différentes sensations ou idées imprimées dans les sens, de quelque manière qu’elles soient mélangées ou combinées les unes aux autres (c’est à dire quels que soient les objets qu’elles composent) ne peuvent exister autrement que dans un esprit qui les perçoit. Je pense qu’une connaissance intuitive de ceci peut être obtenue par quiconque sera attentif à ce qui est signifié par le mot exister lorsqu’il est appliqué aux choses sensibles. La table sur laquelle j’écris, dis-je, existe, c’est à dire que je la vois et la touche ; et si j’étais sorti de mon bureau je dirais qu’elle existe, signifiant par là que si j’étais dans mon bureau je pourrais la percevoir, ou qu’un autre esprit actuellement la perçoit. Il y avait une odeur, c’est à dire on la sentait ; il y avait un son, c’est à dire on l’entendait ; une couleur ou une forme, elle était perçue par la vue ou le toucher. C’est tout ce que je peux comprendre par ces expressions et celles qui leur ressemblent. Car quant à ce qu’on dit de l’existence absolue des choses qui ne pensent pas, abstraction faite de ce qu’elles sont perçues, cela semble parfaitement inintelligible. Leur esse (être) est percipi (être perçues) et il n’est pas possible qu’elles aient une existence hors des esprits ou choses pensantes qui les perçoivent.

    (trad. Dorion)

    Où existent nos sensations (ou idées) ?

    Qu’implique leur existence ? Que n’implique-t-elle pas ?

    Qu’est-ce qu’un objet ?

    Que veux-je dire quand j’affirme qu’il existe ?

    En quoi l’existence d’un esprit se distingue-t-elle de celle d’un objet ?

    -> un éclairage



    6 Hume

    Traité de la nature humaine, Livre I, partie 1, section 1

    Toutes les perceptions de l’esprit humain se répartissent en deux genres distincts, que j’appellerai impressions et idées. La différence entre ces perceptions consiste dans les degrés de force et de vivacité avec lesquels elles frappent l’esprit et font leur chemin dans notre pensée ou conscience. Les perceptions qui entrent avec le plus de force ou de violence, nous pouvons les nommer impressions ; et sous ce terme, je comprends toutes nos sensations, passions et émotions, telles qu’elles font leur première apparition dans l’âme. Par idées, j’entends les images affaiblies des impressions dans la pensée et le raisonnement. Telles sont, par exemple, toutes les perceptions excitées par le présent discours, à l’exception seulement de celles qui proviennent de la vue et du toucher, et à l’exception du plaisir immédiat ou du désagrément qu’il peut occasionner. Je crois qu’il ne sera pas nécessaire d’employer beaucoup de mots pour expliquer cette distinction. Chacun, de lui-même, percevra facilement la différence entre sentir et penser.

    (trad. Folliot)

    Comment se définit une impression ?

    Comment se définit une idée ?

    Sur quel critère les distingue-t-on ?

    Pourquoi faut-il les distinguer ?

    Pourquoi renvoie-t-on à chacun de faire la différence ?

  • cf. Descartes (I,2)



  • 7 Rousseau

    Profession de foi du Vicaire savoyard

    Je réfléchis sur les objets de mes sensations ; et, trouvant en moi la faculté de les comparer, je me sens doué d’une force active, que je ne savais pas avoir auparavant.

    Apercevoir, c’est sentir ; comparer, c’est juger : juger et sentir ne sont pas la même chose. Par la sensation, les objets s’offrent à moi séparés, isolés, tels qu’ils sont dans la nature ; par la comparaison, je les remue, je les transporte pour ainsi dire, je les pose l’un sur l’autre pour prononcer sur leur différence ou sur leur similitude, et généralement sur tous leurs rapports. Selon moi la faculté distinctive de l’être actif ou intelligent est de pouvoir donner un sens à ce mot est. Je cherche en vain dans l’être purement sensitif cette force intelligente qui superpose et puis qui prononce ; je ne la saurais voir dans sa nature. Cet être passif sentira chaque objet séparément, ou même il sentira l’objet total formé par les deux ; mais n’ayant aucune force pour les replier l’un sur l’autre, il ne les comparera jamais ; il ne les jugera point.

    Voir deux objets à la fois, ce n’est pas voir leurs rapports ni juger de leurs différences ; apercevoir plusieurs objets les uns hors des autres n’est pas les nombrer. Je puis avoir au même instant l’idée d’un grand bâton et d’un petit bâton sans les comparer, sans juger que l’un est plus petit que l’autre, comme je puis voir à la fois ma main entière sans faire le compte de mes doigts. Ces idées comparatives, plus grand, plus petit, de même que les idées numériques d’un, de deux, etc., ne sont certainement pas des sensations, quoique mon esprit ne les produise qu’à l’occasion de mes sensations.

    Comment l’être actif se distingue-t-il de l’être sensitif ?

    Quels verbes expriment la faculté d’être actif ? Quels verbes les activités ?

    Comment faut-il les entendre ?

    Quel rapport le jugement entretient-il avec la sensation ?

    L’être sensitif peut apercevoir ; quel est l’acte où intervient le jugement sur la sensation ?

    -> une explication



    8 Lagneau

    Fragment 53

    La troisième dimension ou éloignement est la dimension essentielle qui réalise l’étendue, puisqu’elle représente la permanence de l’objet, c’est à dire le système réel des sensations possibles, indépendamment de nous. Elle peut être donnée à l’aide du toucher seul avec déplacement et ébranlement, mais elle est facilitée par l’exercice des autres sens pour lesquels l’objet éloigné est encore présent.

    L’épaisseur et la profondeur sont cette même troisième dimension. Elles représentent en effet la réalité de l’objet en dehors de nous, de ce que nous touchons ou voyons : même le toucher double ne nous les donne pas. Il ne nous donne que notre surface. Seulement dans le déplacement de l’objet apparaît son unité et par suite sa réalité. La vue peut nous aider à percevoir la profondeur dans les corps transparents.

    La perception proprement dite c’est la fusion de plusieurs groupes de sensations spécifiquement différentes en un seul tout circonscrit par le toucher. Nous percevons à la fois notre corps et les corps extérieurs. C’est dans le toucher seul que l’unité de l’objet apparaît : c’est la base de la perception. Dans le concours des deux mains et d’abord dans celui des doigts, l’objet paraîtrait multiple sans l’ébranlement ou le transport. Une fois cette idée acquise, elle est confirmée plutôt par la multiplicité des contacts.

    Quel sens nous donne la troisième dimension ?

    Qu’impliquent le déplacement et l’ébranlement en plus du toucher même double ?

    Que signifie que le système réel des sensations possibles est indépendant de nous ?

    Pourquoi le rôle des autres sens est-il moindre que celui du toucher ?

    Que serait notre perception sans la troisième dimension ?

  • cf. Malebranche (III,3)



  • 9 Alain

    Idées, I 5

    Etrange condition que la nôtre ! Nous ne connaissons que des apparences, et l’une n’est pas plus vraie que l’autre ; mais si nous comprenons ce qu’est cette chose qui apparaît, alors par elle, quoiqu’elle n’apparaisse jamais, toutes les apparences sont vraies. Soit un cube de bois. Que je le voie ou que je le touche, on peut dire que j’en prends une vue, ou que je le saisis par un côté. Il y a des milliers d’aspects différents d’un même cube pour les yeux, et aucun n’est cube. Il n’y a point de centre d’où je puisse voir le cube en sa vérité. Mais le discours permet de construire le cube en sa vérité, d’où j’explique ensuite aisément toutes ces apparences, et même je prouve qu’elles devaient apparaître comme elles font. Tout est faux d’abord et j’accuse Dieu ; mais finalement, tout est vrai et Dieu est innocent.

    Que vois-je d’un objet ?

    Y a-t-il un point d’où est vue sa vérité ?

    Comment est établie sa vérité ?

    Les apparences sont-elles vraies ?

    De quelle portée est un Dieu innocent ?



    10 Alain

    les Dieux, Introduction

    Il n’est pas vrai que la lune semble plus grosse à l’horizon qu’au zénith. Appliquez votre mesure ici comme vous avez fait au bâton brisé, vous trouverez quelque chose de neuf, quoique bien connu, et de trop peu considéré, c’est que l’apparence de la lune est la même dans les deux cas ; vous croyez la voir plus grosse, vous ne la voyez pas plus grosse. (...) Est-ce donc surprise, étonnement, peut-être frayeur, à rencontrer ce pâle visage parmi des toits et des cheminées ? J’en suis persuadé. (...)

    L’imagination est toute dans le corps humain, et consiste seulement dans les mouvements du corps humain. Tenant ferme ce principe, au moins comme instrument, je vins à considérer une autre vision qui n’est pas non plus vision, mais qui est bien plus émouvante que la lune à son lever. Le vertige nous envahit et presque nous précipite, en même temps que le précipice se creuse devant nos yeux. Mais il ne se creuse point ; cela n’est pas. Les couleurs et les ombres ont toujours la même apparence ; seulement nous nous sentons tomber, nous nous défendons, nous goûtons la peur ; d’où cette apparence effrayante que prend le gouffre. Or cette apparence n’apparaît même pas ; nous croyons qu’elle apparaît. A vrai dire il faut faire longtemps attention aux perceptions de ce genre pour arriver à rapporter à des préparations musculaires et à des émotions vives ce que nous voudrions prendre pour un aspect visuel des choses. (...) Je conclus, et certainement trop vite, que la lune à l’horizon ne nous semble apparaître si grosse que par un léger mouvement de crainte ou de surprise, lequel, comme on le mesure ici avec la dernière précision, ne change nullement l’image du monde telle qu’elle résulte des jeux de la lumière et de la structure des yeux.

    Que voit-on en mesurant la lune à l’horizon et au zénith ?

    Peut-on vraiment la voir plus grosse dans le premier cas ?

    Les lois de l’optique expliquent-elles ce qu’on perçoit alors ?

    Pourquoi voit-on ce qui n’apparaît pas ?

    Que produisent les mouvements du corps ?

    -> un éclairage

  • cf. Malebranche (III,3)

  • programme


    IV Inconscient



    1 Platon

    Ménon, 85d-86a

    - Socrate : Ainsi il acquerra un savoir, pas du tout de quelqu’un qui lui enseigne, mais de quelqu’un qui l’interroge ! retrouvant lui-même en lui-même le savoir.
    - Ménon : Oui.
    - S : Retrouver soi-même en soi-même le savoir, n’est-ce pas se souvenir ?
    - M : Tout à fait.
    - S : Ce savoir, qu’il a maintenant, soit il l’a trouvé autrefois, soit il l’a toujours eu ?
    - M : Oui.
    - S : Mais s’il l’a toujours eu, il a toujours été savant ; et s’il l’a trouvé autrefois, ce n’est pas dans la vie présente qu’il le trouve. Ou alors quelqu’un lui a enseigné la géométrie ? Car il fera de même de toutes les questions de géométrie, et de toutes les autres sciences. Y a-t-il donc quelqu’un qui lui ait enseigné tout cela ? Tu dois le savoir, puisque c’est dans ta maison qu’il est né et a été élevé.
    - M : Je sais que personne jamais ne le lui a enseigné.
    - S : Forme-t-il ces jugements, oui ou non ?
    - M : Il le faut, Socrate, semble-t-il.
    - S : Si ce n’est pas dans la vie présente qu’il les a trouvés, n’est-il pas évident que c’est dans un autre temps qu’il les a acquis et qu’il en a formé la science ?
    - M : C’est ce qu’il semble.

    (trad. Dorion - La pensée de Platon n’est pas nécessairement engagée par les propos qu’il prête aux personnages de ses dialogues)

    Le savoir dont on parle a-t-il été enseigné ?

    A-t-il toujours appartenu à celui qui l’a ?

    Comment sortir de cette difficulté ?

    Comment comprendre un souvenir venu d’un autre temps ?

    Qu’est-ce qu’un savoir qu’on ne sait pas avoir ?

    -> un éclairage



    2 Platon

    Théétète, 197c-198a

    - Socrate : Vois s’il est possible de posséder le savoir sans le détenir, comme qui aurait pris à la chasse des oiseaux sauvages, colombes ou autres, et les élèverait dans un colombier construit chez lui. En un sens, nous pourrions dire qu’il les détient toujours, puisqu’il les possède. N’est-ce pas ?
    - Théétète : Oui.
    - S : Et en un autre sens nous dirions qu’il n’en détient aucun, mais puisqu’il les a sous la main dans son enclos, qu’il a la puissance de les prendre et de les détenir quand il le voudra, en chassant à chaque fois celui qu’il désire, et à nouveau de le libérer, et qu’il peut le faire aussi souvent qu’il lui plaît.
    - T : C’est bien cela.
    -  S : (...) Construisons dans chaque âme une sorte de colombier avec toutes sortes d’oiseaux, les uns vivant en colonies séparés les unes des autres, les autres en petit nombre, et quelques-uns uniques et volant au hasard parmi tous les autres.
    - T : Le voilà construit, et ensuite ?
    - S : Il faut dire que cette réserve est vide dans l’enfance, et au lieu des oiseaux se représenter des savoirs. Le savoir possédé étant enfermé dans l’enclos, il faut dire que la chose dont on a le savoir on l’a étudiée ou découverte, et que cela est savoir.
    - T : Soit.
    - S : Et maintenant, de ces savoirs chasser celui qu’on veut, et en le prenant le détenir et puis le libérer, examine de quels noms désigner ces opérations, des mêmes que dans la première prise de possession ou d’autres ?

    (trad. Dorion - La pensée de Platon n’est pas nécessairement engagée par les propos qu’il prête aux personnages de ses dialogues)

    Comment distingue-t-on le détenir et le posséder ?

    Comment le colombier de l’âme s’emplit-il ?

    Qu’y trouve-t-on dans l’enfance ?

    Comment nommer le savoir possédé quoique non détenu ?

    Qu’est-ce que le chasser ? Le libérer ?

    -> un éclairage



    3 Descartes

    Lettre, 06/06/1647

    Lorsque j’étais enfant, j’aimais une fille de mon âge, qui était un peu louche ; au moyen de quoi l’impression qui se faisait par la vue en mon cerveau, quand je regardais ses yeux égarés, se joignait tellement à celle qui se faisait aussi pour émouvoir en moi la passion de l’amour, que longtemps après, en voyant des personnes louches, je me sentais plus enclin à les aimer qu’à en aimer d’autres, pour cela seul qu’elles avaient ce défaut ; et je ne savais pas néanmoins que ce fût pour cela. Au contraire, depuis que j’y ai fait réflexion, et que j’ai reconnu que c’était un défaut, je n’en ai plus été ému. Ainsi lorsque nous sommes portés à aimer quelqu’un, sans que nous en sachions la cause, nous pouvons croire que cela vient de ce qu’il y a quelque chose en lui de semblable à ce qui a été dans un autre objet que nous avons aimé auparavant, encore que nous ne sachions pas ce que c’est. Et bien que ce soit plus ordinairement une perfection qu’un défaut, qui nous attire ainsi à l’amour, toutefois, à cause que ce peut être quelquefois un défaut, comme en l’exemple que j’ai apporté, un homme sage ne se doit pas laisser entièrement aller à cette passion, avant que d’avoir considéré le mérite de la personne pour laquelle nous nous sentons émus. Mais à cause que nous ne pouvons pas aimer également tous ceux en qui nous remarquons des mérites égaux, je crois que nous sommes seulement obligés de les estimer également ; et que, le principal bien de la vie étant d’avoir de l’amitié pour quelques uns, nous avons raison de préférer ceux à qui nos inclinations secrètes nous joignent, pourvu que nous remarquions aussi en eux du mérite. Outre que, lorsque ces inclinations secrètes ont leur cause en l’esprit, et non dans le corps, je crois qu’elles doivent toujours être suivies ; et la marque principale qui les fait connaître, est que celles qui viennent de l’esprit sont réciproques, ce qui n’arrive pas souvent aux autres.

    Quelle association s’est faite dans l’enfance de l’auteur ?

    Est-elle consciente ?

    Sont-ce les inclinations qui sont secrètes ou leur cause ?

    Est-il utile d’en connaître la cause ? Dans quel but ?

    Quelque chose s’oppose-t-il à cette prise de conscience ?

    -> une explication



    4 Leibniz

    Nouveaux Essais, Avant-Propos

    Ces perceptions insensibles marquent encore et constituent le même individu, qui est caractérisé par les traces qu’elles conservent des états précédents de cet individu, en faisant la connexion avec son état présent ; et elles se peuvent connaître par un esprit supérieur, quand même cet individu ne les sentirait pas, c’est à dire lorsque le souvenir exprès n’y serait plus. Elles donnent même le moyen de retrouver le souvenir au besoin par des développements périodiques, qui peuvent arriver un jour. (...)

    Après cela je dois encore ajouter que ce sont ces petites perceptions qui nous déterminent en bien des rencontres sans qu’on y pense, et qui trompent le vulgaire par une apparence d’indifférence d’équilibre, comme si nous étions indifférents par exemple de tourner à droite ou à gauche. Elles causent cette inquiétude, que je montre consister en quelque chose, qui ne diffère de la douleur, que comme le petit diffère du grand et qui fait pourtant souvent notre désir et même notre plaisir, en lui donnant comme un sel qui pique.

    Les petites perceptions (insensibles) sont-elles sans effet ?

    Qu’en est-il des choix effectués sans raison ?

    Qu’est-ce que l’inquiétude mêlée au désir et au plaisir ?

    Un individu ne porte-t-il aucune trace des perceptions insensibles de son passé ?

    S’il n’en a pas le souvenir, sont-elles pour autant inaccessibles à un esprit supérieur ?

  • cf. Leibniz (III,4)



  • 5 Nietzsche

    Par-delà le bien et le mal, II, § 32

    N’en arrivons-nous pas aujourd’hui à la nécessité de décider une conversion et un renversement nouveaux des valeurs, grâce à une conscience de soi et un approfondissement nouveaux de l’homme ? Ne nous trouvons-nous pas au seuil d’une période qu’on devrait nommer, négativement d’abord, extra-morale ? Aujourd’hui, au moins parmi nous immoralistes, le soupçon s’élève que la valeur décisive d’un acte consiste précisément en ce qui n’y est pas intentionnel, et que toute son intentionnalité, tout ce qui peut en être vu, connu, conscient n’appartient encore qu’à sa surface et à son épiderme, lequel comme tout épiderme trahit quelque chose, mais dissimule plus encore. Bref, nous croyons que l’intention n’est qu’un signe et un symptôme, qui nécessite pour commencer une interprétation, un signe qui signifie trop et donc par soi seul presque rien. Si bien que la morale, dans le sens qu’elle a reçu jusqu’à ce jour, la morale des intentions, a été un jugement prévenu, précipité, provisionnel, peut-être du même niveau que l’astrologie et l’alchimie, en tout cas quelque chose qui doit être dépassé. Le dépassement de la morale et, dans un certain sens aussi, l’auto-dépassement de la morale, pourrait être le nom de ce long travail secret, réservé aux consciences les plus fines et les plus honnêtes, les plus méchantes aussi, vivantes pierres de touche de l’âme.

    (trad. Dorion)

    Pourquoi la conversion et le renversement des valeurs seraient-ils nouveaux ?

    Quelle est la place de l’intention dans la morale ?

    Pourquoi un signe signifierait-il trop ?

    Qu’est-ce que le niveau de l’astrologie et de l’alchimie ?

    En quel sens le dépassement de la morale est-il réservé aux plus méchants ?

    -> une explication

  • cf. Kant (XXV,13)



  • 6 Lagneau

    Fragment 12

    L’inconscient, c’est l’élément mental (sensation) sans aucune liaison ; il n’y en a pas : raison métaphysique : d’où viendrait cette sensation ? D’en dehors de l’univers ; raison psychologique : comment serait-elle dans la pensée ?

    Le seul inconscient qui existe, c’est ce qui a été agrégé automatiquement, sans pensée au sens strict, par suite sans conscience et, n’ayant pas été d’abord dans la conscience, n’est pas susceptible d’y rentrer.

    Le demi-conscient ou conscient indirect : le représenté (car ce qui n’est pas représenté - prétendus raisonnements - n’est pas du tout dans la conscience) qui, agrégé d’abord par la pensée ou avec accompagnement de la pensée proprement dite, n’est plus actuellement maintenu agrégé que par l’habitude, l’association automatique. Le champ du demi-conscient ou conscient indirect est celui de la pensée devenue habitude. Degrés infinis.

    Le conscient. Nul degré. C’est la pensée proprement dite innovant avec effort au contact des phénomènes subis. Au dessus de la conscience : la réflexion, affranchissement des phénomènes.

    Que serait une sensation sans liaison ?

    Qu’est-ce qu’une agrégation automatique ?

    Pourquoi ne peut-elle entrer dans la cnscience ?

    Que produit l’habitude ?

    Pourquoi n’y a-t-il pas de degrés de conscience ?



    7 Freud

    le Moi et le ça

    Mais nous avons obtenu le terme ou la notion de l’inconscient en suivant une autre voie, et notamment en utilisant des expériences dans lesquelles intervient le dynamisme psychique. Nous avons appris ou, plutôt, nous avons été obligés d’admettre, qu’il existe d’intenses processus psychiques, ou représentations (nous tenons ici compte principalement du facteur quantitatif, c’est-à-dire économique), capables de se manifester par des effets semblables à ceux produits par d’autres représentations, voire par des effets qui, prenant à leur tour la forme de représentations, sont susceptibles de devenir conscients, sans que les processus eux-mêmes qui les ont produits le deviennent. Inutile de répéter ici en détail ce qui a été dit tant de fois. Qu’il nous suffise de rappeler que c’est en ce point qu’intervient la théorie psychanalytique, pour déclarer que si certaines représentations sont incapables de devenir conscientes, c’est à cause d’une certaine force qui s’y oppose ; que sans cette force elles pourraient bien devenir conscientes, ce qui nous permettrait de constater combien peu elles diffèrent d’autres éléments psychiques, officiellement reconnus comme tels. Ce qui rend cette théorie irréfutable, c’est qu’elle a trouvé dans la technique psychanalytique un moyen qui permet de vaincre la force d’opposition et d’amener à la conscience ces représentations inconscientes. A l’état dans lequel se trouvent ces représentations, avant qu’elles soient amenées à la conscience, nous avons donné le nom de refoulement ; et quant à la force qui produit et maintient le refoulement, nous disons que nous la ressentons, pendant le travail analytique, sous la forme d’une résistance.

    (trad. Jankélévitch)

    Parle-t-on ici de ce qui, étant inconscient, peut à tout instant cesser de l’être ?

    Qu’est-ce que le dynamisme psychique ?

    Une représentation consciente peut-elle avoir une cause inconsciente ?

    Comment nomme-t-on ce qui résiste à la prise de conscience ?

    Qu’est-ce qui rend possible de vaincre cette résistance ?

  • cf. Freud (XVII,8)



  • 8 Bergson

    Matière et mémoire, ch III

    Notre répugnance à conce­voir des états psychologiques inconscients vient surtout de ce que nous tenons la conscience pour la propriété essentielle des états psychologiques, de sorte qu’un état psychologique ne pourrait cesser d’être conscient, semble-t-il, sans cesser d’exister. Mais si la conscience n’est que la marque caractéristique du présent, c’est-à-dire de l’actuellement vécu, c’est-à-dire enfin de l’agissant, alors ce qui n’agit pas pourra cesser d’appartenir à la conscience sans cesser nécessairement d’exister en quelque manière. En d’autres termes, dans le domaine psychologique, conscience ne serait pas synonyme d’existence mais seulement d’action réelle ou d’efficacité immédiate, et l’extension de ce terme se trouvant ainsi limitée, on aurait moins de peine à se représenter un état psychologique inconscient, c’est-à-dire, en somme, impuissant. Quelque idée qu’on se fasse de la conscience en soi, telle qu’elle apparaîtrait si elle s’exerçait sans entraves, on ne saurait contester que, chez un être qui accomplit des fonctions corporelles, la conscience ait surtout pour rôle de présider à l’action et d’éclairer un choix. Elle projette donc sa lumière sur les antécédents immédiats de la décision et sur tous ceux des souvenirs passés qui peuvent s’organiser utilement avec eux ; le reste demeure dans l’ombre.

    Un état psychologique qui n’entre pas présentement dans l’action est-il conscient ?

    Cesse-t-il pour autant d’exister ? D’être un état psychologique ?

    La conscience est-elle une propriété essentielle des états psychologiques ?

    Pourquoi un état psychologique inconscient est-il dit impuissant ?

    Que faut-il pour que ce qui est dans l’ombre passe dans la lumière ?



    9 Alain

    Libres propos, 1931

    Dans les disputes sur l’inconscient, où, contre toutes les autorités établies et reconnues, je ne cède jamais un pouce de terrain, il y a plus qu’une question de mots. Qu’un mécanisme semblable à l’instinct des bêtes, nous fasse souvent parler et agir, et par suite penser, cela est connu, et hors de discussion. Mais il s’agit de savoir si ce qui sort ainsi de mes entrailles, sans que je l’aie composé ni délibéré, est une sorte d’oracle, c’est-à-dire une pensée venant des profondeurs ; ou si je dois plutôt le prendre comme un mouvement de nature, qui n’a pas plus de sens que le mouvement des feuillages dans le vent. Vieille question ; faut-il interroger le chêne de Dodone, ou les entrailles des animaux expirants ? Ou bien, encore, faut-il consulter la Pythie, folle par état et par système, et essayer de lire tous les signes qu’elle nous jette par ses mouvements et par sa voix ? Enfin suis-je moi-même à moi-même Pythie ou chêne de Dodone ?

    Par ma structure d’homme tous mes mouvements sont des signes, et tous mes cris sont des sortes de mots. Dois-je croire que tout cela a un sens, et traduit à moi-même mes propres pensées, pour moi secrètes, de moi séparées, et qui vivent, s’élaborent, se conservent dans mes profondeurs ? Je suis naturellement porté à le croire ; toutes les passions se nourrissent des signes qu’elles font.

    L’idée d’un mécanisme est-elle liée à celle du psychique ?

    Pense-t-on toujours avant de parler ?

    Sinon faut-il prêter attention aux paroles prononcées ?

    Penser est-il autre chose que prononcer ces paroles ?

    Quel est l’enjeu du refus de se croire ?

  • cf. Freud (IV,7 & XVII,8); Alain (XVII,9)



  • 10 Bachelard

    la Psychanalyse du feu, ch I, III

    Il faut montrer dans l’expérience scientifique les traces de l’expérience enfantine. C’est ainsi que nous serons fondé à parler d’un inconscient de l’esprit scientifique, du caractère hétérogène de certaines évidences, et que nous verrons converger, sur l’étude d’un phénomène particulier, des convictions formées dans les domaines les plus variés.

    Ainsi, on n’a peut-être pas assez remarqué que le feu est plutôt un être social qu’un être naturel. Pour voir le bien-fondé de cette remarque, il n’est pas besoin de développer des considérations sur le rôle du feu dans les sociétés primitives, ni d’insister sur les difficultés techniques de l’entretien du feu ; il suffit de faire de la psychologie positive, en examinant la structure de l’éducation d’un esprit civilisé. En fait, le respect du feu est un respect enseigné ; ce n’est pas un respect naturel. Le réflexe qui nous fait retirer le doigt de la flamme d’une bougie ne joue pour ainsi dire aucun rôle conscient dans notre connaissance. On peut même s’étonner qu’on lui donne tant d’importance dans les livres de psychologie élémentaire où il s’offre comme le sempiternel de l’intervention d’une réflexion dans le réflexe, d’une connaissance dans la sensation la plus brutale. En réalité, les interdictions sociales sont les premières.

    Dans quelle mesure se retire-t-on du feu par réflexe ?

    D’où vient le respect du feu ?

    Sur un tel fondement l’idée scientifique du feu est-elle totalement consciente ?

    La connaissance du feu est-elle un cas particulier ?

    De quoi l’expérience scientifique doit-elle se libérer ?

    programme


    V Autrui



    1 Platon

    Banquet, 209b-c

    Lorsque quelqu’un, un être divin ! a l’âme féconde dès son enfance et que parvenu à l’âge d’enfanter et d’engendrer il en conçoit le désir, alors, je pense, il recherche autour de lui l’être beau où engendrer. Car jamais il n’engendrera dans le laid. Il s’attache comme un chien aux beaux corps plus qu’aux laids, et s’il y rencontre une âme belle, généreuse et talentueuse, il s’attache absolument à cet homme, et à son profit, sans détours, il abonde en discours sur la vertu, sur ce que doit être l’homme de valeur, et à quoi il doit s’occuper, et il entreprend de l’éduquer. Ayant trouvé le beau et s’y étant lié, il enfante et engendre, je pense, ce dont il était depuis longtemps fécond. Il y pense présent ou absent, et ce qu’il a engendré il l’élève en commun avec lui. Il existe ainsi entre eux une communauté bien plus forte que celle des enfants et une amitié bien plus constante, parce qu’ils ont en commun des enfants plus beaux et plus immortels. Et tout le monde préférerait de tels enfants aux enfants de la chair.

    (trad. Dorion - La pensée de Platon n’est pas nécessairement engagée par les propos qu’il prête aux personnages de ses dialogues)

    Qu’est-ce qu’une âme féconde, de quoi l’est-elle ?

    Comment se distinguent qui enfante et en qui il enfante ?

    L’âme féconde peut-elle engendrer sans trouver en qui ?

    Quels sont les rôles respectifs du beau corps et de la belle âme ?

    Qu’est-ce que cet enfant qui n’est pas de chair ?



    2 Aristote

    Politique, 1253b

    Comme les autres arts, chacun dans sa sphère, ont besoin, pour accomplir leur œuvre, d’instruments spéciaux, la science domestique doit avoir également les siens. Or, parmi les instruments, les uns sont inanimés, les autres vivants ; par exemple, pour le patron du navire, le gouvernail est un instrument sans vie, et le matelot qui veille à la proue, un instrument vivant, l’ouvrier, dans les arts, étant considéré comme un véritable instrument. D’après le même principe, on peut dire que la propriété n’est qu’un instrument de l’existence, la richesse une multiplicité d’instruments, et l’esclave une propriété vivante ; seulement, en tant qu’instrument, l’ouvrier est le premier de tous. Si chaque instrument, en effet, pouvait, sur un ordre reçu, ou même deviné, travailler de lui-même, comme les statues de Dédale, ou les trépieds de Vulcain, “qui se rendaient seuls, dit le poète, aux réunions des dieux” ; si les navettes tissaient toutes seules ; si l’archet jouait tout seul de la cithare, les entrepreneurs se passeraient d’ouvriers, et les maîtres, d’esclaves.

    (trad. Barthélemy-Saint Hilaire)

    En quel sens le mot art est-il entendu ?

    Qu’est-ce qu’un instrument de l’art ?

    Qu’est-ce qui fait de l’ouvrier le premier de tous les instruments ?

    Quel ordre social implique cette définition ?

    Quelle est la justification de l’esclavage donnée par l’auteur ?



    3 Descartes

    Lettre, 06/10/1645

    J’avoue qu’il est difficile de mesurer exactement jusques où la raison ordonne que nous nous intéressions pour le public ; mais aussi n’est-ce pas une chose en quoi il soit nécessaire d’être fort exact : il suffit de satisfaire à sa conscience, et on peut en cela donner beaucoup à son inclination. Car Dieu a tellement établi l’ordre des choses, et conjoint les hommes ensemble d’une si étroite société, qu’encore que chacun rapportât tout à soi-même, et n’eût aucune charité pour les autres, il ne laisserait pas de s’employer ordinairement pour eux en tout ce qui serait de son pouvoir, pourvu qu’il usât de prudence, principalement s’il vivait en un siècle où les mœurs ne fussent point corrompues. Et, outre cela, comme c’est une chose plus haute et plus glorieuse, de faire du bien aux autres hommes que de s’en procurer à soi même, aussi sont-ce les plus grandes âmes qui y ont le plus d’inclination, et font le moins d’état des biens qu’elles possèdent. Il n’y a que les faibles et basses qui s’estiment plus qu’elles ne doivent, et sont comme les petits vaisseaux, que trois gouttes d’eau peuvent remplir.

    Qu’est-ce que s’intéresser pour le public ?

    Que signifie satisfaire sa conscience ?

    Comment la prudence conduit-elle à s’employer pour les autres ?

    Quelle loi est supérieure à la prudence ? Qu’est-ce qui l’en distingue ?

    Comment est-elle liée à la grandeur d’âme ?

    -> une explication



    4 Spinoza

    Ethique, IV 18 scolie

    Il y a donc hors de nous beaucoup de choses qui nous sont utiles et que, pour cette raison, il nous faut appéter. Parmi elles la pensée n’en peut inventer de meilleures que celles qui s’accordent entièrement avec notre nature. Car si, par exemple, deux individus entièrement de même nature se joignent l’un à l’autre, ils composent un individu deux fois plus puissant que chacun séparément. Rien donc de plus utile à l’homme que l’homme ; les hommes, dis-je, ne peuvent rien souhaiter qui vaille mieux pour la conservation de leur être, que de s’accorder tous en toutes choses de façon que les âmes et les corps de tous composent en quelque sorte une seule âme et un seul corps, de s’efforcer tous ensemble à conserver leur être et de chercher tous ensemble l’utilité commune à tous ; d’où suit que les hommes qui sont gouvernés par la raison, c’est-à-dire ceux qui cherchent ce qui leur est utile sous la conduite de la raison, n’appètent rien pour eux-mêmes qu’ils ne désirent aussi pour les autres hommes, et sont ainsi justes, de bonne foi et honnêtes.

    (trad. Appuhn)

    Comment comprendre qu’il faut appéter (désirer) ce qui est utile ?

    Qu’est-ce que s’accorder à notre nature ?

    Quelle sorte de puissance est doublée de la jonction de deux individus ?

    Quel est le fondement de la justice ?

    L’amour d’autrui est-il juste parce qu’il est commandé par une autorité supérieure ?

    -> un éclairage

  • cf. Platon (IV,1)



  • 5 Berkeley

    Principes de la connaissance humaine, §§ 145-146

    Nous ne pouvons connaître l’existence d’autres esprits autrement que par leurs opérations, ou les idées excitées par eux en nous. Je perçois plusieurs mouvements, changements ou combinaisons d’idées qui m’informent qu’il existe certains agents particuliers semblables à moi, qui les accompagnent et concourent à leur production. La connaissance que j’ai des autres esprits n’est donc pas immédiate, comme la connaissance de mes idées ; mais elle dépend de l’intervention des idées, que je rapporte comme leurs effets ou signes concomitants aux agents ou esprits distincts de moi-même. Mais bien qu’il y ait des choses qui nous convainquent que des agents humains sont engagés dans leur production, il est maintenant évident à chacun que ces choses qu’on nomme les oeuvres de la nature, c’est à dire de loin la plus grande part des idées ou sensations perçues par nous, ne sont pas produites par les volontés des hommes, ni ne se rapportent à elles. Puisqu’il serait absurde qu’elles subsistent par elles-mêmes, il y a donc un autre esprit qui les cause.

    (trad. Dorion)

    Toute idée perçue doit-elle être rapportée aux oeuvres de la nature ?

    Comment distingué-je celles qui ne doivent pas l’être ?

    A quoi dois-je rapporter celles-ci ?

    Quelle est cette sorte de rapports ?

    Les oeuvres de la nature n’entrent-elles pas dans des rapports analogues ?



    6 Kant

    Critique de la raison pratique, partie I, livre 1, ch 3

    Le respect ne s’adresse jamais qu’aux personnes, pas aux choses. Celles-ci peuvent susciter en nous un penchant et, si ce sont des animaux (par exemple des chevaux, des chiens, etc.), même de l’amour, ou aussi de la peur, comme la mer, un volcan, un fauve, mais jamais du respect (...) Un homme peut être aussi pour moi un objet d’amour, de peur ou d’admiration et même d’étonnement et n’être cependant pas pour autant un objet de respect (...) Fontenelle dit : “devant un grand seigneur je m’incline, mais mon esprit ne s’incline pas”. Je puis ajouter : devant un homme de classe inférieure, un bourgeois ordinaire, en qui j’aperçois une droiture de caractère et d’une mesure telle que je ne me la reconnais pas à moi-même, mon esprit s’incline, que je le veuille ou non, et si haut que j’élève la tête pour ne pas lui laisser méconnaître la supériorité de mon rang. Pourquoi cela ? Son exemple me présente une loi, qui humilie mon amour-propre quand je la compare avec ma conduite, dont je vois l’observation et par suite la praticabilité devant moi, prouvées par le fait.

    (trad. Dorion)

    Qu’est-ce qui distingue le respect d’un penchant ?

    A quelle condition s’incliner exprime-t-il le respect ?

    En dehors de celle-ci pourquoi s’incline-t-on ?

    Qu’est-ce qui est respectable dans la personne ?

    Ce qui est respectable est-il singulier ?

    -> un éclairage



    7 Marx

    Ebauche d’une critique de l’économie politique

    Dans le rapport à l’égard de la femme, proie et servante de la volupté collective, s’exprime l’infinie dégradation dans laquelle l’homme existe pour soi-même, car le secret de ce rapport trouve son expression non-équivoque, décisive, manifeste, dévoilée dans le rapport de l’homme à la femme et dans la manière dont est saisi le rapport générique naturel et immédiat. Le rapport immédiat, naturel, nécessaire de l’homme à l’homme est le rapport de l’homme à la femme. Dans ce rapport générique naturel, le rapport de l’homme à la nature est immédiatement son rapport à l’homme, de même que le rapport à l’homme est directement son rapport à la nature, sa propre détermination naturelle. Dans ce rapport apparaît donc de façon sensible, réduite à un fait concret la mesure dans laquelle, pour l’homme, l’essence humaine est devenue la nature, ou celle dans laquelle la nature est devenue l’essence humaine de l’homme. En partant de ce rapport, on peut donc juger tout le niveau de culture de l’homme. Du caractère de ce rapport résulte la mesure dans laquelle l’homme est devenu pour lui-même être générique, homme, et s’est saisi comme tel ; le rapport de l’homme à la femme est le rapport le plus naturel de l’homme à l’homme. En celui-ci apparaît donc dans quelle mesure le comportement naturel de l’homme est devenu humain ou dans quelle mesure l’essence humaine est devenue pour lui l’essence naturelle, dans quelle mesure sa nature humaine est devenue pour lui la nature.

    (trad. marxists.org)

    Qu’est-ce qu’un rapport générique ?

    Qu’exprime le rapport de l’homme à la femme ?

    Pourquoi cette expression est-elle sensible ?

    Quelle relation existe-t-il entre l’essence humaine et la nature ?

    Comment l’auteur définit-il la culture?



    8 Nietzsche

    Par-delà le bien et le mal, IX, § 260

    Une morale des maîtres est étrangère et pénible au goût présent surtout par la rigueur de son principe qu’on n’a de devoirs qu’envers son pair, et qu’envers les êtres de niveau inférieur, envers tout ce qui est étranger il ne peut être question que de bon vouloir ou “comme le cœur vous en dit” et en tout cas “au-delà du bien et du mal”. De cela doivent relever la pitié et ces sortes de choses. La capacité et le devoir de la longue reconnaissance et de la longue vengeance, l’une et l’autre seulement entre pairs, le raffinement dans la vengeance, le raffinement conceptuel dans l’amitié, une certaine nécessité d’avoir des ennemis (comme soupape de sûreté pour les affects de jalousie, d’agressivité, d’exubérance, au fond pour pouvoir être bon ami), tout cela c’est des marques typiques de la morale distinguée, qui, comme je l’ai dit, n’est pas la morale des “idées modernes” et pour cette raison est aujourd’hui difficile à comprendre, difficile à déterrer et à découvrir.

    (trad. Dorion)

    Que demande à l’égard d’autrui la morale des “idées modernes” ?

    Comment la morale distinguée s’y oppose-t-elle ?

    Demande-t-elle la pitié ?

    Que fait-elle des inférieurs ?

    Qu’impose l’amitié entre pairs ?

    -> une explication



    9 Alain

    les Dieux, III 6

    Les dieux sont partout. Un jeune homme inconnu qui montre le chemin, c’est Mercure peut-être. Le sage ami c’est Mentor, et c’est Minerve. Et, comme Ulysse est caché sous les haillons d’un mendiant, il se peut bien qu’un dieu porte la besace et quête de porte en porte. Ce prodigieux avertissement, qui n’est que sage, est le plus beau fruit de la folie héroïque. Car le héros revient toujours à l’ordinaire ; il mange, il boit, il dort. C’est mon frère l’homme. Et Ulysse, enseveli et dormant sous les feuilles, comme le feu des pasteurs, n’en est pas moins Ulysse. Il faut donc ouvrir un crédit d’honneur et d’hospitalité à toute forme d’homme ; et l’idée qu’un dieu s’y cache peut-être est de celles que l’avenir ne diminuera point. Le chrétien ne dira pas mieux. Ou plutôt, il devrait dire mieux. Seulement homme, voilà le dieu. (...) C’est pourquoi je redis que Chateaubriand a dépassé le sublime païen et même le sublime chrétien, en sa parole des Martyrs qui est peut-être la plus belle parole. Au chrétien qui donne au pauvre son manteau, le païen dit, selon sa profonde sagesse : “Tu as cru sans doute que c’était un dieu ?” – “Non, répond le chrétien, j’ai seulement cru que c’était un homme.”

    Que voit la sagesse des Anciens dans l’inconnu, le mendiant ?

    Le héros est-il autre chose que le dieu ?

    Le dieu est-il autre chose qu’un homme ? Et réciproquement ?

    Qu’est-ce qu’un crédit d’honneur et d’hospitalité ?

    En quoi la parole du chrétien est-elle sublime ?

    -> un éclairage



    10 Alain

    les Dieux, IV 8

    Je ne crois pas qu’on puisse se bien connaître tant qu’on ne se confesse qu’à soi. Ce n’est pas que l’on se montre toujours indulgent pour soi ; il y a des exemples aussi de fautes grossies et de regrets intempérants. Souvent l’idée d’une dégradation prédite à soi, et même rétrospectivement, se change en un désespoir orgueilleux. (...)

    Il reste que la conscience qui se sent descendre a besoin d’un arbitre qui la délivre, qui la fasse rebondir par la foi et l’espérance ; en sorte qu’en dépit de moqueries faciles, l’absolution est bien la fin de la confession ; sans quoi l’homme serait perdu par ce qu’il a de bon. (...)

    Maintenant, si l’on cherche un arbitre, peut-être ne le trouvera-t-on point aisément dans un ami, par cette raison que l’on craint, non seulement de l’affliger, mais aussi de lui communiquer la grande hésitation, qui est de tous les soirs et de tous les matins. L’arbitre inconnu, secret, qui même oubliera, peut être quelquefois meilleur. Ce qui est surtout à remarquer dans la confession, c’est le libre aveu et le conseil demandé. L’arbitre attend et juge sur ce qu’on lui dit. “C’est toi qui le diras” ; ce célèbre mot de Socrate revient dans cet entretien qui, avec le secours de l’autre, n’est pourtant jamais qu’un entretien avec soi.

    Qu’est la grande hésitation ?

    Pourquoi l’homme serait-il perdu par ce qu’il a de bon ? Qu’est-ce qu’un désespoir orgueilleux ?

    Comment entendre que l’absolution est la fin de la confession ?

    L’arbitre inconnu est-il amical ? Quel secours apporte-t-il ?

    En quoi le confesseur serait-il socratique ?

    -> un éclairage

  • cf. Spinoza (XII,7)

  • programme


    VI Désir



    1 Platon

    Gorgias 493d-494e

    - Socrate : Vois si ce que tu dis de chacune de ces vies, celle du tempérant et celle de l’intempérant, ne ressemble pas à ce que serait celle de deux hommes ayant chacun un grand nombre de tonneaux. Les tonneaux de l’un sont en bon état et pleins, (...) il n’y verse plus rien désormais, et n’y pense plus, il est tout à fait serein à leur sujet. L’autre peut comme le premier se procurer les liquides, même si ce n’est pas facile, mais ses tonneaux étant percés et mauvais, il est contraint de les remplir toujours, nuit et jour, ou de souffrir les plus grandes douleurs. Ainsi chacune des vies étant peinte, dis-tu que la vie de l’intempérant est plus heureuse que celle de l’homme bien ordonné ? Est-ce que, en disant ces choses, je te convaincs de m’accorder que la vie bien ordonnée est meilleure que la vie intempérante, ou est-ce que je ne t’en convaincs pas ?
    - Calliclès : Tu ne me convaincs pas, Socrate ; la vie de l’homme aux tonneaux bien pleins n’est aucunement une vie de plaisirs, elle est, comme je l’ai déjà dit, semblable à celle d’une pierre : ses tonneaux pleins, il ne jouit ni ne souffre. La vie de plaisir au contraire consiste à y verser sans cesse le plus possible.
    - S : Mais, à y verser beaucoup, il faut nécessairement que beaucoup s’en écoule, et qu’il y ait de grands trous pour les fuites ?
    - C : Eh oui !
    - S : C’est une vie de canard dont tu parles ! (...) Dis-moi d’abord, celui qui a la gale et qui se gratte, qui se gratte abondamment, qui se gratte jusqu’à la fin de ses jours, a-t-il une vie heureuse ?
    - C : (...) Eh bien, je dis que vivre en se grattant, c’est vire dans le plaisir.
    - S : Le plaisir et le bonheur ?
    - C : Tout à fait.
    - S : Dis-moi ensuite, suffit-il de se gratter la tête ? ou encore autre part ? je te le demande. Vois, Calliclès, ce que tu répondras, si on te pose toutes les questions qui peuvent suivre. Et, pour les ramener toutes à la principale, la vie des débauchés infâmes est-elle mauvaise, laide et misérable ? Ou bien as-tu le culot de prétendre qu’ils sont heureux, s’ils obtiennent abondamment ce qu’ils recherchent ?
    - C : Tu n’as pas honte, Socrate, de dire des choses pareilles !

    (trad. Dorion - La pensée de Platon n’est pas nécessairement engagée par les propos qu’il prête aux personnages de ses dialogues)

    Peut-on n’avoir plus de désir ?

    Pourquoi désirer sans fin est-il indigne d’un homme ?

    Qu’apporte au débat l’image du galeux ?

    Quelle est la vie que Calliclès ne peut reconnaître bonne ?

    Qu’est ce que le désir, s’il n’est pas de verser dans un trou ?

    -> une explication



    2 Platon

    Phédon ,82c-e

    Ceux qui aiment vraiment la sagesse repoussent tous les désirs du corps, leur résistent et ne s’y livrent pas. Ils ne craignent ni la ruine et la misère, comme la foule de ceux qui aiment l’argent, ni le manque d’honneurs et de réputation de l’infortune, comme ceux qui aiment le pouvoir et la gloire.
    Ils n’en ont pas l’air, Socrate, dit Cébès.
    Bon sang, pas du tout, reprit-il. C’est pourquoi tous ceux, Cébès, qui se soucient de leur âme et non de vivre en donnant de l’apparence à leur corps, leur donnent congé. Ils ne se conduisent pas comme ceux qui ne savent pas où ils vont. Jugeant qu’il ne faut pas aller à l’encontre de la philosophie, libératrice et purificatrice, ils la prennent pour guide et ils la suivent.
    Comment, Socrate ?
    Je vais te le dire, répondit-il. Ils savent, ceux qui aiment le savoir, que la philosophie a pris en charge leur âme complètement enchaînée et nouée au corps, contrainte de regarder les réalités, non par elle-même, mais à travers lui, comme emmurée, et se roulant dans une totale ignorance. Et le plus beau ! c’est que l’âme est emmurée par le désir, et que le plus grand fauteur de ces chaînes est l’enchaîné lui-même.

    (trad. Dorion - La pensée de Platon n’est pas nécessairement engagée par les propos qu’il prête aux personnages de ses dialogues)

    Peut-on aimer l’argent ou la gloire en même temps que la sagesse ?

    Peut-on se soucier de son âme et de son corps à la fois ?

    Qu’est-ce que regarder les réalités ?

    En quoi la philosophie est-elle purificatrice et libératrice ?

    Qui m’a mis dans les chaînes ?

    -> un éclairage



    3 Maïmonide

    le Guide des égarés, § 49

    Nous avons dit que notre Loi ne permet aucunement d’occuper notre pensée de l’amour physique, ni d’exciter la concupiscence d’une manière quelconque, et que l’homme, s’il s’y sent excité malgré lui, doit occuper son esprit d’autres pensées et réfléchir sur autre chose, jusqu’à ce que cette excitation soit passée. Voici ce que disent les docteurs dans leurs sentences, qui servent à perfectionner même les hommes vertueux : “Si ce hideux te rencontre, entraîne-le à la maison d’études ; s’il est de fer, il se fondra, et s’il est de pierre, il se brisera, comme il est dit : Ma parole n’est-elle pas comme le feu, dit l’Eternel, et comme un marteau qui brise le rocher ? (Jérémie, XXIII, 29)” (Kiddouchin 30b). Le docteur donne ici à son fils cette règle de conduite : si tu te sens excité à la concupiscence et si tu en souffres, va à la maison d’études, livre-toi à l’étude et à la lecture, interroge et laisse-toi interroger, et cette souffrance s’évanouira indubitablement. L’expression ce hideux est remarquable, et en effet, il n’y a rien de plus hideux. Cette morale non seulement est prescrite par la religion, mais elle est aussi recommandée par les philosophes. Je t’ai déjà cité textuellement les paroles d’Aristote, qui dit : “ce sens qui est une honte pour nous” (Ethique de Nicomaque, Livre III, ch 10), voulant parler du sens du toucher, qui nous invite à rechercher la bonne chère et l’amour physique.

    (trad. Munk)

    Qu’est-ce que la concupiscence ?

    Qu’en disent la religion et les philosophes ?

    Qu’est-ce qu’un docteur qui donne des règles de conduite ?

    Quel rapport l’auteur établit-il entre la concupiscence et l’étude ?

    Quelle souffrance s’évanouit avec l’étude ?

    N.B. Au lieu cité, Aristote note que les intempérants sont ceux qui recherchent avec excès (en quoi ils sont blâmables) les sensations qui intéressent la partie animale de l'homme (lesquelles sont procurées par le toucher), celles du manger, du boire et de l'amour.



    4 Thomas d’Aquin

    Somme théologique, I, qu 6, art 1

    Ce n’est pas uniquement par la connaissance que se guide l’orientation des êtes vers le Dieu bien : par le fait seul qu’ils désirent leur propre achèvement et les perfections qui leur appartiennent, tous tendent vers Dieu, la perfection de toutes choses étant une ressemblance et, pour chacune, une certaine participation de l’être divin, comme on l’a fait voir. Ainsi parmi les êtres qui tendent vers Dieu, certains le connaissent en lui-même, et c’est le propre de la créature raisonnable ; d’autres en connaissent certaines participations, ce qui doit s’entendre même de la connaissance sensitive ; enfin d’autres ont des tendances naturelles inconscientes, inclinés qu’ils sont vers leur fin par une impression du Connaissant suprême.

    (trad. Sertillanges)

    Qu’est-ce que l’orientation des êtres vers le Dieu bien ?

    Pourquoi tous les êtres y tendent-ils ?

    Comment la perfection est-elle définie ?

    Comment l’orientation vers elle distinge-t-elle la créature raisonnable ?

    Qui en connaît certaines participations ? Qui y est incliné par impression ?



    5 Descartes

    Discours de la méthode, III

    Ma troisième maxime était de tâcher toujours plutôt à me vaincre que la fortune, et à changer mes désirs que l’ordre du monde ; et généralement de m’accoutumer à croire qu’il n’y a rien qui soit entièrement en notre pouvoir que nos pensées, en sorte qu’après que nous avons fait notre mieux touchant les choses qui nous sont extérieures, tout ce qui manque de nous réussir est au regard de nous absolument impossible. Et ceci seul me semblait être suffisant pour m’empêcher de rien désirer à l’avenir que je n’acquisse, et ainsi pour me rendre content : car notre volonté ne se portant naturellement à désirer que les choses que notre entendement lui représente en quelque façon comme possibles, il est certain que si nous considérons tous les biens qui sont hors de nous comme également éloignés de notre pouvoir, nous n’aurons pas plus de regret de manquer de ceux qui semblent être dus à notre naissance, lorsque nous en serons privés sans notre faute, que nous avons de ne posséder pas les royaumes de la Chine ou de Mexique ; et que faisant, comme on dit, de nécessité vertu, nous ne désirerons pas davantage d’être sains étant malades, ou d’être libres étant en prison, que nous faisons maintenant d’avoir des corps d’une matière aussi peu corruptible que les diamants, ou des ailes pour voler comme les oiseaux.

    Qu’est-ce que désirer un corps incorruptible, ou des ailes ?

    Qu’est-ce qu’un bien qui semble dû à notre naissance ?

    Quel rapport y a-t-il entre la fortune et l’ordre du monde ?

    Qu’est-ce qu’être entièrement en notre pouvoir ?

    Comment puis-je me rendre content ?

    -> une explication



    6 Spinoza

    Ethique, III 9 proposition et scolie

    L’âme, en tant qu’elle a des idées claires et distinctes, et aussi en tant qu’elle a des idées confuses, s’efforce de persévérer dans son être pour une durée indéfinie et a conscience de son effort.

    Cet effort, quand il se rapporte à l’âme seule, est appelé volonté ; mais, quand il se rapporte à la fois à l’âme et au corps, est appelé appétit ; l’appétit n’est par là rien d’autre que l’essence même de l’homme, de la nature de laquelle suit nécessairement ce qui sert à sa conservation ; et l’homme est ainsi déterminé à le faire. De plus, il n’y a nulle différence entre l’appétit et le désir, sinon que le désir se rapporte généralement aux hommes, en tant qu’ils ont conscience de leurs appétits et peut, pour cette raison, se définir ainsi : le désir est l’appétit avec conscience de lui-même. Il est donc établi par tout cela que nous ne nous efforçons à rien, ne voulons, n’appétons ni ne désirons aucune chose, parce que nous la jugeons bonne ; mais, au contraire, nous jugeons qu’une chose est bonne parce que nous nous efforçons vers elle, la voulons, appétons et désirons.

    (trad. Appuhn)

    A quoi s’efforce-t-on ? Comment peut-on nommer cet objet ?

    Comment l’appétit se distingue-t-il de la volonté ?

    Comment le désir se distingue-t-il de l’appétit ?

    Comment le désir et le bien sont-ils liés ?

    Le bien peut-il n’être pas subjectif ?

    -> une explication

  • cf. Aristote (XIX,2)



  • 7 Rousseau

    la Nouvelle Héloïse

    Malheur à qui n’a plus rien à désirer ! il perd pour ainsi dire tout ce qu’il possède. On jouit moins de ce qu’on obtient que de ce qu’on espère, et l’on n’est heureux qu’avant d’être heureux. En effet, l’homme avide et borné, fait pour tout vouloir et peu obtenir, a reçu du ciel une force consolante qui rapproche de lui tout ce qu’il désire, qui le soumet à son imagination, qui le lui rend présent et sensible, qui le lui livre en quelque sorte, et pour lui rendre cette imaginaire propriété plus douce, le modifie au gré de sa passion. Mais tout ce prestige disparaît devant l’objet même ; rien n’embellit plus cet objet aux yeux du possesseur ; on ne se figure point ce qu’on voit ; l’imagination ne pare plus rien de ce qu’on possède, l’illusion cesse où commence la jouissance. Le pays des chimères est en ce monde le seul digne d’être habité et tel est le néant des choses humaines, qu’hors l’Etre existant par lui-même, il n’y a rien de beau que ce qui n’est pas.

    Si cet effet n’a pas toujours lieu sur les objets particuliers de nos passions, il est infaillible dans le sentiment commun qui les comprend toutes. Vivre sans peine n’est pas un état d’homme ; vivre ainsi c’est être mort. Celui qui pourrait tout sans être Dieu, serait une misérable créature ; il serait privé du plaisir de désirer ; toute autre privation serait plus supportable.

    Désire-t-on ce qu’on a ?

    Quelle peine afflige l’homme avide et borné ?

    Qu’est-ce qui l’en console ?

    Que produit la jouissance ?

    Qu’arriverait-il si l’homme n’était pas borné ?

  • cf. Platon (VI,1)



  • 8 Nietzsche

    le Crépuscule des Idoles, La morale comme contre-nature, §1

    Toutes les passions ont un temps où elles sont seulement fatales, où elles rabaissent leur victime du poids de la bêtise, - et plus tard, beaucoup plus tard, un autre, où elles se marient à l’esprit, se “spiritualisent”. Autrefois, à cause de la bêtise de la passion, on faisait la guerre à la passion elle-même : on conspirait son anéantissement - tous les vieux monstres moraux en sont d’accord : “il faut tuer les passions”. Le plus célèbre précepte à ce propos se trouve dans le Nouveau Testament, dans ce Sermon sur la montagne où, soit dit en passant, les choses ne sont absolument pas considérées de haut. Il y est même dit par exemple, avec allusion au sexe : “si ton œil va contre toi, arrache-le” : heureusement aucun chrétien n’agit d’après cette règle. Anéantir les passions et les désirs juste pour prévenir leur bêtise et les suites désagréables de leur bêtise, nous paraît aujourd’hui juste une forme aiguë de la bêtise. Nous n’admirons plus les dentistes qui arrachent les dents afin qu’elles ne fassent plus mal... Il est d’ailleurs juste de reconnaître que l’idée de “spiritualisation de la passion” ne pouvait sûrement pas être conçue sur le terrain d’où est issu le christianisme. L’Eglise primitive luttait, cela est connu, contre les “intelligents” en faveur des “pauvres d’esprit” : comment aurait-on pu en attendre une guerre intelligente contre la passion ? - L’Eglise combat la passion par la coupe, dans tous les sens : sa pratique, son “traitement”, c’est la castration. Elle ne demande jamais : “comment on spiritualise, embellit, divinise un désir ?” - elle a de tout temps fait reposer la discipline sur l’extermination (de la sensualité, de l’orgueil, de l’envie de dominer, de posséder, de se venger). Mais attaquer les passions à la racine, c’est attaquer la vie à la racine : la pratique de l’Eglise est ennemie de la vie...

    (trad. Dorion)

    Quel devoir le christianisme a-t-il énoncé à l’égard de la passion ?

    Pourquoi ?

    Faut-il persévérer dans cette voie ? Pourquoi ?

    Quel est la nature de la passion ?

    Que peut-on penser du rôle du christianisme à son égard ?

    -> une explication

  • cf. Platon (VI,2 & XXVII,1); Maïmonide (VI,3)



  • 9 Bergson

    les Deux sources de la morale et de la religion, ch II

    Il y a une logique du corps, prolongement du désir, qui s’exerce bien avant que l’intelligence lui ait trouvé une forme conceptuelle.

    Voici par exemple un “primitif” qui voudrait tuer son ennemi ; mais l’ennemi est loin ; impossible de l’atteindre. N’importe ! notre homme est en rage ; il fait le geste de se précipiter sur l’absent. Une fois lancé, il va jusqu’au bout ; il serre entre ses doigts la victime qu’il croit ou qu’il voudrait tenir, il l’étrangle. Il sait pourtant bien que le résultat n’est pas complet. Il a fait tout ce qui dépendait de lui : il veut, il exige que les choses se chargent du reste. Elles ne le feront pas mécaniquement. Elles ne céderont pas à une nécessité physi­que, comme lorsque notre homme frappait le sol, remuait bras et jambes, obtenait enfin de la matière les réactions correspondant à ses actions. Il faut donc qu’à la nécessité de restituer mécaniquement les mouvements reçus la matière joigne la faculté d’accomplir des désirs et d’obéir à des ordres. Ce ne sera pas impossible, si la nature incline déjà par elle-même à tenir compte de l’homme. Il suffira que la condescendance dont témoignent certains événe­ments se retrouve dans des choses. Celles-ci seront alors plus ou moins chargées d’obéissance et de puissance ; elles disposeront d’une force qui se prête aux désirs de l’homme et dont l’homme pourra s’emparer. (...) Les choses se prêtent aux opérations de la magie. Quant à ces opéra­tions elles-mêmes nous venons d’en déterminer la nature. Elles commencent l’acte que l’homme ne peut pas achever. Elles font le geste qui n’irait pas jusqu’à produire l’effet désiré, mais qui l’obtiendra si l’homme sait forcer la complaisance des choses.

    La magie est donc innée à l’homme, n’étant que l’extériorisation d’un désir dont le cœur est rempli.

    Comment le magicien engage-t-il la matière à obéir à son désir ?

    Quelle faculté la magie suppose-t-elle de la matière ?

    Qu’entend-on par logique du corps ?

    Quel rapport est-il établi entre la magie et le désir ?

    La nature tient-elle compte de l’homme ?



    10 Alain

    les Aventures du Cœur, ch 15

    Il n’y a rien de plus commun que de désirer être un grand peintre, ou un évêque, ou un général. Ou bien l’on désire d’être aimé d’une belle fille. Ce n’est que rêverie, et sans aucun développement ; les désirs ne font rien.(...) J’irais même jusqu’à dire qu’à désirer on se prive de faire. En sorte que, quand l’homme se plaint de n’avoir jamais eu ce qu’il désirait, il dit vrai.

    C’est pourquoi je ne vois point de place pour le désir parmi les passions, ni même parmi les émotions. Le besoin, oui, parce que le besoin nous met en quête et nous embarque. “J’avais besoin de marcher”, dit l’homme qui marche. Le désir ne nous embarque point. (...) Désir est paresseux. Offrez à quelqu’un le moyen d’acquérir ce qu’il désire, et vous verrez comme il part mal. Ce n’est pas au désir que l’on connaît les passions.

    A quoi s’oppose désirer ?

    La passion s’y oppose-t-elle de même ? le besoin ?

    Quelle définition du désir est-elle induite par là ?

    Qui peut-on accuser pour n’avoir jamais eu ce qu’on désirait ?

    En quel sens celui qui reçoit le moyen part-il mal ?

    programme


    VII Existence / temps



    1 Platon

    Banquet, 207d-208b

    La nature mortelle cherche, autant que possible, à être éternelle et immortelle. Cela ne lui est possible que par la seule production de l’existence, par laquelle elle substitue éternellement un autre, un jeune, à un vieux. Quoique en chacun des vivants on appelle cela vivre et rester le même, et qu’on le dise identique de son enfance à sa vieillesse, cependant il ne porte jamais en lui-même les mêmes choses. On dit qu’il est identiquement lui-même, mais son corps éternellement nouveau naît et meurt, dans ses cheveux, dans sa chair, dans ses os, dans son sang. Mais il ne se renouvelle pas seulement dans son corps, il le fait aussi dans son âme : ses habitudes, ses mœurs, ses opinions, ses désirs, ses plaisirs, ses peines, ses peurs, aucune de ces choses ne demeure jamais la même ; elles naissent et elles meurent. Il y a encore bien plus déroutant que tout ce qui précède : nos savoirs aussi naissent et meurent en nous, si bien que nous ne sommes jamais les mêmes relativement au savoir, et chacun de nos savoirs subit la même chose. Ainsi ce qu’on appelle l’étude est l’expulsion d’un savoir, l’oubli est la sortie d’un savoir ; l’étude à l’inverse, créant un souvenir nouveau au lieu de celui qui est rejeté, sauve le savoir, si bien qu’il semble être le même. Tout mortel se sauve de cette même manière, non pas en demeurant éternellement identique absolument à lui-même comme ce qui est divin, mais en substituant à ce qui est rejeté, parce qu’il est décrépit, un jeune, autre et semblable à lui-même. C’est par cette invention, Socrate, dit-elle, que le mortel prend part à l’immortalité, son corps et tout le reste. L’immortel procède autrement. Ne t’étonne donc pas si par nature tout tient son rejeton pour sacré ; ce zèle et cet amour suivent en chacun de son désir d’immortalité.

    (trad. Dorion - La pensée de Platon n’est pas nécessairement engagée par les propos qu’il prête aux personnages de ses dialogues)

    Comment la vie se perpétue-t-elle ?

    Le corps du vivant reste-t-il identique à lui-même ? Son âme ?

    Quel est le rôle de l’oubli dans le savoir ?

    Celui de l’étude ?

    Quel rejeton l’âme tient-elle pour sacré ?

    -> une explication



    2 Aristote

    Métaphysique, Q 1048a-b

    L’acte d’une chose veut dire qu’elle n’est pas dans cet état où nous disons d’elle qu’elle est en simple puissance. Or, nous disons d’une chose qu’elle est en puissance, quand nous disons, par exemple, que la statue d’un Hermès est dans le bois, comme la moitié d’une ligne est dans la ligne entière, parce qu’elle pourrait en être tirée. On dit de même de quelqu’un qu’il est savant, même lorsqu’il ne pratique pas actuellement la science, mais parce qu’il pourrait la pratiquer à un certain moment.

    Le sens que nous voulons donner au mot d’Acte deviendra manifeste par l’induction appliquée aux exemples particuliers, sans, d’ailleurs, qu’on puisse prétendre arriver en tout cela à une définition très spéciale, et sans vouloir plus que des analogies générales. L’acte, c’est, par exemple, le rapport de l’ouvrier qui construit effectivement à celui qui peut construire ; le rapport de l’homme qui est éveillé à celui qui dort ; le rapport de l’homme qui regarde à celui qui ferme les yeux, tout en ayant le sens de la vue. C’est encore le rapport de l’objet tiré de la matière à la matière elle-même ; enfin, c’est le rapport de ce qui est travaillé à ce qui ne l’est pas.

    Des deux membres de cette différence, que l’un soit, pour nous, l’Acte tel que nous le définissons, et que l’autre soit simplement la Puissance.

    (trad. Barthélemy-Saint Hilaire)

    Relativement à quoi est défini l’acte ?

    Relativement à quoi la puissance ?

    Entre l’Hermès qui est encore dans le bois et la statue d’Hermès quelle est la différence ?

    Est-elle la même entre l’ouvrier qui peut construire et celui qui construit ?

    En quel sens le rapport de l’acte à la puissance engage-t-il le temps ? L’existence ?

  • cf. Platon (IV,2)



  • 3 Descartes

    Méditations, V

    Si de cela seul que je puis tirer de ma pensée l’idée de quelque chose, il s’ensuit que tout ce que je reconnais clairement et distinctement appartenir à cette chose lui appartient en effet, ne puis-je pas tirer de ceci un argument et une preuve démonstrative de l’existence de Dieu ? Il est certain que je ne trouve pas moins en moi son idée, c’est à dire l’idée d’un être souverainement parfait, que celle de quelque figure ou de quelque nombre que ce soit. Et je ne connais pas moins clairement et distinctement qu’une actuelle et éternelle existence appartient à sa nature que je connais que tout ce que je puis démontrer de quelque figure ou de quelque nombre appartient véritablement à la nature de cette figure ou de ce nombre. Et pourtant, encore que tout ce que j’ai conclu dans les méditations précédentes ne se trouvât point véritable, l’existence de Dieu doit passer en mon esprit au moins pour aussi certaine que j’ai estimé jusques ici toutes les vérités des mathématiques, qui ne regardent que les nombres et les figures ; bien qu’à la vérité cela ne paraisse pas d’abord entièrement manifeste, mais semble avoir quelque apparence de sophisme. Car ayant accoutumé dans toutes les autres choses de faire distinction entre l’existence et l’essence, je me persuade que l’existence peut être séparée de l’essence de Dieu, et ainsi qu’on peut concevoir Dieu comme n’étant pas actuellement. Mais néanmoins lorsque j’y pense avec plus d’attention je trouve manifestement que l’existence ne peut non plus être séparée de l’essence de Dieu que de l’essence d’un triangle rectiligne la grandeur de ses trois angles égaux à deux droits, ou bien de l’idée d’une montagne l’idée d’une vallée. En sorte qu’il n’y a pas moins de répugnance de concevoir un Dieu (c’est à dire un être souverainement parfait) auquel manque l’existence (c’est à dire auquel manque quelque perfection) que de concevoir une montagne qui n’ait point de vallée.

    (trad. De Luynes)

    Qu’est une pensée claire ? et distincte ?

    Ce qui appartient à la nature d’une figure ou d’un nombre existe-t-il pour autant ?

    Quel sophisme pourrait ruiner le raisonnement relativement à la nature de Dieu ?

    Pourquoi n’en a-t-il en ce cas que l’apparence ?

    Qu’est-ce que cela dit de la souveraine perfection ?

    -> une explication

  • cf. Descartes (II,3)



  • 4 Spinoza

    Ethique, V 23 scolie

    Comme nous l’avons dit, cette idée, qui exprime l’essence du corps avec une sorte d’éternité, est un certain mode du penser qui appartient à l’essence de l’âme et qui est éternel. Il est impossible cependant qu’il nous souvienne d’avoir existé avant le corps, puisqu’il ne peut y avoir dans le corps aucun vestige de cette existence et que l’éternité ne peut se définir par le temps ni avoir aucune relation au temps. Nous sentons néanmoins et nous savons par expérience que nous sommes éternels. Car l’âme ne sent pas moins ces choses qu’elle conçoit par un acte de l’entendement que celles qu’elle a dans la mémoire. Les yeux de l’âme par lesquels elle voit et observe les choses sont les démonstrations elles-mêmes. Bien que donc il ne nous souvienne pas d’avoir existé avant le corps, nous sentons cependant que notre âme, en tant qu’elle enveloppe l’essence du corps avec une sorte d’éternité, est éternelle, et que cette existence de l’âme ne peut se définir par le temps ou s’expliquer par la durée. L’âme donc ne peut être dite durer, et son existence ne peut se définir par un temps déterminé qu’en tant qu’elle enveloppe l’existence actuelle du corps et, dans cette mesure seulement, elle a la puissance de déterminer temporellement l’existence des choses et de les concevoir dans la durée.

    (trad. Appuhn)

    Une vérité démontrée doit-elle quelque chose au temps ?

    L’âme qui conçoit une vérité par l’entendement la sent-elle dans la durée ?

    L’éternité a-t-elle du rapport avec l’immortalité ?

    N’y a-t-il pas deux sortes d’existence de l’âme ?

    L’éternité de l’âme lui est-elle donnée ?

    -> un éclairage

  • cf. Platon (VII,1); Spinoza (VI,6)



  • 5 Leibniz

    Lettre, 27/02/1716

    Supposé que quelqu’un demande pourquoi Dieu n’a pas tout créé un an plus tôt, et que ce même personnage veuille inférer de là que Dieu a fait quelque chose dont il n’est pas possible qu’il y ait une raison pourquoi il l’a fait ainsi plutôt qu’autrement, on lui répondrait que son illation serait vraie si le temps était quelque chose hors des choses temporelles, car il serait impossible qu’il y eût des raisons par quoi les choses eussent été appliquées plutôt à de tels instants qu’à d’autres, leur succession demeurant la même. Mais cela même prouve que les instants hors des choses ne sont rien et qu’ils ne consistent que dans leur ordre successif ; lequel demeurant le même, l’un des deux états, comme celui de l’anticipation imaginée, ne différerait en rien et ne saurait être discerné de l’autre qui est maintenant.

    Peut-on penser que Dieu agit sans raison ?

    Créé plus tôt, le monde eût-il été différent ?

    Le temps est-il réel ?

    Qu’est-ce qui fait qu’une chose est temporelle ?

    Peut-on penser un temps vide ?

  • cf. Clarke (VII,6)



  • 6 Clarke

    Lettre, 06/1716

    Je ne comprends pas la signification de ces mots : un ordre (ou une situation) qui permet de situer les corps. Il me semble que cela revient à dire que la situation est la cause de la situation. (...) Il est évident que le temps n’est pas simplement l’ordre dans lequel les choses se succèdent les unes aux autres ; car la quantité de temps pourrait être plus grande ou plus petite, et l’ordre cependant demeurer le même. L’ordre des choses qui se succèdent les unes aux autres dans le temps, n’est pas le temps lui-même ; car elles pourraient se succéder plus rapidement ou plus lentement dans le même ordre de succession, mais non dans le même temps. S’il n’existait aucune créature, l’ubiquité de Dieu et la permanence de son existence feraient que l’espace et le temps seraient exactement identiques à ce qu’ils sont maintenant.

    (trad. Dorion)

    Le temps est-il réél ?

    Que signifie que les choses se succéderaient plus rapidement ?

    Qu’est-ce qui fait qu’une chose est temporelle ?

    Peut-on penser un temps vide ?

    Comment comprendre l’argument de la permanence de Dieu ?

  • cf. Leibniz (VII,5)



  • 7 Berkeley

    Principes de la connaissance humaine, §§ 4-5

    C’est en vérité une opinion étrangement dominante parmi les hommes que les maisons, les montagnes, les rivières et, en un mot, tous les objets sensibles ont une existence naturelle et réelle distincte de leur perception par l’entendement. Mais quelles que soient l’assurance et l’assentiment que recueille ce principe dans le monde, quiconque cependant trouvera utile dans son cœur de le remettre en question, devra percevoir, si je ne me trompe, qu’il enveloppe une contradiction manifeste. Car que sont les objets ci-dessus mentionnés, sinon des choses que nous percevons par les sens ? et que percevons nous en dehors de nos propres idées ou sensations ? et n’est-il pas pleinement inadmissible qu’une d’entre elles ou une combinaison de celles-ci doive exister sans être perçue ? (...) Car peut-il y avoir effort d’abstraction plus délicat que de distinguer l’existence d’objets sensibles de leur perception, jusqu’à concevoir qu’ils existent sans être perçus ? La lumière et les couleurs, le chaud et le froid, l’étendue et la forme, en un mot les choses que nous voyons et sentons, que sont-elles sinons des sensations, des notions, des idées ou des impressions des sens ? et est-il possible de séparer, même en pensée, l’une d’elles de sa perception ? Pour ma part je pourrais aussi aisément distinguer une chose d’elle-même.

    (trad. Dorion)

    Qu’est-ce qu’une existence naturelle et réelle ?

    Quelle opinion étonne l’auteur ?

    Quelle contradiction y trouve-t-il ?

    Qu’est-ce, selon lui, que percevoir ?

    Que nie sa philosophie ?



    8 Hume

    Traité de la nature humaine, Livre I, partie 2, section 3

    L’idée de temps, tirant son origine de la succession de nos perceptions de tout genre, les idées aussi bien que les impressions, et les impressions de réflexion aussi bien que les impressions de sensation, nous fournira l’exemple d’une idée abstraite qui comprend une diversité encore plus grande que celle d’espace, et qui, pourtant, est représentée dans la fantaisie par une idée individuelle particulière d’une quantité et d’une qualité déterminées.

    De même que, de la disposition des objets visibles et tangibles, nous recevons l’idée d’espace, de même, de la succession des idées et des impressions, nous formons l’idée de temps, et il n’est pas possible que le temps, seul, fasse jamais son apparition, ou que l’esprit en ait [de cette façon] connaissance. Un homme, dans un sommeil profond, ou fortement occupé par une pensée, est insensible au temps ; et, selon que ses perceptions se succèdent plus ou moins rapidement, la même durée semble plus longue ou plus brève à son imagination.

    (trad. Folliot)

    Quelle est la quantité de l’idée de temps ? Sa qualité ?

    En quoi est-ce une idée abstraite ?

    Qu’y a-t-il dans nos perceptions qui nous donne l’idée d’espace ?

    Qu’y faut-il pour que nous ayons celle de temps ?

    Qu’est-ce qu’une durée plus longue ou plus brève ?

    -> un éclairage



    9 Kant

    Critique de la raison pure, I, partie 1, section 2, § 4

    Le temps n’est pas un concept empirique, qui serait tiré d’une quelconque expérience. Car la simultanéité ou la succession ne viendraient pas d’elles-mêmes à notre perception, s’il n’y avait a priori la représentation du temps pour leur donner un fondement. C’est seulement sous son préalable qu’on peut se représenter les choses dans un seul et même temps (simultanément) ou dans un temps différent (l’une après l’autre).

    Le temps est une représentation nécessaire, qui donne un fondement à toutes les intuitions. On ne peut au regard des phénomènes en général supprimer le temps lui-même, alors même que l’on peut bien extraire les phénomènes du temps. Le temps est donc donné a priori. C’est en lui seul qu’est possible toute réalité des phénomènes. Ils peuvent tous disparaître, mais lui-même (en tant que condition générale de leur possibilité) ne peut être supprimé.

    (trad. Dorion)

    Qu’est-ce que se représenter les choses simultanément ? successivement ?

    Est-ce possible sans une représentation du temps ?

    Inversement, une représentation du temps est-elle possible sans les phénomènes ?

    Que signifie que le temps soit donné a priori ?

    S’il n’est pas un concept empirique, quel est son rapport avec l’expérience ?

  • cf. Leibniz (VII,5); Clarke (VII,6); Hume (VII,8)



  • 10 Marx

    l’Idéologie allemande

    On peut distinguer les hommes des animaux par la conscience, par la religion et par tout ce que l’on voudra. Eux-mêmes commencent à se distinguer des animaux dès qu’ils commencent à produire leurs moyens d’existence, pas en avant qui est la conséquence même de leur organisation corporelle. En produisant leurs moyens d’existence, les hommes produisent indirectement leur vie matérielle elle-même.

    La façon dont les hommes produisent leurs moyens d’existence, dépend d’abord de la nature des moyens d’existence déjà donnés et qu’il leur faut reproduire. Il ne faut pas considérer ce mode de production de ce seul point de vue, à savoir qu’il est la reproduction de l’existence physique des individus. Il représente au contraire déjà un mode déterminé de l’activité de ces individus, une façon déterminée de manifester leur vie, un mode de vie déterminé. La façon dont les individus manifestent leur vie reflète très exactement ce qu’ils sont. Ce qu’ils sont coïncide donc avec leur production, aussi bien avec ce (was) qu’ils produisent qu’avec la façon (wie) dont ils le produisent. Ce que sont les individus dépend donc des conditions matérielles de leur production.

    Cette production n’apparaît qu’avec l’accroissement de la population. Elle-même présuppose pour sa part des relations des individus entre eux. La forme de ces relations est à son tour conditionnée par la production.

    (trad. marxists.org)

    A quoi s’opposent les moyens d’existence produits ?

    Selon quels différents modes les hommes reproduisent-ils leur existence physique ?

    L’existence des hommes est-elle indifférente à ce qu’ils produisent ?

    Le mode de la production est-il sans effet sur l’être des hommes ?

    Les relations dans lesquelles entrent les hommes sont-elles choisies par eux ?

    -> un éclairage



    11 Nietzsche

    Considérations inactuelles, II

    Ainsi l’animal vit anhistoriquement : car il est soluble dans le présent, comme un nombre dont il ne reste aucune fraction bizarre, il ne sait pas se régler, ne dissimule rien et apparaît à chaque moment tout entier et tel qu’il est, ne peut être rien, sinon sincère. Par contre, l’homme s’appuie à la charge lourde et toujours plus lourde du passé : elle l’accable ou le fait pencher de côté, elle alourdit sa marche comme un fardeau invisible et obscur, qu’il nie volontiers, pour nier une fois l’évidence, pour éveiller la jalousie. C’est pourquoi il le prend comme s’il croyait voir le paradis perdu du troupeau à la pâture, ou, dans une proximité plus familière, de l’enfant, qui n’a encore à nier rien de passé, et qui joue entre les clôtures du passé et de l’avenir, dans une bienheureuse cécité. Pourtant, il faudra déranger son jeu, et il ne sera que trop tôt appelé à s’extraire de l’oubli. Alors il apprendra à comprendre le mot “il était”, cette formule par laquelle le combat, la souffrance et le dégoût viennent à l’homme, afin de lui rappeler ce qu’est au fond son existence - un Imparfait à n’achever jamais. Lorsque la mort apporte enfin l’oubli désiré, elle défait alors du même coup le présent et l’existence, et imprime par là sur cette connaissance son sceau : l’existence n’est qu’un ininterrompu avoir été, une chose qui ne vit que de se refuser et se dilapider elle-même, de se contredire elle-même.

    (trad. Dorion)

    Que signifie soluble dans le présent ?

    Si l’animal vit anhistoriquement, qu’en est-il de l’homme ?

    Qu’est-ce que s’extraire de l’oubli ?

    Qu’accompagnent le combat, la souffrance et le dégoût ?

    Quelle contradiction y a-t-il dans l’existence ?

    -> une explication



    12 Nietzsche

    Fragments inédits

    Parmi l’infinité des possibles, il faut que ce cas se soit déjà présenté, car jusqu’à l’heure présente un temps infini s’est déjà écoulé. Si l’équilibre était possible, il aurait dû se réaliser. — Et si ce moment présent a déjà existé, alors aussi celui qui l’a produit et l’antécédent de ce dernier, etc. — il en résulte que lui aussi a déjà existé une deuxième, une troisième fois — et qu’il reviendra de même une deuxième, une troisième fois, un nombre infini de fois dans le passé et dans le futur. C’est dire que tout le devenir consiste dans la répétition d’un nombre fini d’états absolument identiques entre eux. - Le nombre des combinaisons possibles, sans doute, n’entre pas dans l’imagination des cerveaux humains ; mais en tout état de cause, l’état présent est un des états possibles, abstraction faite de notre capacité ou de notre incapacité de juger en matière de possibles, — car il est réel. Il faudrait donc dire : tous les états réels doivent avoir eu dans le passé un état qui leur fût identique, à supposer que le nombre des cas ne soit pas infini et que, dans le cours du temps infini, ne puisse se réaliser qu’un nombre fini de cas ; en effet, si l’on remonte dans le passé à partir d’un état quelconque, il s’est déjà écoulé antérieurement une éternité. Le repos des forces, leur équilibre est un cas pensable ; mais il ne s’est pas présenté, donc le nombre des possibilités est supérieur à celui des réalités. — Si rien d’identique ne reparaissait, cela pourrait s’expliquer non par le hasard, mais par une finalité inhérente à la nature même de la force : car si l’on suppose une masse énorme de cas, la répétition fortuite d’un même coup de dés est plus probable qu’une non-identité absolue.

    (trad. Bianquis)

    Qu’est-ce qui prouve que le repos, quoique possible, ne s’est pas présenté ?

    Qu’est-ce qui prouve que de l’infinité des possibles ne se réalise qu’un nombre fini ?

    Qu’est-qui prouve que l’identique se reproduit ?

    A quel titre est évoquée l’hypothèse d’une finalité opposée au retour de l’identique ?

    Comment l’idée de l’antécédent qui produit le présent s’ordonne-t-elle à celle de l’infinité des états possibles ?

    -> une explication

  • cf. Platon (XIII,1)



  • 13 Lagneau

    Cours sur Dieu

    Peut-on dire et doit-on chercher à établir que Dieu existe ou que Dieu est ? Mais cela est impossible. Pourquoi en effet cherchons-nous à atteindre Dieu ? C’est parce que nous ne trouvons pas que l’existence soit un objet suffisant de la pensée, que la pensée puisse jamais se satisfaire dans les affirmations de la seule existence. Qu’est-ce en effet que l’affirmation de l’existence ? C’est l’affirmation de quelque chose qui n’est pas contenu dans une idée, qui n’est pas intelligible, que nous saisissons seulement parce que nous en sommes affectés, parce que nous le sentons, par conséquent de l’affirmation de quoi nous ne trouvons jamais une raison suffisante. C’est parce que l’existence est essentiellement contingente, est dans la pensée ce qu’elle ne peut s’expliquer comme résultant de ce qu’elle comprend, c’est parce que l’existence est telle, qu’elle ne satisfait pas l’esprit. Si donc Dieu existait, à vrai dire, il ne serait pas, ou plutôt la pensée ne pourrait l’affirmer véritablement en tant qu’existant. L’objet de la pensée, c’est en effet le nécessaire ; mais aucune existence n’apparaît comme nécessaire, et c’est pour cela que la pensée s’évertue à déduire l’existence, c’est à dire le contingent, du nécessaire.

    Quels rapports la pensée entretient-elle avec le nécessaire et le contingent ?

    Comment l’intelligible et le senti s’opposent-ils ?

    Qu’est-ce qu’exister ?

    Pourquoi la pensée cherche-t-elle à atteindre Dieu ?

    Pourrait-elle être satisfaite d’en prouver l’existence ?



    14 Alain

    Entretiens au bord de la mer, VII

    Quand on dit que les qualités occultes n’existent pas, il faut savoir bien ce qu’on dit. Ce que peut une chose par sa seule présence, cela n’est pas existence ; mais dès que ce que peut une chose se réduit à ce qu’elle reçoit des autres, dans le balancement serré de toutes, comme de ces vagues, c’est alors que l’existence paraît. L’existence n’appartient pas à telle chose ou à telle autre ; elle n’est que le rapport extérieur, d’après lequel il n’arrive rien en aucune chose que de ce qui n’est pas elle. Et, par l’application de ce rapport qui nous jette toujours à autre chose, et sans fin à autre chose, nous explorons l’existence. Dont la mer est une meilleure image que la terre des hommes, où l’on croirait souvent que les choses existent chacune par soi.

    Qu’est-ce qu’une qualité occulte ?

    Que dire de ce qui n’est pas existence ?

    Une chose existe-t-elle isolément ? Ou alors comment ?

    Comment se détermine ce qu’est une chose ?

    Pourquoi la mer donne-t-elle mieux que la terre une image de l’existence ?

    -> un éclairage

  • cf. Platon (XIX,1); Lagneau (VII,13)



  • 15 Alain

    Libres propos, 1924

    Ce qui est dans ce moment-ci aussitôt tombe dans le passé, aussitôt n’est plus et ne sera plus ; l’état de toutes choses qui suit celui-là passe à l’existence ; ce qui n’était que possible, attendu ou non, se solidifie en quelque sorte sur cette bordure du temps. C’est là que se tient l’homme d’action ; là se trouve la tranchée de départ, qui change toujours. Ces métaphores pourraient encore tromper. Car l’homme agit toujours, et toujours sur cette bordure. Le pas que je fais me porte à de nouvelles choses et aussi d’un moment à un autre ; et, si je dors, je fais aussi le voyage dans le Temps ; ce train ne laisse pas de voyageurs. Et c’est encore agir que dormir ; car, si la sentinelle dort, ou le général, cela change l’événement. Nous sommes donc toujours au poste ; mais notre pensée n’y est pas toujours. Elle imagine derrière ou devant. Les uns se souviennent, les autres essaient de prévoir ; dans les deux cas l’occasion trouve un homme qui dort. L’homme d’action est celui qui pense à ce qu’il fait. Aussi voyez comme il rassemble sa pensée et la rétrécit ; comme il ne s’attarde point à courir en pensée à la poursuite de ce qui n’est déjà plus ; comme non plus il ne s’occupe guère des possibles lointains, rapprochant toujours sa pensée de cette bordure mobile du temps où se trouve engagée l’épée, ou bien l’outil. C’est là que frappe le génie.

    Quelle définition du présent donne-t-on ?

    A quelle image de l’existence conduit-elle ?

    Agit-on en pensant au passé ? en tentant de prévoir ?

    Qu’est-ce que rassembler et rétrécir sa pensée ?

    En quoi l’art de la guerre est-il exemplaire ?

    programme


    VIII Culture



    1 Platon

    République, 411a-e

    - Si donc un homme, se livrant tout entier aux charmes de la musique, laisse couler dans son âme par ses oreilles ces harmonies douces, molles, plaintives dont nous venons de parler, s’il passe toute sa vie à chanter, et à goûter la beauté des chants, d’abord sans doute il ne fait qu’amollir par là l’énergie de son courage naturel, comme le fer s’amollit au feu, et il perd comme lui cette rudesse qui le rendait auparavant inutile. Mais s’il prolonge cette action amollissante, son courage ne tarde pas à se dissoudre et à se fondre, jusqu’à ce qu’il soit entièrement dissipé, et qu’enfin ayant perdu tout ressort, il ne fasse plus qu’une “lance molle” (comme dit Homère).
    - Tout-à-fait, dit-il.
    - Voilà ce qui arrive bientôt, si cet homme a reçu un naturel sans courage. Dans le cas contraire, son courage s’énerve et dégénère en emportement, la moindre chose l’irrite et l’apaise. Au lieu d’être courageux, il sera violent, colérique, atrabilaire.
    - Parfaitement.
    - Si à l’opposé, tout entier à la gymnastique et à la bonne nourriture, il néglige la musique et la philosophie, d’abord rendu arrogant par la vigueur de son corps, ne s’emplit-il pas de courage, et ne devient-il pas plus brave ?
    - En effet.
    - Mais ensuite, s’il se borne à cela, et s’il n’a jamais aucun commerce avec la Muse, son âme, eût-elle quelque disposition à s’instruire, n’essayant d’aucune science ni d’aucune recherche, et ne se formant par aucun discours ni par aucune partie de la musique, ne deviendra-t-elle pas faible, sourde, aveugle, faute d’exercice et de culture, dans la grossièreté où restent ses sensations ?
    - Il en va bien ainsi, dit-il.
    - Le voilà devenu ennemi des lettres et des muses. Il ne sait plus convaincre par la raison, mais comme une bête féroce il veut tout décider par la force et la violence. Il vit dans l’ignorance et la grossièreté, étranger à l’harmonie et à la grâce.
    - Absolument.
    - Ainsi, je pense, un Dieu a fait présent aux hommes de la musique et de la gymnastique, non l’une pour l’âme et l’autre pour le corps, sauf comme accessoires, mais pour le courage et la philosophie, afin qu’ils s’ajustent l’un à l’autre, à quoi on parvient en les tendant et en les détendant.

    (trad. Cousin+Dorion - La pensée de Platon n’est pas nécessairement engagée par les propos qu’il prête aux personnages de ses dialogues)

    En quel sens large faut-il définir la musique ?

    Cultivée exclusivement ne produit-elle pas des effets contraires selon les cas ?

    Et de même la gymnastique cultivée exclusivement ?

    Est-ce au développement du corps qu’est utile la gymnastique ?

    Qu’est-ce que l’ajustement du courage et de la philosophie ?



    2 Machiavel

    Discours sur Tite-Live, Livre II, ch 5

    Lorsqu'apparaît une secte nouvelle, c'est à dire une religion nouvelle, son premier souci, afin de s'imposer, est d'éteindre l'ancienne. Et quand il arrive que ses dirigeants parlent une autre langue, ils l'éteignent facilement. On le découvre en portant son attention aux moyens qu'a employés la secte chrétienne contre celle des païens. Elle en a effacé tous les rites, toutes les cérémonies et elle a éteint tout souvenir de sa théologie. Il est vrai qu'elle n'a pas réussi à éteindre tout à fait la connaissance de ce qu'ont fait ses grands hommes. Cela lui est arrivé pour avoir maintenu la langue latine, ce qu'elle fit par nécessité afin d'écrire sa loi nouvelle. Si ses dirigeants avaient pu l'écrire dans une langue nouvelle, vu les autres persécutions qu'il lui ont fait subir, il ne serait resté aucun souvenir de l'histoire ancienne. Qui lit les moyens employés par Saint Grégoire et les autres chefs de la religion chrétienne voit avec quelle obstination ils ont persécuté tous les souvenirs du passé, brûlant les œuvres des poètes et des historiens, ruinant les images des sculpteurs et des peintres, détruisant tout ce qui pouvait faire connaître l'antiquité. De telle sorte que, si à cette persécution ils avaient ajouté l'emploi d'une langue nouvelle, tout aurait été oublié en très peu de temps. Il faut croire encore que ce qu'a voulu faire la secte chrétienne contre celle des païens, celle-ci l'a fait contre celle qui l'a précédée. Et parce qu'en cinq ou six mille ans ces sectes ont changé deux ou trois fois, on a perdu le souvenir des faits antérieurs à ces temps.

    (trad. Dorion)

    Que subsiste-t-il de la religion antérieure au Christianisme ? Pourquoi ?

    Subsiste-t-il quelque chose des grands hommes de l’antiquité ? Pourquoi ?

    Quel est le rapport de la religion à la langue et aux grands hommes ?

    De l’antiquité la religion seule a-t-elle disparu ?

    Quel est l’enjeu des ravages exercés par la nouvelle secte sur l’ancienne ?

    -> un éclairage



    3 Rousseau

    Discours sur les sciences et les arts

    L’esprit a ses besoins, ainsi que le corps. Ceux-ci sont les fondements de la société, les autres en font l’agrément. Tandis que le gouvernement et les lois pourvoient à la sûreté et au bien-être des hommes assemblés, les sciences, les lettres et les arts, moins despotiques et plus puissants peut-être, étendent des guirlandes de fleurs sur les chaînes de fer dont ils sont chargés, étouffent en eux le sentiment de cette liberté originelle pour laquelle ils semblaient être nés, leur font aimer leur esclavage, et en forment ce qu’on appelle des peuples policés. Le besoin éleva les trônes, les sciences et les arts les ont affermis. Puissances de la terre, aimez les talents, et protégez ceux qui les cultivent. Peuples policés, cultivez-les : heureux esclaves, vous leur devez ce goût délicat et fin dont vous vous piquez, cette douceur de caractère et cette urbanité de mœurs qui rendent parmi vous le commerce si liant et si facile ; en un mot, les apparences de toutes les vertus sans en avoir aucune.

    Quel rapport les chaînes de fer ont-elles avec la sûreté et le bien-être ?

    Est-ce le besoin de culture qui éleva les trônes ?

    Comment la culture est-elle définie ?

    Quel rapport les vertus ont-elles avec les talents ?

    Quelle sorte de liberté est indifférente à la culture ?



    4 Rousseau

    Discours sur les sciences et les arts

    O Fabricius ! qu’eût pensé votre grande âme, si pour votre malheur rappelé à la vie, vous eussiez vu la face pompeuse de cette Rome sauvée par votre bras et que votre nom respectable avait plus illustrée que toutes ses conquêtes ? “Dieux ! eussiez-vous dit, que sont devenus ces toits de chaume et ces foyers rustiques qu’habitaient jadis la modération et la vertu ? Quelle splendeur funeste a succédé à la simplicité romaine ? Quel est ce langage étranger ? Quelles sont ces mœurs efféminées ? Que signifient ces statues, ces tableaux, ces édifices ? Insensés, qu’avez-vous fait ? Vous les maîtres des nations, vous vous êtes rendus les esclaves des hommes frivoles que vous avez vaincus ? Ce sont des rhéteurs qui vous gouvernent ? C’est pour enrichir des architectes, des peintres, des statuaires et des histrions, que vous avez arrosé de votre sang la Grèce et l’Asie ? Les dépouilles de Carthage sont la proie d’un joueur de flûte ? Romains, hâtez-vous de renverser ces amphithéâtres ; brisez ces marbres ; brûlez ces tableaux ; chassez ces esclaves qui vous subjuguent, et dont les funestes arts vous corrompent. Que d’autres mains s’illustrent par de vains talents ; le seul talent digne de Rome est celui de conquérir le monde et d’y faire régner la vertu. Quand Cynéas prit notre Sénat pour une assemblée de rois, il ne fut ébloui ni par une pompe vaine, ni par une élégance recherchée. Il n’y entendit point cette éloquence frivole, l’étude et le charme des hommes futiles. Que vit donc Cynéas de si majestueux ? O citoyens ! Il vit un spectacle que ne donneront jamais vos richesses ni tous vos arts ; le plus beau spectacle qui ait jamais paru sous le ciel, l’assemblée de deux cents hommes vertueux, dignes de commander à Rome et de gouverner la terre.”

    De quelles valeurs Fabricius est-il le représentant ?

    Qu’est-ce qui a fait de Rome la conquérante du monde ?

    Que dit de la nature des arts leur association aux richesses ?

    A l’esclavage ?

    De quels esclaves les Romains tiennent-ils les arts ?

  • cf. Rousseau (X,5)



  • 5 Kant

    Critique du jugement, § 83

    La manifestation de l’aptitude d’un être raisonnable à des fins quelconques en général (par suite de sa liberté) est la culture. Ainsi la culture peut seule être la fin dernière que l’on ait des raisons d’attribuer à la nature au regard de l’espèce humaine (non son propre bonheur sur la terre ni même le simple fait d’être l’instrument le plus distingué de l’instauration en dehors de lui de l’ordre et l’harmonie dans la nature dépourvue de raison).

    Mais toute culture n’est pas suffisante à cette fin dernière de la nature. Celle de l’habileté est certes la première condition subjective de l’aptitude à la promotion des fins en général ; elle ne suffit pourtant pas à promouvoir dans la détermination et le choix de ses fins la volonté, qui appartient pourtant essentiellement aux circonstances complètes d’une aptitude aux fins. La condition dernière de l’aptitude, qu’on pourrait nommer la culture de la discipline, est négative et consiste à libérer la volonté du despotisme des désirs, à cause duquel, cloués à certaines choses de la nature, nous sommes incapables de choisir par nous-mêmes.

    (trad. Dorion)

    Comment une aptitude vient-elle à se manifester ?

    Que signifie que l’habileté est une condition subjective de l’aptitude ?

    Suffit-il d’avoir une habileté pour vouloir une fin ?

    A quelle condition la volonté se libère-t-elle ?

    De quelle fin est-elle la condition ?



    6 Hegel

    ???

    Les actes de la pensée paraissent tout d’abord, étant historiques, être l’affaire du passé et se trouver au-delà de notre réalité. Mais, en fait, ce que nous sommes, nous le sommes aussi historiquement. (...)

    Le trésor de raison consciente d’elle-même qui nous appartient, qui appartient à l’époque contemporaine, ne s’est pas produit de manière immédiate, n’est pas sorti du sol du temps présent, mais pour lui c’est essentiellement un héritage, plus précisément résultat du travail, et, à vrai dire, du travail de toutes les générations antérieures du genre humain. (...) Ce que nous sommes en fait de science et plus particulièrement de philosophie, nous le devons à la tradition qui enlace tout ce qui est passager et qui est par suite passé, pareille à une chaîne sacrée (...) qui nous a conservé et transmis tout ce qu’a créé le temps passé.

    Or cette tradition n’est pas seulement une ménagère qui se contente de garder fidèlement ce qu’elle a reçu et le transmet sans changement aux successeurs ; elle n’est pas une immobile statue de pierre mais elle est vivante et grossit comme un fleuve puissant qui s’amplifie à mesure qu’il s’éloigne de sa source.

    (trad. ?)

    Comment l’auteur définit-il la culture ?

    Quelle définition de l’homme en découle-t-elle ?

    De quoi le trésor est-il plus particulièrement l’héritage ?

    Quel est le rôle de la tradition ? Est-il simple ?

    S’intéresser au passé est-il se désintéresser de l’avenir ?



    7 Marx

    Ebauche d’une critique de l’économie politique

    En prenant les choses subjectivement c’est d’abord la musique qui éveille le sens musical de l’homme. Pour l’oreille qui n’est pas musicienne, la musique la plus belle n’a aucun sens, elle n’est pas un objet, car mon objet ne peut être que la confirmation d’une de mes forces naturelles, il ne peut donc être pour moi que tel que ma force naturelle est pour soi en tant que faculté subjective, car le sens d’un objet pour moi (il n’a de signification que pour un sens qui lui correspond) s’étend exactement aussi loin que s’étend mon sens. Voilà pourquoi les sens de l’homme social sont autres que ceux de l’homme non-social ; c’est seulement grâce à la richesse déployée objectivement de la nature humaine que la richesse de la faculté subjective de sentir de l’homme est tout d’abord soit développée, soit produite, qu’une oreille devient musicienne, qu’un œil perçoit la beauté de la forme, bref que les sens deviennent capables de jouissance humaine, deviennent des sens qui s’affirment comme des forces naturelles de l’homme. (...) En un mot le sens humain, l’humanité des sens, ne se forment que grâce à l’existence de leur objet, à la nature humanisée. La formation des cinq sens est le travail de toute l’histoire passée.

    (trad. marxists.org + Dorion)

    Les sens sont-ils donnés par la nature ? Sinon par quoi ?

    Est-ce l’oreille qui rend possible la musique ou la musique l’oreille ?

    L’oreille entend-elle ce à quoi elle n’a pas été formée ?

    Qu’est-ce que la richesse déployée objectivement de la nature humaine ?

    Comment pourrait-on nommer la nature humanisée ?

    -> un éclairage



    8 Nietzsche

    Par-delà le bien et le mal, III, § 62

    Si l’on était capable de considérer de l’œil railleur et indifférent des Dieux d’Epicure la comédie bizarre, douloureuse et grossière autant que raffinée de la chrétienté européenne, je crois qu’on ne pourrait finir de s’étonner et de rire : ne semble-t-il pas qu’une seule volonté ait régné durant dix-huit siècles sur l’Europe, celle de faire de l’homme un monstre sublime ? Mais celui qui, autrement préoccupé, rencontrerait non plus en dieu épicurien, mais un marteau divin à la main, cet homme presque délibérément dégénéré et atrophié qu’est l’Européen chrétien (Pascal par exemple), ne devrait-il pas hurler de fureur, de pitié et d’effroi : “balourds, balourds prétentieusement compatissants, qu’avez-vous fait-là ? Etait-ce un travail pour vos mains ? Que m’avez-vous taillé et rogné ma plus belle pierre ! Qu’est-ce qui vous a pris ?” Je veux dire que le christianisme a été jusqu’à ce jour la plus fatale espèce de présomption. Des hommes ni assez grands ni assez durs pour avoir le droit de modeler l’homme, des hommes ni assez forts ni assez prévoyants pour accepter avec une ferme abnégation la loi fondamentale des ratés et des pertes par milliers, des hommes pas assez nobles pour distinguer entre l’homme et l’homme les hiérarchies et les différences vertigineuses, de tels hommes avec leur “égalité devant Dieu” ont gouverné jusqu’à présent le destin de l’Europe et sélectionné enfin une variété naine, presque ridicule, un bête grégaire, une chose soumise, maladive et médiocre, l’Européen d’aujourd’hui.

    (trad. Dorion)

    Comment un monstre est-il sublime ?

    Que signifie l’image du marteau divin ?

    En quoi l’exemple de Pascal est-il pertinent ?

    A quoi s’oppose le principe de l’égalité ? Vaut-il seulement devant Dieu ?

    Qu’est-ce qui distingue l’homme de l’homme ?

    -> une explication



    9 Malinowski

    les Argonautes du Pacifique occidental

    Avant tout, il faut bien se dire qu’un Kiriwinien est capable de travailler convenablement, efficacement et assidûment. Mais pour s’atteler à la tâche, il a besoin d’un motif réel : il doit être poussé par quelque obligation tribale ou encore par des ambitions et des considérations, elles aussi dictées par la coutume et la tradition. Le gain, stimulant du travail dans des communautés plus évoluées, ne joue jamais ce rôle dans le milieu indigène originel. Il se révèle donc peu efficace quand un Blanc tente de s’en servir comme encouragement pour faire travailler un autochtone.

    C’est la raison pour laquelle l’accusation traditionnelle de paresse et d’indolence non seulement revient tel un leitmotiv chez le colon blanc moyen, mais trouve aussi sa place dans d’excellents comptes rendus de voyages, et même, dans de sérieux rapports ethnographiques. Chez nous, le travail est, ou était il y a peu de temps encore, une marchandise vendue au même titre qu’une autre, dans un marché de libre concurrence. Un homme habitué à penser en termes de théorie économique courante appliquera naturellement les conceptions de l’offre et de la demande au travail, et au travail de l’indigène tout autant. Les profanes font de même, bien qu’en termes moins compliqués. Comme ils constatent que, même avec la perspective d’être largement rétribué et fort bien traité, l’indigène demeure indifférent devant la tâche que lui propose le Blanc, ils en concluent qu’il a peu d’aptitude au travail. Cette erreur de jugement, tout comme nos idées fausses sur les peuples de cultures différentes, procède de la même cause : si l’on retire un individu de son milieu social, on lui coupe eo ipso (de ce fait) presque tous ses ressorts moraux, ses motifs de travailler et même sa raison d’être. Si donc on le juge d’après des critères moraux, légaux, économiques, qui lui sont foncièrement étrangers, l’image qu’on se crée de lui ne peut être que caricaturale.

    (trad. Devyver)

    De qui émanent les accusations auxquelles répond l’auteur ?

    Quelles sont les apparences qui leur donnent une vraisemblance ?

    Sur quelle erreur de jugement sont-elles fondées ?

    Quels éléments de la “théorie économique courante” sont-ils en cause ?

    En quoi la culture des Kiriwiniens diffère-t-elle de celle des Blancs ?



    10 Alain

    Propos, 15/07/1922

    Il n’y a de guerres que de religion ; il n’y a de pensées que de religion ; tout homme pense catholiquement, ce qui veut dire universellement ; et persécute s’il ne peut convertir. A quoi remédie la culture qui rend la diversité adorable ; mais la culture est rare. Et la dangereuse expérience de ces siècles-ci est d’interroger tout homme comme un oracle, remettant à chacun la décision papale. Toutes ces majestés sont maintenant hérissées ; les dieux sont en guerre ; il pleut du sang. Ces maux descendent du ciel.

    Délier l’homme de sa propre pensée ce n’est pas facile ; il ne veut point être délié ; il jure qu’il ne sera pas délié. La moindre pensée enferme un serment admirable de fidélité à soi. Je ne vois presque que des gens qui mourront pour leur pensée, dès qu’on le leur demandera. S’ils sont ainsi, il ne faut point s’étonner qu’ils tuent aussi pour leur pensée ; les deux ne font qu’un. Rançon de noblesse. Ce n’est pas peu déjà si l’on comprend que la tolérance est chose difficile ; car c’est comprendre l’autre en ses différences, et vaincre l’opposition ; œuvre de force, et non pas de faiblesse. Sans doute faut-il parvenir à former toutes les opinions possibles selon la vérité ; à quoi les Humanités nous aident ; car tout ce qui est humain veut respect.

    Qu’est-ce que penser catholiquement ?

    Quel sens donne-t-on au mot religion ?

    Qu’est-ce que les Humanités ?

    Comment s’épargner la rançon de noblesse ?

    Quelle définition de la tolérance est-elle annulée ?

    programme


    IX Langage



    1 Platon

    Cratyle, 438e-439b

    - Socrate : Si c’est ainsi, il semble donc possible, Cratyle, d’étudier les choses sans le moyen de leur nom.
    - Cratyle : Il le semble.
    - Socrate : Par quel autre moyen t’attends-tu à les étudier ? Est-ce que ce sera par un autre que celui qui est naturel et qui convient le mieux, les unes par les autres si elles ont quelque analogie, et par elles-mêmes ? Ce qui est différent de celles-ci et de nature différente explique celles qui sont de nature différente et non celles-ci.
    - Cratyle : Je crois que tu dis vrai.
    - Socrate : Mais, bon sang ! n’avons-nous pas plusieurs fois accordé que les noms, ceux qui sont correctement établis, ont de la ressemblance avec les choses qu’ils désignent et en sont les images ?
    - Cratyle : Oui.
    - Socrate : Si donc il est possible d’étudier très bien les choses et par leurs noms et par elles-mêmes, laquelle de ces deux études est supérieure à l’autre et la plus certaine ? Celle qui partant de l’image étudie en elle-même si elle est bien faite, puis la vérité dans son image ? ou celle qui partant de la vérité étudie celle-ci en elle-même, puis si l’image est bien faite ?
    - Cratyle : Il me semble nécessaire de partir de la vérité.
    - Socrate : De quelle manière il faut étudier les choses et obtenir leur connaissance, ça me dépasse et toi aussi. Estimons-nous heureux d’avoir convenu qu’il faut étudier et chercher à connaître les choses en partant d’elles-mêmes et pas de leur nom.

    (trad. Dorion - La pensée de Platon n’est pas nécessairement engagée par les propos qu’il prête aux personnages de ses dialogues)

    Qu’est-ce qu’étudier les choses par elles-mêmes ?

    Les unes par les autres ?

    Comment les mots ont-ils de l’analogie avec les choses ?

    Comment sait-on que l’image que le mot donne de la chose est bien faite ?

    Quelle conception du langage trouve-t-on ici ?



    2 Dante

    de la Langue vulgaire, Livre I, ch 3

    Puisque l’homme n’est pas conduit par l’instinct, mais par la raison, et que celle-ci à son tour prend chez les individus singuliers des formes différentes quant à leur capacité de discernement, comme de jugement, ou de choix, si bien qu’il semble presque que chaque homme jouisse du privilège de former une espèce à lui seul, nous devons en conclure que nul ne comprend autrui à travers ses propres actions et passions, comme le font les bêtes. Il n’arrive pas davantage que l’un s’identifie à l’autre par le reflet d’un miroir spirituel, comme le font les anges, parce que l’esprit humain est alourdi de l’épaisseur et de l’opacité d’un corps mortel.

    Pour cette raison il a été nécessaire que le genre humain dispose, pour la communication mutuelle de ses pensées, d’un signe à la fois rationnel et sensible. Car son rôle étant de recevoir de la raison ses propres contenus et de les lui rendre, il fallait qu’il fût rationnel. Et il fallait qu’il fût sensible à cause de l’impossibilité de rien transmettre d’une raison à une autre, sauf par la médiation des sens. S’il était seulement rationnel, il ne se fraierait aucun passage; s’il était seulement sensible, il ne pourrait rien recevoir de la raison ni rien introduire en elle.

    Ce signe est le noble fondement de la langue, phénomène sensible dans la mesure où il est sonore, phénomène rationnel dans la mesure où ce qu’il signifie, il le signifie évidemment à notre jugement.

    (trad. Dorion)

    Quels moyens de compréhension d’autrui seraient imaginables ?

    Leur raison est-elle intelligible dans les actes ?

    A quelles exigences le signe doit-il répondre ?

    Comment répond-il à la première ?

    A la seconde ?



    3 Descartes

    Discours de la méthode, V

    C’est une chose bien remarquable qu’il n’y a point d’hommes si hébétés et si stupides, sans en excepter même les insensés, qu’ils ne soient capables d’arranger ensemble diverses paroles, et d’en composer un discours par lequel ils fassent entendre leurs pensées ; et qu’au contraire il n’y a point d’autre animal, tant parfait et tant heureusement né qu’il puisse être, qui fasse le semblable. Ce qui n’arrive pas de ce qu’ils ont faute d’organes, car on voit que les pies et les perroquets peuvent proférer des paroles ainsi que nous, et toutefois ne peuvent parler ainsi que nous, c’est à dire en témoignant qu’ils pensent ce qu’ils disent ; au lieu que les hommes qui, étant nés sourds et muets, sont privés des organes qui servent aux autres pour parler, autant ou plus que les bêtes, ont coutume d’inventer d’eux-mêmes quelques signes par lesquels ils se font entendre à ceux qui étant ordinairement avec eux ont loisir d’apprendre leur langue. Et ceci ne témoigne pas seulement que les bêtes ont moins de raison que les hommes, mais qu’elles n’en ont point du tout.

    Arranger des paroles, composer un discours, en quoi est-ce plus que proférer des paroles ?

    Qu’est-ce qui témoigne qu’on pense ce qu’on dit ?

    Quel rapport y a-t-il entre des organes et l’expression de la pensée ?

    Les paroles sont-elles des signes ? Qu’est-ce qui fait le signe ?

    Quelle conception de la raison se dégage-t-elle dela conclusion ?

    -> une explication



    4 Leibniz

    Nouveaux Essais, III, ch 9, § 9

    Quand il n’y aurait plus de livre ancien à examiner, les langues tiendront lieu de livres, et ce sont les plus anciens monuments du genre humain. On enregistrera avec le temps, et mettra en dictionnaires et en grammaires toutes les langues de l’univers, et on les comparera entre elles ; ce qui aura des usages très grands tant pour la connaissance des choses, puisque les noms souvent répondent à leurs propriétés (comme l’on voit par les dénominations des plantes chez les différents peuples), que pour la connaissance de notre esprit et de la merveilleuse variété de ses opérations : sans parler de l’origine des peuples, qu’on connaîtra par le moyen des étymologies solides, que la comparaison des langues fournira le mieux.

    L’absence de livres empêche-t-elle de s’instruire des langues ?

    Quels avantages l’auteur attend-il de leur étude ?

    Par quel moyen cette étude les délivrera-t-elle ?

    Qu’autorise l’établissement des dictionnaires ? celui des grammaires ?

    Le dernier avantage est-il de même nature que les autres ?

  • cf. Platon (IX,1)



  • 5 Rousseau

    Essai sur l’origine des langues

    Le premier langage de l’homme, le langage le plus universel, le plus énergique, et le seul dont il eut besoin, avant qu’il fallût persuader les hommes assemblés, est le cri de la nature. Comme ce cri n’était arraché que par une sorte d’instinct dans les occasions pressantes, pour implorer du secours dans les grands dangers, ou du soulagement dans les maux violents, il n’était pas d’un grand usage dans le cours ordinaire de la vie, où règnent des sentiments plus modérés. Quand les idées des hommes commencèrent à s’étendre et à se multiplier, et qu’il s’établit entre eux une communication plus étroite, ils cherchèrent des signes plus nombreux et un langage plus étendu ; ils multiplièrent les inflexions de la voix, et y joignirent les gestes qui, par leur nature, sont plus expressifs, et dont le sens dépend moins d’une détermination antérieure. Ils exprimaient donc les objets visibles et mobiles par des gestes, et ceux qui frappent l’ouïe par des sons imitatifs : mais comme le geste n’indique guère que des objets présents, ou faciles à décrire, et les actions visibles ; qu’il n’est pas d’un usage universel, puisque l’obscurité ou l’interposition d’un corps le rendent inutile, et qu’il exige l’attention plutôt qu’il ne l’excite, on s’avisa enfin de lui substituer les articulations de la voix, qui, sans avoir le même rapport avec certaines idées, sont plus propres à les représenter toutes, comme signes institués ; substitution qui ne put se faire que d’un commun consentement, et d’une manière assez difficile à pratiquer pour les hommes dont les organes grossiers n’avaient encore aucun exercice, et plus difficile encore à concevoir pour elle-même, puisque cet accord unanime dut être motivé, et que la parole paraît avoir été fort nécessaire, pour établir l’usage de la parole.

    Pourquoi le premier langage, quoique universel, ne suffit-il pas ?

    Que signifie dépendre d’une détermination antérieure ?

    Pourquoi les signes institués l’emportèrent-ils sur les gestes ?

    Qu’exige leur substitution au premier langage ?

    Un cercle vicieux ne semblait-il pas devoir s’y opposer ?



    6 Hegel

    ???

    Nous n’avons conscience de nos pensées, nous n’avons des pensées déterminées et réelles que lorsque nous leur donnons la forme objective, que nous les différencions de notre intériorité, et que par suite nous les marquons de la forme externe, mais d’une forme qui contient aussi le caractère de l’activité interne la plus haute. C’est le son articulé, le mot, qui seul nous offre une existence où l’externe et l’interne sont si intimement unis. Par conséquent, vouloir penser sans les mots, c’est une tentative insensée. Mesmer en fit l’essai, et, de son propre aveu, il en faillit perdre la raison. Et il est également absurde de considérer comme un désavantage et comme un défaut de la pensée cette nécessité qui lie celle-ci au mot. On croit ordinairement, il est vrai, que ce qu’il y a de plus haut c’est l’ineffable...

    Mais c’est là une opinion superficielle et sans fondement ; car en réalité l’ineffable c’est la pensée obscure, la pensée à l’état de fermentation, et qui ne devient claire que lorsqu’elle trouve le mot. Ainsi, le mot donne à la pensée son existence la plus haute et la plus vraie. Sans doute on peut se perdre dans un flux de mots sans saisir la chose. Mais la faute en est à la pensée imparfaite, indéterminée et vide, elle n’en est pas au mot. Si la vraie pensée est la chose même, le mot l’est aussi lorsqu’il est employé par la vraie pensée. Par conséquent, l’intelligence, en se remplissant de mots, se remplit aussi de la nature des choses.

    (trad. ?)

    Y a-t-il des pensées dont on n’a pas conscience ?

    Pourquoi accorde-t-on de la valeur à l’ineffable ? Pourquoi critique-t-on le mot ?

    Qu’est-ce qu’une pensée déterminée et réelle ? Pourquoi objectiver sa pensée ?

    Comment le mot peut-il être la chose même ?

    A quelles conditions l’intelligence se développe-t-elle ?



    7 Marx

    l’Idéologie allemande

    Et c’est maintenant seulement, après avoir déjà examiné quatre moments, quatre aspects des rapports historiques originels, que nous trouvons que l’homme a aussi de la “conscience”. Mais il ne s’agit pas d’une conscience qui soit d’emblée conscience “pure”. Dès le début, une malédiction pèse sur “l’esprit”, celle d’être “entaché” d’une matière qui se présente ici sous forme de couches d’air agitées, de sons, en un mot sous forme du langage. Le langage est aussi vieux que la conscience, — le langage est la conscience réelle, pratique, existant aussi pour d’autres hommes, existant donc alors seulement pour moi-même aussi et, tout comme la conscience, le langage n’apparaît qu’avec le besoin, la nécessité du commerce avec d’autres hommes. Ma conscience c’est mon rapport avec ce qui m’entoure. Là où existe un rapport, il existe pour moi. L’animal “n’est en rapport” avec rien, ne connaît somme toute aucun rapport. Pour l’animal, ses rapports avec les autres n’existent pas en tant que rapports. La conscience est donc d’emblée un produit social et le demeure aussi longtemps qu’il existe des hommes. Bien entendu, la conscience n’est d’abord que la conscience du milieu sensible le plus proche et celle d’une interdépendance limitée avec d’autres personnes et d’autres choses situées en dehors de l’individu qui prend conscience ; c’est en même temps la conscience de la nature qui se dresse d’abord en face des hommes comme une puissance foncièrement étrangère, toute-puissante et inattaquable, envers laquelle les hommes se comportent d’une façon purement animale et qui leur en impose autant qu’au bétail ; par conséquent une conscience de la nature purement animale (religion de la nature).

    (trad. marxists.org)

    Y a-t-il conscience sans langage ? Langage sans rapport ?

    Qu’est-ce qu’un rapport ?

    Que serait une conscience pure ?

    La conscience est-elle donnée (par qui) ou produite (par quoi) ?

    De quoi la conscience est-elle consciente d’abord ? Et ensuite ?

    -> un éclairage

  • cf. Hegel (IX,6)



  • 8 Nietzsche

    le Gai savoir, V, § 354

    La conscience s’est développée principalement sous la pression du besoin de communication ; elle n’était de prime abord nécessaire, elle n’était utile qu’entre l’homme et l’homme (spécialement entre qui commande et qui obéit), et ce n’est aussi que relativement et proportionnellement à cet usage qu’elle s’est développée. La conscience n’est essentiellement qu’un réseau de communications entre l’homme et l’homme, c’est seulement en tant que telle qu’il lui a fallu se développer : l’homme solitaire et prédateur n’en aurait pas eu besoin. Que nos actes, nos pensées, nos sentiments, nos mouvements viennent à la conscience - au moins partiellement - est la conséquence d’un terrible “devoir” qui s’est longtemps imposé à l’homme : en tant qu’animal le plus exposé, il avait besoin d’aide et de protection, il avait besoin de son semblable, il lui fallait exprimer sa détresse, savoir se faire comprendre - et pour tout cela il avait d’abord besoin de la “conscience”, et même pour “savoir” ce qui lui manquait, pour “savoir” ce qu’il avait à l’esprit, pour “savoir” ce qu’il pensait. Car, je le répète, l’homme comme toute créature vivante ne cesse de penser, bien qu’il ne le sache pas ; la pensée qui devient consciente n’en est que la plus petite part, disons : la part la plus superficielle et la plus mauvaise ; car seule cette pensée consciente se donne en mots, c’est-à-dire en signes de communication, par quoi l’origine de la conscience se découvre d’elle-même. Bref, le développement du langage et le développement de la conscience (non de la raison, mais seulement de la raison qui devient consciente de soi) vont de pair.

    (trad. Dorion)

    La conscience est-elle donnée à l’homme ?

    Tient-elle son origine d’une position de force ?

    Le rapport à autrui vient-il d’un sentiment de sociabilité ?

    Quelle différence y a-t-il entre la pensée de l’homme et celle des autres vivants ?

    Pourquoi le langage exprime-t-il la part la plus superficielle et la plus mauvaise de la pensée ?

    -> une explication

  • cf. Hegel (IX,6); Marx (IX,7)



  • 9 Saussure

    Cours de linguistique générale

    L’étude du langage comporte donc deux parties : l’une, essentielle, a pour objet la langue, qui est sociale dans son essence et indépendante de l’individu ; cette étude est uniquement psychique ; l’autre, secondaire, a pour objet la partie individuelle du langage, c’est à dire la parole y compris la phonation : elle est psycho-physique.

    Sans doute, ces deux objets sont étroitement liés et se supposent l’un l’autre : la langue est nécessaire pour que la parole soit intelligible et produise tous ses effets ; mais celle-ci est nécessaire pour que la langue s’établisse ; historiquement, le fait de parole précède toujours. Comment s’aviserait-on d’associer une idée à une image verbale, si l’on ne surprenait pas d’abord cette association dans un acte de parole ? D’autre part, c’est en entendant les autres que nous apprenons notre langue maternelle ; elle n’arrive à se déposer dans notre cerveau qu’à la suite d’innombrables expériences. Enfin c’est la parole qui fait évoluer la langue : ce sont les impressions reçues en entendant les autres qui modifient nos habitudes linguistiques. Il y a donc interdépendance de la langue et de la parole ; celle-là est donc à la fois l’instrument et le produit de celle-ci.

    Quelle part du langage est-elle sociale ? Pourquoi ?

    Quelle part individuelle ? Pourquoi ?

    En quoi l’une est-elle nécessaire à l’autre ? Et réciproquement ?

    Comment un fait de langue se définit-il ?

    La langue est-elle donnée ? En quel sens ?

  • cf. Dante (IX,2); Descartes (IX,3)



  • 10 Alain

    les Aventures du Cœur, ch 25

    Darwin a traité comme il faut de l’expression des émotions ; il voulait dire les signes avant-coureurs des actions, par exemple le mouvement des oreilles et de la queue du cheval, ou bien du chien. Ce genre d’expression est involontaire. Il s’exerce dans chaque espèce et entre les espèces. D’où l’on conclut trop vite que les animaux parlent ; on conclut aussi trop vite que les animaux font société. Le langage véritable est de soi à soi ; et en même temps il est efficace parce qu’il nous déroule notre propre vie comme une chose composée et assurée. La mesure et le rythme ne s’ajoutent pas au langage comme un ornement ; ils sont essentiels dans le langage à soi, et en même temps ils assurent une société. On pourrait dire que le langage ne cesse de préluder, ce qui est annoncer que l’on peut attendre ; c’est ce qui fait l’auditeur.

    Comment les émotions animales s’expriment-elles ?

    Qui ces expressions informent-elles ?

    Constituent-elles un langage ? Pourquoi ?

    Quelle différence y a-t-il entre un prélude et un signe avant-coureur ?

    Comment ce qui est de soi à soi assure-t-il une société ?

    programme


    X Art



    1 Platon

    Ion, 534a-e

    Les poètes nous disent que c’est à des fontaines de miel, dans les jardins et les vergers des Muses, que, semblables aux abeilles, et volant ça et là comme elles, ils butinent les vers qu’ils nous apportent ; et ils disent vrai. En effet le poète est un être léger, ailé et sacré : il est incapable de chanter avant d’être habité par un dieu, de délirer et de n’avoir plus sa raison. Sans cela on ne fait pas de vers, on ne prononce pas d’oracle. Or, comme ce n’est point l’art qui dicte au poète ses vers, et lui fait dire sur tous les sujets toutes sortes de belles choses, telles que tu en dis toi-même sur Homère, mais un destin divin, chacun d’eux ne peut réussir que dans le genre vers lequel la muse le pousse. L’un excelle dans le dithyrambe, l’autre dans l’éloge ; celui-ci dans les chansons à danser, celui-là dans le vers épique ; un autre dans l’ïambe ; tandis qu’ils sont mauvais dans tout autre genre, car ils doivent tout à une puissance divine, et rien à l’art ; autrement, ce qu’ils pourraient dans un genre, ils le pourraient également dans tous les autres. En leur ôtant la raison, en les prenant pour ministres, ainsi que les prophètes et les devins inspirés, le dieu veut par là nous apprendre que ce n’est pas d’eux-mêmes qu’ils disent des choses si merveilleuses, puisqu’ils sont hors de leur bon sens, mais qu’ils sont les organes du dieu qui nous parle par leur bouche. La meilleure preuve en est que Tynnichos de Chalcide n’a fait aucune pièce de vers que l’on retienne, excepté son péan, que tout le monde chante, la plus belle ode peut-être qu’on ait jamais faite, et qui, comme il le dit lui-même, est réellement une invention des muses. Il me semble qu’il a été choisi comme un exemple éclatant, pour qu’il ne nous restât aucun doute si tous ces beaux poèmes sont humains et faits de main d’homme, mais que nous fussions assurés qu’ils sont divins et l’œuvre des dieux, que les poètes ne sont rien que leurs interprètes, et qu’un dieu les possède toujours, quel que soit celui qui les possède. C’est pour nous rendre cette vérité sensible que le dieu a chanté tout exprès la plus belle ode par la bouche du plus mauvais poète.

    (trad. Cousin+Dorion - La pensée de Platon n’est pas nécessairement engagée par les propos qu’il prête aux personnages de ses dialogues)

    Est-ce en usant de la raison que le poète compose ses vers ?

    Pourquoi n’est-ce point l’art qui les lui dicte ?

    Quelle est la nature de l’inspiration poétique ?

    Quelle est alors la fonction du poète ?

    L’auteur de cette analyse s’exprime-t-il sérieusement ?



    2 Diderot

    in Encyclopédie, Beau

    J’appelle donc beau hors de moi tout ce qui contient en soi de quoi réveiller dans mon entendement l’idée de rapports ; et beau par rapport à moi, tout ce qui réveille cette idée.

    (...) Je n’entends pas que, pour appeler un être beau, il faille apprécier quelle est la sorte de rapports qui y règne ; je n’exige pas que celui qui voit un morceau d’architecture soit en état d’assurer ce que l’architecte même peut ignorer, que cette partie est à celle-là comme tel nombre est à tel nombre, ou que celui qui entend un concert sache plus quelquefois que ne sait le musicien, que tel son est à tel son dans le rapport de deux à quatre, ou de quatre à cinq. Il suffit qu’il aperçoive et sente que les membres de cette architecture et que les sons de cette pièce de musique ont des rapports, soit entre eux, soit avec d’autres objets. C’est l’indétermination de ces rapports, la facilité de les saisir et le plaisir qui accompagne leur perception, qui ont fait imaginer que le beau était plutôt une affaire de sentiment que de raison. J’ose assurer que toutes les fois qu’un principe nous sera connu dès la plus tendre enfance, et que nous en ferons par habitude une application facile et subite aux objets placés hors de nous, nous croirons en juger par sentiment ; mais nous serons contraints d’avouer notre erreur dans toutes les occasions où la complication des rapports et la nouveauté de l’objet suspendront l’application du principe : alors le plaisir attendra, pour se faire sentir, que l’entendement ait prononcé que l’objet est beau. D’ailleurs le jugement, en pareil cas, est presque toujours du beau relatif, et non du beau réel.

    Quel est le fondement du beau ?

    Pour juger du beau, faut-il le sentir ? le déterminer clairement ?

    D’où vient le plaisir que donne le beau ?

    Qu’est-ce qui donne à imaginer que le beau est affaire de sentiment ? Est-ce exact ?

    Quelle distinction recoupe celle du beau relatif et du beau réel ?



    3 Diderot

    Essais sur la peinture, sur la composition

    Rendre la vertu aimable, le vice odieux, le ridicule saillant, voilà le projet de tout honnête homme qui prend la plume, le pinceau ou le ciseau. Qu’un méchant soit en société, qu’il y porte la conscience de quelque infamie secrète, ici il en trouve le châtiment. Les gens de bien l’asseyent, à leur insu, sur la sellette. Ils le jugent, ils l’interpellent lui-même. Il a beau s’embarrasser, pâlir, balbutier ; il faut qu’il souscrive à sa propre sentence. Si ses pas le conduisent au Salon, qu’il craigne d’arrêter ses regards sur la toile sévère ! C’est à toi qu’il appartient aussi de célébrer, d’éterniser les grandes et belles actions, d’honorer la vertu malheureuse et flétrie, de flétrir le vice heureux et honoré, d’effrayer les tyrans. (...) Venge l’homme de bien du méchant, des dieux et du destin. Préviens, si tu l’oses, les jugements de la postérité ; ou si tu n’en as pas le courage, peins-moi du moins celui qu’elle a porté. Renverse sur les peuples fanatiques l’ignominie dont ils ont prétendu couvrir ceux qui les instruisaient et qui leur disaient la vérité. Etale-moi les scènes sanglantes du fanatisme. Apprends aux souverains et aux peuples ce qu’ils ont à espérer de ces prédicateurs sacrés du mensonge.

    Qu’est-ce que l’artiste doit honorer, flétrir ?

    Quel est son rôle social ?

    L’art est-il séparable de la morale ?

    De la politique ?

    Qu’est-ce que prévenir les jugements de la postérité ?

  • cf. Platon (XXIV,2 & XXV,2)



  • 4 d’Alembert

    in Encyclopédie, Genève

    On ne souffre point à Genève de comédie ; ce n’est pas qu’on y désapprouve les spectacles en eux-mêmes, mais on craint, dit-on, le goût de la parure, de dissipation et de libertinage que les troupes de comédiens répandent parmi la jeunesse. Cependant ne serait-il pas possible de remédier à cet inconvénient par des lois sévères et bien exécutées sur la conduite des comédiens ? Par ce moyen, Genève aurait des spectacles et des mœurs et jouirait de l’avantage des uns et des autres : les représentations théâtrales formeraient le goût des citoyens et leur donneraient une finesse de tact, une délicatesse de sentiment qu’il est très difficile d’acquérir sans ce secours ; la littérature en profiterait, sans que le libertinage fît des progrès, et Genève réunirait à la sagesse de Lacédémone la politesse d’Athènes. Une autre considération digne d’une république si sage et si éclairée devrait peut-être l’engager à permettre les spectacles. Le préjugé barbare contre la profession de comédien, l’espèce d’avilissement où nous avons mis ces hommes si nécessaires au progrès et au soutien des arts, est certainement une des principales causes qui contribue au dérèglement que nous leur reprochons ; ils cherchent à se dédommager, par les plaisirs, de l’estime que leur état ne peut obtenir. Parmi nous, un comédien qui a des mœurs est doublement respectable ; mais à peine lui en sait-on quelque gré. Le traitant qui insulte à l’indigence publique et qui s’en nourrit, le courtisan qui rampe et qui ne paie point ses dettes, voilà l’espèce d’hommes que nous honorons le plus.

    Pour quelles raisons la comédie est-elle interdite à Genève ?

    Suffisent-elles à justifier l’interdiction ?

    Quel profit peut-on tirer du spectacle de la comédie ?

    Comment le rapport du dérèglement et de l’interdiction est-il renversé ?

    Quels autres dérèglements mériteraient davantage l’interdiction ?

  • cf. Platon (VIII,1)


  • 5 Rousseau

    Lettre à d’Alembert

    L’état d’homme a ses plaisirs, qui dérivent de sa nature, et naissent de ses travaux, de ses rapports, de ses besoins ; et ces plaisirs, d’autant plus doux que celui qui les goûte a l’âme plus saine, rendent quiconque en sait jouir peu sensible à tous les autres. Un père, un fils, un mari, un citoyen ont des devoirs si chers à remplir qu’ils ne leur laissent rien à dérober à l’ennui. Le bon emploi du temps rend le temps plus précieux encore ; et mieux on le met à profit, moins on en sait trouver à perdre. Aussi voit-on constamment que l’habitude du travail rend l’inaction insupportable, et qu’une bonne conscience éteint le goût des plaisirs frivoles : mais c’est le mécontentement de soi-même, c’est le poids de l’oisiveté, c’est l’oubli des goûts simples et naturels, qui rendent si nécessaire un amusement étranger. Je n’aime point qu’on ait besoin d’attacher incessamment son cœur sur la scène, comme s’il était mal à son aise au-dedans de nous. La nature même a dicté la réponse de ce barbare à qui l’on vantait les magnificences du cirque et des jeux établis à Rome : “Les Romains, demanda ce bon homme, n’ont-ils ni femmes ni enfants ?” Le barbare avait raison. L’on croit s’assembler au spectacle, et c’est là que chacun s’isole ; c’est là qu’on va oublier ses amis, ses voisins, ses proches, pour s’intéresser à des fables, pour pleurer les malheurs des morts, ou rire aux dépens des vivants.

    Quel est le fondement des plaisirs naturels ?

    Pourquoi s’ennuie-t-on ? Comment comprendre l’amusement ?

    Qu’est-ce qu’attacher son cœur sur la scène ?

    Que condamne la dernière phrase ?

    Est-ce seulement le spectacle qui est critiqué ?

    -> une explication

  • cf. Platon (XXIV,2 & XXV,2); d’Alembert (X,4); Rousseau (VIII,4)



  • 6 Hegel

    Esthétique

    Quant au reproche d’indignité qui s’adresse à l’art comme produisant ses effets par l’apparence et l’illusion, il serait fondé si l’apparence pouvait être regardée comme quelque chose qui ne doit pas être. Mais l’apparence est nécessaire au fond qu’elle manifeste, et est aussi essentielle que lui. La vérité ne serait pas si elle ne paraissait ou plutôt n’apparaissait pas à elle-même aussi bien qu’à l’esprit en général. Dès lors, ce n’est plus sur l’apparence ou la manifestation que doit tomber le reproche, mais sur le mode de représentation employé par l’art. Mais si on qualifie ces apparences d’illusions, on pourra en dire autant des phénomènes de la nature et des actes de la vie humaine, que l’on regarde cependant comme constituant la véritable réalité ; car c’est au delà de tous ces objets perçus immédiatement par les sens et la conscience qu’il faut chercher la véritable réalité, la substance et l’essence de toutes choses, de la nature et de l’esprit, le principe qui se manifeste dans le temps et dans l’espace par toutes ces existences réelles, mais qui conserve en lui-même son existence absolue. Or, c’est précisément l’action et le développement de cette force universelle qui est l’objet des représentations de l’art. Sans doute elle apparaît aussi dans le monde réel, mais confondue avec le chaos des intérêts particuliers et des circonstances passagères, mêlée à l’arbitraire des passions et des volontés individuelles. L’art dégage la vérité des formes illusoires et mensongères de ce monde imparfait et grossier, pour la revêtir d’une forme plus élevée et plus pure, créée par l’esprit lui-même. Ainsi, bien loin d’être de simples apparences purement illusoires, les formes de l’art renferment plus de réalité et de vérité que les existences phénoménales du monde réel. Le monde de l’art est plus vrai que celui de la nature et de l’histoire.

    (trad. Bénard)

    A quelle conception de la représentation s’adresse le reproche d’indignité ?

    Quel autre sens l’auteur veut-il donner à la représentation ?

    Quel est le concept dont la valeur se trouve inversée ?

    Pourquoi le monde réel n’est-il pas la véritable réalité ?

    Quel est le rôle de l’art ?



    7 Hegel

    Esthétique

    Pour ce qui est de l’objection : – les beaux-arts échappent à la science, parce qu’ils sont des créations libres de l’imagination et ne s’adressent qu’au sentiment, – elle paraît plus sérieuse ; car on ne peut nier que le beau dans l’art n’apparaisse sous une forme précisément opposée à la pensée réfléchie, forme que celle-ci est obligée de détruire lorsqu’elle veut la soumettre à ses analyses. Ici vient se placer en outre l’opinion de ceux qui prétendent que la pensée scientifique, en s’exerçant sur les œuvres de la nature et de l’esprit, les défigure et leur enlève la réalité et la vie.

    Cette question est trop grave pour être traitée ici à fond. On accordera au moins que l’esprit a la faculté de se considérer lui-même, de se prendre pour objet, lui et tout ce qui sort de sa propre activité ; car penser constitue l’essence de l’esprit. Or l’art et ses œuvres, comme création de l’esprit, sont eux-mêmes d’une nature spirituelle. Sous ce rapport, l’art est bien plus près de l’esprit que de la nature. En étudiant les œuvres de l’art, c’est à lui-même que l’esprit a affaire, à ce qui procède de lui, à ce qui est à lui. Ainsi les productions de l’art dans lesquelles la pensée se manifeste sont du domaine de l’esprit, qui, en les soumettant à un examen réfléchi, satisfait un besoin essentiel de sa nature. Par là il se les approprie une seconde fois, et c’est à ce titre qu’elles lui appartiennent véritablement. Bien loin d’être la forme la plus haute de la pensée, l’art trouve sa véritable confirmation dans la science.

    (trad. Bénard)

    A quelle forme s’oppose celle du beau dans l’art ?

    La pensée scientifique le défigure-t-elle ?

    A qui l’esprit a-t-il affaire en étudiant les œuvres de l’art ?

    Quel rapport l’esprit produit-il entre lui et les œuvres lorsqu’il les soumet à son examen ?

    Comment la science confirme-t-elle l’art ?

  • cf. Platon (X,1)



  • 8 Hegel

    Esthétique

    Une autre manière de voir non moins erronée au sujet de l’art considéré comme produit de l’activité humaine est relative à la place qui appartient aux œuvres de l’art comparées à celles de la nature. L’opinion vulgaire regarde les premières comme inférieures aux secondes, d’après ce principe que ce qui sort des mains de l’homme est inanimé, tandis que les productions de la nature sont organisées, vivantes à l’intérieur et dans toutes leurs parties. Dans les œuvres de l’art, la vie n’est qu’en apparence et à la surface ; le fond est toujours du bois, de la toile, de la pierre, des mots.

    Mais ce n’est pas cette réalité extérieure et matérielle qui constitue l’œuvre d’art ; son caractère essentiel, c’est d’être une création de l’esprit, d’appartenir au domaine de l’esprit, d’avoir reçu le baptême de l’esprit, en un mot, de ne représenter que ce qui a été conçu et exécuté sous l’inspiration et à la voix de l’esprit. Ce qui nous intéresse véritablement, c’est ce qui est réellement significatif dans un fait ou une circonstance, dans un caractère, dans le développement ou le dénouement d’une action. L’art le saisit et le fait ressortir d’une manière bien plus vive, plus pure et plus claire que cela ne peut se rencontrer dans les objets de la nature ou les faits de la vie réelle. Voilà pourquoi les créations de l’art sont plus élevées que les productions de la nature. Nulle existence réelle n’exprime l’idéal comme le fait l’art.

    (trad. Bénard)

    Selon quelle idée de l’art compare-t-on ses œuvres à celles de la nature ?

    Suivant celle-ci que lui reproche-t-on ?

    Pourquoi cette critique tombe-t-elle à plat ?

    Qu’est-ce qui constitue l’essence de l’art ?

    Quel rapport y a-t-il entre l’idéal et la réalité ?



    9 Hegel

    Esthétique

    L’idée essentielle qu’il nous faut noter est que, même si le talent et le génie de l’artiste comportent un moment naturel, ce moment n’en demande pas moins essentiellement à être formé et éduqué par la pensée, de même qu’il nécessite une réflexion sur le mode de sa production ainsi qu’un savoir-faire exercé et assuré dans l’exécution. Car l’un des aspects principaux de cette production est malgré tout un travail extérieur, dès lors que l’œuvre d’art a un côté purement technique qui confine à l’artisanal, surtout en architecture et en sculpture, un peu moins en peinture et en musique, et dans une faible mesure encore en poésie. Pour acquérir en ce domaine un parfait savoir-faire, ce n’est pas l’inspiration qui peut être d’un quelconque secours, mais seulement la réflexion, l’application et une pratique assidue. Or il se trouve qu’un tel savoir-faire est indispensable à l’artiste s’il veut se rendre maître du matériau extérieur et ne pas être gêné par son âpre résistance.

    (trad. Lefebvre et Von Schenck)

    L’inspiration suffit-elle à faire le poète ?

    Que nécessite d’autre son talent ou son génie ?

    Pour quelle raison lui est-il nécessaire ?

    De qui rapproche-t-il l’artiste ?

    Comment l’acquiert-il ?

  • cf. Platon (X,1)



  • 10 Hegel

    Esthétique

    (La théorie) la plus commune est celle qui lui donne pour objet l’imitation. C’est le fond de presque toutes les théories sur l’art. Or à quoi bon reproduire ce que la nature déjà offre à nos regards ? Ce travail puéril, indigne de l’esprit auquel il s’adresse, indigne de l’homme qui le produit, n’aboutirait qu’à lui révéler son impuissance et la vanité de ses efforts ; car la copie restera toujours au-dessous de l’original. D’ailleurs, plus l’imitation est exacte, moins le plaisir est vif. Ce qui nous plaît, c’est non d’imiter, mais de créer. La plus petite invention surpasse tous les chefs-d’œuvre d’imitation.

    En vain dira-t-on que l’art doit imiter la belle nature. Choisir n’est plus imiter. La perfection dans l’imitation, c’est l’exactitude ; le choix suppose ensuite une règle : où prendre le criterium ? Que signifie d’ailleurs l’imitation dans l’architecture, dans la musique et même dans la poésie ? Tout au plus peut-on rendre compte ainsi de la poésie descriptive, c’est-à-dire du genre le plus prosaïque. – Il faut en conclure que si, dans ses compositions, l’art emploie les formes de la nature et doit les étudier, son but n’est pas de les copier et de les reproduire. Plus haute est sa mission, plus libre est son procédé. Rival de la nature, comme elle et mieux qu’elle il représente des idées ; il se sert de ses formes comme de symboles pour les exprimer ; et celles-ci, il les façonne elles-mêmes, les refait sur un type plus parfait et plus pur. Ce n’est pas en vain que ses œuvres s’appellent les créations du génie de l’homme.

    (trad. Bénard)

    A quels arts peut-on attribuer l’imitation avec une certaine apparence ?

    Quel plaisir l’imitation refuse-t-elle ?

    Que faut-il choisir, si l’on dit que l’art n’imite que la belle nature ?

    Cela se peut-il dans le cadre d’une théorie de l’imitation ?

    Si l’art ne reproduit pas la nature, en quel sens représente-t-il ?

  • Platon (XIV,2)



  • 11 Hegel

    Esthétique

    Un intérêt bien autrement vif et profond nous est offert, lorsque l’art, au lieu de reproduire simplement les objets dans leur existence extérieure et sous leur forme réelle, les représente comme saisis par l’esprit qui, tout en leur conservant leur forme naturelle, étend leur signification et les applique à une autre fin que celle qu’ils ont par eux-mêmes. Ce qui existe dans la nature est quelque chose de purement individuel et de particulier. La représentation, au contraire, est essentiellement destinée à manifester le général. Aussi a-t-elle cet avantage sur la nature, que son cercle est plus étendu. Elle est capable de saisir l’essence de la chose qu’elle prend pour sujet, de la développer et de la rendre visible. L’œuvre d’art n’est pas, il est vrai, une simple représentation générale, mais cette idée incarnée, individualisée. Comme procédant de l’esprit et de sa puissance représentatrice, elle doit, sans sortir des limites de l’individualité vivante et sensible, laisser percer en elle-même ce caractère de généralité. Ceci, comparé au genre de création qui se borne à l’imitation du réel dans ses formes extérieures, constitue un degré supérieur dans l’idéal. Ici le but de l’art est de saisir l’objet dans sa généralité et de laisser de côté dans la représentation tout ce qui, pour l’expression de l’idée, serait purement indifférent. L’artiste, par conséquent, ne prend pas, quant aux formes et aux modes d’expression, tout ce qu’il trouve dans la nature, et parce qu’il le trouve ainsi ; mais s’il veut produire de la véritable poésie, il saisit seulement les traits vrais, conformes à l’idée de la chose, et s’il prend la nature pour modèle, ce n’est pas parce qu’elle a fait ceci ou cela de telle façon, mais parce qu’elle l’a bien fait. Or ce bien est quelque chose de plus élevé que le réel lui-même tel qu’il s’offre à nos sens.

    (trad. Bénard)

    Qu’est-ce que la forme naturelle des objets ?

    Leur représentation peut-elle en saisir autre chose ?

    Que serait la simple représentation générale de l’essence ?

    Que prend l’artiste à la nature ?

    La nature elle-même peut-elle le distinguer ?



    12 Hegel

    Esthétique

    Le but de l’art, son besoin originel, c’est de produire aux regards une représentation, une conception née de l’esprit, de la manifester comme son œuvre propre ; de même que, dans le langage, l’homme communique ses pensées et les fait comprendre à ses semblables. Seulement, dans le langage, le moyen de communication est un simple signe, à ce titre, quelque chose de purement extérieur à l’idée et d’arbitraire.

    L’art au contraire, ne doit pas simplement se servir de signes, mais donner aux idées une existence sensible qui leur corresponde. Ainsi, d’abord, l’œuvre d’art, offerte aux sens, doit renfermer en soi un contenu. De plus, il faut qu’elle le représente de telle sorte que l’on reconnaisse que celui-ci, aussi bien que sa forme visible n’est pas seulement un objet réel de la nature, mais un produit de la représentation et de l’activité artistique de l’esprit. L’intérêt fondamental de l’art consiste en ce que ce sont les conceptions objectives et originelles, les pensées universelles de l’esprit humain qui sont offertes à nos regards.

    (trad. ?)

    De quoi la représentation artistique est-elle l’œuvre ?

    Que communique-t-elle ?

    Comment l’œuvre d’art se distingue-t-elle du signe linguistique ?

    A quelle double exigence l’œuvre d’art doit-elle répondre ?

    Quelles pensées l’art rend-il visibles ?



    13 Hegel

    Esthétique

    Si (l’artiste) pense à la manière du philosophe, il produit alors une œuvre précisément opposée à celle de l’art, quant à la forme sous laquelle une idée nous apparaît ; car le rôle de l’imagination se borne à révéler à notre esprit la raison et l’essence des choses, non dans un principe ou une conception générale, mais dans une forme concrète et dans une réalité individuelle. Par conséquent tout ce qui vit et fermente dans son âme, l’artiste ne peut le représenter qu’à travers les images et les apparences sensibles qu’il a recueillies, tandis qu’en même temps il sait maîtriser celles-ci pour les approprier à son but et leur faire recevoir et exprimer le vrai en soi d’une manière parfaite. Dans ce travail intellectuel qui consiste à façonner et à fondre ensemble l’élément rationnel et la forme sensible, l’artiste doit appeler à son aide à la fois une raison active et fortement éveillée et une sensibilité vive et profonde. C’est donc une erreur grossière de croire que des poèmes comme ceux d’Homère se sont formés comme un rêve pendant le sommeil du poète. Sans la réflexion qui sait distinguer, séparer, faire un choix, l’artiste est incapable de maîtriser le sujet qu’il veut mettre en œuvre, et il est ridicule de s’imaginer que le véritable artiste ne sait pas ce qu’il fait.

    (trad. Bénard)

    Sous quelle forme l’idée apparaît-elle dans le travail philosophique ?

    Dans l’art ?

    De quoi l’artiste doit-il réaliser la fusion ?

    De quoi doit-il user afin d’atteindre ce but ?

    Qu’est-on autorisé à dire de l’inspiration ?

  • cf. Platon (X,1)



  • 14 Marx

    Introduction générale à la critique de l’économie politique

    Prenons, par exemple, le rapport de l’art grec (...) avec notre temps. On sait que la mythologie grecque n’a pas été seulement l’arsenal de l’art grec, mais sa terre nourricière. La façon de voir la nature et les rapports sociaux qui inspire l’imagination grecque et constitue de ce fait le fondement de la mythologie grecque est-elle compatible avec les Selfaktors (machines à filer automatiques), les chemins de fer, les locomotives et le télégraphe électrique ? Qu’est-ce que Vulcain auprès de Roberts and Co, Jupiter auprès du paratonnerre et Hermès auprès du Crédit mobilier ? Toute mythologie maîtrise, domine les forces de la nature dans le domaine de l’imagination et par l’imagination, et elle leur donne forme : elle disparaît donc quand ces forces sont dominées réellement. Que devient Fama à côté de Printing-house square ? L’art grec suppose la mythologie grecque, c’est-à-dire l’élaboration artistique mais inconsciente de la nature et des formes sociales elles-mêmes par l’imagination populaire. Ce sont là ses matériaux. (...) Donc en aucun cas (ne peut en être la terre nourricière) une société arrivée à un stade de développement excluant tout rapport mythologique avec la nature, tout rapport générateur de mythes, exigeant donc de l’artiste une imagination indépendante de la mythologie. (...)

    Mais la difficulté n’est pas de comprendre que l’art grec et l’épopée sont liés à certaines formes du développement social. La difficulté réside dans le fait qu’ils nous procurent encore une jouissance esthétique et qu’ils ont encore pour nous, à certains égards, la valeur de normes et de modèles inaccessibles.

    (trad. marxists.org + Dorion)

    En quel sens la mythologie est-elle l’arsenal de l’art grec ?

    Comment est-elle sa terre nourricière ?

    Pourquoi Printing-house square (adresse du Times) ridiculise-t-il Fama (la renommée) ?

    La mythologie a-t-elle un avenir ? Et l’épopée ?

    Comment expliquer la valeur esthétique reconnue à Homère ?

    -> un éclairage



    15 Nietzsche

    Humain, trop humain, § 222

    Quelle position reste-t-il encore à l’art après la connaissance ? L’art pendant des milliers d’années nous a enseigné avant tout à considérer avec intérêt, avec joie la vie en chaque forme et à porter si loin notre sensibilité qu’enfin nous crions : “la vie, quelle qu’elle soit, elle est bonne”. Cet enseignement de l’art, de prendre de la joie à l’existence et, sans emportement trop vif, de tenir la vie humaine pour une chose de la nature, pour un objet de croissance conforme à ses lois, - cet enseignement s’est enraciné en nous et revient maintenant au jour en tant que tout-puissant désir de connaissance. On pourrait abandonner l’art, la capacité acquise de lui n’en serait cependant pas perdue : comme on a abandonné la religion, mais non pas ces accroissements et ces soulèvements de l’âme acquis par elle. De même que les arts plastiques et la musique sont la mesure de la richesse de sentiment acquise et gagnée en réalité grâce à la religion, après une disparition de l’art l’intensité et la multiplicité de la joie de vivre implantée par lui exigerait encore et toujours satisfaction. L’homme de la science est le développement de l’homme de l’art.

    (trad. Dorion)

    Qu’est-ce que l’homme a acquis de la religion ?

    De l’art ?

    Que signifie que la vie humaine est chose de la nature ?

    Qu’est-ce qui résulte de l’abandon de l’art ?

    En quoi la science est-elle héritière de l’art ?

    -> une explication



    16 Alain

    Vingt leçons sur les beaux arts, V

    Le langage absolu se retrouve dans tous les arts, qui, en ce sens, sont comme des énigmes, signifiant impérieusement et beaucoup, sans qu’on puisse dire quoi. Ce caractère est bien visible dans la poésie ; car il est clair que la signification d’un poème ne tient pas toute dans ce qu’on en pourrait expliquer en prose. Il y a autre chose, qui est bien plus puissant ; il y a un sens qui porte l’autre sens ; un sens qui est inexprimable, si ce n’est par le poème, toujours neuf, toujours touchant. C’est que, par le rythme et la sonorité, au fond par une disposition du corps humain, le poème établit entre l’auteur et le lecteur un commerce absolu, par lui-même admiré et aimé. La musique n’a point d’autre sens que celui-là. C’est un langage qui n’exprime rien que lui-même. Dès qu’il est chanté par tout le corps, il est compris. Sans vouloir anticiper trop, ni essayer trop vite l’idée, j’indique qu’on pourrait retrouver dans l’architecture et dans la peinture ce langage absolu, soutenant et portant ce qu’il faudrait appeler le langage relatif.

    Quel est l’autre sens du poème ?

    A quel langage appartient-il ? Comment l’auteur le nomme-t-il ?

    Jusqu’à quel point peut-on mettre la poésie en prose ?

    Ne peut-on faire de même des autres arts ?

    Quel est le vrai sens de l’œuvre d’art ?



    17 Jdanov

    Intervention à la Conférence des musiciens soviétiques, 10/01/1948

    Effectivement nous avons affaire à une lutte très aiguë, encore que voilée en surface, entre deux tendances. L’une représente dans la musique soviétique une base saine, progressiste, fondée sur la reconnaissance du rôle énorme joué par l’héritage classique, et en particulier par les traditions de l’école musicale russe, sur l’association d’un contenu idéologique élevé, de la vérité réaliste, de liens organiques profonds avec le peuple, d’une création musicale chantante, d’une haute maîtrise professionnelle. La deuxième tendance exprime un formalisme étranger à l’art soviétique, le rejet de l’héritage classique sous le couvert d’un faux effort vers la nouveauté, le rejet du caractère populaire de la musique, le refus de servir le peuple, cela au bénéfice des émotions étroitement individuelles d’un petit groupe, d’esthètes élus. Cette tendance remplace la musique naturelle, belle, humaine, par une musique fausse, vulgaire, parfois simplement pathologique.

    (...) Analysons par exemple la question de l’attitude envers l’héritage classique. Les compositeurs en question ont beau jurer qu’ils se tiennent des deux pieds sur le sol de l’héritage classique, il n’y a pas moyen de démontrer que les partisans de l’école formaliste prolongent et développent les traditions de la musique classique. N’importe quel auditeur dira que les œuvres des compositeurs soviétiques du clan formaliste sont radicalement différentes de la musique classique. La musique classique se caractérise par la vérité et le réalisme, par l’art d’unir une forme éclatante à un contenu profond, d’associer la plus haute maîtrise avec la simplicité la plus accessible. La musique classique en général, la musique classique russe en particulier, ignorent le formalisme et le grossier naturalisme. Ce qui les caractérise, c’est l’élévation de l’idée : car elles savent reconnaître les sources de la musique dans l’œuvre musicale des peuples, elles ont respect et amour pour le peuple, pour sa musique et sa chanson.

    Quel pas en arrière font nos formalistes hors de la grand route de notre histoire musicale lorsque sapant les bases de la vraie musique ils composent une musique monstrueuse, factice, pénétrée d’impressions idéalistes, étrangère aux larges masses du peuple, s’adressant non à des millions de soviétiques mais à quelques unités ou à quelques dizaines d’élus, à une “élite” ! (...) La volonté d’ignorer les besoins du peuple, son esprit, sa création, signifie que la tendance formaliste en musique a un caractère nettement antipopulaire.

    (trad. ?)

    Quels caractères sont-ils reconnus à la musique naturelle ? à la fausse ?

    L’auteur définit-il la forme éclatante ? le contenu profond ?

    Qu’entend-on par formalisme ? L’accusation est-elle fondée ?

    Qu’est-ce qui est condamné dans le grossier naturalisme ?

    Quel rôle est-il demandé à la musique de jouer envers le peuple ?

  • cf. Platon (XXIV,2 & XXV,2); Diderot (X,3); Rousseau (VIII,4 & X,5)

  • programme


    XI Travail / technique



    1 Platon

    Sophiste, 234b-e

    - L’Etranger : Celui qui se fait fort d’être capable de tout produire par un art unique, nous savons qu’il n’exécute en quelque sorte par l’art de la peinture que des imitations et des apparences des êtres, qu’il est capable cependant en leur faisant voir de loin ses peintures de tromper les jeunes gens les plus ignorants et de leur faire croire qu’il a tout à fait la capacité de produire par son travail tout ce qu’il veut exécuter.
    - Théétète : Et comment donc !
    - E : Eh bien, relativement au discours ne faut-il pas s’attendre à trouver un autre art, capable de mystifier par des discours les oreilles des jeunes gens éloignés des réalités, en leur faisant apparaître des simulacres parlés de toutes choses, et de leur faire paraître vrai ce qui est dit et plus savant que tout autre celui qui le dit ?
    - T : Pourquoi n’y aurait-il pas un autre art comme celui-ci ?
    - E : N’est-il pas nécessaire que, le temps passant, la maturité venant, les choses étant connues de près et par l’épreuve, la plupart de ceux qui ont entendu ces discours soient contraints à se saisir des réalités, à renverser les opinions reçues, à reconnaître petit ce qui paraissait grand, difficile ce qui paraissait facile, si bien que les fantômes du discours sont bouleversés de fond en comble par les activités intervenues dans les travaux ?
    : Oui, pour autant que j’en puisse juger à mon âge ; car je pense être de ceux qui sont éloignés des réalités.
    - E : C’est pourquoi nous tous ici nous efforcerons, et nous efforçons dès à présent, de t’en rapprocher le plus possible, sans que tu en fasses l’épreuve.

    (trad. Dorion - La pensée de Platon n’est pas nécessairement engagée par les propos qu’il prête aux personnages de ses dialogues)

    En quoi la peinture est-elle critiquée ?

    L’objectif principalement visé est-il la peinture ? Quel est-il ?

    Qu’est-ce qui fait des jeunes gens des victimes faciles ? Et de quoi ?

    Qu’est-ce qui peut dissiper les apparences ?

    Quel rôle singulier le travail joue-t-il dans ce processus ?

    -> un éclairage



    2 Aristote

    Ethique de Nicomaque, Livre V, ch 5, 1133a

    Voilà pourquoi toutes les choses échangeables doivent, jusqu’à un certain point, pouvoir être comparées entre elles ; et c’est ce qui a donné lieu à l’établissement de la monnaie, qui est comme une mesure commune, puisqu’elle sert à tout évaluer, et, par conséquent, le défaut aussi bien que l’excès : par exemple, quelle quantité de chaussures peut être égale à la valeur d’une maison, ou d’une quantité donnée d’aliments. Il faut donc qu’il y ait entre l’architecte (ou le laboureur) et le cordonnier (ou plutôt entre les profits de l’un et des autres), le même rapport qu’il y a entre une maison, ou une quantité d’aliments, et une quantité déterminée de chaussures ; car, sans cela, il n’y aura ni commerce ni échange ; et cela ne saurait se faire, si l’on n’établit pas, jusqu’à un certain point, l’égalité entre les produits. Il doit donc y avoir pour tout, comme on vient de le dire, une commune mesure ; et, dans le vrai, c’est le besoin qui est le lien commun de la société : car, si les hommes n’avaient aucuns besoins, ou s’ils n’avaient pas tous des besoins semblables, il n’y aurait point d’échange, ou, du moins, il ne se ferait pas de la même manière. Par l’effet des conventions, la monnaie a été, pour ainsi dire, substituée à ce besoin.

    (trad. Thurot)

    La comparaison de toutes les choses entre elles appelle-t-elle quelque chose d’autre que la comparaison de deux choses ?

    La mesure commune peut-elle déterminer les qualités des choses à échanger ?

    Quel rapport quantitatif peut-on trouver entre l’architecte, le laboureur et le cordonnier ?

    Jusqu’à quel point l’égalité des produits peut-elle être établie ?

    Echange-t-on les choses seulement parce qu’elles sont échangeables ?



    3 Descartes

    Discours de la méthode, VI

    Sitôt que j’ai eu acquis quelques notions générales touchant la physique, et que, commençant à les éprouver en diverses difficultés particulières, j’ai remarqué jusques où elles peuvent conduire et combien elles diffèrent des principes dont on s’est servi jusqu’à présent, j’ai cru que je ne pouvais les tenir cachées sans pécher grandement contre la loi qui nous oblige à procurer autant qu’il est en nous le bien général de tous les hommes. Car elles m’ont fait voir qu’il est possible de parvenir à des connaissances qui soient fort utiles à la vie, et qu’au lieu de cette philosophie spéculative qu’on enseigne dans les écoles, on en peut trouver une pratique, par laquelle connaissant la force et les actions du feu, de l’eau, de l’air, des astres, des cieux et de tous les autres corps qui nous environnent, aussi distinctement que nous connaissons les métiers de nos artisans, nous les pourrions employer en même façon, à tous les usages auxquels ils sont propres, et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature. Ce qui n’est pas seulement à désirer pour l’invention d’une infinité d’artifices qui feraient qu’on jouirait sans aucune peine des fruits de la terre et de toutes les commodités qui s’y trouvent, mais principalement aussi pour la conservation de la santé, laquelle est sans doute le premier bien et le fondement de tous les autres biens de cette vie.

    Quel but l’auteur déclare-t-il poursuivre ?

    Comment les connaissances qu’il a acquises se distinguent-elles de celles de ses prédécesseurs ?

    Qu’est-ce qu’une philosophie pratique ?

    Quels bienfaits peut-on en attendre ?

    Quelle portée a la comparaison des forces naturelles aves les métiers des artisans ?

    -> une explication



    4 Hobbes

    Léviathan, ch X

    Le prix ou la valeur d’un homme est, comme pour tous les autres objets, son prix, c’est-à-dire ce qu’on donnerait pour avoir l’usage de son pouvoir. Cependant, ce n’est pas une valeur absolue, elle dépend du besoin et du jugement d’autrui. Un chef d’armée compétent est d’un grand prix en temps de guerre effective ou imminente, mais il n’en est pas ainsi en temps de paix. Un juge érudit et incorruptible est de grande valeur en temps de paix, mais sa valeur est moindre en temps de guerre. Et il en est des hommes comme des autres choses, ce n’est pas le vendeur, mais l’acheteur, qui détermine le prix. En effet, qu’un homme, comme la plupart des hommes, s’attribue la plus haute valeur possible, pourtant, sa vraie valeur n’est rien de plus que ce qui est estimé par autrui.

    La manifestation de la valeur que nous nous attribuons les uns aux autres est ce qui est communément appelé honorer et attenter à l’honneur. Evaluer quelqu’un à un haut prix, c’est l’honorer, l’évaluer à un bas prix, c’est attenter à son honneur. Mais haut et bas, dans ce cas, doivent être compris par comparaison avec le prix que chaque homme s’attribue à lui-même.

    La valeur publique d’un homme, qui est la valeur qui lui est attribuée par la République, est ce que les hommes nomment communément dignité. Et cette valeur attribuée par la République se traduit par des postes de commandements, des postes de magistrats, des emplois publics, ou par des dénominations et des titres établis pour distinguer une telle valeur.

    (trad. Folliot)

    Comment la valeur d’un objet s’établit-elle ?

    Qu’est-ce qu’honorer un homme ? Comment cela se traduit-il ?

    Les hommes sont-ils des objets dont on use ?

    Où la valeur d’un homme s’estime-t-elle ?

    Pourquoi est-elle relative ?

  • cf. Aristote (V,2 & XI,2)



  • 5 Hegel

    la Phénoménologie de l’Esprit

    Le maître se rapporte médiatement à la chose par l’intermédiaire de l’esclave ; l’esclave, comme conscience de soi en général, se comporte négativement à l’égard de la chose et la supprime ; mais elle est en même temps indépendante pour lui, il ne peut donc par son acte de nier venir à bout de la chose et l’anéantir ; l’esclave la transforme donc seulement par son travail. Inversement, par cette médiation, le rapport immédiat devient pour le maître la pure négation de cette même chose ou la jouissance ; ce qui n’est pas exécuté par le désir est exécuté par la jouissance du maître ; en finir avec la chose : l’assouvissement dans la jouissance. Cela n’est pas exécuté par le désir à cause de l’indépendance de la chose ; mais le maître, qui a interposé l’esclave entre la chose et lui, se relie ainsi seulement à la dépendance de la chose, et purement en jouit. Il abandonne le côté de l’indépendance de la chose à l’esclave, qui l’élabore.

    (trad. Hyppolite)

    Quel rapport complexe le travail établit-il avec la chose ?

    Qu’attend le maître du travail de son esclave ?

    Dans quel rapport celui qui ne travaille pas est-il avec la chose ?

    Qu’est-ce qu’élaborer la chose ?

    De quoi l’indépendance de la chose est-elle le germe ?

  • cf. Aristote (V,2)



  • 6 Marx

    l’Idéologie allemande

    De plus, la division du travail implique du même coup la contradiction entre l’intérêt de l’individu singulier ou de la famille singulière et l’intérêt collectif de tous les individus qui sont en relations entre eux ; qui plus est, cet intérêt collectif n’existe pas seulement, mettons dans la représentation, en tant qu’“intérêt général”, mais d’abord dans la réalité comme dépendance réciproque des individus entre lesquels se partage le travail. Enfin la division du travail nous offre immédiatement le premier exemple du fait suivant : aussi longtemps que les hommes se trouvent dans la société naturelle, donc aussi longtemps qu’il y a scission entre l’intérêt particulier et l’intérêt commun, aussi longtemps donc que l’activité n’est pas divisée volontairement, mais du fait de la nature, l’action propre de l’homme se transforme pour lui en puissance étrangère qui s’oppose à lui et l’asservit, au lieu qu’il la domine. En effet, dès l’instant où le travail commence à être réparti, chacun a une sphère d’activité exclusive et déterminée qui lui est imposée et dont il ne peut sortir ; il est chasseur, pêcheur ou berger ou critique critique, et il doit le demeurer s’il ne veut pas perdre ses moyens d’existence ; tandis que dans la société communiste, où chacun n’a pas une sphère d’activité exclusive, mais peut se perfectionner dans la branche qui lui plaît, la société réglemente la production générale ; ce qui crée pour moi la possibilité de faire aujourd’hui telle chose, demain telle autre, de chasser le matin, de pêcher l’après-midi, de pratiquer l’élevage le soir, de faire de la critique après le repas, selon mon bon plaisir, sans jamais devenir chasseur, pêcheur ou critique. Cette fixation de l’activité sociale, cette pétrification de notre propre produit en une puissance objective qui nous domine, échappant à notre contrôle, contrecarrant nos attentes, réduisant à néant nos calculs, est un des moments capitaux du développement historique jusqu’à nos jours.

    (trad. marxists.org)

    L’intérêt particulier a-t-il un sens sans la division du travail ?

    L’intérêt collectif n’est-il qu’une abstraction ?

    Que se passe-t-il tant que l’activité n’est pas divisée volontairement ?

    Qu’est-ce qui me permet de sortir d’une sphère d’activité exclusive ?

    Comment se définit la société communiste ?

    -> un éclairage



    7 Marx

    le Capital, Livre I, ch 7 -1 (p 180)

    Le travail est de prime abord un acte qui se passe entre l’homme et la nature. L’homme y joue lui-même vis-à-vis de la nature le rôle d’une puissance naturelle. Les forces dont son corps est doué, bras et jambes, tête et mains, il les met en mouvement afin de s’assimiler des matières en leur donnant une forme utile à sa vie. En même temps qu’il agit par ce mouvement, sur la nature extérieure et la modifie, il modifie sa propre nature, et développe les facultés qui y sommeillent. Nous ne nous arrêterons pas à cet état primordial du travail où il n’a pas encore dépouillé son mode purement instinctif. Notre point de départ, c’est le travail sous une forme qui appartient exclusivement à l’homme. Une araignée fait des opérations qui ressemblent à celles du tisserand, et l’abeille confond par la structure de ses cellules de cire l’habileté de plus d’un architecte. Mais ce qui distingue dès l’abord le plus mauvais architecte de l’abeille la plus experte, c’est qu’il a construit la cellule dans sa tête avant de la construire dans la ruche. Le résultat auquel le travail aboutit préexiste idéalement dans l’imagination du travailleur. Ce n’est pas qu’il opère seulement un changement de forme dans les matières naturelles ; il y réalise du même coup son propre but, dont il a conscience, qui détermine comme loi son mode d’action, et auquel il doit subordonner sa volonté. Et cette subordination n’est pas momentanée. L’œuvre exige pendant toute sa durée, outre l’effort des organes qui agissent, une attention soutenue, laquelle ne peut elle-même résulter que d’une tension constante de la volonté. Elle l’exige d’autant plus que par son objet et son mode d’exécution, le travail entraîne moins le travailleur, qu’il se fait moins sentir à lui, comme le libre jeu de ses forces corporelles et intellectuelles ; en un mot, qu’il est moins attrayant.

    (trad. Roy)

    Qu’est-ce que donner à une matière une forme utile à sa vie ?

    Qu’est-ce que la force d’une tête ?

    En quoi le travail modifie-t-il la nature du travailleur ?

    Quel est le travail proprement humain ? Qu’exige-t-il ?

    Le proprement humain n’est-il pas aussi inhumain ?

    -> une explication

  • cf. Pascal (XIV,8)



  • 8 Marx

    Le Capital, Livre I, ch 15 -1 (p 58)

    Des mathématiciens et des mécaniciens, dont l’opinion est reproduite par quelques économistes anglais, définissent l’outil une machine simple, et la machine un outil composé. (...) Mais cette définition ne vaut rien au point de vue social parce que l’élément historique y fait défaut (...) Tout mécanisme développé se compose de trois parties essentiellement différentes : moteur, transmission et machine d’opération. Le moteur donne l’impulsion à tout le mécanisme. Il enfante sa propre force de mouvement comme la machine à vapeur, la machine électro-magnétique, la machine calorique, etc., ou bien il reçoit l’impulsion d’une force naturelle externe, comme la roue hydraulique d’une chute d’eau, l’aile d’un moulin à vent des courants d’air.

    La transmission, composée de balanciers, de roues circulaires, de roues d’engrenages, de volants, d’arbres moteurs, d’une variété infinie de cordes, de courroies, de poulies, de leviers, de plans inclinés, de vis, etc., règle le mouvement, le distribue, en change la forme s’il le faut, de rectangulaire en rotatoire et vice-versa, et le transmet à la machine-outil. Les deux premières parties du mécanisme n’existent, en effet, que pour communiquer à cette dernière le mouvement qui lui fait attaquer l’objet de travail et en modifier la forme. C’est la machine-outil qui inaugure au XVIIIe siècle la révolution industrielle ; elle sert encore de point de départ toutes les fois qu’il s’agit de transformer le métier ou la manufacture en exploitation mécanique. (...)

    La machine-outil est donc un mécanisme qui, ayant reçu le mouvement convenable, exécute avec ses instruments les mêmes opérations que le travailleur exécutait auparavant avec des instruments pareils. Dès que l’instrument, sorti de la main de l’homme, est manié par un mécanisme, la machine-outil a pris la place du simple outil. Une révolution s’est accomplie alors même que l’homme reste le moteur. Le nombre d’outils avec lesquels l’homme peut opérer en même temps est limité par le nombre de ses propres organes. (...) La machine, point de départ de la révolution industrielle, remplace donc le travailleur qui manie un outil par un mécanisme qui opère à la fois avec plusieurs outils semblables, et reçoit son impulsion d’une force unique, quelle qu’en soit la forme.

    (trad. Roy)

    De quelles parties se compose tout mécanisme ?

    Quelle en est la partie qui change la forme de la matière travaillée ?

    Avec quels instruments le fait-elle ?

    Leur nombre est-il limité ?

    Pourquoi peut-on parler de “révolution” industrielle ?

    -> une explication



    9 Marx

    le Capital, Livre I, ch 1 -4 (p 83)

    Une marchandise paraît au premier coup d’œil quelque chose de trivial et qui se comprend de soi-même. Notre analyse a montré au contraire que c’est une chose très complexe, pleine de subtilités métaphysiques et d’arguties théologiques. En tant que valeur d’usage, il n’y a en elle rien de mystérieux, soit qu’elle satisfasse les besoins de l’homme par ses propriétés, soit que ses propriétés soient produites par le travail humain. Il est évident que l’activité de l’homme transforme les matières fournies par la nature de façon à les rendre utiles. La forme du bois, par exemple, est changée, si l’on en fait une table. Néanmoins, la table reste bois, une chose ordinaire et qui tombe sous les sens. (...)

    Le caractère mystique de la marchandise ne provient donc pas de sa valeur d’usage. Il ne provient pas davantage des caractères qui déterminent la valeur. D’abord, en effet, si variés que puissent être les travaux utiles ou les activités productives, c’est une vérité physiologique qu’ils sont avant tout des fonctions de l’organisme humain, et que toute fonction pareille, quels que soient son contenu et sa forme, est essentiellement une dépense du cerveau, des nerfs, des muscles, des organes, des sens, etc., de l’homme. En second lieu, pour ce qui sert à déterminer la quantité de la valeur, c’est-à-dire la durée de cette dépense ou la quantité de travail, on ne saurait nier que cette quantité de travail se distingue visiblement de sa qualité. Dans tous les états sociaux le temps qu’il faut pour produire les moyens de consommation a dû intéresser l’homme, quoique inégalement, suivant les divers degrés de la civilisation. Enfin dès que les hommes travaillent d’une manière quelconque les uns pour les autres, leur travail acquiert aussi une forme sociale.

    (...) Les rapports des producteurs, dans lesquels s’affirment les caractères sociaux de leurs travaux, acquièrent la forme d’un rapport social des produits du travail. Voilà pourquoi ces produits se convertissent en marchandises, c’est-à-dire en choses qui tombent et ne tombent pas sous les sens, ou choses sociales. (...) C’est ce qu’on peut nommer le fétichisme attaché aux produits du travail, dès qu’ils se présentent comme des marchandises, fétichisme inséparable de ce mode de production.

    (trad. Roy)

    Qu’est-ce que la valeur d’usage ?

    La valeur d’un produit du travail est-elle la même chose que sa valeur d’usage ?

    L’usage ou la valeur d’un produit du travail en font-ils une marchandise ?

    Qu’est-ce que le caractère social d’un travail ? D’où vient-il ?

    En quoi transforme-t-il le produit du travail ? Pourquoi celui-ci tombe-t-il en même temps qu’il ne tombe pas sous les sens ?

    -> une explication

  • cf. Aristote (XI,2)



  • 10 Marx

    Le capital, Livre I, ch 1 -4 (p 85)

    C’est seulement dans leur échange que les produits du travail acquièrent comme valeurs une existence sociale identique et uniforme, distincte de leur existence matérielle et multiforme comme objets d’utilité. Cette scission du produit du travail en objet utile et en objet de valeur s’élargit dans la pratique dès que l’échange a acquis assez d’étendue et d’importance pour que des objets utiles soient produits en vue de l’échange, de sorte que le caractère de valeur de ces objets est déjà pris en considération dans leur production même. A partir de ce moment, les travaux privés des producteurs acquièrent en fait un double caractère social. D’un côté, ils doivent être travail utile, satisfaire des besoins sociaux et s’affirmer ainsi comme parties intégrantes du travail général, d’un système de division sociale du travail qui se forme spontanément ; de l’autre côté, ils ne satisfont les besoins divers des producteurs eux-mêmes que parce que chaque espèce de travail privé utile est échangeable avec toutes les autres espèces de travail privé utile, c’est-à-dire est réputé leur égal. L’égalité de travaux qui diffèrent toto coelo (totalement) les uns des autres ne peut consister que dans une abstraction de leur inégalité réelle, que dans la réduction à leur caractère commun de dépense de force humaine, de travail humain en général, et c’est l’échange seul qui opère cette réduction en mettant en présence les uns des autres sur un pied d’égalité les produits des travaux les plus divers.

    (trad. Roy)

    Quelle est la première destination d’un produit du travail ?

    Les travaux privés satisfont-ils des besoins privés ?

    Quelle autre destination donne au produit la division du travail ?

    Que suppose-t-elle ?

    Qu’ont en commun des travaux différents ?

    -> une explication

  • cf. Aristote (XI,2)



  • 11 Nietzsche

    Aurore, Livre 3, aphorisme 173

    Dans l’exaltation du “travail”, dans les infatigables discours sur la “bénédiction du travail”, je vois la même arrière-pensée que dans l’éloge des actes impersonnels et utiles au commun : celle de la peur de tout ce qu’il y a d’individuel. Au fond, on sent aujourd’hui, à la vue du travail - on désigne toujours par là la dure besogne du matin au soir -, qu’un tel travail constitue la meilleure police, parce qu’elle tient chacun en bride et s’entend à empêcher vigoureusement le développement de la raison, du désir, de l’envie d’indépendance. Car il dépense une extraordinaire énergie nerveuse et la dérobe à la réflexion, à la méditation, au rêve, à l’obsession, à l’amour et à la haine, il propose toujours au regard un but mesquin et accorde des satisfactions faciles et régulières. Ainsi une société où l’on travaille dur continuellement aura davantage de sécurité : et l’on prie aujourd’hui la sécurité comme la divinité suprême. - Et maintenant, horreur ! Le “travailleur” vient de devenir dangereux ! Ça fourmille d’“individus dangereux” ! et derrière ceux-ci, le danger des dangers - l’individuel !

    (trad. Dorion)

    Pourquoi, par qui, le travail est-il exalté ?

    Comment, dans ce contexte, est-il défini ?

    En quoi son but est-il mesquin ?

    En quel sens est-il un acte impersonnel ?

    Comment le travailleur devient-il dangereux ?

    -> une explication

  • cf. Nietzsche (XXVIII,10)



  • 12 Alain

    Propos, 20/08/1930

    Il n’y a point de technique s’il n’y a outil, instrument ou machine ; mais ces objets, fabriqués de façon à régler l’action, et qui sont comme des méthodes solidifiées, ne font pas eux-mêmes la technique, qui est un genre de pensée. Un ouvrier qui se laisse conduire par la chose, la coutume et l’outil, n’est pas encore un technicien. Un technicien exerce la plus haute pensée, et la mieux ordonnée ; un technicien, découvre, réfléchit, invente ; seulement sa pensée n’a d’autre objet que l’action même. Il ne cesse d’essayer. Toutes ses idées sont des idées d’action.

    On se plaît à dire que l’expérience décide de tout ; mais c’est vrai de trop loin pour qu’on détermine par là les différences dans cette foule des hommes qui inventent. L’ouvrier adhère à l’expérience ; il ne perd jamais le contact ; mais le théoricien aussi à sa manière ; et le technicien se trouve placé entre ces deux extrêmes.

    Comment l’outil ou la machine sont-ils définis ?

    L’usage de l’outil fait-il le technicien ?

    Quel est le rapport de l’ouvrier à l’expérience ?

    Celui du théoricien ?

    Comment la pensée du technicien se distingue-t-elle entre deux extrêmes ?



    13 Alain

    Propos, 03/03/1934

    Quand le couvreur répare le toit du paysan, je comprends très bien l’échange des services et la signification du salaire. Chacun des deux travaille de son métier ; et si le couvreur passe une partie de son temps à protéger le paysan contre la pluie, le vent et le froid, il va de soi que le paysan consacre une partie de son temps à nourrir le couvreur. On ne voit pas d’abord qu’ils échangent heure contre heure, parce que le rapport du travail au produit est obscurci par mille causes. Le paysan défriche un terrain de broussailles ; le blé n’y pousse qu’en espérance. Le couvreur achète la tuile ou l’ardoise ; c’est dire que le carrier et le briquetier ont aussi une créance sur le paysan. L’argent et le marchandage règlent pratiquement tous ces comptes. Et, quant à la théorie, il me semble qu’on peut dire ceci, à savoir que les prix et salaires sont justes, entre ces hommes de différents métiers, tant que, travaillant tous à peu près pendant le même temps, célébrant tous les mêmes fêtes par le repos, ils ont aussi tous à peu près les mêmes vêtements, les mêmes abris, la même nourriture. Tout se passe comme si tous mettaient en commun le produit de leur travail, et recevaient, chacun, part égale de tout. C’est en considérant les choses ainsi que l’on perçoit qu’une heure de travail vaut une heure de travail et est échangée contre une heure de travail.

    Quel est l’objet apparent de l’échange entre le paysan et le couvreur ?

    Qu’est-ce qui rend celui-ci nécessaire ?

    A quelle condition les prix et salaires sont-ils justes ?

    Qu’est-ce qui est réellement échangé ?

    Qu’est-ce qui pourrait faire qu’une heure de travail n’en vale pas une autre ?

  • cf. Aristote (XI,2); Marx (XI,9 & 10)



  • 14 Alain

    Propos, 04/1932

    Ce qui fait vivre le droit, c’est le conflit de l’homme et de la terre, c’est telle servitude, concernant la source, le chemin, le mur, telle nécessité, concernant l’équipe, l’outil, la machine, tel marché, de bœufs, de moutons, de blé ; car ici il faut résoudre et la nature n’attend pas ; c’est par cette irrésistible pression que la jurisprudence a fait peu à peu le droit, et continuellement le transforme. Par exemple la loi sur les accidents du travail a suivi les changements du machinisme ; l’accident n’est pas le même, aux yeux du juge, si un homme remue les tonneaux à la main, que s’il les enlève au moyen d’une grue électrique. Cet exemple est parmi les plus faciles ; et il en a bien d’autres, tout à fait neufs, et qui attendent l’analyse. Ce que je veux seulement faire apercevoir, c’est que c’est le travail réel, travail contre la chose, qui fait la loi et qui change la loi ; autrement dit que l’idée politique naît du travail, et non point de la pensée abstraite d’un réformateur. On devine ici les chemins de l’analyse politique, et que Marx, en montrant l’exemple, n’a pas épuisé la question. Où est donc à mes yeux la lutte de classes, sinon dans ce mouvement de pensée qui remonte du travail, et qui change continuellement les mœurs et les religions ?

    Qu’est-ce qui est impuissant à faire le droit ?

    Pourquoi la jurisprudence est-elle antérieure au droit ?

    Pourquoi l’accident n’est-il pas le même, si etc ?

    Quelle conception de la lutte des classes est-elle ici rejetée ?

    Sont-ce les moeurs et les religions qui peuvent déterminer les conditions du travail ?

  • cf. Alain (XXIII,16)

  • programme


    XII Religion



    1 Platon

    Euthyphron, 9e-10a

    - Euthyphron : Pour moi, je ne ferais pas difficulté d’admettre que le pieux est ce qui est agréable à tous les dieux ; et l’impie, ce qui leur est désagréable à tous.
    - Socrate : Examinerons-nous cette définition pour voir si elle est, vraie, ou la recevrons-nous sans autre façon, et aurons-nous ce respect pour nous et pour les autres, que nous accordions foi à toutes nos imaginations, et qu’il suffise qu’un homme assure qu’une chose est, pour la croire ; ou faut-il bien examiner ce qu’on dit ?
    - E : Il faut l’examiner ; mais je suis certain que, pour cette fois, ce que nous venons d’établir est inattaquable.
    - S : C’est ce que nous allons voir immédiatement ; essayons. Le pieux est-il aimé des dieux parce qu’il est pieux, ou est-il pieux parce qu’il est aimé des dieux ?
    - E : Je n’entends pas bien ce que tu dis là, Socrate.

    (trad. Cousin+Dorion - La pensée de Platon n’est pas nécessairement engagée par les propos qu’il prête aux personnages de ses dialogues)

    Comment Euthyphron définit-il le pieux et l’impie ?

    Que signifie la première hypothèse proposée par Socrate ?

    La seconde ?

    Quelle idée des dieux implique l’une ? L’autre ?

    Quelle hypothèse engage-t-elle un prolongement de l’examen ?



    2 Platon

    Euthyphron, 14c-e

    - Socrate : Ne dis-tu pas que la piété est l’art de sacrifier et de prier ?
    - Euthyphron : Oui, je te le dis.
    - S : Sacrifier, c’est donner aux dieux ; prier, c’est leur demander.
    - E : Fort bien, Socrate.
    - S : De ce principe il suivrait que la piété est la science de donner et de demander aux dieux.
    - E : Tu as parfaitement compris ma pensée, Socrate.
    - S : C’est que je suis amoureux de ta sagesse, et que je m’y applique tout entier. Ne crains pas que je laisse tomber une seule de tes paroles. Dis-moi donc quel est l’art de servir les dieux ? C’est, selon toi, l’art de leur donner et de leur demander ?
    - E : Comme tu dis.
    - S : Pour bien demander, ne faut-il pas leur demander des choses que nous avons besoin de recevoir d’eux ?
    - E : Rien de plus vrai.
    - S : Et pour bien donner, ne faut-il pas leur donner en échange les choses qu’ils ont besoin de recevoir de nous ? Car il ne serait pas fort habile de donner à quelqu’un ce dont il n’aurait aucun besoin.
    - E : On ne saurait mieux parler.
    - S : La piété, mon cher Euthyphron, est donc l’art du commerce entre les dieux et les hommes ?
    - E : Du commerce, si tu veux l’appeler ainsi.

    (trad. Cousin+Dorion - La pensée de Platon n’est pas nécessairement engagée par les propos qu’il prête aux personnages de ses dialogues)

    Quelle est la définition du sacrifice ? de la prière ?

    Pourquoi la définition de la piété en dérive-t-elle ?

    Quelle sorte d’hommes demande aux dieux ce qu’ils ont besoin de recevoir d’eux ?

    Quelle sorte de dieux a besoin de recevoir des hommes ?

    Quelle est la sagesse d’Euthyphron ?



    3 Machiavel

    Discours sur Tite-Live, Livre II, ch 2

    Si l'on cherche d'où peut venir que dans les anciens temps les hommes ont aimé la liberté plus que ceux d'aujourd'hui, je crois que cela tient à la même cause qui rend aujourd'hui les hommes moins courageux. Elle est, je crois, dans la différence entre notre éducation et l'ancienne, fondée sur la différence entre notre religion et l'ancienne. Car notre religion, nous ayant montré la vérité et la voie qu'il faut suivre, nous fait accorder moins de prix à la gloire mondaine. De là vient que les païens, qui l'estimaient beaucoup, et qui en faisaient le souverain bien, étaient plus sauvages dans leurs actions. On peut s'en convaincre à considérer nombre de leurs institutions, en commençant par la magnificence de leurs sacrifices comparée à l'humilité des nôtres, où se rencontre quelque pompe, plus délicate que magnifique, mais aucune action sauvage ni vigoureuse. Aux leurs ne manquaient ni la pompe ni la magnificence de la cérémonie, mais s'ajoutait l'action d'un sacrifice plein de sang et de sauvagerie, car on y massacrait quantité d'animaux. Ce spectacle – terrible – rendait les hommes semblables à lui. La religion ancienne, en outre, ne tenait pour bienheureux que des hommes comblés de gloire mondaine, comme étaient les chefs des armées et ceux des républiques. Notre religion a accordé plus de gloire aux hommes humbles et contemplatifs qu'aux hommes d'action. Elle a de ce fait placé le souverain bien dans l'humilité, l'abjection, le mépris des choses humaines, tandis que l'autre le plaçait dans la grandeur de l'âme, dans la force du corps, et dans tout ce qui pouvait accroître le courage des hommes.

    (trad. Dorion)

    Quelles sont les valeurs des religions antiques ? Celles de notre religion ?

    Comment les religions et les éducations se coordonnent-elles ?

    Comment les peuples de l’antiquité suscitaient-il le courage ?

    Qu’est-ce qu’une gloire mondaine ?

    Comment le souverain bien peut-il consister dans l’abjection ?

    -> une explication



    4 Thérèse d’Avila

    Le livre de la vie, ch. XXIX, 13

    Le Seigneur voulut que je visse plusieurs fois cette vision. Je voyais près de moi, du côté gauche, un ange sous une forme corporelle. D’habitude je ne vois pas les anges ainsi (…) Il n’était pas grand, mais petit et très beau, le visage si enflammé qu’il me sembla être de ceux, très supérieurs, qui semblent être totalement de feu. (…) Je lui voyais dans les mains un long dard en or, dont l’extrèmité du fer me semblait porter un peu de feu. Il semblait me l’introduire à plusieurs reprises dans le cœur et parvenir jusqu’aux entrailles. Lorsqu’il le retirait, il me semblait les emporter avec lui, et m’abandonner toute embrasée d’un grand amour de Dieu. Ma douleur était si grande, qu’elle me faisait pousser des gémissements, et la suavité que me procurait cette très grande douleur était si excessive, que je n’avais pas le désir qu’elle prît fin, et que mon âme ne pouvait se contenter de rien de moins que de Dieu. Ce n’est pas une douleur corporelle, mais spirituelle, bien que le corps ne manque d’y participer un peu, et même beaucoup. C’est un si suave commerce amoureux entre l’âme et Dieu, que je Le supplie dans sa bonté de le faire goûter à qui croirait que je mens. Les jours où cela arrivait, j’étais comme perdue. Je ne voulais rien voir, ni rien dire, seulement me replier sur ma peine, qui me paraissait une gloire supérieure à toutes celles de la création.

    (trad. Dorion)

    Cet ange n’en rappelle-t-il pas un autre ? Quels sont exactement ses actes ?

    Quelles sont les propriétés du fer ? Quelles sont les acceptions du mot feu ?

    Qu’est-ce qu’un gémissement ?

    Dites le je vous salue Marie (une fois suffira), quel mot en retrouve-t-on ici ?

    Qu’est-ce que les théologiens nomment la gloire ?

    -> une explication

    -> une image (pieuse ?)



    5 Spinoza

    Traité théologico-politique, ch 19

    La religion (...) n’acquiert force de commandement qu’en vertu du décret de ceux qui ont le droit de commander dans l’Etat, et Dieu n’a pas de règne singulier parmi les hommes, sinon par ceux qui sont les détenteurs du pouvoir dans l’Etat. (...) Nous avons montré que les décrets de Dieu enveloppent une vérité éternelle et nécessaire et qu’on ne peut concevoir Dieu comme un prince ou un législateur imposant des lois aux hommes. C’est pourquoi les enseignements divins révélés par la lumière naturelle ou la prophétique ne reçoivent pas de Dieu immédiatement force de commandement, mais, nécessairement, de ceux, ou par l’intermédiaire de ceux, qui ont le droit de commander et de décréter, et ainsi, sans leur intermédiaire, nous ne pouvons concevoir que Dieu règne sur les hommes et dirige les affaires humaines suivant la justice et l’équité.

    (trad. Appuhn)

    Qu’est-ce que le règne singulier de Dieu parmi les hommes ?

    Que sont les décrets de Dieu, s’ils ne sont ceux d’un prince ou d’un législateur ?

    De tels décrets sont-ils intelligibles à tous les hommes ?

    Dans quel rapport sont l’autorité politique et l’autorité religieuse ?

    Qu’en est-il de la laïcité relativement à cette philosophie ?

    -> un éclairage



    6 Spinoza

    Traité théologico-politique, ch 19

    Le salut du peuple est la loi suprême à laquelle doivent se rapporter toutes les lois tant humaines que divines. Or, comme c’est l’office du souverain seul de déterminer ce qu’exigent le salut de tout le peuple et la sécurité de l’Etat, et de commander ce qu’il a jugé nécessaire, c’est conséquemment aussi l’office du souverain de déterminer à quelles obligations pieuses chacun est tenu à l’égard du prochain c’est-à-dire suivant quelle règle chacun est tenu d’obéir à Dieu. Par là nous connaissons clairement d’abord en quel sens le souverain est l’interprète de la religion ; en second lieu que personne ne peut obéir à Dieu droitement s’il ne règle la pratique obligatoire de la piété sur l’utilité publique et si en conséquence il n’obéit à tous les décrets du souverain. Puisque, en effet, nous sommes tenus, par le commandement de Dieu, d’agir avec piété à l’égard de tous (sans exception) et de ne causer de dommage à personne, il n’est donc loisible à personne de prêter secours à quelqu’un au détriment d’un autre et encore bien moins au détriment de tout l’Etat ; nul, par suite, ne peut agir pieusement à l’égard du prochain suivant le commandement de Dieu, s’il ne règle la piété et la religion sur l’utilité publique. Or nul particulier ne peut savoir ce qui est d’utilité publique, sinon par les décrets du souverain à qui seul il appartient de traiter les affaires publiques ; donc nul ne peut pratiquer droitement la piété ni obéir à Dieu s’il n’obéit à tous les décrets du souverain.

    (trad. Appuhn)

    Qu’est-ce que le souverain ?

    En quel sens le souverain est-il l’interprète de la religion ?

    Comment faut-il entendre Dieu ?

    La piété peut-elle être en conflit avec le respect de la loi ?

    Qu’est-ce que le salut du peuple ?

    -> un éclairage



    7 Spinoza

    Traité théologico-politique, ch 14

    Je ne craindrai pas maintenant d’énumérer les dogmes de la foi universelle, c’est-à-dire les croyances fondamentales que l’Ecriture universelle a pour objet d’établir. Ces dogmes (ainsi qu’il résulte très évidemment de ce chapitre et du précédent) doivent tous tendre à ce seul principe : il existe un Etre suprême qui aime la justice et la charité, auquel tous pour être sauvés sont tenus d’obéir et qu’ils doivent adorer en pratiquant la justice et la charité envers le prochain. Partant de là, nous les déterminons tous aisément et il n’en existe pas d’autres que les suivants : 1° Il existe un Dieu, c’est-à-dire un être suprême, souverainement bon et miséricordieux, en d’autres termes un modèle de vie vraie : qui ne le connaît pas, en effet, ou ne croit pas à son existence, ne peut lui obéir ou le reconnaître comme juge ; 2° Dieu est unique : il le faut absolument, personne n’en peut douter, pour qu’il soit un objet suprême de dévotion, d’admiration et d’amour. Car la dévotion, l’admiration et l’amour naissent de la seule excellence de l’être qui seul est au-dessus de tous ; 3° il est partout présent, ou encore il voit tout. Si l’on croyait qu’il y a pour lui des choses cachées, et si l’on ignorait qu’il voit tout, on douterait de l’équité de sa justice qui dirige tout ; 4° il a sur toutes choses droit et pouvoir suprême et ne fait rien par obligation légale, mais par bon plaisir absolu et grâce singulière. Tous, en effet, sont tenus de lui obéir et lui n’obéit à personne ; 5° le culte de Dieu et l’obéissance à Dieu consistent dans la seule justice et la charité, c’est-à-dire dans l’amour du prochain ; 6° tous ceux qui, suivant cette règle de vie, obéissent à Dieu, sont sauvés et ils sont seuls à l’être, les autres qui vivent sous l’empire des voluptés sont perdus. Si les hommes ne croyaient point cela fermement, nulle cause ne pourrait faire qu’ils aimassent mieux obéir à Dieu qu’aux voluptés ; 7° enfin Dieu pardonne leurs péchés aux repentants. Nul en effet qui ne pèche ; si donc on n’admettait point cela, tous désespéreraient de leur salut et n’auraient aucune raison de croire à la miséricorde divine. Celui qui croit cela fermement : que dans sa miséricorde et par sa grâce, souveraine régulatrice, Dieu pardonne les péchés des hommes, et qui, pour cette cause, est plus brûlant d’amour pour Dieu, celui-là connaît vraiment le Christ selon l’Esprit et le Christ est en lui.

    (trad. Appuhn)

    Qu’est un modèle de vie vraie ?

    Pourquoi Dieu ne fait-il rien par obligation légale ?

    Quel est l’unique commandement auquel Dieu demande obéissance ?

    Qu’est-ce que vivre sous l’empire des voluptés ?

    Pourquoi le dogme du pardon est-il nécessaire ?

    -> une explication



    8 Diderot

    Entretien d’un philosophe avec la Maréchale de ***

    Diderot - Mais croyez-vous que les terribles ravages qu’elle a causés dans les temps passés, et qu’elle causera dans les temps à venir, soient suffi­samment compensés par ces guenilleux avantages-là ? Songez qu’elle a créé et qu’elle perpétue la plus violente antipathie entre les nations. Il n’y a pas un musulman qui n’imaginât faire une action agréable à Dieu et au saint Pro­phète, en exterminant tous les chrétiens, qui, de leur côté, ne sont guère plus tolérants. Songez qu’elle a créé et qu’elle perpétue, dans la même contrée, des divisions qui se sont rarement éteintes sans effusion de sang. Notre histoire ne nous en offre que de trop récents et de trop funestes exemples. Songez qu’elle a créé et qu’elle perpétue, dans la société entre les citoyens, et dans la famille entre les proches, les haines les plus fortes et les plus constantes. Le Christ a dit qu’il était venu pour séparer l’époux de la femme, la mère de ses enfants, le frère de la sœur, l’ami de l’ami ; et sa prédiction ne s’est que trop fidèlement accomplie.

    La Maréchale - Voilà bien les abus ; mais ce n’est pas la chose.

    Diderot - C’est la chose, si les abus en sont inséparables.

    La Maréchale - Et comment me montrerez-vous que les abus de la religion sont inséparables de la religion ?

    Diderot - Très aisément ; dites-moi, si un misanthrope s’était proposé de faire le malheur du genre humain, qu’aurait-il pu inventer de mieux que la croyance en un être incompréhensible sur lequel les hommes n’auraient jamais pu s’entendre, et auquel ils auraient attaché plus d’importance qu’à leur vie ? Or, est-il possible de séparer de la notion d’une divinité l’incompré­hensibilité la plus profonde et l’importance la plus grande ?

    Peut-on se satisfaire que la religion arrête les crimes du vulgaire (guenilleux avantages) ?

    Quels sont ses propres crimes, se situent-ils au même niveau ?

    En quel sens la prédiction du Christ s’accomplit-elle ?

    Pourquoi les abus de la religion sont-ils inséparables d’elle ?

    Quelle est la notion de la divinité présentée ici  ?

  • cf. Maïmonide (XIX,3); Thomas d’Aquin (XIV,4); Descartes (XX,3)



  • 9 Rousseau

    Profession de foi du Vicaire savoyard

    Bayle a très bien prouvé que le fanatisme est plus pernicieux que l’athéisme, et cela est incontestable ; mais ce qu’il n’a eu garde de dire, et qui n’est pas moins vrai, c’est que le fanatisme, quoique sanguinaire et cruel, est pourtant une passion grande et forte, qui élève le cœur de l’homme, qui lui fait mépriser la mort, qui lui donne un ressort prodigieux, et qu’il ne faut que mieux diriger pour en tirer les plus sublimes vertus : au lieu que l’irréligion, et en général l’esprit raisonneur et philosophique, attache à la vie, effémine, avilit les âmes, concentre toutes les passions dans la bassesse de l’intérêt particulier, dans l’abjection du moi humain, et sape ainsi à petit bruit les vrais fondements de toute société ; car ce que les intérêts particuliers ont de commun est si peu de chose qu’il ne balancera jamais ce qu’ils ont d’opposé.

    Si l’athéisme ne fait pas verser le sang des hommes, c’est moins par amour pour la paix que par indifférence pour le bien : comme que tout aille, peu importe au prétendu sage, pourvu qu’il reste en repos dans son cabinet. Ses principes ne font pas tuer les hommes, mais ils les empêchent de naître, en détruisant les mœurs qui les multiplient, en les détachant de leur espèce, en réduisant toutes leurs affections à un secret égoïsme, aussi funeste à la population qu’à la vertu. L’indifférence philosophique ressemble à la tranquillité de l’Etat sous le despotisme ; c’est la tranquillité de la mort : elle est plus destructive que la guerre même.

    En quel sens l’athéisme est-il entendu ?

    Qu’est-ce que l’esprit raisonneur et philosophique ?

    Qu’est-ce que l’abjection du moi humain ?

    Pourquoi les principes de l’athéisme empêchent-ils les hommes de naître ?

    Qu’est la tranquillité de l’Etat sous le despotisme ?

    -> un éclairage

  • cf. Machiavel (XII,3); Diderot (XII,8); Rousseau (XXVII,10)



  • 10 Rousseau

    du Contrat social, Livre IV, ch 8

    Le droit que le pacte social donne au Souverain sur les sujets ne passe point, comme je l’ai dit, les bornes de l’utilité publique. Les sujets ne doivent donc compte au Souverain de leurs opinions qu’autant que ces opinions importent à la communauté. Or il importe bien à l’Etat que chaque Citoyen ait une Religion qui lui fasse aimer ses devoirs ; mais les dogmes de cette Religion n’intéressent ni l’Etat ni ses membres qu’autant que ces dogmes se rapportent à la morale, et aux devoirs que celui qui la professe est tenu de remplir envers autrui. Chacun peut avoir au surplus telles opinions qu’il lui plaît, sans qu’il appartienne au souverain d’en connaître. Car comme il n’a point de compétence dans l’autre monde, quel que soit le sort des sujets dans la vie à venir, ce n’est pas son affaire, pourvu qu’ils soient bons citoyens dans celle-ci.

    Il y a donc une profession de foi purement civile dont il appartient au Souverain de fixer les articles, non pas précisément comme dogmes de religion, mais comme sentiments de sociabilité, sans lesquels il est impossible d’être bon Citoyen ni sujet fidèle.

    Qu’est-ce que le souverain ?

    Dans quelle mesure appartient-il au souverain de fixer les articles de foi ?

    La religion peut-elle aller au-delà ?

    Peut-elle entrer en conflit avec la profession de foi civile ?

    Qu’est-ce qu’être bon citoyen ? sujet fidèle ?

    -> un éclairage

  • cf. Spinoza (XII,5 & 6)



  • 11 Marx

    Critique de la philosophie du droit, Introduction

    Le fondement de la critique irréligieuse c’est : l’homme fait la religion, la religion ne fait pas l’homme. Et sans doute (zwar) la religion est-elle la conscience et le sentiment de soi de l’homme qui, ou bien ne s’est pas encore conquis, ou bien s’est déjà reperdu. Mais (aber) l’homme n’est pas un être abstrait, assis hors du monde. L’homme, c’est le monde de l’homme, l’Etat, la société. Cet Etat, cette société produisent la religion, une conscience renversée du monde, parce qu’ils sont un monde renversé. La religion est la théorie générale de ce monde (...). Elle est la réalisation imaginaire de l’être humain, parce que l’être humain n’a pas de vraie réalité. La lutte contre la religion est donc indirectement la lutte contre ce monde, dont la religion est l’arôme spirituel.

    La misère religieuse est pour une part l’expression de la misère réelle, et pour une autre part la protestation contre la misère réelle. La religion est le soupir de la créature accablée, l’âme d’un monde sans cœur, comme elle est l’esprit de conditions sans esprit. C’est l’opium du peuple.

    La suppression de la religion en tant que bonheur illusoire du peuple est l’exigence de son bonheur réel. L’exigence d’abandonner les illusions sur une condition est l’exigence d’abandonner une condition qui a besoin d’illusions. La critique de la religion est donc en germe la critique de la vallée de larmes, dont la religion est l’auréole.

    La critique a arraché des chaînes les fleurs imaginaires, non pour que l’homme porte des chaînes sans fantaisie, désolantes, mais pour qu’il rejette les chaînes et cueille les fleurs vivantes.

    (trad. Dorion)

    Qu’accorde l’auteur à la critique irréligieuse ? Qu’en critique-t-il ?

    Quelle est la portée de l’adverbe indirectement ?

    Quel rapport y a-t-il entre les deux choses qu’est à la fois la religion ?

    L’image de l’opium est-elle originale ? Est-elle renouvelée par la dualité de la religion ?

    Quelle est la valeur d’une critique en germe ? Quel est son avenir ?

    -> une explication

  • cf. Rousseau (VIII,3)



  • 12 Nietzsche

    Généalogie de la morale, I, § 14

    On va transmuter la faiblesse en mérite, il n’y a pas de doute, c’est comme vous l’aviez dit.
    — Après !
    — Et l’impuissance, qui ne vaut rien, en bonté, la bassesse froussarde en humilité, la soumission à ceux que l’on hait en “obéissance” (même envers Celui dont ils prétendent qu’Il ordonne cette soumission, ils l’appellent Dieu). L’impuissante faiblesse, la lâcheté même dont elle est riche, son attente devant la porte, son inévitable devoir de patience porte ici un joli nom, l’indulgence ; on l’appelle aussi volontiers la vertu ; ne pas pouvoir se venger s’appelle ne pas vouloir se venger, peut-être même le pardon (“car ils ne savent pas ce qu’ils font” — nous seuls savons ce qu’ils font !) On parle encore de “l’amour de ses ennemis” — et on en sue.— Après !
    — Ils sont miséreux, il n’y a pas de doute, tous ces chuchoteurs et faux-monnayeurs, même s’ils se tiennent chaud les uns aux autres, mais ils me disent que leur misère est une élection et une distinction de Dieu : on bat les chiens que l’on préfère ; peut-être cette misère est elle encore une préparation, une épreuve, une formation, peut-être est-elle encore davantage, quelque chose qui un jour sera compensé et payé avec des intérêts énormes, en or, non ! en bonheur. C’est ce qu’ils appellent la félicité.
    — Après !
    — Maintenant ils me donnent à entendre qu’ils ne sont pas seulement meilleurs que les puissants, les Seigneurs de la terre, dont ils doivent lécher le crachat (non par peur, absolument pas par peur ! Mais parce que Dieu commande d’honorer toute autorité), qu’ils ne sont pas seulement meilleurs, mais qu’ils ont mieux, en tout cas qu’ils auront mieux un jour. Mais suffit ! suffit ! Je n’y tiens plus. Quelle puanteur ! Cet atelier où l’on fabrique l’idéal, à mon avis, il pue le pur mensonge.

    (trad. Dorion)

    Qu’évoque le mot transmutation ?

    Que recouvrent les mots obéissance, vertu, pardon, amour ?

    Qui dit qu’ils ne savent pas ce qu’ils font ?

    Quelle conception du bonheur est-elle ici désignée ?

    Qui sont les Seigneurs de la terre ?

    -> une explication

  • cf. Bossuet (XXIII,9); Kant (XXVIII,8 & 9)



  • 13 Alain

    Propos, 17/06/1922

    “...L’image du Dieu est portée par un vieillard tout vêtu d’or et protégé par un grand voile tout doré que portent les plus riches des habitants, qui font ainsi hommage au soleil et au blé, sources de toute richesse. (...) L’image a la forme d’un soleil d’or, mais le centre en est d’un blanc immaculé. Un prêtre m’a dit que ce que l’on voit ainsi dans une sorte de boîte de cristal qui est au centre du soleil, c’est un morceau du pain le plus pur, et sans levain ; et c’est ce pain qui représente le Dieu. J’ai compris d’après cela que cette fête est la fête du blé, et aussi la fête du soleil, père du blé. Toutefois le prêtre qui a bien voulu m’instruire parle volontiers par figures, comme font tous les prêtres, et pense que ce pain sans levain représente une nourriture d’esprit, qui donnerait force d’âme et sagesse. De même ce soleil d’or représenterait l’intelligence infinie, source de toutes nos idées. Il m’a paru posséder là-dessus une doctrine secrète et plaindre ceux qui l’ignorent. J’ai donc feint de le comprendre ; mais il me semble que je le comprends beaucoup mieux qu’il ne se comprend lui-même. Nul n’ignore que le soleil et le pain sont les soutiens de toute sagesse et de tout esprit en ce monde. J’aimerais dire à ce propos que les bienfaits de Dieu sont moins dans des maximes de sagesse et des principes de connaissance, que dans des conditions plus humbles qui rendent possibles la connaissance et la sagesse. Et si quelque orgueilleux se disait maître de penser et de vouloir sans ces secours extérieurs, je voudrais le voir deux jours seulement sans soleil ni pain. Je veux bien qu’on appelle grâce ces secours qui nous permettent de savoir un peu et de vouloir pour le mieux ; que cette grâce nous arrive par le soleil et le pain, c’est ce qui frappe tous les yeux ; et c’est donc sous les formes du soleil et du pain qu’il est convenable de célébrer le bienfaiteur. Mais il me semble qu’après cela c’est notre propre affaire de vouloir et de penser comme il faut ; et il me paraît impie de remercier le bienfaiteur de ce que nous avons nous-mêmes fait de bien en ce monde ; car cela, c’est notre affaire, une fois que nous sommes pourvus de blé. Il est remarquable que la religion universelle soit toujours jointe à quelque croyance superstitieuse, conseillère de paresse et de faiblesse.” Ainsi philosophait le Huron, parce qu’il avait vu passer la procession de la Fête-Dieu.

    Comment peut-on être Huron ?

    Que célèbre visiblement la Fête-Dieu ?

    Et de manière plus cachée ?

    Que pense le Huron de la doctrine de la grâce ?

    Comment une religion déterminée se distingue-t-elle de la religion universelle ?

    programme


    XIII Histoire



    1 Platon

    Lois, 676b-677a

    - L’Athénien : Dis-moi, crois-tu pouvoir te représenter l’immensité du temps écoulé depuis qu’il existe des Cités et que les hommes vivent en Cités ?
    - Clinias : Ce n’est pas du tout facile.
    - L’Athénien : Mais c’est un temps immense et incalculable ?
    - Clinias : Cela, oui, tout à fait.
    - L’Athénien : Dans ce temps des milliers et des milliers de Cités ne sont-elles pas apparues, et pour la même raison des quantités d’autres non moins nombreuses ne se sont-elles pas dissoutes ? Partout chacune de ces Cités n’a-t-elle pas plusieurs fois changé de gouvernement ? De plus faibles ne sont-elles pas devenues plus puissantes, et de plus puissantes plus faibles ? De meilleures ne sont-elles pas devenues pires, et de pires meilleures ?
    - Clinias : Nécessairement.
    - L’Athénien : Expliquons, si nous le pouvons, la cause de ces changements. Elle nous fera peut-être découvrir la première naissance des gouvernements et leur transformation.
    - Clinias : Bien parlé. Il faut s’efforcer, toi de les expliquer, nous de les comprendre.
    - L’Athénien : Les vieilles histoires vous semblent-elles avoir quelque vérité ?
    - Clinias : Lesquelles ?
    - L’Athénien : Les nombreuses destructions de l’humanité produites par les inondations, les maladies et beaucoup d’autres causes, qui ne laissaient derrière elles presque rien du genre humain ?
    - Clinias : Tout le monde les tient pour tout à fait crédibles.

    (trad. Dorion - La pensée de Platon n’est pas nécessairement engagée par les propos qu’il prête aux personnages de ses dialogues)

    A quoi mesure-t-on le temps ?

    Qu’advient-il aux Cités (Etats) ?

    Comment un changement de gouvernement les rend-il plus puissantes ou plus faibles ? Meilleures ou pires ?

    Quelle cause ont ces changements ?

    Comment caractériser l’histoire, telle qu’elle est conçue ici ?



    2 Machiavel

    Discours sur Tite-Live, Livre I, Préambule

    Lorsque je considère quelle valeur on accorde à l'antiquité et comment bien souvent, pour ne prendre qu'un seul exemple, on achète à grand prix un fragment de statue antique, afin de le tenir auprès de soi, d'en décorer sa maison et de pouvoir le donner à imiter de ceux qui prennent plaisir à cet art, et comment ceux-ci ensuite s'efforcent par tous les moyens de le reproduire dans tous leurs ouvrages, et que je vois au contraire que les plus hautes actions que nous rapportent les histoires, accomplies dans les royaumes et les républiques par les rois, les capitaines, les citoyens, les législateurs et tous ceux qui se sont dévoués à leur patrie, sont admirées plus souvent qu'imitées, et même si bien ignorées de chacun dans la plus petite affaire, qu'il ne nous est resté aucune trace de la vertu des anciens, je ne peux m'empêcher tout à la fois de m'en étonner et de m'en désoler. Et d'autant plus que je vois combien, face aux différends civils entre citoyens ou aux maladies qui affligent les hommes, on a toujours recours aux sentences décrétées ou aux remèdes prescrits par les anciens. Car nos lois civiles ne sont rien d'autre que les sentences rendues par les anciens jurisconsultes, dont l'interprétation enseigne à juger à nos jurisconsultes d'aujourd'hui. La médecine encore n'est rien d'autre que l'expérience produite par les anciens médecins, sur laquelle les médecins d'aujourd'hui fondent leurs jugements. Et cependant il ne se trouve ni prince ni république qui ait recours à l'exemple des anciens pour donner une constitution, maintenir l'Etat, gouverner le pays, organiser l'armée et faire la guerre, juger les sujets, ou agrandir le territoire. Cela ne vient pas tant, je crois, de la faiblesse à laquelle la présente religion a mené le monde, ni du mal qu'a fait à un grand nombre de provinces et de cités chrétiennes la prétention à l'oisiveté, que du manque d'une vraie connaissance des histoires, nécessaire pour tirer de leur lecture leur vrai sens et en goûter la vraie saveur.

    (trad. Dorion)

    Dans quels domaines tient-on l’Antiquité pour un modèle ? Dans quel autre non ?

    Qu’admire-t-on, sans pourtant l’imiter, dans les royaumes et républiques antiques ?

    Dans quels actes politiques l’exemple donné par les Anciens devrait-il être imité ?

    Qu’est-ce que la vertu ?

    Quelles conduites politiques sont implicitement condamnées ?

    -> une explication



    3 Bossuet

    Discours sur l’histoire universelle III, ch 8

    Souvenez-vous, Monseigneur, que ce long enchaînement des causes particulières, qui font et défont les empires, dépend des ordres secrets de la divine Providence. Dieu tient du plus haut des cieux les rênes de tous les royaumes ; il a tous les cœurs en sa main : tantôt il retient les passions, tantôt il leur lâche la bride ; et par là il remue tout le genre humain. Veut-il faire des conquérants ? il fait marcher l’épouvante devant eux, et il inspire à eux et à leurs soldats une hardiesse invincible. Veut-il faire des législateurs ? il leur envoie son esprit de sagesse et de prévoyance ; il leur fait prévenir les maux qui menacent les Etats, et poser les fondements de la tranquillité publique. Il connaît la sagesse humaine, toujours courte par quelque endroit ; il l’éclaire, il étend ses vues, et puis il l’abandonne à ses ignorances : il l’aveugle, il la précipite, il la confond par elle-même : elle s’enveloppe, elle s’embarrasse dans ses propres subtilités, et ses précautions lui sont un piège. Dieu exerce par ce moyen ses redoutables jugements, selon les règles de sa justice toujours infaillible. C’est lui qui prépare les effets dans les causes les plus éloignées, et qui frappe ces grands coups dont le contrecoup porte si loin. Quand il veut lâcher le dernier et renverser les empires, tout est faible et irrégulier dans les conseils. L’Egypte, autrefois si sage, marche enivrée, étourdie et chancelante, parce que le Seigneur a répandu l’esprit de vertige dans ses conseils ; elle ne sait plus ce qu’elle fait, elle est perdue. Mais que les hommes ne s’y trompent pas : Dieu redresse quand il lui plaît le sens égaré ; et celui qui insultait à l’aveuglement des autres tombe lui-même dans des ténèbres plus épaisses, sans qu’il faille souvent autre chose, pour lui renverser le sens, que ses longues prospérités.

    C’est ainsi que Dieu règne sur tous les peuples. Ne parlons plus de hasard ni de fortune ; ou parlons-en seulement comme d’un nom dont nous couvrons notre ignorance. Ce qui est hasard à l’égard de nos conseils incertains est un dessein concerté dans un conseil plus haut, c’est-à-dire dans ce conseil éternel qui renferme toutes les causes et tous les effets dans un même ordre. De cette sorte tout concourt à la même fin ; et c’est faute d’entendre le tout, que nous trouvons du hasard ou de l’irrégularité dans les rencontres particulières.

    Les hommes sont-ils maîtres de leurs passions ?

    Un conquérant, un législateur ont-ils seuls le mérite de leur réussite ?

    Que prouvent l’ascension et le déclin d’un empire ?

    Une causalité suffit-elle à expliquer les faits historiques ?

    Quelle sorte de sens l’histoire a-t-elle ?



    4 Hegel

    La Raison dans l’histoire

    L’histoire se meut sur un terrain plus élevé que celui où la moralité a proprement sa demeure, et constitue la morale privée, la conscience des individus, leur volonté propre et leur manière d’agir, toutes choses qui possèdent en elles-mêmes leur valeur et leur imputation, leur récompense et leur châtiment. Mais ce que la fin ultime existant en soi et pour soi de l’Esprit requiert et accomplit, ce que fait la Providence, se trouve au-dessus des obligations, des estimations et des prétentions dont relèvent les individus du point de vue de leur éthique. Ceux qui ont résisté, par conviction éthique et donc par noblesse morale, à ce que le progrès de l’idée de l’Esprit rendait nécessaire, se situent, du point de vue de la valeur morale, plus haut que ceux dont les crimes sont convertis, dans un ordre supérieur, en moyens d’exécution de la volonté de cet ordre supérieur. Mais, dans les bouleversements de ce genre, les deux partis se situent généralement à l’intérieur d’un monde en ruine ; il en résulte que le droit défendu par ceux qui se considèrent comme légalement justifiés, n’est qu’un droit formel, abandonné par l’Esprit vivant et par Dieu. Les actions des grands hommes, qui sont des individus, appartenant à l’histoire universelle, paraissent ainsi justifiées, non seulement en raison de leur inconsciente signification intérieure, mais aussi au point de vue du monde. Ce point de vue implique d’ailleurs que les milieux moralisants n’ont aucun droit de poser des exigences à l’encontre des grandes actions historiques et de leurs auteurs, car ceux-ci n’y appartiennent pas. La litanie des vertus privées, modestie, humilité, amour du prochain, bienfaisance, ne doit pas leur être opposée. Du reste l’histoire universelle pourrait entièrement négliger la sphère où se situent la moralité et l’opposition - dont on a si souvent et si faussement parlé - entre la morale et la politique ; et cela, non seulement parce que l’histoire devrait s’abstenir de tout jugement - ses principes et le nécessaire rapport des actions à ceux-ci sont déjà en soi le jugement - mais parce que les individus en tant que tels n’entrent pas dans son jeu et qu’elle peut donc les passer complètement sous silence. En effet, ce qu’elle doit raconter ce sont les actes de l’Esprit des peuples.

    (trad. Papaioannou)

    Quels actes faut-il juger sur le plan de la moralité ?

    Où trouvent-ils leur valeur et leur imputation ?

    Que reste-t-il de la moralité dans les bouleversements historiques ?

    De quel point de vue faut-il juger les actions des grands hommes ?

    Comment connaît-on la fin ultime de l’Esprit ?

  • cf. Bossuet (XIII,3)



  • 5 Hegel

    La Raison dans l’histoire

    Ces grands hommes semblent obéir uniquement à leur passion, à leur caprice. Mais ce qu’ils veulent est l’universel. (...) C’est la psychologie des maîtres d’école qui sépare ces deux aspects. Ayant réduit la passion à une manie, elle rend suspecte la morale de ces hommes ; ensuite, elle tient les conséquences de leurs actes pour leurs vrais motifs et leurs actes mêmes pour des moyens au service de ces buts : leurs actions s’expliquent par la manie des grandeurs ou la manie des conquêtes. Ainsi par exemple l’aspiration d’Alexandre est réduite à la manie de conquête, donc à quelque chose de subjectif qui n’est pas le Bien. Cette réflexion dite psychologique explique par le fond du cœur toutes les actions et leur donne une forme subjective. De ce point de vue, les protagonistes de l’histoire auraient tout fait, poussés par une passion grande ou petite ou par une manie, et ne méritent donc pas d’être considérés comme des hommes moraux. Alexandre de Macédoine a conquis une partie de la Grèce, puis l’Asie ; il a donc été un obsédé de conquêtes. Il a agi par manie de conquêtes, par manie de gloire, et la preuve en est qu’il s’est couvert de gloire. Quel maître d’école n’a pas démontré d’avance qu’Alexandre le Grand, Jules César et les hommes de la même espèce ont tous été poussés par de telles passions et que, par conséquent, ils ont été des hommes immoraux ? D’où il suit aussitôt que lui, le maître d’école, vaut mieux que ces gens-là, car il n’a pas de ces passions et en donne comme preuve qu’il n’a pas conquis l’Asie, ni vaincu Darius et Porus, mais qu’il est un homme qui vit bien et a laissé également les autres vivre.

    (trad. Papaioannou)

    La psychologie peut-elle comprendre l’histoire ?

    Le but des grands hommes est-il subjectif ?

    Le Bien, l’universel, est-il dans les conséquences des actes des grands hommes ?

    Les passions en sont-elles séparables ?

    Les grands hommes sont-ils immoraux ?



    6 Hegel

    La Raison dans l’histoire

    L’histoire universelle est la manifestation du processus divin, de la marche graduelle par laquelle l’Esprit connaît et réalise sa vérité. Tout ce qui est historique est une étape de cette connaissance de soi. Le devoir suprême, l’essence de l’Esprit est de se connaître soi-même et de se réaliser. C’est ce qu’il accomplit dans l’histoire : il se produit sous certaines formes déterminées, et ces formes sont les peuples historiques. Chacun de ces peuples exprime une étape, désigne une époque de l’histoire universelle. Plus profondément : ces peuples incarnent les principes que l’Esprit a trouvés en lui et qu’il a dû réaliser dans le monde. Il existe donc entre eux une connexion nécessaire qui n’exprime rien d’autre que la nature même de l’Esprit.

    L’histoire universelle est la manifestation du processus divin absolu de l’Esprit dans ses plus hautes figures : la marche graduelle par laquelle il parvient à sa vérité et prend conscience de soi. Les peuples historiques, les caractères déterminés de leur éthique collective, de leur constitution, de leur art, de leur religion, de leur science, constituent les configurations de cette marche graduelle. Franchir ces degrés, c’est le désir infini et la poussée irrésistible de l’Esprit du Monde, car leur articulation aussi bien que leur réalisation est son concept même. Les principes des Esprits populaires, dans la série nécessaire de leur succession, ne sont eux-mêmes que les moments de l’unique Esprit universel : grâce à eux, il s’élève dans l’histoire à une totalité transparente à elle-même et apporte la conclusion.

    (trad. Papaioannou)

    Qu’est-ce que le processus divin ?

    Qu’exprime un peuple dans l’histoire ?

    Quel rapport l’histoire montre-t-elle entre les peuples ?

    La marche de l’histoire laisse-t-elle place au hasard ?

    Peut-elle finir ?



    7 Hegel

    La raison dans l’histoire

    Les individus historiques sont ceux qui ont dit les premiers ce que les hommes veulent. Il est difficile de savoir ce qu’on veut. On peut certes vouloir ceci ou cela, mais on reste dans le négatif et le mécontentement : la conscience de l’affirmatif peut fort bien faire défaut. Mais les grands hommes savent aussi que ce qu’ils veulent est l’affirmatif. C’est leur propre satisfaction qu’ils cherchent : ils n’agissent pas pour satisfaire les autres. S’ils voulaient satisfaire les autres, ils eussent eu beaucoup à faire parce que les autres ne savent pas ce que veut l’époque et ce qu’ils veulent eux-mêmes. Il serait vain de résister à ces personnalités historiques parce qu’elles sont irrésistiblement poussées à accomplir leur œuvre. Il apparaît par la suite qu’ils ont eu raison, et les autres, même s’ils ne croyaient pas que c’était bien ce qu’ils voulaient, s’y attachent et laissent faire. Car l’œuvre du grand homme exerce en eux et sur eux un pouvoir auquel ils ne peuvent pas résister, même s’ils le considèrent comme un pouvoir extérieur et étranger, même s’il va l’encontre de ce qu’ils croient être leur volonté.

    (trad. Papaioannou).

    Les hommes en général savent-ils ce qu’ils veulent ?

    Les grands hommes sont-ils désintéressés ?

    Leur volonté vise-t-elle un but particulier ?

    Peut-on leur résister ?

    Que signifie qu’une époque veut quelque chose ?



    8 Marx

    l’Idéologie allemande

    Cette conception de l’histoire a donc pour base le développement du procès réel de la production, et cela en partant de la production matérielle de la vie immédiate ; elle conçoit la forme des relations humaines liée à ce mode de production et engendrée par elle, je veux dire la société civile à ses différents stades, comme étant le fondement de toute l’histoire, ce qui consiste à la représenter dans son action en tant qu’Etat aussi bien qu’à expliquer par elle l’ensemble des diverses productions théoriques et des formes de la conscience, religion, philosophie, morale, etc., et à suivre sa genèse à partir de ces productions, ce qui permet alors naturellement de représenter la chose dans sa totalité (et d’examiner aussi l’action réciproque de ses différents aspects). Elle n’est pas obligée, comme la conception idéaliste de l’histoire, de chercher une catégorie dans chaque période, mais elle demeure constamment sur le sol réel de l’histoire ; elle n’explique pas la pratique d’après l’idée, elle explique la formation des idées d’après la pratique matérielle ; elle arrive par conséquent à ce résultat, que toutes les formes et produits de la conscience peuvent être liquidés non pas grâce à la critique intellectuelle, (...) mais uniquement par le renversement pratique des rapports sociaux concrets d’où sont nées les absurdités idéalistes. Ce n’est pas la critique, mais la révolution qui est la force motrice de l’histoire, de la religion, de la philosophie et de toute autre théorie.

    (trad. marxists.org + Dorion)

    Qu’est-ce que la vie immédiate ? Sa production matérielle ?

    Que signifie “une catégorie dans chaque période” ?

    Comment les relations humaines sont-elles liées au mode de la production ?

    Qu’est-ce que la société civile ?

    La religion, la philosophie, la morale ont-elles une histoire autonome ? Pourquoi ?

    -> un éclairage

  • cf. Hegel (XIII,6)



  • 9 Marx

    Introduction générale à la critique de l’économie politique

    La société bourgeoise est l’organisation historique de la production la plus développée et la plus variée qui soit. De ce fait, les catégories qui expriment les rapports de cette société et qui permettent d’en comprendre la structure permettent en même temps de se rendre compte de la structure et des rapports de production de toutes les formes de société disparues avec les débris et les éléments desquelles elle s’est édifiée, dont certains vestiges, partiellement non encore dépassés, continuent à subsister en elle, et dont certains simples signes, en se développant, ont pris toute leur signification, etc. L’anatomie de l’homme est la clef de l’anatomie du singe. Dans les espèces animales inférieures, on ne peut comprendre les signes annonciateurs d’une forme supérieure que lorsque la forme supérieure est elle-même déjà connue. Ainsi l’économie bourgeoise nous donne la clef de l’économie antique, etc. Mais nullement à la manière des économistes qui effacent toutes les différences historiques et voient dans toutes les formes de société celles de la société bourgeoise. (...) Si donc il est vrai que les catégories de l’économie bourgeoise possèdent une certaine vérité valable pour toutes les autres formes de société, cela ne peut être admis que cum grano salis (avec un grain de sel).

    (trad. marxists.org)

    Sur quel modèle l’auteur veut-il faire comprendre les rapports des sociés entre elles ?

    Comment le supérieur éclaire-t-il l’inférieur ?

    Que sont les rapports de production ? et la structure d’une société ?

    Quel rapport y a-t-il entre l’économie bourgeoise et l’économie antique ?

    Quelle faute de raisonnement est-elle critiquée ?

    -> un éclairage



    10 Michelet

    Histoire de la Révolution française, de la méthode et de l’esprit de ce livre

    Nous ne sommes point de ces amis du peuple qui méprisent l’opinion du peuple, sourient du préjugé populaire, qui se croient modestement plus sages que Tout-le-monde. Tout-le-monde, pour les habiles et les gens d’esprit, c’est un pauvre homme de bien, qui n’y voit guère, heurte, choppe, qui barbouille, ne sait pas trop ce qu’il dit. Vite un bâton à cet aveugle, un guide, un soutien, quelqu’un qui parle pour lui. (...)

    Tout-le-monde, ignorant sans doute dans les choses de la nature (il n’enseignera pas la physique à Galilée, ni le calcul à Newton), n’en est pas moins un juste juge dans les choses de l’homme. Il est souverain maître en droit. Quand il siège en son prêtoire et tribunal naturel, aux carrefours d’une grande ville, ou sur le banc devant l’église, ou encore sur une pierre à la croix des quatre routes, sous l’orme du jugement, il juge là sans appel ; il n’y a pas à dire non. Les rois, les reines et les tribuns, les Mirabeau, les Robespierre, comparaissent modestement. (...)

    Ainsi cet étrange juge donne scandale à l’auditoire : il excuse Mirabeau, malgré ses vices ; condamne Robespierre, malgré ses vertus. Grand bruit, force réclamations, dits, contredits, mais oui, mais non... Plusieurs hochent la tête et disent : “Le bonhomme a perdu l’esprit.” Prenez garde, Messieurs, prenez garde, c’est le jugement du peuple, c’est la décision du maître ; nous n’y réformerons rien ; tâchons seulement de comprendre. (...)

    La France a droit, si personne peut l’avoir, de juger en dernier ressort ses hommes et ses événements. Pourquoi ? C’est qu’elle n’est pas pour eux un contemplateur fortuit, un témoin qui voit du dehors ; elle fut en eux, les anima, les pénétra de son esprit. Ils furent en grande partie son oeuvre ; elle les sait, parce qu’elle les fit. Sans nier l’influence puissante du génie individuel, nul doute que, dans l’action de ces hommes, la part principale ne revienne cependant à l’action générale du peuple, du temps, du pays. La France les sait dans cette action qui fut d’elle, comme leur créateur les sait. Ils tinrent d’elle ce qu’ils furent, tels ou tels points exceptés où elle devient leur juge, approuve ou condamne, et dit : “En ceci, vous n’êtes pas miens.”

    Juger des choses de la nature exige-t-il une compétence ?

    Pourquoi juger des choses de l’homme n’en exige-t-il pas ?

    Le jugement du peuple peut-il contredire celui de ses amis ?

    Que prétendent les amis du peuple ?

    Quelle est la tâche de l’historien ?



    11 Alain

    Propos, 15/06/1935

    Je ne vais pas nier une certaine suite dans l’histoire. Sans l’invention de la machine à vapeur, toute l’histoire était autre ; non seulement l’économie, mais les idées ; non seulement les idées, mais les mœurs. (...) Une concentration des ateliers, une vie ouvrière tout autre, un genre de corruption jusque là inconnu, et d’un autre côté une nouvelle manière d’exploiter. Aux filatures anglaises, les enfants furent d’abord vendus. Il fallut un effort des législateurs, et un effort des exploités, pour arriver seulement à empêcher les suites funestes d’une brillante invention. (...) Toute invention nouvelle doit donc être prise comme une avalanche qui menace ; il s’agit de remonter la pente et de se sauver de l’avion comme de la légion romaine. Qu’il y ait eu abus de l’un et de l’autre, on ne peut le nier. (...)

    Le progrès ne consiste donc pas à prendre seulement passage sur le bateau le plus moderne, et à s’y fier. Au contraire, il faut s’en défier autant que de la hache de Clovis, dont le coup s’achève par la pesanteur. Au lieu que la pesanteur ne nous aide jamais à pardonner, jamais à instruire, jamais à respecter. Chaque matin, il faut remonter l’homme, et vaincre la fatalité toute la journée, c’est à dire vaincre la peur, la colère et la cruauté, fille de l’une et de l’autre. Ne rêvons pas d’une civilisation qui se ferait sans nous et se garderait sans nous.

    Qu’est-ce qu’une suite dans l’histoire ?

    Par quoi sont conditionnées les idées et les mœurs ?

    Est-ce un déterminisme qui nous laisse impuissants ?

    Quelles sont les suites funestes de la machine à vapeur ?

    Qu’exige le progrès ?

  • cf. Marx (XIII,8)



  • 12 Bachelard

    le Nouvel esprit scientifique

    L’esprit a une structure variable dès l’instant où la connaissance a une histoire. En effet, l’histoire humaine peut bien, dans ses passions, dans ses préjugés, dans tout ce qui relève des impulsions immédiates, être un éternel recommencement ; mais il y a des pensées qui ne recommencent pas ; ce sont les pensées qui ont été rectifiées, élargies, complétées. Elles ne retournent pas à leur aire restreinte ou chancelante. Or l’esprit scientifique est essentiellement une rectification du savoir, un élargissement des cadres de la connaissance. Il juge son passé historique en le condamnant. Sa structure est la conscience de ses fautes historiques. Scientifiquement, on pense le vrai comme rectification historique d’une longue erreur, on pense l’expérience comme rectification de l’illusion commune et première. Toute la vie intellectuelle de la science joue dialectiquement sur cette différentielle de la connaissance, à la frontière de l’inconnu. L’essence même de la réflexion, c’est de comprendre qu’on n’avait pas compris.

    Les hommes ont-ils toujours les mêmes passions ?

    Toutes les pensées ont-elles la même immobilité ?

    Comment une pensée en rectifie-t-elle une autre ?

    Qu’est-ce qu’élargir les cadres de la connaissance ?

    Les erreurs du passé sont-elles des fautes ?

    programme


    XIV Raison / réel



    1 Platon

    République, 518b-d

    - L’éducation n’est pas ce que certains la déclarent ; ils prétendent introduire la connaissance dans l’âme, où elle n’est pas, comme on donnerait la vue à des yeux aveugles.
    - C’est ce qu’ils disent, en effet.
    - Or, repris-je, notre raisonnement montre qu’existent en chaque âme la force d’apprendre et un organe propre à ce faire, et que, comme des yeux qui ne pourraient se tourner qu’avec le corps tout entier des ténèbres vers la lumière, c’est aussi avec l’âme tout entière que cet organe doit se détourner de ce qui devient, jusqu’à ce qu’il puisse supporter la vue de ce qui est et de ce qu’il y a de plus éclatant dans l’être ; et cela nous disons que c’est le bien, n’est-ce pas ?
    - Oui.
    - L’éducation est donc l’art du détournement de l’âme, et du moyen le plus facile et le plus efficace de la retourner ; elle ne consiste pas à donner la vue à l’organe qui l’a déjà ; mais parce qu’il est mal tourné et ne regarde pas où il faudrait, elle consacre tous ses efforts à le tourner dans la bonne direction.
    - Il le semble, dit-il.

    (trad. Dorion - La pensée de Platon n’est pas nécessairement engagée par les propos qu’il prête aux personnages de ses dialogues)

    Quel est le sens de l’opposition de ce qui est à ce qui devient ?

    Vers lequel des deux une âme sans éducation est-elle tournée ?

    Ne faut-il pas introduire la connaissance dans l’âme où elle n’est pas ?

    Eduque-t-on en détournant l’organe seul de la connaissance ?

    Outre celui-ci qu’y a-t-il dans l’âme ?

    -> un éclairage



    2 Platon

    République, 598b-d

    - Maintenant, examine ceci : lequel de ces deux buts la peinture se donne-t-elle relativement à ses objets ? est-ce d’imiter ce qui est comme il est, ou ce qui apparaît comme il apparaît ? Est-elle l’imitation de l’apparence ou de la vérité ?
    - De l’apparence.
    - L’imitation est donc loin du vrai, et si elle fabrique toute chose, c’est, semble-t-il, parce qu’elle ne s’applique qu’à une petite part de chacune, qui n’en est que l’image. Le peintre, dirons-nous par exemple, nous peindra un cordonnier, un charpentier ou n’importe quel autre artisan sans aucune connaissance de son art ; et cependant, s’il est bon peintre, ayant peint un charpentier et le montrant de loin, il trompera les enfants et les hommes sans raison, parce qu’il lui aura donné l’apparence d’un charpentier véritable.
    - Certainement.
    - Mais, mon ami, voici, je crois, ce qu’il faut penser de tout cela. Lorsqu’on vient nous annoncer qu’on a trouvé un homme qui connaît tous les métiers, qui connaît tout ce qui concerne chacun mieux que l’homme de l’art, il faut lui dire qu’il est naïf, et que vraisemblablement il a rencontré un charlatan et un imitateur, qui lui a fait l’impression d’être savant en tout, parce qu’il était lui-même incapable de distinguer la science, l’ignorance et l’imitation.
    - C’est très vrai, dit-il.

    (trad. Dorion - La pensée de Platon n’est pas nécessairement engagée par les propos qu’il prête aux personnages de ses dialogues)

    En quel sens l’image n’est-elle qu’une petite part de la chose ?

    Pourquoi l’image est-elle trompeuse ?

    Est-ce de la peinture que veut parler l’auteur ?

    Quel est l’homme qui prétend connaître tous les métiers ?

    Qui veut-il tromper ? Comment l’en empêcher ?

    -> un éclairage

  • cf. Platon (XI,1)



  • 3 Aristote

    Physique, VIII 256a

    Tout moteur meut quelque chose, et il meut le mobile au moyen de quelque chose qu’il emploie pour agir. Mais le moteur meut ce mobile, auquel il donne le mouvement, soit par lui-même soit par quelque intermédiaire. Ainsi, l’homme meut directement la pierre, ou il la meut par le moyen de son bâton ; le vent fait directement tomber quelque chose, ou cette chose tombe sous le coup de la pierre que le vent a chassée. Or il est impossible qu’il y ait jamais un mouvement sans un moteur qui meuve par lui-même l’intermédiaire, par lequel il transmet le mouvement au mobile ; et s’il meut par lui-même le mobile, il n’y a pas besoin d’un autre intermédiaire par lequel il lui soit possible de mouvoir. S’il y a un intermédiaire de ce genre, il faut toujours un moteur qui donne le mouvement lui-même sans le recevoir d’un autre ; car autrement on irait à l’infini et l’on s’y perdrait.

    En arrivant à un mobile qui est moteur sans être mû lui-même, il n’y a plus de série à l’infini, et l’on a le premier moteur qu’on cherchait. En effet, le bâton donne le mouvement parce qu’il est mû lui-même par la main, et c’est alors la main qui meut le bâton ; mais si l’on suppose qu’il y a encore quelque autre cause qui se sert de la main pour communiquer le mouvement, il faut que ce nouveau moteur soit différent de la main ; et toutes les fois qu’il y a un moteur qui communique lui-même le mouvement par un intermédiaire, il est clair qu’il faut arriver à un moteur qui meuve par lui-même et qui donne le mouvement qu’il ne reçoit pas. Mais si le moteur est mis en mouvement sans que ce soit un autre que lui-même qui le meuve, il faut bien que le moteur alors se meuve lui-même et spontanément. Ainsi on doit conclure que le mobile est mû par un moteur qui se meut lui-même, ou du moins qu’il faut toujours remonter jusqu’à un moteur de ce genre.

    (trad. Barthélemy-Saint Hilaire)

    Par quoi le mobile est-il mû ?

    Ce qui meut le mobile peut-il être lui-même mû ?

    Pourquoi faut-il trouver finalement un moteur non mû ?

    Trouve-t-on dans la nature un moteur qui se meut par lui-même ?

    Sinon quelle est la nature de ce concept ?



    4 Thomas d’Aquin

    Somme théologique, I, qu 12

    Le genre de la connaissance dépend de la nature de la chose connaissante. Or notre âme, aussi longtemps que nous restons en cette vie, existe dans la matière corporelle. C’est pourquoi elle ne connaît naturellement que les choses qui ont une forme matérielle, ou qui peuvent se connaître par ce genre de connaissance. Mais il est manifeste que l’essence divine ne peut être connue par la nature des choses matérielles. La connaissance de Dieu par sa comparaison avec une quelconque chose créée n’est pas une vision de Dieu. Par conséquent il est impossible à l’âme de l’homme, tant qu’elle est dans cette vie, de voir l’essence de Dieu. Et la preuve en est que notre âme est d’autant plus capable de comprendre les choses abstraites qu’elle s’abstrait davantage des choses corporelles. C’est pourquoi on perçoit plus de révélations divines et d’annonces de l’avenir dans les songes et les délires des sens. Il ne se peut donc pas faire que l’âme s’élève jusqu’au suprême intelligible, qui est l’essence divine, dans le temps de sa vie mortelle. (...)

    Notre connaissance naturelle a son principe dans les sens, elle ne peut donc s’étendre qu’aussi loin que peuvent la mener les sensibles. Mais des sensibles, notre intelligence ne peut pas aller jusqu’à accéder à la vision de l’essence divine, parce que les créatures sensibles sont les effets de Dieu, et n’égalent pas la puissance de leur cause. En partant de la connaissance des sensibles on ne peut donc pas connaître toute la puissance de Dieu, ni par conséquent voir son essence. Mais parce que ses effets sont dépendants de la cause, partant d’eux nous pouvons être conduits à connaître de Dieu qu’il est, et à connaître de lui ce qu’il faut nécessairement lui reconnaître, en tant que cause première de tout, dépassant toutes ses créatures. Nous connaissons donc ce qu’il est relativement à ses créatures, à savoir qu’il est cause de toutes, et ce qui le distingue de ses créatures, à savoir qu’il n’est pas de ces choses qu’il a créées, et qu’elles ne sont pas éloignées de lui par son manque, mais parce qu’il les dépasse.

    (trad. Dorion)

    Quel est le principe de la connaissance naturelle humaine ?

    Qu’est-ce qui s’oppose à ce que l’âme humaine voie l’essence de Dieu ?

    Comment l’âme s’abstrait-elle des choses corporelles ?

    Quel est le rapport de Dieu aux choses sensibles ?

    L’âme humaine peut-elle connaître quelque chose de Dieu ?

    -> une explication

  • cf. Maïmonide (XIX,3)



  • 5 Galilée

    L’Essayeur

    Je dois à nouveau m’étonner que S. persiste à vouloir me prouver par des témoignages ce que l’expérience me permet de constater à tout instant. Il faut examiner les témoignages dans les choses douteuses, passées et occasionnelles, non dans celles qui se proposent à présent dans les faits. Ainsi s’il est nécessaire que le juge cherche par voie de témoignage à savoir s’il est vrai que la nuit dernière c’est Pierre qui a blessé Jean, quant à savoir si Jean est blessé, il peut le voir et en établir le constat. Mais j’irai plus loin : relativement aux conclusions auxquelles on ne peut parvenir que par la voie de la raison, j’attacherai moins de prix au témoignage du grand nombre qu’à celui du petit, parce que je suis certain que ceux qui raisonnent bien dans les choses difficiles sont beaucoup moins nombreux que ceux qui raisonnent mal. Si le raisonnement dans un problème difficile consistait en quelque chose comme de porter une charge, comme il est vrai que plusieurs chevaux transporteront plus de sacs de blé qu’un cheval seul, j’accorderais que beaucoup de raisonnements feraient plus qu’un seul. Mais le raisonnement (discorrere) a plus de rapport avec le sport (correre) qu’avec le transport et un cheval de course seul courra mieux que cent chevaux de somme. Aussi lorsque S. en appelle à une multitude d’auteurs, il ne me paraît pas qu’il renforce sa conclusion, mais au contraire qu’il accrédite la nôtre en montrant que nous avons raisonné mieux qu’un grand nombre d’hommes de réputation.

    (trad. Dorion)

    Où le témoignage a-t-il une valeur ?

    Prouve-t-il quelque chose ?

    Où il est vain ne se retourne-t-il pas ?

    Si ce n’est pas sur le témoignage, sur quoi le raisonnement s’appuie-t-il ?

    Quel rapport a-t-il avec la course ?



    6 Descartes

    Discours de la méthode, I

    Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée : car chacun pense en être si bien pourvu, que ceux même qui sont les plus difficiles à contenter en toute autre chose n’ont point coutume d’en désirer plus qu’ils en ont. En quoi il n’est pas vraisemblable que tous se trompent ; mais plutôt cela témoigne que la puissance de bien juger et de distinguer le vrai d’avec le faux, qui est proprement ce qu’on nomme le bon sens ou la raison, est naturellement égale en tous les hommes ; et ainsi que la diversité de nos opinions ne vient pas de ce que les uns sont plus raisonnables que les autres, mais seulement de ce que nous conduisons nos pensées par diverses voies, et ne considérons pas les mêmes choses. Car ce n’est pas assez d’avoir l’esprit bon, mais le principal est de l’appliquer bien. Les plus grandes âmes sont capables des plus grands vices aussi bien que des plus grandes vertus, et ceux qui ne marchent que fort lentement peuvent avancer beaucoup davantage, s’ils suivent toujours le droit chemin, que ne font ceux qui courent et qui s’en éloignent.

    Pour moi je n’ai jamais présumé que mon esprit fût en rien plus parfait que ceux du commun ; et même j’ai souhaité d’avoir la pensée aussi prompte, ou l’imagination aussi nette et distincte, ou la mémoire aussi ample ou aussi présente, que quelques autres. Et je ne sache point de qualités que celles-ci qui servent à la perfection de l’esprit : car pour la raison ou le sens, d’autant qu’elle est la seule chose qui nous rend hommes et nous distingue des bêtes, je veux croire qu’elle est tout entière en un chacun.

    Tous les hommes sont-ils également doués de raison ?

    Comment celle-ci est-elle définie ?

    Comment s’explique la diversité des opinions ?

    La raison est-elle une qualité de l’esprit ?

    Qu’est-ce que le droit chemin dans la conduite de la raison ?

    -> une explication

  • cf. Platon (XIV,1)



  • 7 Spinoza

    Traité de la réforme de l’entendement

    Pour trouver la meilleure méthode de recherche de la vérité, nous n’aurons pas besoin d’une méthode par laquelle nous rechercherions cette méthode de recherche, et pour rechercher cette seconde méthode nous n’aurons pas besoin d’une troisième et ainsi de suite à l’infini ; car de cette façon nous ne parviendrions jamais à la connaissance de la vérité ni même à aucune connaissance. Il en est de cela tout de même que des instruments matériels, lesquels donneraient lieu à pareil raisonnement. Pour forger le fer en effet, on a besoin d’un marteau et pour avoir un marteau il faut le faire ; pour cela un autre marteau, d’autres instruments sont nécessaires et, pour avoir ces instruments, d’autres encore et ainsi de suite à l’infini ; par où l’on pourrait s’efforcer vainement de prouver que les hommes n’ont aucun pouvoir de forger le fer. En réalité les hommes ont pu, avec les instruments naturels, venir à bout, bien qu’avec peine et imparfaitement, de certaines besognes très faciles. Les ayant achevées, ils en ont exécuté de plus difficiles avec une peine moindre et plus parfaitement et, allant ainsi par degrés des travaux les plus simples aux instruments, de ces instruments à d’autres travaux et d’autres instruments, par un progrès constant, ils sont parvenus enfin à exécuter tant d’ouvrages et de si difficiles avec très peu de peine. De même l’entendement avec sa puissance native, se façonne des instruments intellectuels par lesquels il accroît ses forces pour accomplir d’autres œuvres intellectuelles ; de ces dernières il tire d’autres instruments, c’est-à-dire le pouvoir de pousser plus loin sa recherche, et il continue ainsi à progresser jusqu’à ce qu’il soit parvenu au faîte de la sagesse. Qu’il en soit ainsi pour l’entendement, on le verra aisément, pourvu que l’on comprenne en quoi consiste la méthode de recherche de la vérité, et quels sont ces instruments naturels par la seule aide desquels il en façonne d’autres lui permettant d’aller de l’avant.

    (trad. Appuhn)

    La recherche de la vérité peut-elle se faire sans méthode ?

    La méthode est-elle donnée ?

    Une méthode du marteau a-t-elle dû précéder la forge ?

    Existe-t-il des instruments intellectuels comparables aux instruments matériels ?

    La puissance de l’entendement est-elle limitée ?



    8 Pascal

    Traité du vide, Préface

    On fait un crime de contredire (les anciens) et un attentat d’y ajouter, comme s’ils n’avaient plus laissé de vérités à connaître. N’est-ce pas indignement traiter la raison de l’homme, et la mettre en parallèle avec l’instinct des animaux, puisqu’on en ôte la principale différence, qui consiste en ce que les effets du raisonnement augmentent sans cesse, au lieu que l’instinct demeure toujours dans un état égal ? Les ruches des abeilles étaient aussi bien mesurées il y a mille ans qu’aujourd’hui, et chacune d’elles forme cet hexagone aussi exactement la première fois que la dernière. Il en est de même de tout ce que les animaux produisent par ce mouvement occulte. La nature les instruit à mesure que la nécessité les presse ; mais cette science fragile se perd avec les besoins qu’ils en ont : comme ils la reçoivent sans étude, ils n’ont pas le bonheur de la conserver ; et toutes les fois qu’elle leur est donnée, elle leur est nouvelle, puisque, la nature n’ayant pour objet que de maintenir les animaux dans un ordre de perfection bornée, elle leur inspire cette science nécessaire, toujours égale, de peur qu’ils ne tombent dans le dépérissement, et ne permet pas qu’ils y ajoutent, de peur qu’ils ne passent les limites qu’elle leur a prescrites. Il n’en est pas de même de l’homme, qui n’est produit que pour l’infinité. Il est dans l’ignorance au premier âge de sa vie ; mais il s’instruit sans cesse dans son progrès : car il tire avantage non seulement de sa propre expérience, mais encore de celle de ses prédécesseurs, parce qu’il garde toujours dans sa mémoire les connaissances qu’il s’est une fois acquises, et que celles des anciens lui sont toujours présentes dans les livres qu’ils ont laissés. Et comme il conserve ces connaissances, il peut aussi les augmenter facilement.

    Comment la raison se distingue-t-elle de l’instinct ?

    Que signifie que les animaux produisent par un mouvement occulte ?

    La nature destine-t-elle l’homme à une perfection bornée ?

    Par quelles voies accroît-il ses connaissances ?

    Contredit-il légitimement les anciens ?



    9 Leibniz

    Nouveaux Essais, Livre III, ch 3, § 6

    Quelque paradoxal que cela paraisse, il est impossible à nous d’avoir la connaissance des individus et de trouver le moyen de déterminer exactement l’individualité d’aucune chose, à moins que de la garder elle-même ; car toutes les circonstances peuvent revenir ; les plus petites différences nous sont insensibles ; le lieu ou le temps, bien loin de déterminer d’eux-mêmes, ont besoin eux-mêmes d’être déterminés par les choses qu’ils contiennent. Ce qu’il y a de plus considérable en cela est que l’individualité enveloppe l’infini, et il n’y a que celui qui est capable de le comprendre qui puisse avoir la connaissance du principe d’individuation d’une telle ou telle chose, ce qui vient de l’influence (à l’entendre sainement) de toutes les choses de l’univers les unes sur les autres. Il est vrai qu’il n’en serait point ainsi s’il y avait des atomes de Démocrite ; mais aussi il n’y aurait point alors de différence entre deux individus différents de la même figure et de la même grandeur.

    Comment se définissent les atomes de Démocrite ?

    Existent-ils ?

    Les plus petites différences entre les individus nous sont-elles sensibles ?

    Pourquoi est-il paradoxal que la connaissance des individus soit impossible ?

    Quel est le fondement du principe d’individuation ?

  • cf. Platon (XIX,1)



  • 10 Malebranche

    de la Recherche de la vérité, 10e éclaircissement

    Je vois par exemple que 2 fois 2 font 4, et qu’il faut préférer son ami à son chien, et je suis certain qu’il n’y a point d’homme au monde qui ne le puisse voir aussi bien que moi. Or je ne vois point ces vérités dans l’esprit des autres, comme les autres ne les voient point dans le mien. Il est donc nécessaire qu’il y ait une raison universelle qui m’éclaire et tout ce qu’il y a d’intelligence. Car si la raison que je consulte n’était pas la même qui répond aux Chinois, il est évident que je ne pourrais pas être aussi assuré que je le suis, que les Chinois voient les mêmes vérités que je vois. Ainsi la raison que nous consultons quand nous rentrons dans nous-mêmes, est une raison universelle. Je dis quand nous rentrons dans nous-mêmes, car je ne parle pas ici de la raison que suit un homme passionné. Lorsqu’un homme préfère la vie de son cheval à celle de son cocher, il a ses raisons, mais ce sont des raisons particulières dont tout homme raisonnable a horreur. Ce sont des raisons qui dans le fond ne sont pas raisonnables, parce qu’elles ne sont pas conformes à la souveraine raison, ou à la raison universelle que tous les hommes consultent

    Où vois-je que 2 fois 2 font 4 ?

    Comment cette vérité y a-t-elle été mise ?

    Les Chinois la voient-ils aussi ?

    Comment peut-on, par suite, qualifier la raison ?

    Que valent les autres raisons ?



    11 Rousseau

    Discours sur les sciences et les arts

    Si la culture des sciences est nuisible aux qualités guerrières, elle l’est encore plus aux qualités morales. C’est dès nos premières années qu’une éducation insensée orne notre esprit et corrompt notre jugement. Je vois de toutes parts des établissements immenses, où l’on élève à grands frais la jeunesse pour lui apprendre toutes choses, excepté ses devoirs. Vos enfants ignoreront leur propre langue, mais ils en parleront d’autres qui ne sont en usage nulle part : ils sauront composer des vers qu’à peine ils pourront comprendre : sans savoir démêler l’erreur de la vérité, ils posséderont l’art de les rendre méconnaissables aux autres par des arguments spécieux : mais ces mots de magnanimité, de tempérance, d’humanité, de courage, ils ne sauront ce que c’est ; ce doux nom de patrie ne frappera jamais leur oreille ; et s’ils entendent parler de Dieu, ce sera moins pour le craindre que pour en avoir peur. J’aimerais autant, disait un sage, que mon écolier eût passé le temps dans un jeu de paume, au moins le corps en serait plus dispos. Je sais qu’il faut occuper les enfants, et que l’oisiveté est pour eux le danger le plus à craindre. Que faut-il donc qu’ils apprennent ? Voilà certes une belle question ! Qu’ils apprennent ce qu’ils doivent faire étant hommes ; et non ce qu’ils doivent oublier.

    Quelle est la priorité d’une éducation sensée ?

    Que sont la magnanimité, la tempérance, l’humanité, le courage ?

    Quelle différence y a-t-il entre craindre Dieu et en avoir peur ?

    Quelles sont les sciences évoquées par l’auteur ?

    Les hommes doivent-ils les oublier ?

  • cf. Platon (XIV,1)



  • 12 Hegel

    la Phénoménologie de l’Esprit, préface

    Il paraît particulièrement nécessaire de faire de nouveau de la philosophie une affaire sérieuse. Pour toutes les sciences, les arts, les talents, les techniques prévaut la conviction qu’on ne les possède pas sans se donner la peine et sans faire l’effort de les apprendre et de les pratiquer. Si quiconque ayant des yeux et des doigts, à qui on fournit du cuir et un instrument, n’est pas pour cela en mesure de faire des souliers, de nos jours domine le préjugé selon lequel chacun sait immédiatement philosopher et apprécier la philosophie puisqu’il possède l’unité de mesure nécessaire dans sa raison naturelle - comme si chacun ne possédait pas aussi dans son pied la mesure d’un soulier -. Il semble que l’on fait consister proprement la possession de la philosophie dans le manque de connaissances et d’études, et que celles-ci finissent quand la philosophie commence.

    (...) Puisque le sens commun fait appel au sentiment, son oracle intérieur, il rompt tout contact avec qui n’est pas de son avis, il est ainsi contraint d’expliquer qu’il n’a rien d’autre à dire à celui qui ne trouve pas et ne sent pas en soi-même la même vérité ; en d’autres termes, il foule aux pieds la racine de l’humanité, car la nature de l’humanité c’est de tendre à l’accord mutuel ; son existence est seulement dans la communauté instituée des consciences. Ce qui est antihumain, c’est ce qui est seulement animal, c’est de s’enfermer dans le sentiment et de ne pouvoir se communiquer que par le sentiment.

    (trad. Hyppolite)

    Quelle est l’unité de mesure nécessaire au cordonnier ?

    Sa possession suffit-elle à faire le cordonnier ?

    Quelle est l’unité de mesure de la philosophie ?

    Que substitue-t-on, faute d’étude, à la philosophie ?

    Qu’est-ce qui permet de tendre à l’accord mutuel ?

  • cf. Descartes (XIV,6)



  • 13 Hegel

    ???

    La démarche mise en œuvre dans la familiarisation avec une philosophie riche en contenu n’est bien aucune autre que l’apprentissage. La philosophie doit nécessairement être enseignée et apprise, aussi bien que toute autre science. Le malheureux prurit qui incite à éduquer en vue de l’acte de penser par soi-même et de produire en propre, a rejeté dans l’ombre cette vérité - comme si, quand j’apprends ce que c’est que la substance, la cause, ou quoi que ce soit, je ne pensais pas moi-même, comme si je ne produisais pas moi-même ces déterminations dans ma pensée, et si elles étaient jetées en celle-ci comme des pierres ! - comme si, encore, lorsque je discerne leur vérité, je n’acquérais pas moi-même ce discernement, je ne me persuadais pas moi-même de ces vérités ! - comme si, une fois que je connais bien le théorème de Pythagore et sa preuve, je ne savais pas moi-même cette proposition et ne prouvais pas moi-même sa vérité ! Autant l’étude philosophique est en et pour soi une activité personnelle, tout autant est-elle un apprentissage - l’apprentissage d’une science déjà existante, formée.

    [...] La représentation originelle, propre, que la jeunesse a des objets essentiels, est, pour une part, encore tout à fait indigente et vide, et, pour une autre part, en son infiniment plus grande partie, elle n’est qu’opinion, illusion, demi-pensée, pensée boiteuse et indéterminée. Grâce à l’apprentissage, la vérité vient prendre la place de cette pensée qui s’illusionne.

    (trad. ?)

    Que pense-t-on sans apprentissage ?

    L’apprentissage empêche-t-il de penser par soi-même ?

    Un théorème appris est-il en la pensée comme une pierre dans une mare ?

    Pourquoi une représentation est-elle indigente et vide  ?

    Qu’est-ce qu’une pensée indéterminée ?



    14 Marx

    l’Idéologie allemande

    Les pensées de la classe dominante sont aussi, à toutes les époques, les pensées dominantes, autrement dit la classe qui est la puissance matérielle dominante de la société est aussi la puissance dominante spirituelle. La classe qui dispose des moyens de la production matérielle dispose, du même coup, des moyens de la production intellectuelle, si bien que, l’un dans l’autre, les pensées de ceux à qui sont refusés les moyens de production intellectuelle sont soumises du même coup à cette classe dominante. Les pensées dominantes ne sont pas autre chose que l’expression idéale des rapports matériels dominants, elles sont ces rapports matériels dominants saisis sous forme d’idées, donc l’expression des rapports qui font d’une classe la classe dominante ; autrement dit, ce sont les idées de sa domination. Les individus qui constituent la classe dominante possèdent, entre autres choses, également une conscience, et en conséquence ils pensent ; pour autant qu’ils dominent en tant que classe et déterminent une époque historique dans toute son ampleur, il va de soi que ces individus dominent dans tous les sens et qu’ils ont une position dominante, entre autres, comme êtres pensants aussi, comme producteurs d’idées, qu’ils règlent la production et la distribution des pensées de leur époque ; leurs idées sont donc les idées dominantes de leur époque.

    (trad. marxists.org)

    Qu’est-ce que la domination matérielle ?

    Quels en sont les moyens ?

    Quels sont les moyens de la production intellectuelle ?

    Qu’est-ce que l’expression idéale des rapports etc ?

    Qu’est-ce que la production et la distribution des pensées ?

    -> un éclairage



    15 Marx

    Lettre, 09/1843

    Non seulement une anarchie générale fait rage parmi nos réformateurs sociaux, mais chacun de nous devra bientôt s’avouer à lui-même qu’il n’a aucune idée exacte de ce que demain devra être. Au demeurant c’est là précisément le mérite de la nouvelle orientation : à savoir que nous n’anticipons pas sur le monde de demain par la pensée dogmatique, mais qu’au contraire nous ne voulons trouver le monde nouveau qu’au terme de la critique de l’ancien. Jusqu’ici les philosophes gardaient dans leur tiroir la solution de toutes les énigmes, et ce brave imbécile de monde exotérique n’avait qu’à ouvrir tout grand le bec pour que les alouettes de la Science absolue y tombent toutes rôties. La philosophie s’est sécularisée et la preuve la plus frappante en est que la conscience philosophique elle-même est impliquée maintenant dans les déchirements de la lutte non pas seulement de l’extérieur, mais aussi en son intérieur. Si construire l’avenir et dresser des plans définitifs pour l’éternité n’est pas notre affaire, ce que nous avons à réaliser dans le présent n’en est que plus évident ; je veux dire la critique radicale de tout l’ordre existant, radicale en ce sens qu’elle n’a pas peur de ses propres résultats, pas plus que des conflits avec les puissances établies.

    (trad. éditions sociales)

    Qui sont les réformateurs sociaux ?

    Comment déterminent-ils le monde de demain ?

    Qu’est-ce que garder dans son tiroir la solution des énigmes ?

    Qu’est-ce que la critique de l’ancien ?

    Comment peut-elle être radicale ?



    16 Nietzsche

    Fragments inédits

    Il y a des mots néfastes qui semblent exprimer une connaissance et qui en réalité font obstacle à la connaissance ; parmi eux le mot “apparence” ou “phénomène”. “L’apparence”, telle que je la comprends, est la véritable et l’unique réalité des choses, celle à qui conviennent tous les prédicats existants, et qui dans une certaine mesure ne saurait être mieux désignée que par l’ensemble de ces prédicats, y compris les prédicats contraires. Mais ce mot signifie simplement une réalité inaccessible aux procédés et aux distinctions logiques, donc une “apparence” par rapport à la “vérité logique”, laquelle n’est d’ailleurs possible que dans un monde imaginaire. Je ne pose pas “l’apparence” comme le contraire de la “réalité” ; j’affirme au contraire que l’apparence est la réalité, celle qui s’oppose à ce qu’on transforme le réel en un “monde vrai” imaginaire. Si l’on veut un nom précis pour cette réalité, ce pourrait être la “volonté de puissance”, ainsi désignée d’après sa réalité interne et non d’après sa nature protéiforme, insaisissable et fluide.

    (trad. Bianquis)

    A quoi oppose-t-on l’apparence ?

    Qu’est-ce qu’une vérité logique ?

    A quel monde appartient-elle ?

    Qu’est-ce qu’une réalité protéiforme etc ?

    Que signifie qu’elle a des prédicats contraires ?

    -> une explication

  • cf. Platon (XIV,2)



  • 17 Langevin

    in l’Evolution humaine, Préface

    Les notions qui seront nécessaires pour représenter le monde infra-atomique ou intra-nucléaire et qui sont déjà contenues en puissance sous une forme abstraite et probablement encore approximative dans ce que nous appelons les équations de la mécanique ondulatoire, seront profondément différentes de celles qui ont réussi dans le domaine macroscopique auquel nous sommes habitués (...)

    Ce résultat, qui semble général à mesure que la physique progresse, n’est au demeurant pas très surprenant, puisque les notions dont nous nous servons pour représenter les choses familières sont issues d’un contact ancestral et lointain avec elles. A mesure que le perfectionnement de nos techniques expérimentales nous permet de pénétrer dans de nouveaux domaines, nous nous apercevons que les idées construites par l’esprit de nos ancêtres pour interpréter l’expérience ancienne ne s’adaptent pas aux données nouvelles d’une expérience toujours plus subtile et plus profonde. Dans chaque domaine de la science, comme dans son ensemble, les notions qui nous semblent d’abord les plus simples parce qu’elles sont les plus familières doivent faire place à d’autres, à mesure que la synthèse s’élargit et nous apparaissent souvent comme les plus complexes et les moins capables d’être utilisées comme base générale d’explication (...)

    A travers ce processus dialectique dans lequel on se trouve en présence d’aspects en apparence contradictoires de la réalité et où la contradiction traduit simplement l’insuffisance des notions acquises, se poursuit inlassablement un effort de synthèse toujours plus haute qui exige l’élargissement ou le remplacement des abstractions anciennes.

    Quelles différences d’échelle s’imposent-elles au physicien ?

    Peut-on croire que les notions qui valent à une échelle valent aussi à l’autre ?

    Quelles notions ont-elles été construites pour l’expérience macroscopique ?

    Les notions familières sont-elles réellement simples ?

    A quoi pousse la contradiction entre les notions familières et l’échelle infra-nucléaire ?

  • cf. Spinoza (XIV,7); Langevin (XV,14)



  • 18 Alain

    Propos, 27/12/1934

    Il ne faut pas orienter l’instruction d’après les signes d’une vocation. D’abord parce que les préférences peuvent tromper. Et aussi parce qu’il est toujours bon de s’instruire de ce qu’on n’aime pas savoir. Donc contrariez les goûts, d’abord et longtemps. Celui-là n’aime que les sciences ; qu’il travaille donc l’histoire, le droit, les belles-lettres ; il en a besoin plus qu’un autre. Et au contraire, le poète, je le pousse aux mathématiques et aux tâches manuelles. Car tout homme doit être pris premièrement comme un génie universel ; ou alors il ne faut même pas parler d’instruction ; parlons d’apprentissage. Et je suis sûr que le rappel, même rude, à la vocation universelle de juger, de gouverner et d’inventer, est toujours le meilleur tonique pour un caractère. Cela lui donnera cette précieuse constance qui vient de ce qu’on ne croit jamais avoir mal choisi, et de ce qu’on juge digne de soi de pouvoir beaucoup dans n’importe quel métier. (...) L’homme est tellement au-dessus de ce qu’il fait ; gardons-lui cette place.

    Pourquoi contrarier les goûts ?

    Comment la raison est-elle (implicitement) définie ?

    Sous quelle condition son rapport au réel peut-il être instruction ?

    Quelle différence y a-t-il entre celle-ci et l’apprentissage ?

    Quelle place est-elle reconnue à l’homme ?

  • cf. Platon (XIV,1); Rousseau (XIV,11)



  • 19 Alain

    Préliminaires à la mythologie

    Pour celui qui n’explique pas le monde d’après l’expérience du travail et de la mesure des travaux, tout est vision et tout est faux. Le spectacle du ciel est faux, tant que je ne l’explique pas par des lois mécaniques ; mais quand j’ai formé le système solaire selon la liaison des forces et des travaux, le spectacle apparent est vrai ; car d’où je suis, et ayant des yeux comme j’ai, je ne puis que voir le soleil se lever et se coucher, et tout le système des étoiles tourner autour de notre terre. Et cela revient à dire que l’expérience, c’est à-dire le simple fait d’être au monde, nous met en présence d’apparences vraies, mais qui peuvent être la source des connaissances les plus fausses. Et le type le plus commun, peut-être même unique, de nos erreurs, consiste à croire qu’une apparence peut revenir en quelque sorte séparée, c’est-à-dire sans les conditions et liaisons qui la font réelle. Et l’enfant, qui n’a pas l’idée de cette liaison des choses ni de la loi des travaux, est disposé à croire que n’importe quoi va se montrer.

    Qu’est-ce qu’une vision ?

    Est-il vrai que le soleil se lève et se couche ?

    Puis-je, d’où je suis, ne pas le voir se lever et se coucher ?

    En quel sens les apparences sont-elles vraies ?

    Comment puis-je échapper aux visions ?

  • cf. Platon (XI,1 & XV,1)



  • 20 Bachelard

    la Formation de l’esprit scientifique

    Quand on cherche les conditions psychologiques des progrès de la science, on arrive bientôt à cette conviction que c’est en termes d’obstacles qu’il faut poser le problème de la connaissance scientifique. Et il ne s’agit pas de considérer des obstacles externes, comme la complexité et la fugacité des phénomènes, ni d’incriminer la faiblesse des sens et de l’esprit humain : c’est dans l’acte même de connaître, intimement, qu’apparaissent, par une sorte de nécessité fonctionnelle, des lenteurs et des troubles. C’est là que nous montrerons des causes de stagnation et même de régression, c’est là que nous décèlerons des causes d’inertie que nous appellerons des obstacles épistémologiques. La connaissance du réel est une lumière qui projette toujours quelque part des ombres. Elle n’est jamais immédiate et pleine. Les révélations du réel sont toujours récurrentes. Le réel n’est jamais “ce qu’on pourrait croire” mais il est toujours ce qu’on aurait dû penser. La pensée empirique est claire, après coup, quand l’appareil des raisons a été mis au point. En revenant sur un passé d’erreurs, on trouve la vérité en un véritable repentir intellectuel. En fait on connaît contre une connaissance antérieure, en détruisant des connaissances mal faites, en surmontant ce qui, dans l’esprit même, fait obstacle à la spiritualisation.

    Qu’est-ce que la pensée empirique ? l’appareil des raisons ?

    Que signifie qu’une lumière projette des ombres ?

    Est-il légitime d’incriminer la faiblesse des sens et de l’esprit humain ?

    Sont-ce des obstacles externes qui s’opposent au progrès de la science ?

    Le progrès de la science est-il cumulatif ?

  • cf. Pascal (XV,6)

  • programme


    XV Théorie / expérience



    1 Platon

    République, 601d-602a

    - De toute chose il y a trois arts : celui qui en use, celui qui la fabrique et celui qui l’imite.
    - Oui.
    - Eh bien, la vertu, la beauté, la perfection d’un instrument, d’un animal, d’un acte, se détermine-t-il par rien d’autre que l’usage auquel chacun est destiné par l’art ou par la nature ?
    - Par rien d’autre.
    - Il est donc absolument nécessaire que celui qui use d’une chose soit le plus expérimenté, et qu’il vienne exposer à celui qui la fabrique ce qu’il y a de bon et ce qu’il y a de mauvais à l’usage de ce dont il use. Par exemple, au sujet de la flûte le flûtiste expose au fabricant des flûtes dont il joue comment il doit les fabriquer, et celui-ci obéit.
    - Sans doute.
    - Donc, celui qui sait expose sur les flûtes ce qui est bon ou mauvais, et l’autre les fabrique en se fiant à lui.
    - Oui.
    - Ainsi, sur le même instrument, le fabricant a, quant à ce qui est bon ou mauvais, une croyance juste, parce qu’il la tient de celui qui sait, et qu’il est contraint d’écouter celui qui sait ; mais le savoir, c’est celui qui use de l’instrument qui l’a.
    - Parfaitement.
    - Et celui qui imite, tient-il un savoir de l’usage des choses qu’il peint, si elles sont belles et correctes ou non, ou s’en fait-il une opinion juste, la tenant par nécessité de celui qui sait, qui lui prescrit comment les peindre ?
    - Ni l’un, ni l’autre.
    - Celui qui imite n’a donc ni savoir ni opinion juste de la beauté ou du défaut des choses qu’il peint.
    - Il semble que non.

    (trad. Dorion - La pensée de Platon n’est pas nécessairement engagée par les propos qu’il prête aux personnages de ses dialogues)

    Qu’est-ce que l’art d’user ? Pourquoi règle-t-il l’art de fabriquer ?

    Quel rapport ont la croyance juste et le savoir ?

    N’y a-t-il d’imitateur que celui qui fait une peinture ?

    Quel est le but de l’art d’imiter ?

    Quel est le fondement du savoir ?

    -> une explication

  • cf. Platon (XI,1)



  • 2 Aristote

    Seconds analytiques, II 99b-100a

    Ainsi, il faut nécessairement que nous ayons quelque puissance d’acquérir les principes, sans que cependant cette faculté possédée par nous soit supérieure en exactitude aux principes eux-mêmes. Or c’est là en effet ce qui semble se retrouver dans tous les animaux ; ils ont tous cette puissance innée de juger que l’on appelle sensibilité. La sensibilité étant une faculté innée de tous les animaux, elle est chez quelques-uns accompagnée de la persistance de la sensation, et chez certains autres elle ne l’est pas. Pour ceux en qui cette persistance n’a point lieu, la connaissance, soit d’une manière générale, soit du moins dans les cas où la perception est aussitôt effacée, ne va point en eux au-delà de la sensation même. D’autres, au contraire, conservent après la sensation quelque chose dans l’âme ; et beaucoup d’animaux sont ainsi constitués. Mais il y a toutefois entre eux cette différence que, dans les uns se forme la raison par cette persistance des sensations, et que dans les autres la raison ne se forme pas. Ainsi donc la mémoire, comme nous le disons, vient de la sensation, et de la mémoire plusieurs fois répétée d’une même chose vient l’expérience ; car les souvenirs peuvent être numériquement très multipliés, mais l’expérience qu’ils forment est toujours une. De l’expérience, ou bien de tout l’universel qui s’est arrêté dans l’âme, unité qui outre les objets multiples subsiste toujours, et qui est une et identique dans tous ces objets, vient le principe de l’art et de la science : de l’art s’il s’agit de produire des choses ; de la science s’il s’agit de connaître les choses qui sont.

    (trad. Barthélemy-Saint Hilaire)

    Quelle définition l’auteur donne-t-il de la sensibilité ?

    Quelle définition donne-t-il de la mémoire ?

    A quelle condition la raison se forme-t-elle ?

    Quelle conception l’auteur se fait-il de l’expérience ?

    Comment l’universel peut-il être issu de l’expérience ?



    3 Descartes

    Discours de la méthode, IV

    Ce qui fait qu’il y en a plusieurs qui se persuadent qu’il y a de la difficulté à connaître (Dieu), et même aussi à connaître ce que c’est que leur âme, c’est qu’ils n’élèvent jamais leur esprit au-delà des choses sensibles et qu’ils sont tellement accoutumés à ne rien considérer qu’en l’imaginant, qui est une façon de penser particulière pour les choses matérielles, que tout ce qui n’est pas imaginable leur semble n’être pas intelligible. Ce qui est assez manifeste de ce que même les philosophes tiennent pour maxime, dans les écoles, qu’il n’y a rien dans l’entendement qui n’ait premièrement été dans les sens, où toutefois il est certain que les idées de Dieu et de l’âme n’ont jamais été. Et il me semble que ceux qui veulent user de leur imagination pour les comprendre font tout de même que si, pour ouïr les sons ou sentir les odeurs, ils se voulaient servir de leurs yeux ; sinon qu’il y a encore cette différence, que le sens de la vue ne nous assure pas moins de la vérité de ses objets que font ceux de l’odorat ou de l’ouïe ; au lieu que ni notre imagination ni nos sens ne nous sauraient jamais assurer d’aucune chose, si notre entendement n’y intervient.

    Comment l’imagination est-elle définie ?

    Quelle doctrine affirme ne trouver rien dans l’entendement qui n’ait premièrement été dans les sens ?

    Que sont les objets, de la vérité desquels nous assurent les sens ?

    Suffisent-ils à nous l’assurer ?

    Peuvent-ils de la même façon nous assurer de Dieu ou de l’âme ?

    -> une explication

  • cf. Platon (III,1); Aristote (XV,2); Thomas d’Aquin (XIV,4); Maïmonide (XIX,3)



  • 4 Spinoza

    Ethique, II 40 scolie 2

    Nous avons nombre de perceptions et formons des notions générales tirant leur origine : 1° des objets singuliers qui nous sont représentés par les sens d’une manière tronquée, confuse et sans ordre pour l’entendement ; pour cette raison j’ai accoutumé d’appeler de telles perceptions connaissance par expérience vague ; 2° des signes, par exemple de ce que, entendant ou lisant certains mots, nous nous rappelons des choses et en formons des idées semblables à celles par lesquelles nous imaginons les choses. J’appellerai par la suite l’un et l’autre modes de considérer connaissance du premier genre, opinion ou imagination ; 3° enfin, de ce que nous avons des notions communes et des idées adéquates des propriétés des choses, j’appellerai ce mode raison et connaissance du deuxième genre. Outre ces deux genres de connaissance, il y en a encore un troisième, comme je le montrerai dans la suite, que nous appellerons science intuitive. Et ce genre de connaissance procède de l’idée adéquate de l’essence formelle de certains attributs de Dieu à la connaissance adéquate de l’essence des choses. J’expliquerai tout cela par l’exemple d’une chose unique. On donne, par exemple, trois nombres pour en obtenir un quatrième qui soit au troisième comme le second au premier. Des marchands n’hésiteront pas à multiplier le second par le troisième et à diviser le produit par le premier, parce qu’ils n’ont pas encore laissé tomber dans l’oubli ce qu’ils ont appris de leurs maîtres sans nulle démonstration, ou parce qu’ils ont expérimenté ce procédé souvent dans le cas de nombres très simples, ou par la force de la démonstration de la proposition 19, livre VII d’Euclide, c’est-à-dire par la propriété commune des nombres proportionnels. Mais pour les nombres les plus simples aucun de ces moyens n’est nécessaire. Etant donné, par exemple, les nombres 1, 2, 3, il n’est personne qui ne voie que le quatrième proportionnel est 6, et cela beaucoup plus clairement, parce que de la relation même, que nous voyons d’un regard qu’a le premier avec le second, nous concluons le quatrième.

    (trad. Appuhn)

    Qu’est-ce que la connaissance du premier genre ? Est-elle fiable ?

    Sous quelle appellation le procédé des marchands est-il connu ?

    Comment procède la raison ?

    Comment comprendre les notions communes relativement aux notions générales ?

    Sur quoi se fonde la connaissance adéquate de l’essence des choses ?

    -> une explication



    5 Leibniz

    Nouveaux essais, Avant-propos

    Les sens, quoique nécessaires pour toutes nos connaissances actuelles, ne sont point suffisants pour nous les donner toutes, puisque les sens ne donnent jamais que des exemples, c’est à dire des vérités particulières ou individuelles. Or, tous les exemples qui confirment une vérité générale, de quelque nombre qu’ils soient, ne suffisent pas pour établir la nécessité universelle de cette même vérité, car il ne suit pas que ce qui est arrivé arrivera toujours de même. Par exemple, les Grecs et les Romains et tous les autres peuples ont toujours remarqué qu’avant le décours de vingt-quatre heures le jour se change en nuit et la nuit en jour. Mais on se serait trompé si l’on avait cru que la même règle s’observe partout, puisqu’on a vu le contraire dans le séjour de Nova-Zembla. Et celui-là se tromperait encore qui croirait que c’est, au moins dans nos climats, une vérité nécessaire et éternelle, puisqu’on doit juger que la terre et le soleil même n’existent pas nécessairement, et qu’il y aura peut-être un temps où ce bel astre ne sera plus, avec tout son système, au moins en sa présente forme. D’où il paraît que les vérités nécessaires, telles qu’on les trouve dans les mathématiques pures, et particulièrement dans l’arithmétique et dans la géométrie, doivent avoir des principes dont la preuve ne dépende point des exemples ni par conséquent du témoignage des sens, quoique sans les sens on ne se serait jamais avisé d’y penser.

    Qu’est-ce qu’un exemple ?

    Dans quel climat n’est-il pas vrai que le jour et la nuit se succèdent dans les 24 heures ?

    Qu’est-ce qu’une vérité générale ? Une vérité nécessaire ?

    Le témoignage des sens est-il une preuve ?

    Pourquoi les sens sont-ils nécessaires à toutes nos connaissances ?

  • cf. Platon (III,1); Aristote (XV,2); Descartes (XV,3)



  • 6 Pascal

    Traité du vide, Préface

    Les hommes sont aujourd’hui en quelque sorte dans le même état où se trouveraient ces anciens philosophes, s’ils pouvaient avoir vieilli jusqu’à présent, en ajoutant aux connaissances qu’ils avaient celles que leurs études auraient pu leur acquérir à la faveur de tant de siècles. De là vient que, par une prérogative particulière, non seulement chacun des hommes s’avance de jour en jour dans les sciences, mais que tous les hommes ensemble y font un continuel progrès à mesure que l’univers vieillit, parce que la même chose arrive dans la succession des hommes que dans les âges différents d’un particulier. De sorte que toute la suite des hommes, pendant le cours de tous les siècles, doit être considérée comme un même homme qui subsiste toujours et qui apprend continuellement : d’où l’on voit avec combien d’injustice nous respectons l’antiquité dans ses philosophes ; car, comme la vieillesse est l’âge le plus distant de l’enfance, qui ne voit que la vieillesse dans cet homme universel ne doit pas être cherchée dans les temps proches de sa naissance, mais dans ceux qui en sont les plus éloignés ? Ceux que nous appelons anciens étaient véritablement nouveaux en toutes choses, et formaient l’enfance des hommes proprement ; et comme nous avons joint à leurs connaissances l’expérience des siècles qui les ont suivis, c’est en nous que l’on peut trouver cette antiquité que nous révérons dans les autres.

    Ils doivent être admirés dans les conséquences qu’ils ont tirées du peu de principes qu’ils avaient, et ils doivent être excusés dans celles où ils ont plutôt manqué du bonheur de l’expérience que de la force du raisonnement.

    Que respecte-t-on dans les anciens ?

    Qu’est-ce qui fait une connaissance supérieure à une autre ?

    Les anciens manquaient-ils de raison ?

    L’homme universel était-il plus savant en sa jeunesse ?

    Comment l’auteur conçoit-il le progrès des sciences ? Et l’histoire ?

  • cf. Pascal (XIV,8)



  • 7 Diderot

    de l’Interprétation de la nature, § III

    Je ne sais s’il y a quelque rapport entre l’esprit du jeu et le génie mathématicien ; mais il y en a beaucoup entre un jeu et les mathématiques. Laissant à part ce que le sort met d’incertitude d’un côté, ou le comparant avec ce que l’abstraction met d’inexactitude de l’autre, une partie de jeu peut être considérée comme une suite indéterminée de problèmes à résoudre, d’après des conditions données. Il n’y a point de questions de mathématiques à qui la même définition ne puisse convenir, et la chose du mathématicien n’a pas plus d’existence dans la nature que celle du joueur. C’est, de part et d’autre, une affaire de conventions. Lorsque les géomètres ont décrié les métaphysiciens, ils étaient bien éloignes de penser que toute leur science n’était qu’une métaphysique. On demandait un jour : “Qu’est-ce qu’un métaphysicien ?” Un géomètre répondit : “C’est un homme qui ne sait rien”. Les chimistes, les physiciens, les naturalistes, et tous ceux qui se livrent à l’art expérimental, non moins outrés dans leur jugement, me paraissent sur le point de venger la métaphysique et d’appliquer la même définition au géomètre. Ils disent : “A quoi servent toutes ces profondes théories des corps célestes, tous ces énormes calculs de l’astronomie rationnelle, s’ils ne dispensent point (les astronomes) d’observer le ciel ?” Et je dis : heureux le géomètre en qui une étude consommée des sciences abstraites n’aura point affaibli le goût des beaux-arts, à qui Horace et Tacite seront aussi familiers que Newton, qui saura découvrir les propriétés d’une courbe et sentir ]es beautés d’un poète, dont l’esprit et les ouvrages seront de tous les temps, et qui aura le mérite de toutes les académies ! Il ne se verra point tomber dans l’obscurité ; il n’aura point à craindre de survivre à sa renommée.

    A quels jeux les mathématiques sont-elles comparées ?

    L’objet mathématique existe-t-il ?

    A qui les géomètres prétendent-ils s’opposer ? Pourquoi ?

    A qui les chimistes, etc. les identifient-ils ? Pourquoi ?

    L’observation n’appartient-elle qu’à l’art expérimental ?



    8 Kant

    Critique de la raison pure, Préface 2e édition

    Lorsque Galilée fit rouler ses boules sur une surface inclinée avec une pesanteur choisie par lui-même, ou que Torricelli fit porter à l’air un poids qu’il savait d’avance être égal à celui d’une colonne d’eau, de lui connu, (...) alors apparut une lumière à tous les physiciens. Ils comprirent que la raison n’aperçoit que ce qu’elle produit elle-même d’après son projet, qu’elle doit prendre les devants, tenant pour principes ses jugements fondés sur des lois constantes, et contraindre la nature à répondre à ses questions, mais qu’elle ne doit pas de se laisser tenir en laisse par elle ; car autrement les observations faites au hasard, sans aucun plan projeté, ne se lient pas à une loi nécessaire, que pourtant recherche et ordonne la raison. La raison doit aller à la nature avec d’une main ses principes, d’après lesquels seuls les phénomènes concordant avec eux peuvent faire loi, et de l’autre l’expérience, telle qu’elle la conçoit d’après eux, afin il est vrai d’être instruite par elle, non comme un écolier qui se laisse dire tout ce que veut bien le maître, mais comme un juge au tribunal, qui contraint les témoins à répondre aux questions qu’il leur pose.

    (trad. Dorion)

    Quelle sorte d’expérience est rejetée ?

    Comment se distinguent celles qui sont données en exemple ?

    Que tient en main la raison allant à la nature ?

    Les questions du juge sont-elles posées par ignorance ?

    N’arrive-t-il pas qu’un témoin lui fasse une réponse qui ne concorde pas avec ses principes ? Que doit-il alors faire ?

    -> un éclairage

  • cf. Platon (III,1); Aristote (XV,2); Descartes (XV,3); Leibniz (XV,5)



  • 9 Kant

    Critique de la raison pure, Introduction 2e édition

    Que toute notre connaissance commence avec l’expérience, il n’y a là-dessus aucun doute ; car par quoi la faculté de connaître serait-elle poussée à s’exercer, si ce n’était par des objets qui touchent nos sens, et qui d’une part produisent d’eux-mêmes des représentations, et d’autre part mettent en mouvement l’activité de notre entendement, afin de comparer celles-ci, de les lier ou de les séparer, et par là de transformer la matière brute des impressions sensibles pour en faire une connaissance des objets, qu’on appelle une expérience ? Dans l’ordre du temps aucune connaissance ne précède en nous l’expérience, et c’est avec elle que toutes commencent.

    Mais même si toute notre connaissance relève de l’expérience, elle ne sort pourtant pas pour cette raison toute entière de l’expérience. Car il se pourrait bien qu’elle-même notre connaissance par expérience fût un composé de ce que nous recevons par les impressions, et de ce que notre propre faculté de connaître donne d’elle-même (engagé seulement par ces impressions sensibles), addition que nous ne distinguons pas de cette matière première avant qu’un long exercice nous y ait rendus attentifs et capables de l’isoler.

    (trad. Dorion)

    Pourquoi toute connaissance commence-t-elle avec l’expérience ?

    Qu’est-ce qu’une expérience ?

    De quoi se compose-t-elle ?

    Quelle y est la part des sens ?

    Et celle de l’entendement ?

    -> un éclairage

  • cf. Platon (III,1); Aristote (XV,2); Descartes (XV,3); Leibniz (XV,5)



  • 10 Kant

    Critique de la raison pure, Introduction 2e édition

    Les jugements d’expérience, en tant que tels, sont tous synthétiques. Il serait absurde de fonder un jugement analytique sur l’expérience, parce que pour former ce jugement je n’ai aucunement à sortir de mon concept, ni par suite n’ai besoin du témoignage de l’expérience. Qu’un corps soit étendu, est une proposition fixée a priori et pas un jugement d’expérience. Car avant d’aller à l’expérience j’ai déjà toutes les conditions de mon jugement dans le concept, dont je n’ai qu’à tirer le prédicat selon le principe de contradiction, et du même coup prendre conscience de la nécessité du jugement, que l’expérience est incapable de m’enseigner. Par contre, si je n’inclus pas déjà dans le concept d’un corps en général le prédicat de la pesanteur, cela le qualifie comme objet de l’expérience par un élément de celle-ci, auquel je peux ajouter encore d’autres éléments d’expérience, dans la mesure où ils appartiennent au premier. Je peux avant l’expérience connaître analytiquement du concept de corps les caractères de l’étendue, de l’impénétrabilité, de la figure, etc. qui sont tous pensés dans ce concept. Mais maintenant j’étends ma connaissance, je retourne à l’expérience, d’où j’avais tiré ce concept de corps, je trouve la pesanteur chaque fois liée aux précédents caractères, et je l’ajoute synthétiquement comme prédicat à ce concept. Alors la possibilité de la synthèse du prédicat de la pesanteur avec le concept de corps se fonde sur l’expérience, parce que les deux concepts, bien que l’un ne soit pas inclus dans l’autre, appartiennent cependant l’un à l’autre, quoi que de manière contingente, comme parties d’un tout, en l’occurrence de l’expérience, qui est elle-même une liaison synthétique des intuitions.

    (trad. Dorion)

    Un jugement analytique est-il a posteriori ?

    Dans quel rapport s’y trouvent le concept et son prédicat ?

    Est-ce ainsi que l’étendue est liée au concept de corps ? Et la pesanteur ?

    Comment nomme-t-on le jugement où l’expérience lie le prédicat au concept ?

    Est-il nécessaire ?

  • cf. Aristote (XIV,3); Diderot (XIX,10)



  • 11 Marx

    l’Idéologie allemande

    Ce début est aussi animal que l’est la vie sociale elle-même à ce stade ; il est une simple conscience grégaire et l’homme se distingue ici du mouton par l’unique fait que sa conscience prend chez lui la place de l’instinct ou que son instinct est un instinct conscient. Cette conscience grégaire ou tribale se développe et se perfectionne ultérieurement en raison de l’accroissement de la productivité, de l’augmentation des besoins et de l’accroissement de la population qui est à la base des deux éléments précédents. (...) La division du travail ne devient effectivement division du travail qu’à partir du moment où s’opère une division du travail matériel et intellectuel. A partir de ce moment la conscience peut vraiment s’imaginer qu’elle est autre chose que la conscience de la pratique existante, qu’elle représente réellement quelque chose sans représenter quelque chose de réel (wirklich etwas vorzustellen, ohne etwas Wirkliches vorzustellen). A partir de ce moment, la conscience est en état de s’émanciper du monde et de passer à la formation de la théorie “pure”, théologie, philosophie, morale, etc. Mais même lorsque cette théorie, cette théologie, cette philosophie, cette morale, etc., entrent en contradiction avec les rapports existants, cela ne peut se produire que du fait que les rapports sociaux existants sont entrés en contradiction avec la force productive existante.

    (trad. marxists.org)

    De quoi le développement de la conscience est-il l’effet ?

    Quelle pureté la théorie peut-elle avoir ?

    La réalité qu’elle représente tient-elle dans des choses ?

    De quelle expérience la théorie est-elle la représentation ?

    Quelles contradictions la contraignent-elles à muter ?

  • cf. Marx (II,6)

    -> un éclairage



  • 12 Marx

    Introduction générale à la critique de l’économie politique

    Quand donc nous parlons de production, c’est toujours de la production à un stade déterminé du développement social qu’il s’agit - de la production d’individus vivant en société. Aussi pourrait-il sembler que, pour parler de la production en général, il faille, soit suivre le procès historique de son développement dans ses différentes phases, soit déclarer de prime abord que l’on s’occupe d’une époque historique déterminée, par exemple de la production bourgeoise moderne, qui est, en fait, notre véritable sujet. Mais toutes les époques de la production ont certains caractères communs, certaines déterminations communes. La production en général est une abstraction, mais une abstraction rationnelle, dans la mesure où, soulignant et précisant bien les traits communs, elle nous évite la répétition. Cependant, ce caractère général, ou ces traits communs, que permet de dégager la comparaison, forment eux-mêmes un ensemble très complexe dont les éléments divergent pour revêtir des déterminations différentes. Certains de ces caractères appartiennent à toutes les époques, d’autres sont communs à quelques-unes seulement. Certaines de ces déterminations apparaîtront communes à l’époque la plus moderne comme à la plus ancienne. Sans elles, on ne peut concevoir aucune production.

    (trad. marxists.org)

    La production en général existe-t-elle ? L’homme, la religion, le droit en général ?

    En établirait-on une théorie correcte en en suivant le procès historique ?

    En n’en considérant qu’un cas particulier ?

    Peut-on penser sans abstraction ?

    Les traits communs constituent-ils un noyau indivisible ?

    -> un éclairage



    13 Nietzsche

    Généalogie de la morale, III, § 25

    Ces célèbres victoires (des hommes de science), sans doute ce sont des victoires - mais sur quoi ? L’idéal ascétique n’en a été nullement vaincu, il en est sorti plutôt renforcé, à savoir plus insaisissable, plus spirituel, plus subtil, parce que la science a sans cesse impitoyablement ruiné, cassé le mur, le rempart qu’il élevait et qui rendait son aspect plus brutal. Pense-t-on en réalité que la défaite de l’astronomie théologique signifie si peu que ce soit la défaite de cet idéal ?... L’homme serait-il par là devenu moins désireux d’une résolution surnaturelle de l’énigme de son existence, depuis que cette existence en est résultée encore plus quelconque, plus relative, plus superflue dans l’ordre des choses visibles ? L’autorabougrissement de l’homme, sa volonté d’autorabougrissement ne s’en trouve-t-elle pas en irrépressible progrès depuis Copernic ? Hélas, la foi en sa dignité, en son exceptionnalité, en son irremplaçabilité dans la hiérarchie des êtres a disparu, - il est devenu animal, animal sans parabole, sans restriction et sans réserve, lui qui dans sa foi d’antan était presque Dieu (“fils de Dieu”, “homme Dieu”). Il semble que depuis Copernic l’homme se soit retrouvé sur un plan incliné, il roule toujours plus vite et plus loin du centre - jusqu’où ? Au néant ? Au sentiment transperçant de son néant ? Très bien. Mais ne serait-ce pas justement le chemin le plus direct vers son vieil idéal ?

    (trad. Dorion)

    A quelle victoire le nom de Copernic est-il associé ?

    Qu’est-ce que l’astronomie théologique ?

    Que signifie que l’homme roule toujours plus loin du centre ?

    Quel est le résultat des victoires de la science ?

    Où conduit l’idéal ascétique ?

    -> une explication



    14 Langevin

    la Notion de corpuscules et d’atomes

    Nous avons trouvé, en découvrant le domaine intra-atomique, en pénétrant dans notre premier sous-sol, beaucoup de choses nouvelles, les électrons, les quanta, les noyaux. Nous y sommes arrivés avec les faibles lumières acquises à l’étage supérieur et un outillage mental construit principalement en vue de la mécanique. Nous avons vu dans les électrons et les autres particules une sorte d’extrapolation, jusqu’à la ténuité extrême, des objets auxquels nous sommes habitués. Nous avons cru pouvoir suivre, au moins par la pensée, ces objets, parler de leurs positions et de leurs mouvements. L’expérience répond qu’on ne peut pas connaître avec précision à la fois la vitesse et la position d’un corpuscule, que la question ainsi posée n’a pas de sens. Alors tout de suite nous concluons : les lois de la nature comportent une indétermination fondamentale. Pourquoi ne pas admettre plutôt que notre conception corpusculaire est inadéquate, qu’il n’est pas possible de représenter le monde intra-atomique en extrapolant jusqu’à l’extrême limite notre conception macroscopique du mobile ? Du fait que la nature ne répond pas de façon précise quand nous lui posons une question concernant le mobile corpusculaire, c’est beaucoup de prétention de notre part de conclure : il n’y a pas de déterminisme dans la nature. Il est plus simple de dire : c’est que la question est mal posée et que la nature ne connaît pas le mobile corpusculaire.

    Quel est l’outillage mental de la mécanique ?

    Quels objets est-il destiné à penser ?

    Quelle relation établit-il entre la position et la vitesse ?

    Est-elle valide relativement aux corpuscules intra-atomiques ?

    Que faut-il en conclure ?

  • cf. Spinoza (XIV,7); Langevin (XIV,17)



  • 15 Alain

    Préliminaires à la mythologie

    Nos vraies connaissances sont celles que nous acquérons par l’exploration volontaire, et (...) la vue, par exemple, sans le toucher ne nous donne que ce que le langage appelle bien des visions.

    Toute la sagesse est à refuser les visions et à se donner comme on veut et autant qu’on veut, par le mouvement des membres actifs et surtout des mains, les connaissances que l’on cherche. De ces remarques on comprendra assez ce que c’est qu’un visionnaire. Et, étendant le sens de ce mot, j’appellerai visionnaire celui qui s’instruit par sons entendus et non produits, par coups reçus, enfin par cette pluie de l’expérience qui ne cesse jamais, qui est abondante sur tous, et qui ne donne jamais aucun savoir. L’homme ne s’instruit qu’en essayant son pouvoir, et en portant sa réflexion sur l’exercice de ce pouvoir, ce qui est travail. Et considérez longtemps ce terme, en son sens positif, qui implique action efficace, suite, recommencement, car c’est le travail qui éclaire le monde.

    Qu’est-ce qui caractérise la vision ?

    Comment les vraies connaissances s’y opposent-elles ?

    Qu’est-ce que la pluie de l’expérience ? Instruit-elle ?

    Quel est le pouvoir de l’homme ? Comment son corps y intervient-il ?

    Quelle est l’essence de cette intervention ?

  • cf. Lagneau (III,8)



  • 16 Bachelard

    le Nouvel esprit scientifique

    Dès qu’on médite l’action scientifique, on s’aperçoit que le réalisme et le rationalisme échangent sans fin leurs conseils. Ni l’un ni l’autre isolément ne suffit à constituer la preuve scientifique ; dans le règne des sciences physiques, il n’y a pas de place pour une intuition du phénomène qui désignerait d’un seul coup les fondements du réel ; pas davantage pour une conviction rationnelle – absolue et définitive – qui imposerait des catégories fondamentales à nos méthodes de recherche expérimentales. Il y a là une raison de nouveauté méthodologique que nous aurons à mettre en lumière ; les rapports entre la théorie et l’expérience sont si étroits qu’aucune méthode, soit expérimentale, soit rationnelle, n’est assurée de garder sa valeur. On peut même aller plus loin : une méthode excellente finit par perdre sa fécondité si on ne renouvelle pas son objet.

    C’est donc bien à la croisée des chemins que doit se placer l’épistémologue, entre le réalisme et le rationalisme. C’est là qu’il peut saisir le nouveau dynamisme de ces philosophies contraires, le double mouvement par lequel la science simplifie le réel et complique la raison. Le trajet est alors écourté qui va de la réalité expliquée à la pensée appliquée. C’est dans ce court trajet qu’on doit développer toute la pédagogie de la preuve, pédagogie qui est, comme nous l’indiquerons dans notre dernier chapitre, la seule psychologie possible de l’esprit scientifique.

    Quels sont les rapports du réalisme avec la théorie ? et l’expérience ?

    Et ceux du rationalisme ?

    En quel sens la science simplifie-t-elle le réel ?

    Et complique-t-elle la raison ?

    Qu’est-ce qu’expliquer la réalité ? Appliquer la pensée ?

    programme


    XVI Démonstration



    1 Platon

    République, 510c-e

    - Tu sais, je pense, que ceux qui s’adonnent à la géométrie, à l’arithmétique ou aux sciences de ce genre, posent par hypothèse le pair et l’impair, les figures, trois sortes d’angles et d’autres choses semblables, selon le chemin qu’ils suivent ; qu’ayant posé ces hypothèses, comme s’il s’agissait de choses connues ils pensent n’avoir plus à en donner raison, ni à eux-mêmes ni aux autres, les tenant pour évidentes à tous ; que partant de ces principes, ils en parcourent les suites et parviennent à se mettre d’accord sur le terme de leur recherche.
    - Je sais parfaitement cela, dit-il.
    - Tu sais aussi qu’ils se servent de figures visibles et raisonnent sur elles en pensant, non pas à ces figures mêmes, mais à d’autres auxquelles elles ressemblent. Leurs raisonnements portent sur le carré en soi et la diagonale en soi, non sur ceux qu’ils dessinent, et ainsi de suite. Des choses qu’ils modèlent ou dessinent, qui ont elles-mêmes leurs images dans les ombres et dans les eaux, ils usent comme d’images pour pour atteindre ce qu’on n’atteint que par la pensée.

    (trad. Dorion - La pensée de Platon n’est pas nécessairement engagée par les propos qu’il prête aux personnages de ses dialogues)

    Donne-t-on raison des principes de l’arithmétique et de la géométrie ?

    S’agit-il de choses connues ?

    Ceux-ci étant posés, comment les mathématiciens procèdent-ils ?

    Que retiennent-ils des figures visibles ?

    De quoi raisonnent-ils en fait ?

    -> un éclairage



    2 Galilée

    Lettre, 21/12/1613

    (...) L’Ecriture sainte et la nature procèdent également du Verbe divin, la première en tant que décret de l’Esprit saint et la seconde en tant qu’exécutante très obéissante des ordres de Dieu. L’Ecriture cependant, pour s’accommoder à l’entendement du vulgaire, consent à dire dans son expression littérale beaucoup de choses éloignées de la vérité absolue. La nature au contraire est inexorable, immuable et nullement soucieuse que ses raisons cachées et les voies par lesquelles elle opère soient exposés ou non à la compréhension des hommes, parce qu’elle ne transgresse jamais les lois qui lui sont imposées. Il est par conséquent évident qu’aucun fait naturel, que l’expérience sensible nous met devant les yeux ou que nous concluons nécessairement de nos démonstrations, ne devra en aucune manière être mis en doute par les passages de l’Ecriture dont le sens littéral serait différent (...)

    J’incline à croire que l’autorité des textes sacrés a pour seul but de persuader les hommes des dogmes et propositions qui, nécessaires à leur Salut et dépassant la raison humaine, ne peuvent leur être rendus crédibles par aucune science ni aucun moyen sinon par la bouche de l’Esprit saint lui-même. Mais je ne pense pas nécessaire de croire que le même Dieu qui nous a dotés de sens, de raison et d’intelligence, en rejetant leur usage ait voulu nous donner par un autre moyen les informations que nous pouvons recueillir par eux ; et surtout dans ces sciences dont on ne trouve dans l’Ecriture qu’une toute petite partie et avec des enseignements variés. De celles-ci est justement l’astronomie, dont on n’y trouve qu’une partie si petite que les planètes n’y sont même pas nommées. Mais si les premiers auteurs sacrés avaient eu l’intention de persuader le peuple des positions et des mouvements des corps célestes, ils n’en auraient pas traité si peu que c’est comme rien en comparaison du nombre infini des enseignements très élevées et admirables qu’enferme cette science (...)

    (trad. Dorion)

    Quel est le rapport de l’Ecriture au Verbe ? Et celui de la Nature ?

    Pourquoi l’Ecriture et la Nature divergent-elles ?

    En cas de conflit à laquelle faut-il se soumettre ?

    Que veut sauvegarder l’auteur ? Qu’abandonne-t-il ?

    Sur quel critère fonde-t-il l’autorité de l’Ecriture ? Un philosophe peut-il le retenir ?

    -> une explication

  • cf. Maïmonide (XIX,3); Thomas d’Aquin (XIV,4)



  • 3 Descartes

    Règles pour la direction de l’esprit, II

    ...De là on conclut avec évidence pourquoi l’arithmétique et la géométrie se montrent beaucoup plus certaines que les autres disciplines : c’est parce que seules elles se tournent vers un objet pur et simple à tel point qu’elles ne se soumettent absolument rien que l’expérience aurait rendu incertain, et qu’on les compose tout entières en déduisant des conséquences par le raisonnement. Elles sont donc de toutes les plus faciles et les plus transparentes, et elles ont un objet de la qualité que nous recherchons, puisqu’il y semble à peine humain de se tromper, si ce n’est par distraction. On ne doit cependant pas s’étonner que spontanément beaucoup tournent leur esprit plutôt vers d’autres matières ou vers la philosophie : cela arrive en effet parce que chacun se donne la liberté de vaticiner plus complaisamment dans un objet obscur que dans un objet évident, et qu’il est beaucoup plus facile de soupçonner quelque chose de n’importe quelle question que de parvenir à la vérité elle-même sur une seule, si facile qu’elle soit.

    De tout cela on doit pourtant pas conclure qu’il ne faut apprendre que l’arithmétique et la géométrie, mais plutôt que ceux qui cherchent le droit chemin de la vérité ne doivent s’occuper d’aucun objet, dont ils ne puissent avoir une certitude égale aux démonstrations de l’arithmétique et de la géométrie.

    (trad. Dorion)

    Qu’est-ce qui distingue l’objet de l’arithmétique et de la géométrie ?

    Comment échappent-elles à l’incertitude de l’expérience ?

    Comment les compose-t-on ?

    Comment est-il possible de s’y tromper ?

    Quel rôle le philosophe leur accorde-t-il ?

    -> une explication

  • cf. Platon (XVI,1)



  • 4 Descartes

    Discours de la méthode, II

    Au lieu de ce grand nombre de préceptes dont la logique est composée, je crus que j’aurais assez des quatre suivants, pourvu que je prisse une ferme et constante résolution de ne manquer pas une seule fois à les observer.

    Le premier était de ne recevoir jamais aucune chose pour vraie que je ne la connusse évidemment être telle ; c’est à dire d’éviter soigneusement la précipitation et la prévention ; et de ne comprendre rien de plus en mes jugements que ce qui se présenterait si clairement et si distinctement à mon esprit que je n’eusse aucune occasion de le mettre en doute.

    Le second, de diviser chacune des difficultés que j’examinerais en autant de parcelles qu’il se pourrait et qu’il serait requis pour les mieux résoudre.

    Le troisième, de conduire par ordre mes pensées, en commençant par les objets les plus simples et les plus aisés à connaître, pour monter peu à peu, comme par degrés, jusques à la connaissance des plus composés ; et supposant même de l’ordre entre ceux qui ne se précèdent point naturellement les uns les autres.

    Et le dernier, de faire partout des dénombrements si entiers, et des revues si générales, que je fusse assuré de ne rien omettre.

    Ces longues chaînes de raisons, toutes simples et faciles, dont les géomètres ont coutume de se servir pour parvenir à leurs plus difficiles démonstrations, m’avaient donné occasion de m’imaginer que toutes les choses qui peuvent tomber sous la connaissance des hommes s’entresuivent en même façon (...)

    Où la méthode prend-elle son modèle ?

    Contre quoi est-elle tournée ?

    Qu’est-ce que connaître évidemment une chose ?

    Comment les pensées doivent-elles être conduites ?

    Comment s’assure-t-on qu’un dénombrement est entier ?

    -> une explication



    5 Pascal

    de l’Esprit géométrique et de l’art de persuader

    Cet art que j’appelle l’art de persuader, et qui n’est proprement que la conduite des preuves méthodiques parfaites, consiste en trois parties essentielles : à définir les termes dont on doit se servir par des définitions claires ; à proposer des principes ou axiomes évidents pour prouver la chose dont il s’agit ; et à substituer toujours mentalement dans la démonstration les définitions à la place des définis.

    La raison de cette méthode est évidente, puisqu’il serait inutile de proposer ce qu’on peut prouver et d’en entreprendre la démonstration, si on n’avait auparavant défini clairement tous les termes qui ne sont pas intelligibles ; et qu’il faut de même que la démonstration soit précédée de la demande des principes évidents qui y sont nécessaires, car si l’on n’assure le fondement on ne peut assurer l’édifice ; et qu’il faut enfin en démontrant substituer mentalement la définition à la place des définis, puisqu’autrement on pourrait abuser des divers sens qui se rencontrent dans les termes. Il est facile de voir qu’en observant cette méthode on est sûr de convaincre, puisque, les termes étant tous entendus et parfaitement exempts d’équivoques par les définitions, et les principes étant accordés, si dans la démonstration on substitue toujours mentalement les définitions à la place des définis, la force incvincible des conséquences ne peut manquer d’avoir tout son effet.

    Ainsi jamais une démonstration dans laquelle ces circonstances sont gardées n’a pu recevoir le moindre doute ; et jamais celles où elles manquent ne peuvent avoir de force.

    Où rencontre-t-on les preuves méthodiques parfaites ?

    Pourquoi faut-il définir les termes dont on va se servir ?

    Que sont les principes évidents qu’il faut demander ?

    Est-il spontané de substituer la définition au défini ?

    Qu’est-ce que la force invincible des conséquences ?

  • cf. Platon (XVI,1); Descartes (XVI,3)



  • 6 Leibniz

    Monadologie, §§ 33-35

    Quand une vérité est nécessaire, on en peut trouver la raison par l’analyse, la résolvant en idées et en vérités plus simples, jusqu’à ce qu’on vienne aux primitives. C’est ainsi que chez les mathématiciens les théorèmes de spéculation et les canons de pratique sont réduits par l’analyse aux Définitions, Axiomes et Demandes. Et il y a enfin des idées simples, dont on ne saurait donner la définition ; il y a aussi des Axiomes et Demandes, ou en un mot des principes primitifs, qui ne sauraient être prouvés et n’en ont point besoin aussi ; et ce sont les Enonciations identiques, dont l’opposé contient une contradiction expresse.

    Qu’est-ce que l’analyse ?

    Comment établit-elle les théorèmes ?

    Que signifie que leur vérité est nécessaire ?

    Peut-on le dire aussi des définitions, axiomes et demandes ?

    Peut-on rejeter ces derniers ?

  • cf. Platon (XVI,1); Descartes (XVI,3); Pascal (XVI,5)



  • 7 Berkeley

    Alciphron, VII, 13

    Si je ne me trompe, on trouvera que toutes les sciences, pour autant qu’elles sont universelles et démontrables par la raison humaine, portent sur des signes qui sont leurs objets immédiats, bien que ceux-ci, dans l’application, se rapportent aux choses. La raison n’en est pas difficile à concevoir. En effet, de ce qu’elle est mieux habituée à une certaine espèce d’objets qui lui sont suggérés plus tôt, la frappent plus évidemment et sont plus facilement compris que d’autres, l’intelligence est naturellement portée à substituer ces objets à ceux qui sont plus subtils, flottants et difficiles à concevoir. Rien, dis-je, n’est plus naturel que de faire des choses que nous connaissons un acheminement vers ce que nous ne savons pas, et d’expliquer et de représenter les choses moins familières par d’autres qui le sont davantage. Or c’est un fait certain que nous imaginons avant de réfléchir et que nous percevons par les sens avant d’imaginer, et que de tous nos sens la vue est le plus clair, le plus distinct, le plus varié, le plus agréable et le plus compréhensif. Aussi est-il naturel d’aider l’intellect par l’imagination, l’imagination par le sens et les autres sens par la vue.

    (trad. Leroy)

    Quels objets l’intelligence conçoit-elle le plus facilement ?

    Le plus difficilement ?

    En quel sens les premiers ne peuvent-ils aider à concevoir les autres ?

    Les sciences portent-elles immédiatement sur les choses ?

    Que signifie qu’elles sont universelles et démontrables ?



    8 Kant

    Critique de la raison pure, Préface 2e édition

    La légende qui nomme le prétendu inventeur des plus petits éléments des démonstrations géométriques, qui, de l’avis général, n’avaient pas besoin de démonstration, prouve que le souvenir du renversement opéré par le premier pas dans l’ouverture de cette nouvelle route, a dû paraître extraordinairement important aux mathématiciens et pour cette raison est devenu inoubliable. Au premier qui démontra le triangle isocèle (qu’il s’appelât Thalès ou comme on voudra) apparut une lumière, car il trouva qu’il ne devait pas suivre la piste de ce qu’il voyait dans la figure, ni non plus dans le simple concept de celle-ci, afin pour ainsi dire d’en apprendre les propriétés, mais qu’il devait la produire par ce qu’il en pensait et s’en représentait a priori par concepts (en la construisant), et que pour savoir sûrement quelque chose a priori il ne devait joindre à la chose rien que ce qui suivait nécessairement de ce qu’il y avait lui-même mis conformément à son concept.

    (trad. Dorion)

    Qui éprouve le besoin de démontrer les plus petits éléments géométriques ?

    Quelles sont les propriétés du triangle isocèle ?

    Quelles pistes se présentent-elles pour les connaître ?

    Suivant laquelle peuvent-elles être démontrées ?

    Qu’est-ce qui distingue un tel savoir ?

    -> un éclairage

  • cf. Platon (XVI,1); Descartes (XVI,3); Pascal (XVI,5); Leibniz (XVI,6)



  • 9 Hegel

    la Phénoménologie de l’Esprit, Préface

    En tant que résultat, le théorème est bien un théorème reconnu comme un théorème vrai ; mais cette circonstance surajoutée ne concerne pas son contenu, elle concerne seulement sa relation au sujet connaissant ; le mouvement de la démonstration mathématique n’appartient pas au contenu de l’objet, mais est une opération extérieure à la chose. Par exemple la nature du triangle rectangle ne se dispose pas elle-même de la façon représentée dans la construction nécessaire pour démontrer la proposition exprimant la relation du triangle même ; tout le processus dont sort le résultat est seulement un processus de la connaissance, un moyen de la connaissance. (...) Dans la connaissance mathématique la réflexion est une opération extérieure à la chose ; de ce fait, il résulte que la vraie chose est altérée. Sans doute le moyen, c’est-à-dire la construction et la démonstration, contient des propositions vraies, mais on doit dire aussi bien que le contenu est faux. Le triangle, dans l’exemple précédent, est démembré, ses parties sont converties en éléments d’autres figures que la construction fait naître en lui. C’est seulement à la fin que le triangle est rétabli, le triangle auquel nous avions proprement affaire, et qui avait été perdu de vue au cours de la démonstration, étant mis en pièces qui appartenaient à d’autres totalités.(...) Ainsi la démonstration suit une voie qui commence en un point quelconque sans qu’on sache encore le rapport de ce commencement au résultat qui doit en sortir. Le cours de la démonstration compte telles déterminations et tels rapports, et en écarte d’autres sans qu’on puisse se rendre compte immédiatement selon quelle nécessité cela a lieu ; une finalité extérieure régit un tel mouvement.

    (trad. Hyppolite).

    Quel théorème exprime la nature du triangle rectangle ?

    Pourquoi le mouvement de sa démonstration n’appartient-il pas au mouvement de son objet ?

    Qu’est-ce qui met en mouvement la démonstration ?

    Qu’est-ce qu’une vérité ainsi démontrée ?

    Quelle autre vérité peut-on lui opposer ?



    10 Alain

    Libres Propos, 1923

    Qu’est-ce donc qu’apprendre par l’esprit ? C’est faire société. Le géomètre formé selon la subtilité euclidienne est toujours occupé de convenir avec un interlocuteur imaginaire, au moyen d’une définition sans ambiguïté ; et de là, par raisonnement, conquiert l’autre, répondant à toutes les objections possibles. D’où résulte cette connaissance si bien nommée universelle, c’est à dire commune à tout esprit. Que l’objet en dise ce qu’il voudra. L’attention du géomètre ne se porte point à ce que répond le cercle, mais bien à ce que pourrait répondre l’autre esprit avec lequel il se met en conversation. Cette manière de penser est démontrer ; et rien n’étonne plus un esprit sans culture que ces efforts pour démontrer correctement ce qui d’ailleurs ne fait point de doute, d’après l’application...

    Qu’est-ce que le raisonnement de la géométrie ?

    Qu’exige-t-il de ses prémisses ?

    En appelle-t-il à l’expérience ? Sinon à quoi ?

    Comment cette connaissance peut-elle être reconnue ?

    Quelle société se forme-t-elle par là ?

    programme


    XVII Interprétation



    1 Platon

    Phèdre, 229c-e

    - Phèdre : Dis-moi, Socrate, n’est-ce pas par ici sur la rive de l’Ilissus que, dit-on, Borée enleva Orithye ? (...) Au nom de Dieu, dis-moi, penses-tu que cette fable soit vraie ?

    - Socrate : Si, comme les savants, je ne la croyais pas, je ne serais pas un homme bizarre ! Je dirais savamment que le vent boréal la poussa de la plus proche des roches, où elle jouait avec Pharmacée, et qu’un pareil trépas fit dire qu’elle avait été enlevée par Borée. Mais moi, mon cher Phèdre, je pense tout au contraire que de telles subtilités sont d’un homme dangereux, pénible et pas très heureux. Car il lui faudra après cela redresser de la même manière l’image des Centaures, puis celle de la Chimère, et se perdre dans la foule des Gorgones, des Pégases et dans la multitude des autres prodiges et choses bizarres des fables de ce genre. Celui de ces incrédules qui veut rapprocher chacune du vraisemblable, usant d’une sorte de sagesse grossière, a besoin de beaucoup de loisir. Et moi je n’ai aucun loisir pour ce genre de choses.

    (trad. Dorion - La pensée de Platon n’est pas nécessairement engagée par les propos qu’il prête aux personnages de ses dialogues)

    Les “savants” croient-ils les fables ?

    Comment les interprètent-ils ?

    Que leur objecte-t-on ?

    Leur interprétation concède-t-elle un sens aux fables ?

    L’auteur ne pratique-t-il pas par ailleurs une autre sorte d’interprétation ?



    2 Platon

    Politique, 277e-278c

    L’Etranger : Les enfants, nous le savons, lorsqu’ils commencent à apprendre les lettres...
    Socrate le jeune : Quoi donc  ?
    L’Etranger : Ils distinguent correctement chacun des éléments dans les syllabes les plus courtes et les plus faciles et sont capables de les prononcer exactement.
    Socrate le jeune : C’est vrai.
    L’Etranger : Mais dans d’autres syllabes, ils hésitent et se trompent dans leur jugement et leur parole.
    Socrate le jeune : Tout à fait.
    L’Etranger : Et le chemin le plus facile et le plus beau pour les conduire à celles qu’ils ne connaissent pas encore...
    Socrate le jeune : Lequel est-ce ?
    L’Etranger : Les mener d’abord à celles dont ils jugeaient correctement, puis les placer devant celles qu’ils ne connaissent pas encore et, en les comparant, leur montrer leur similitude et l’identité de leur nature dans les deux combinaisons. Et finalement leur ayant montré devant toutes celles qu’ils ne connaissent pas celles qu’ils jugent correctement, celles-ci deviendront des modèles. Grâce à quoi dans toutes les syllabes ils nommeront chacun des éléments, différent celui qui est différent des autres, identique celui qui est identique à lui-même.
    Socrate le jeune : Absolument.
    L’Etranger : Nous comprenons donc bien qu’un modèle est le principe par lequel nous jugeons correctement le même fondu dans l’autre et identifions chacun des deux en particulier d’un unique jugement vrai.
    Socrate le jeune : C’est bien ce qu’il semble.

    (trad. Dorion - La pensée de Platon n’est pas nécessairement engagée par les propos qu’il prête aux personnages de ses dialogues)

    Que sont les éléments d’une syllabe ?

    Comment apprend-on à prononcer la syllabe ?

    Comment compare-t-on les syllabes ? Quels en sont les éléments différents ? identiques ?

    Comment opère le modèle ?

    Ce modèle n’a-t-il de portée que relativement aux syllabes ?

    -> une explication



    3 Machiavel

    Discours sur Tite-Live, Livre II, ch 2

    Si notre religion demande du courage, elle veut qu'on soit capable de subir plutôt que de produire un acte fort. Il semble donc que cette règle de vie ait rendu le monde faible et en ait fait la proie des scélérats. Ceux-ci, voyant que le plus grand nombre des hommes, afin de gagner son paradis, pense davantage à supporter leurs coups qu'à s'en venger, peuvent en toute impunité l'administrer. Et si le monde s'est efféminé et si le Ciel s'est désarmé, la principale cause en est sans aucun doute dans la lâcheté des hommes, qui ont interprété notre religion dans le sens de l'oisiveté et non dans celui de la vertu. Car s'ils considéraient qu'elle nous autorise la puissance et la défense de la patrie, ils verraient combien elle veut que nous l'aimions, l'honorions et nous préparions à être tels que nous la puissions défendre. Notre éducation et ces fausses interprétations sont cause qu'on ne voit plus dans le monde autant de républiques qu'on y voyait dans l'antiquité, ni par suite qu'on n'y voit plus dans les peuples autant d'amour de la liberté qu'en ces temps-là.

    (trad. Dorion)

    Quelle interprétation a-t-on donné de “notre religion” ?

    Quelles sont ses valeurs ?

    Pourraient-elles être autres ?

    Quelle interprétation l’antiquité donnait-elle de la religion ?

    Quel rapport y a-t-il entre la morale et la république ?

    -> une explication



    4 Spinoza

    Traité théologico-politique, Préface

    Si les hommes pouvaient régler toutes leurs affaires suivant un dessein arrêté ou encore si la fortune leur était toujours favorable, ils ne seraient jamais prisonniers de la superstition. Mais souvent réduits à une extrémité telle qu’ils ne savent plus que résoudre, et condamnés, par leur désir sans mesure des biens incertains de fortune, à flotter presque sans répit entre l’espérance et la crainte, ils ont très naturellement l’âme encline à la plus extrême crédulité ; est-elle dans le doute, la plus légère impulsion la fait pencher dans un sens ou dans l’autre, et sa mobilité s’accroît encore quand elle est suspendue entre la crainte et l’espoir, tandis qu’à ses moments d’assurance elle se remplit de jactance et s’enfle d’orgueil. Cela, j’estime que nul ne l’ignore, tout en croyant que la plupart s’ignorent eux-mêmes. Personne en effet n’a vécu parmi les hommes sans avoir observé qu’aux jours de prospérité presque tous, si grande que soit leur inexpérience, sont pleins de sagesse, à ce point qu’on leur fait injure en se permettant de leur donner un conseil ; que dans l’adversité, en revanche, ils ne savent plus où se tourner, demandent en suppliant conseil à tous et sont prêts à suivre tout avis qu’on leur donnera, quelque inepte, absurde ou inefficace qu’il puisse être. On remarque en outre que les plus légers motifs leur suffisent pour espérer un retour de fortune, ou retomber dans les pires craintes. Si en effet, pendant qu’ils sont dans l’état de crainte, il se produit un incident qui leur rappelle un bien ou un mal passés, ils pensent que c’est l’annonce d’une issue heureuse ou malheureuse et pour cette raison, bien que cent fois trompés, l’appellent un présage favorable ou funeste. Qu’il leur arrive maintenant de voir avec grande surprise quelque chose d’insolite, ils croient que c’est un prodige manifestant la colère des dieux ou de la suprême divinité ; dès lors ne pas conjurer ce prodige par des sacrifices et des vœux devient une impiété à leurs yeux d’hommes sujets à la superstition et contraires à la religion. De la sorte ils forgent d’innombrables fictions et, quand ils interprètent la nature, y découvrent partout le miracle comme si elle délirait avec eux.

    (trad. Appuhn)

    Que sont les biens incertains de fortune ?

    Quel rapport y a-t-il entre l’adversité et l’interprétation ?

    Comment l’auteur nomme-t-il l’interprétation de la nature ?

    Qu’est-ce qu’un miracle ?

    Comment distinguer la religion de la superstition ?

    -> un éclairage



    5 Spinoza

    Traité théologico-politique, ch 6

    Je pourrais dire à la vérité qu’un miracle est un événement dont on ne peut assigner la cause par les principes des choses naturelles tels que la Lumière naturelle les fait connaître ; toutefois, puisque les miracles ont été faits à la mesure de la compréhension du vulgaire, lequel ignorait totalement les principes des choses naturelles, il est certain que les anciens ont tenu pour miracle ce qu’ils ne pouvaient expliquer par le moyen dont le vulgaire a coutume d’user pour expliquer les choses naturelles, c’est-à-dire en recourant à sa mémoire pour se rappeler un cas semblable qu’il se représente sans surprise à l’ordinaire ; le vulgaire en effet estime assez connaître ce qu’il voit sans surprise. Les anciens donc et presque tous les hommes jusqu’au temps présent n’ont eu d’autre règle applicable aux miracles ; il n’est pas douteux en conséquence que les livres saints ne racontent beaucoup de faits prétendus miraculeux dont il serait facile d’assigner la cause par les principes connus des choses naturelles.

    (trad. Appuhn)

    Qu’est-ce que la lumière naturelle ?

    Quels sont les principes des choses naturelles ?

    Quel est le principe d’explication du vulgaire ?

    Quelle est la mesure de la compréhension du vulgaire ?

    Que signifie que les miracles ont été faits à cette mesure ?

    -> un éclairage



    6 Leibniz

    Discours de métaphysique, § VI

    Il est bon de considérer que Dieu ne fait rien hors d’ordre. Ainsi, ce qui passe pour extraordinaire ne l’est qu’à l’égard de quelque ordre particulier établi parmi les créatures. Car, quant à l’ordre universel, tout y est conforme. Ce qui est si vrai que, non seulement rien n’arrive dans le monde qui soit absolument irrégulier, mais on ne saurait même rien feindre de tel. Car, supposons, par exemple que quelqu’un fasse quantité de points sur le papier à tout hasard, comme font ceux qui exercent l’art ridicule de la géomance. Je dis qu’il est possible de trouver une ligne géométrique dont la notion soit constante et uniforme suivant une certaine règle, en sorte que cette ligne passe par tous ces points, et dans le même ordre que la main les avait marqués.
    Et si quelqu’un traçait tout d’une suite une ligne qui serait tantôt droite, tantôt cercle, tantôt d’une autre nature, il est possible de trouver une notion ou règle, ou équation commune à tous les points de cette ligne, en vertu de laquelle ces mêmes changements doivent arriver. Et il n’y a, par exemple, point de visage dont le contour ne fasse partie d’une ligne géométrique et ne puisse être tracé tout d’un trait par un certain mouvement règlé. Mais quand une règle est fort composée, ce qui lui est conforme passe pour irrégulier.

    Qu’est-ce qu’un ordre particulier ?

    Qu’est-ce que l’ordre universel ?

    L’extraordinaire est-il réductible à la règle ?

    Pourquoi croit-on qu’il y a de l’extraordinaire ?

    Dans quelle mesure la notion de miracle est-elle compatible avec cette doctrine ?



    7 Nietzsche

    le Gai savoir, V, § 374

    Jusqu’où s’étend le caractère perspectif de l’existence, voire si elle a encore un autre caractère, si une existence sans interprétation, dénuée de “sens” ne devient pas un “non-sens”, si d’un autre côté toute existence n’est pas essentiellement une existence interprétative, cette question ne peut être résolue, ni étourdiment ni par l’analyse et l’introspection la plus appliquée, la plus laborieuse et consciencieuse de l’intelligence, car l’intelligence humaine ne peut rien d’autre par cette analyse que se voir sous ses formes perspectives et seulement en elles. Nous ne pouvons pas voir d’ailleurs que de notre position. C’est une curiosité sans espoir de chercher à savoir quelles sortes d’autres intelligences et de perspectives il pourrait y avoir, par exemple si d’autres êtres peuvent ressentir un temps régressif ou tour à tour progressif et régressif (par quoi seraient donnés une autre direction à la vie et un autre concept de la cause et de l’effet). Mais je pense que nous nous sommes aujourd’hui au moins éloignés de la ridicule présomption de décréter depuis notre position qu’il ne peut y avoir de perspective que depuis cette position. Le monde nous est tout au contraire encore une fois redevenu “infini”, dans la mesure où nous ne pouvons pas écarter la possibilité qu’il implique des interprétations en nombre infini. Encore une fois nous saisit le grand effroi. Mais qui trouverait du plaisir à diviniser à nouveau, comme autrefois, ce monstre de monde inconnu, voire à l’adorer en tant qu’“Inconnu” ? Il y a hélas de trop nombreux possibles non divins compris dans l’interprétation de l’inconnu, trop de diableries, de sottises, de démences de l’interprétation, - les nôtres, humaines, trop humaines, que nous connaissons...

    (trad. Dorion)

    Qu’est-ce que l’interprétation ?

    Qui donne sens à l’existence ?

    De quel point cette opération se fait-elle ?

    Est-ce le seul d’où elle soit possible ?

    Quel effroi peut-il nous saisir ? Lequel non ?

    -> une explication



    8 Freud

    Psychopathologie de la vie quotidienne

    Ce qui me distingue d’un homme superstitieux, c’est donc ceci : Je ne crois pas qu’un événement, à la production duquel ma vie psychique n’a pas pris part, soit capable de m’apprendre des choses cachées concernant l’état à venir de la réalité ; mais je crois qu’une manifestation non-intentionnelle de ma propre activité psychique me révèle quelque chose de caché qui, à son tour, n’appartient qu’à ma vie psychique ; je crois au hasard extérieur (réel), mais je ne crois pas au hasard intérieur (psychique). C’est le contraire du superstitieux : il ne sait rien de la motivation de ses actes accidentels et actes manqués, il croit par conséquent au hasard psychique ; en revanche, il est porté à attribuer au hasard extérieur une importance qui se manifestera dans la réalité à venir, et à voir dans le hasard un moyen par lequel s’expriment certaines choses extérieures qui lui sont cachées. Il y a donc deux différences entre l’homme superstitieux et moi : en premier lieu, il projette à l’extérieur une motivation que je cherche à l’intérieur ; en deuxième lieu, il interprète par un événement le hasard que je ramène à une idée. Ce qu’il considère comme caché correspond chez moi à ce qui est inconscient, et nous avons en commun la tendance à ne pas laisser subsister le hasard comme tel, mais à l’interpréter.

    (trad. Jankélévitch)

    De quelle accusation l’auteur se défend-il ? Fondée sur quelle tendance ?

    Qu’entend-il par “un événement à la production duquel ma vie psychique n’a pas pris part” ?

    Qu’entend-il par “une manifestation non-intentionnelle de ma propre activité psychique” ?

    La part cachée de l’activité psychique concerne-t-elle l’avenir ?

    La ramener à une idée en fait-il pour autant une pensée ?

  • cf. Spinoza (XVII,4); Freud (IV,7)



  • 9 Alain

    Propos, 17/07/1922

    En ces conjectures aventureuses, qui, tout au contraire, vont cherchant une pensée pour chaque cri, l’inconscient revient ; j’attends ce personnage, et bientôt il fait son entrée. Mais ce n’est qu’une âme de trop. Comment ne serait-elle pas de trop, quand l’autre âme est si souvent de trop déjà dans nos suppositions ? L’erreur ici n’est point de supposer des mouvements auxquels on ne pense point, mais au contraire de supposer que ces mouvements, auxquels on ne pense point, signifient des pensées auxquelles on ne pense point, et donc une autre âme et comme un double, qui ait charge de penser ces pensées auxquelles on ne pense point. Et cette erreur en comprend deux autres, dont la première est de supposer que tout signe ou mouvement exprime une pensée, et la seconde est de remonter de cette pensée supposée au penseur inconnu qui la forme. Ce sont les dieux qui reviennent. Erreur vraisemblable et émouvante, contre laquelle il faut s’armer, car les preuves ne manquent jamais. Toute forme signifie ; et la forme humaine, vivante et en agitation, envoie, dans l’espace autour, des milliers de télégrammes. Les naïfs croient que le difficile est de déchiffrer ces télégrammes, c’est-à-dire de remonter des signes aux pensées ; mais le sage les jette au panier.

    Que faut-il entendre par cri ?

    L’interprétation en est-elle légitime ?

    Que signifie que l’autre âme est souvent déjà de trop ?

    Que signifie que ce sont les dieux qui reviennent ?

    Pourquoi est-on enclin à l’interprétation ?

  • cf. Spinoza (XVII,4); Freud (IV,7 & XVII,8); Alain (IV,9)



  • 10 Bachelard

    la Formation de l’esprit scientifique

    La science dans son besoin d’achèvement, comme dans son principe, s’oppose absolument à l’opinion. S’il lui arrive, sur un point particulier, de légitimer l’opinion, c’est pour d’autres raisons que celles qui fondent l’opinion ; de sorte que l’opinion a, en droit, toujours tort. L’opinion pense mal ; elle ne pense pas : elle traduit des besoins en connaissances. En désignant les objets par leur utilité, elle s’interdit de les connaître. On ne peut rien fonder sur l’opinion : il faut d’abord la détruire. Elle est le premier obstacle à surmonter. Il ne suffirait pas, par exemple, de la rectifier sur des points particuliers, en maintenant, comme une sorte de morale provisoire, une connaissance vulgaire provisoire. L’esprit scientifique nous interdit d’avoir une opinion sur des questions que nous ne comprenons pas, sur des questions que nous ne savons pas formuler clairement. Avant tout, il faut savoir poser des problèmes. Et, quoi qu’on dise, dans la vie scientifique, les problèmes ne se posent pas d’eux-mêmes. C’est précisément ce sens du problème qui donne la marque du véritable esprit scientifique. Pour un esprit scientifique, toute connaissance est une réponse à une question. S’il n’y a pas eu de question, il ne peut y avoir de connaissance scientifique. Rien ne va de soi. Rien n’est donné. Tout est construit.

    L’opinion est-elle une connaissance ?

    Quel rapport entretient-elle avec les objets ?

    La science peut-elle une rectification de l’opinion ?

    Où commence l’esprit scientifique ?

    Qu’est-ce qu’une connaissance construite ?

  • cf. Platon (XX,1); Spinoza (XVII,4)

  • programme


    XVIII Vivant



    1 Platon

    Phèdre, 246b-c

    Il faut essayer de dire comment on peut nommer le vivant aussi bien mortel qu’immortel. En absolument toutes choses l’âme gouverne ce qui est sans vie. Elle est présente en tout ce qui existe, autre en chaque forme. Parfaite et ailée, elle s’élève et administre l’univers entier. Mais, déplumée, elle est ballottée jusqu’à ce qu’elle s’attache à quelque matière, et s’y installe. Lorsqu’elle a pris possession d’un corps périssable, celui-ci, grâce à la force de celle-là, paraît se mouvoir de lui-même. On nomme vivant l’ensemble, âme et corps liés, et il reçoit l’épithète de mortel. Quant à l’immortel, aucune raison ne permet d’en rendre compte, mais nous imaginons, sans le voir ni le comprendre assez, un dieu, vivant immortel, qui a une âme et un corps liés par nature pour toujours.

    (trad. Dorion - La pensée de Platon n’est pas nécessairement engagée par les propos qu’il prête aux personnages de ses dialogues)

    Où l’âme est-elle présente ?

    Quel est son rôle ?

    Qu’est-ce que l’âme ailée ? déplumée ?

    Qu’est-ce qu’un vivant mortel ?

    Un vivant immortel ?



    2 Aristote

    les Parties des animaux, IV, 687b

    Anaxagore prétend que l’homme est le plus intelligent des êtres parce qu’il a des mains ; mais la raison nous dit, tout au contraire, que l’homme n’a des mains que parce qu’il est si intelligent. Les mains, en effet, sont un instrument ; et la nature sait toujours, comme le ferait un homme sage, attribuer les choses à qui est capable de s’en servir. N’est-il pas convenable de donner une flûte à qui sait jouer de cet instrument, plutôt que d’imposer à celui qui a un instrument de ce genre d’apprendre à en jouer ? La nature a accordé le plus petit au plus grand et au plus fort ; et non point du tout, le plus grand et le plus précieux au plus petit.

    Si donc cette disposition des choses est meilleure, et si la nature vise toujours à réaliser ce qui est le mieux possible dans des conditions données, il faut en conclure que ce n’est pas parce que l’homme a des mains qu’il a une intelligence supérieure, mais que c’est au contraire parce qu’il est éminemment intelligent qu’il a des mains. C’est en effet le plus intelligent des êtres qui pouvait se bien servir du plus grand nombre d’instruments ; or la main n’est pas un instrument unique ; elle est plusieurs instruments à la fois. Elle est, on peut dire, un instrument qui remplace tous les instruments.

    (trad. Barthélemy-Saint Hilaire)

    Qu’est-ce qui fait la supériorité de la main ?

    Qu’est-ce que la disposition la meilleure ?

    Qu’entend l’auteur par le plus grand et le plus petit ?

    Quelle idée se fait-il de la nature ?

    Le point de vue d’Anaxagore est-il absurde ?

    -> une explication



    3 Spinoza

    Ethique I Appendice

    Les hommes agissent toujours en vue d’une fin, savoir l’utile qu’ils appètent. D’où résulte qu’ils s’efforcent toujours uniquement à connaître les causes finales des choses accomplies et se tiennent en repos quand ils en sont informés, n’ayant plus aucune raison d’inquiétude. S’ils ne peuvent les apprendre d’un autre, leur seule ressource est de se rabattre sur eux-mêmes et de réfléchir aux fins par lesquelles ils ont coutume d’être déterminés à des actions semblables, et ainsi jugent-ils nécessairement de la complexion d’autrui par la leur. Comme, en outre, ils trouvent en eux-mêmes et hors d’eux un grand nombre de moyens contribuant grandement à l’atteinte de l’utile, ainsi, par exemple, des yeux pour voir, des dents pour mâcher, des herbes et des animaux pour l’alimentation, le soleil pour s’éclairer, la mer pour nourrir des poissons, ils en viennent à considérer toutes les choses existant dans la nature comme des moyens à leur usage. Sachant d’ailleurs qu’ils ont trouvé ces moyens, mais ne les ont pas procurés, ils ont tiré de là un motif de croire qu’il y a quelqu’un d’autre qui les a procurés pour qu’ils en fissent usage. (...) Et ainsi ont-ils admis que les dieux dirigent toutes choses pour l’usage des hommes afin de se les attacher et d’être tenus par eux dans le plus grand honneur. (...) Mais, tandis qu’ils cherchaient à montrer que la nature ne fait rien en vain (c’est-à-dire rien qui ne soit pour l’usage des hommes), ils semblent n’avoir montré rien d’autre sinon que la nature et les dieux sont atteints du même délire que les hommes.

    (trad. Appuhn)

    Selon quel principe les hommes croient-ils avoir des yeux pour voir, des dents pour mâcher, etc ?

    S’expliquent-ils toutes choses par le même principe ?

    Quelle place selon ce principe ont-ils dans la nature ?

    Qui la leur donne ?

    Quelles conséquences cette croyance a-t-elle ?

  • cf. Platon (XII,2)

    -> un éclairage



  • 4 Leibniz

    Monadologie, §§ 64-65

    Chaque corps organique d’un vivant est une espèce de machine divine, ou d’automate naturel, qui surpasse infiniment tous les automates artificiels, parce qu’une machine faite par l’art de l’homme, n’est pas machine dans chacune de ses parties. Par exemple : la dent d’une roue de laiton a des parties ou fragments qui ne nous sont plus quelque chose d’artificiel et n’ont plus rien qui marque de la machine par rapport à l’usage où la roue était destinée. Mais les machines de la nature, c’est à dire les corps vivants, sont encore machines dans leurs moindres parties, jusqu’à l’infini. C’est ce qui fait la différence entre la Nature et l’Art, c’est à dire entre l’Art divin et le nôtre.

    Et l’auteur de la nature a pu pratiquer cet artifice divin et infiniment merveilleux, parce que chaque portion de la matière n’est pas seulement divisible à l’infini comme les anciens ont reconnu, mais encore sous-divisée actuellement sans fin, chaque partie en parties, dont chacune a quelque mouvement propre ; autrement il serait impossible que chaque portion de la matière pût exprimer tout l’univers.

    Où s’arrête la machine dans l’art ?

    Dans la nature ?

    Que signifie la divisibilité à l’infini ?

    Que signifie la division actuelle sans fin ?

    Comment chaque portion de la matière exprime-t-elle l’univers ?



    5 Buffon

    Histoire naturelle, l’âne

    Si, dans l’immense variété que nous présentent tous les êtres animés qui peuplent l’univers, nous choisissons un animal, ou même le corps de l’homme pour servir de base à nos connaissances, et y rapporter, par la voie de la comparaison, les autres êtres organisés, nous trouverons que, quoique tous ces êtres existent solitairement, et que tous varient par des différences graduées à l’infini, il existe en même temps un dessein primitif et général qu’on peut suivre très loin, et dont les dégradations sont bien plus lentes que celles des figures et des autres rapports apparents ; car, sans parler des organes de la digestion, de la circulation et de la génération, qui appartiennent à tous les animaux, et sans lesquels l’animal cesserait d’être animal et ne pourrait ni subsister ni se reproduire, il y a, dans les parties mêmes qui contribuent le plus à la variété de la forme extérieure, une prodigieuse ressemblance qui nous rappelle nécessairement l’idée d’un premier dessein, sur lequel tout semble avoir été conçu. (...) Que l’on considère, comme l’a remarqué M Daubenton, que le pied d’un cheval, en apparence si différent de la main de l’homme, est cependant composé des mêmes os, et que nous avons à l’extrémité de chacun de nos doigts le même osselet en fer à cheval qui termine le pied de cet animal ; et l’on jugera si cette ressemblance cachée n’est pas plus merveilleuse que les différences apparentes ; si cette conformité constante et ce dessein suivi de l’homme aux quadrupèdes, des quadrupèdes aux cétacés, des cétacés aux oiseaux, des oiseaux aux reptiles, des reptiles aux poissons, etc., dans lesquels les parties essentielles, comme le cœur, les intestins, l’épine du dos, les sens, etc., se trouvent toujours, ne semblent pas indiquer qu’en créant les animaux l’Etre suprême n’a voulu employer qu’une idée, et la varier en même temps de toutes les manières possibles, afin que l’homme pût admirer également et la magnificence de l’exécution, et la simplicité du dessein.

    Où se situent les différences entre les espèces ?

    Où les ressemblances ?

    Quel est le dessein primitif et général qu’évoque l’auteur ?

    Qui, à son avis, l’a-t-il conçu ?

    Dans quel but ?



    6 Maupertuis

    Essai sur la formation des corps organisés, §§ XLIII-XLV

    Un phénomène des plus singuliers et des plus difficiles à expliquer, c’est la stérilité des métis. L’expérience a appris qu’aucun animal né de l’accouplement de différentes espèces ne reproduit. Ne pourrait-on pas dire que dans les parties du mulet et de la mule, les éléments ayant pris un arrangement particulier, qui n’était ni celui qu’ils avaient dans l’âne, ni celui qu’ils avaient dans la jument, lorsque ces éléments passent dans les semences du mulet et de la mule, l’habitude de ce dernier arrangement étant plus récente, et l’habitude de l’arrangement qu’elles avaient chez les aïeux étant plus forte, comme contractée par un plus grand nombre de générations, les éléments restent dans un certain équilibre, et ne s’unissent ni de manière ni d’autre ?

    Il peut au contraire y avoir des arrangements si tenaces, que dès la première génération ils l’emportent sur tous les arrangements précédents, et en effacent l’habitude.

    Ne pourrait-on pas expliquer par là comment de deux seuls individus la multiplication des espèces les plus dissemblables aurait pu s’ensuivre? Elles n’auraient dû leur première origine qu’à quelques productions fortuites, dans lesquelles les parties élémentaires n’auraient pas retenu l’ordre qu’elles tenaient dans les animaux pères et mères ; chaque degré d’erreur aurait fait une nouvelle espèce : et à force d’écarts répétés serait venue la diversité infinie des animaux que nous voyons aujourd’hui ; qui s’accroîtra peut-être encore avec le temps, mais à laquelle peut-être la suite des siècles n’apporte que des accroissements insensibles.

    Qu’est-ce qui caractérise l’arrangement des éléments chez les métis ?

    Tous les arrangements récents ont-ils la même destinée ?

    Quelle est leur origine ?

    Ces écarts sont-ils exceptionnels ?

    Que peut-on expliquer par là ?

  • cf. Buffon (XVIII,5); Diderot (XVIII,8)



  • 7 Maupertuis

    Essai de cosmologie, première partie

    L’argument (qui prouverait l’existence de Dieu) tiré de la convenance des différentes parties des animaux avec leurs besoins paraît plus solide. Leurs pieds ne sont-ils pas faits pour marcher, leurs ailes pour voler, leurs yeux pour voir, leur bouche pour manger, d’autres parties pour produire leurs semblables ? Tout cela ne marque-t-il pas une intelligence et un dessein qui ont présidé à leur construction ? Cet argument avait frappé les Anciens comme il a frappé Newton : et c’est en vain que le plus grand ennemi de la Providence y répond que l’usage n’a point été le but, qu’il a été la suite de la construction des parties des animaux ; que le hasard ayant formé les yeux, les oreilles, la langue, on s’en est servi pour entendre, pour parler.

    Mais ne pourrait-on pas dire que dans la combinaison fortuite des productions de la nature, comme il n’y avait que celles où se trouvaient certains rapports de convenance qui pussent subsister, il n’est pas merveilleux que cette convenance se trouve dans toutes les espèces qui actuellement existent ? Le hasard, dirait-on, avait produit une multitude innombrable d’individus ; un petit nombre se trouvait construit de manière que les parties de l’animal pouvaient satisfaire à ses besoins ; dans un autre infiniment plus grand, il n’y avait ni convenance, ni ordre : tous ces derniers ont péri ; des animaux sans bouche ne pouvaient pas vivre, d’autres qui manquaient d’organes pour la génération ne pouvaient pas se perpétuer : les seuls qui soient restés sont ceux où se trouvaient l’ordre et la convenance ; et ces espèces que nous voyons aujourd’hui ne sont que la plus petite partie de ce qu’un destin aveugle avait produit.

    Qu’est-ce que la convenance des parties aux besoins ? Comment les amis de la Providence l’expliquent-ils ?

    Comment les ennemis de la Providence l’entendent-ils ?

    En quel sens leur réponse est-elle vaine ?

    Les combinaisons où elle manque sont-elles viables ?

    Quelle origine l’auteur donne-t-il aux espèces ?

  • cf. Spinoza (XVIII,3); Diderot (XVIII,10)



  • 8 Diderot

    de l’Interprétation de la nature, § XII

    Il semble que la nature se soit plu à varier le même mécanisme d’une infinité de manières différentes. Elle n’abandonne un genre de productions qu’après en avoir multiplié les individus sous toutes les faces possibles. Quand on considère le règne animal, et qu’on s’aperçoit que, parmi les quadrupèdes, il n’y en a pas un qui n’ait les fonctions et les parties, surtout intérieures, entièrement semblables à un autre quadrupède, ne croirait-on pas volontiers qu’il n’y a jamais eu qu’un premier animal, prototype de tous les animaux, dont la nature n’a fait qu’allonger, raccourcir, transformer, multiplier, oblitérer certains organes ? Imaginez les doigts de la main réunis, et la matière des ongles si abondante que, venant à s’étendre et à se gonfler, elle enveloppe et couvre le tout ; au lieu de la main d’un homme vous aurez le pied d’un cheval. Quand on voit les métamorphoses successives de l’enveloppe du prototype, quel qu’il ait été, approcher un règne d’un autre règne par des degrés insensibles, et peupler les confins des deux règnes (s’il est permis de se servir du terme de confins où il n’y a aucune division réelle), et peupler, dis-je, les confins des deux règnes d’êtres incertains, ambigus, dépouillés en grande partie des formes, des qualités et des fonctions de l’un, et revêtus des formes, des qualités, des fonctions de l’autre, qui ne se sentirait porté à croire qu’il n’y a jamais eu qu’un premier être prototype de tous les êtres ?

    Que montre la considération des fonctions et des parties dans le règne animal ?

    Que donne à penser la variation infinie d’un même mécanisme ?

    Les espèces animales sont-elles divisées ?

    Le règne animal et le règne végétal sont-ils divisés ?

    Comment l’unicité du prototype est-elle interprétée ?

  • cf. Buffon (XVIII,5); Maupertuis (XVIII,6)



  • 9 Diderot

    de l’Interprétation de la nature, § LVIII,2

    De même que dans les règnes animal et végétal, un individu commence, pour ainsi dire, s’accroît, dure, dépérit et passe ; n’en serait-il pas de même des espèces entières ? Si la foi ne nous apprenait que les animaux sont sortis des mains du Créateur tels que nous les voyons ; et s’il était permis d’avoir la moindre incertitude sur leur commencement et sur leur fin, le philosophe abandonné à ses conjectures ne pourrait-il pas soupçonner que l’animalité avait de toute éternité ses éléments particuliers, épars et confondus dans la masse de la matière ; qu’il est arrivé à ces éléments de se réunir, parce qu’il était possible que cela se fît ; que l’embryon formé de ces éléments a passé par une infinité d’organisations et de développements ; qu’il a eu, par succession, du mouvement, de la sensation, des idées, de la pensée, de la réflexion, de la conscience, des sentiments, des passions, des signes, des gestes, des sons, des sons articulés, une langue, des lois, des sciences et des arts ; qu’il s’est écoulé des millions d’années entre chacun de ces développements ; qu’il a peut-être encore d’autres développements à subir et d’autres accroissements à prendre, qui nous sont inconnus ; qu’il a eu ou qu’il aura un état stationnaire ; qu’il s’éloigne ou qu’il s’éloignera de cet état par un dépérissement éternel, pendant lequel ses facultés sortiront de lui comme elles y étaient entrées ; qu’il disparaîtra pour jamais de la nature, ou plutôt qu’il continuera d’y exister, mais sous une forme et avec des facultés tout autres que celles qu’on lui remarque dans cet instant de la durée ? La religion nous épargne bien des écarts et bien des travaux.

    Que nous apprend la foi du commencement des espèces ? de leur fin ?

    Qu’est-ce que l’infinité d’organisations et de développements ?

    Que donne-t-elle à soupçonner ?

    A quel règne appartient l’embryon qui a du mouvement ? de la sensation ? des idées, etc. ?

    Quelle origine est-on tenté de soupçonner aux espèces ?

  • cf. Spinoza (XVIII,3); Maupertuis (XVIII,7)



  • 10 Diderot

    Lettre sur les aveugles

    Imaginez donc, si vous voulez, que l’ordre qui vous frappe a toujours subsisté ; mais laissez-moi croire qu’il n’en est rien ; et que si nous remontions à la naissance des choses et des temps, et que nous sentissions la matière se mouvoir et le chaos se débrouiller, nous rencontrerions une multitude d’êtres informes pour quelque êtres bien organisés. Si je n’ai rien à vous objecter sur la condition présente des choses, je puis du moins vous interroger sur leur condition passée. Je puis vous demander, par exemple, qui vous a dit à vous, à Leibniz, à Clarke et à Newton, que dans les premiers instants de la formation des animaux, les uns n’étaient pas sans tête et les autres sans pieds ? Je puis vous soutenir que ceux-ci n’avaient point d’estomac, et ceux-là point d’intestins ; que tels à qui un estomac, un palais et des dents semblaient promettre de la durée, ont cessé par quelque vice du cœur ou des poumons ; que les monstres se sont anéantis successivement ; que toutes les combinaisons vicieuses de la matière ont disparu, et qu’il n’est resté que celles où le mécanisme n’impliquait aucune contradiction importante, et qui pouvaient subsister par elles-mêmes et se perpétuer.

    Cela supposé, si le premier homme eût eu le larynx fermé, eût manqué d’aliments convenables, eût péché par les parties de la génération, n’eût point rencontré sa compagne, ou se fût répandu dans une autre espèce, (...) que devenait le genre humain ? il eût été enveloppé dans la dépuration générale de l’univers ; et cet être orgueilleux qui s’appelle homme, dissous et dispersé entre les molécules de la matière, serait resté, peut-être pour toujours, au nombre des possibles. S’il n’y avait jamais eu d’êtres informes, vous ne manqueriez pas de prétendre qu’il n’y en aura jamais, et que je me jette dans les hypothèses chimériques ; mais l’ordre n’est pas si parfait (...) qu’il ne paraisse encore de temps en temps des productions monstrueuses.

    De quel ordre parle-t-on ?

    Conteste-t-on qu’il se rencontre dans le présent ?

    A quoi l’évocation des monstres vise-t-elle ?

    Quel est l’effet de la dépuration générale de l’univers ?

    Comment l’existence de l’espèce humaine est-elle expliquée ? Quelle supposition est-elle superflue ?

  • cf. Maupertuis (XVIII,6 & 7)



  • 11 Rousseau

    Profession de foi du Vicaire savoyard

    Je juge de l’ordre du monde quoique j’en ignore la fin, parce que pour juger de cet ordre il me suffit de comparer les parties entre elles, d’étudier leur concours, leurs rapports, d’en remarquer le concert. J’ignore pourquoi l’univers existe ; mais je ne laisse pas de voir comment il est modifié : je ne laisse pas d’apercevoir l’intime correspondance par laquelle les êtres qui le composent se prêtent un secours mutuel. Je suis comme une homme qui verrait pour la première fois une montre ouverte, et qui ne laisserait pas d’en admirer l’ouvrage, quoiqu’il ne connût pas l’usage de la machine et qu’il n’eût point vu le cadran. Je ne sais, dirait-il, à quoi le tout est bon ; mais je vois que chaque pièce est faite pour les autres ; j’admire l’ouvrier dans le détail de son ouvrage, et je suis bien sûr que son ouvrage ne marche ainsi de concert que pour une fin commune qu’il m’est impossible d’apercevoir.

    Comparons les fins particulières, les moyens, les rapports ordonnés de toute espèce, puis écoutons le sentiment intérieur ; quel esprit sain peut se refuser à son témoignage ? A quels yeux non prévenus l’ordre sensible de l’univers n’annonce-t-il pas une suprême intelligence ?

    Qu’est-ce qui donne à penser que le monde est ordonné ?

    Comprend-on pourquoi il l’est ?

    De quelle comparaison l’auteur se sert-il ?

    Que veut-il prouver ?

    Contre qui faut-il écouter le témoignage du sentiment intérieur ?

    -> un éclairage

  • cf. Maupertuis (XVIII,7); Diderot (XVIII,10)



  • 12 Kant

    Critique du jugement, § 65

    A un corps qui doit être jugé en soi et selon sa possibilité interne comme une fin de la nature, il est demandé que l’ensemble de ses parties se produisent mutuellement l’une l’autre et réciproquement, tant selon leur forme que selon leur connexion, et donc par causalité propre produisent un tout, dont le concept inversement (dans un être qui disposerait de la causalité par concepts propre à un tel produit) pourrait être jugé sa cause selon un principe, et dont par suite la connexion des causes efficientes pourra être jugée en même temps comme l’effet de causes finales.

    Dans un tel produit de la nature chaque partie, de même qu’elle n’existe que par toutes les autres, est pensée comme existant aussi pour les autres et pour le tout, c’est à dire comme instrument (organe) ; ce qui n’est pas assez (car il pourrait aussi être instrument de l’art et ainsi n’être conçu possible que comme fin en général) : elle doit être tenue (et par suite réciproquement chacune des autres) pour un organe produisant les autres parties, ce que ne peut être aucun instrument de l’art, mais seul un instrument de la nature productrice de toute matière pour les instruments (y compris ceux de l’art) ; et seulement ensuite et pour cette raison un tel produit, en tant qu’être organisé et s’organisant lui-même, pourra être nommé une fin de la nature.

    (trad. Dorion)

    Quel corps peut-il être tenu pour un tout ?

    Quelles sont dans ce corps les relations entre les parties ?

    Comment celles-ci le distinguent-elles d’un objet de l’art ?

    Qu’est-ce qu’une cause finale ? Une fin de la nature ?

    Quelle conception de la nature implique-t-elle ?

    -> un éclairage

  • cf. Leibniz (XVIII,4)



  • 13 Kant

    Critique du jugement, § 66

    Est un produit organisé de la nature ce en quoi tout est fin et réciproquement aussi moyen. Rien en lui n’est vain, sans fin, ni attribuable à un aveugle mécanisme de la nature.

    Selon sa cause il faut certes dériver ce principe de l’expérience, c’est à dire de celle qui est méthodiquement posée et s’appelle observation ; mais à cause de l’universalité et de la nécessité qu’il prescrit à une telle finalité, il ne peut reposer simplement sur des fondements empiriques, il doit avoir pour fondement un principe a priori, même s’il n’est que simplement régulateur et que chaque fin réside seulement dans l’Idée de celui qui juge, et pas du tout dans une cause efficiente. On peut pour cette raison nommer ce principe une maxime du jugement de la finalité interne des êtres organisés.

    Il est connu que ceux qui dissèquent les végétaux et les animaux pour rechercher leur structure et découvrir pourquoi et à quelle fin de telles parties, pourquoi une telle disposition et connexion de ces parties et pourquoi par conséquent cette forme interne leur ont été données, tiennent pour inévitable et nécessaire cette maxime : “que rien dans une telle créature ne soit vain”, et qu’ils lui reconnaissent la même valeur qu’au principe de la science universelle de la nature : “que rien ne se produit par hasard”. Ils peuvent en fait tout aussi peu se défaire de ce principe téléologique que du principe physique universel, parce que tout comme l’abandon de ce dernier rendrait impossible l’expérience en général, celui du premier ne laisserait plus subsister de fil conducteur pour l’observation d’une sorte de choses de la nature, une fois que nous les avons pensées de manière téléologique sous le concept de fins de la nature.

    (trad. Dorion).

    Comment nomme-t-on couramment le principe de la science universelle de la nature ?

    Peut-il justifier la maxime : “que rien dans une telle créature ne soit vain” ?

    Pourquoi le principe allégué est-il dit principe du jugement de la finalité interne des êtres organisés ?

    Qu’est-ce qui le rend nécessaire ?

    Pourquoi faut-il qu’il soit a priori ?

    -> un éclairage

  • cf. Aristote (XVIII,2); Spinoza (XVIII,3); Leibniz (XVIII,4); Maupertuis (XVIII,7); Diderot (XVIII,10); Rousseau (XVIII,11)



  • 14 Chateaubriand

    Génie du christianisme, I, V, 3

    Or, si tout était le produit du hasard, les causes finales ne seraient-elles pas quelquefois altérées ? Pourquoi n’y aurait-il pas des poissons qui manqueraient de la vessie qui les fait flotter ? Et pourquoi l’aiglon, qui n’a pas encore besoin d’armes, ne briserait-il pas la coquille de son berceau avec le bec d’une colombe ? Jamais une méprise, jamais un accident de cette espèce dans l’aveugle nature ? De quelque manière que vous jetiez les dés, ils amèneront toujours les mêmes points ? Voilà une étrange fortune ! nous soupçonnons qu’avant de tirer les mondes de l’urne de l’éternité, elle a secrètement arrangé les sorts.

    Cependant il y a des monstres dans la nature, et ces monstres ne sont que des êtres privés de quelques-unes de leurs causes finales. Il est digne de remarque que ces êtres nous font horreur : tant l’instinct de Dieu est fort chez les hommes ! tant ils sont effrayés aussitôt qu’ils n’aperçoivent pas la marque de l’intelligence suprême ! On a voulu faire naître de ces désordres une objection contre la Providence ; nous les regardons, au contraire, comme une preuve manifeste de cette même Providence. Il nous semble que Dieu a permis ces productions de la matière pour nous apprendre ce que c’est que la création sans lui : c’est l’ombre qui fait ressortir la lumière ; c’est un échantillon de ces lois du hasard qui, selon les athées, doivent avoir enfanté l’univers.

    Quelle est la doctrine combattue par l’auteur ?

    Que serait une fortune qui aurait secrètement arrangé les sorts ?

    Comment distinguer le monstre de l’accident ?

    Comment l’auteur en retourne-t-il le sens ?

    Que peut-on conclure de l’absence de méprise ou d’accident ?

  • cf. Spinoza (XVIII,3); Maupertuis (XVIII,7); Diderot (XVIII,9 & 10)



  • 15 Darwin

    L’origine des espèces, ch 14

    La cause principale de notre répugnance naturelle à admettre qu’une espèce ait donné naissance à une autre espèce distincte tient à ce que nous sommes toujours peu disposés à admettre tout grand changement dont nous ne voyons pas les degrés intermédiaires. (...) L’esprit ne peut concevoir toute la signification de ce terme : un million d’années, il ne saurait davantage ni additionner ni percevoir les effets complets de beaucoup de variations légères, accumulées pendant un nombre presque infini de générations.

    Bien que je sois profondément convaincu de la vérité des opinions que j’ai brièvement exposées dans le présent volume, je ne m’attends point à convaincre certains naturalistes, fort expérimentés sans doute, mais qui, depuis longtemps, se sont habitués à envisager une multitude de faits sous un point de vue directement opposé au mien. Il est si facile de cacher notre ignorance sous des expressions telles que plan de création, unité de type, etc., et de penser que nous expliquons quand nous ne faisons que répéter un même fait. Celui qui a quelque disposition naturelle à attacher plus d’importance à quelques difficultés non résolues qu’à l’explication d’un certain nombre de faits rejettera certainement ma théorie. Quelques naturalistes doués d’une intelligence ouverte et déjà disposée à mettre en doute l’immutabilité des espèces peuvent être influencés par le contenu de ce volume, mais j’en appelle surtout avec confiance à l’avenir, aux jeunes naturalistes, qui pourront étudier impartialement les deux côtés de la question. Quiconque est amené à admettre la mutabilité des espèces rendra de véritables services en exprimant consciencieusement sa conviction, car c’est seulement ainsi que l’on pourra débarrasser la question de tous les préjugés qui l’étouffent.

    (trad. Barbier)

    Quelle est la théorie relative au vivant défendue par l’auteur ?

    Quel obstacle s’oppose-t-il à ce qu’elle soit facilement admise ?

    Ce qui s’observe à l’échelle d’une vie humaine se retrouve-t-il à l’échelle de millions d’années ?

    Quel sens a l’objection d’un plan de la création ?

    Quelle portée ont “quelques difficultés non résolues” ?

  • cf. Maupertuis (XVIII,6); Diderot (XVIII,9)



  • 16 Nietzsche

    Généalogie de la morale, II, § 12

    (La méthode historique) contredit sur le fond l’instinct d’aujourd’hui et la mode, qui s’accommoderaient bien mieux du hasard absolu et de l’absurdité mécanique des événements que de la théorie d’une volonté de puissance jouant dans tous les événements. Le tempérament démocratique hostile à tout ce qui commande et veut commander, le misarchisme moderne (pour illustrer d’un méchant mot une méchante chose) s’est progressivement si bien renversé et travesti en spirituel et suprêmement spirituel, que déjà il pénètre et a droit de pénétrer pas à pas dans les sciences les plus rigoureuses et apparemment les plus objectives. Il me semble déjà s’être rendu maître de toute la physiologie et de la théorie de la vie, pour son malheur, cela va de soi, en lui escamotant un concept fondamental, celui de sa propre activité. Contre elle, sous la pression de ce tempérament on pose au premier plan l’“adaptation”, c’est à dire une activité de second rang, une simple réactivité, et l’on (Herbert Spencer) a défini la vie elle-même comme une adaptation interne toujours plus conforme aux conditions externes. Mais par là on méconnaît l’essence de la vie, sa volonté de puissance. Par là on ignore son principe premier, à savoir les forces spontanées, agressives, victorieuses, novatrices, transformatrices, organisatrices, auxquelles répond ensuite l’“adaptation”. Par là on nie dans l’organisme lui-même le rôle dominant des fonctions les plus élevées, dans lesquelles la volonté de vivre apparaît active et formatrice.

    (trad. Dorion)

    Quel concept doit-il être fondamental dans une théorie de la vie ?

    Quel est le principe premier de celle-ci ?

    Le reconnaît-on lorsqu’on pose au premier plan l’adaptation ?

    Que veut la méthode historique ?

    Que veut le tempérament démocratique ?

    -> une explication



    17 Bergson

    l’Evolution créatrice, ch I

    La position du vitalisme est rendue très difficile par le fait qu’il n’y a ni finalité purement interne ni individualité absolument tranchée dans la nature. Les éléments organisés qui entrent dans la composition de l’individu ont eux-mêmes une certaine individualité et revendiqueront chacun leur principe vital, si l’individu doit avoir le sien. Mais, d’autre part, l’individu lui-même n’est pas assez indépendant, pas assez isolé du reste, pour que nous puissions lui accorder un “principe vital” propre. Un organisme tel que celui d’un Vertébré supérieur est le plus individué de tous les organismes : pourtant, si l’on remarque qu’il n’est que le développement d’un ovule qui faisait partie du corps de sa mère et d’un spermatozoïde qui appartenait au corps de son père, que l’œuf (c’est-à-dire l’ovule fécondé) est un véritable trait d’union entre les deux progéniteurs puisqu’il est commun à leurs deux substances, on s’aperçoit que tout organisme individuel, fût-ce celui d’un homme, est un simple bourgeon qui a poussé sur le corps combiné de ses deux parents. Où commence alors, où finit le principe vital de l’individu ? De proche en proche, on reculera jusqu’à ses plus lointains ancêtres ; on le trouvera solidaire de chacun d’eux, solidaire de cette petite masse de gelée protoplasmique qui est sans doute à la racine de l’arbre généalogique de la vie. Faisant corps, dans une certaine mesure, avec cet ancêtre primitif, il est également solidaire de tout ce qui s’en est détaché par voie de descendance divergente : en ce sens, on peut dire qu’il reste uni à la totalité des vivants par d’invisibles liens. C’est donc en vain qu’on prétend rétrécir la finalité à l’individualité de l’être vivant. S’il y a de la finalité dans le monde de la vie, elle embrasse la vie entière dans une seule indivisible étreinte. Cette vie commune à tous les vivants présente, sans aucun doute, bien des incohérences et bien des lacunes, et d’autre part elle n’est pas si mathématiquement une qu’elle ne puisse laisser chaque vivant s’individualiser dans une certaine mesu­re. Elle n’en forme pas moins un seul tout ; et il faut opter entre la négation pure et simple de la finalité et l’hypothèse qui coordonne, non seulement les parties d’un organisme à l’organisme lui-même, mais encore chaque être vivant à l’ensemble des autres.

    Quels sont les éléments organisés qui entrent dans la composition de l’individu ?

    Qu’en est-il de l’indépendance de l’individu vivant ? A quoi est-il uni ?

    Quelles deux sortes de finalités distingue-t-on ?

    Peut-on faire abstraction de l’une d’elles ?

    Comment la finalité peut-elle être définie ?

  • cf. Kant (XVIII,12 & 13)



  • 18 Alain

    Entretiens au bord de la mer, VI

    Il me semble que Darwin a tenté d’esquisser une génération du vivant par une sorte d’intersection de toutes les choses, sol, eau, air, rochers, boue ; l’insecte aux ailes fortes et l’insecte aptère exprimant l’un et l’autre la force des vents ; le loup massif exprimant sa proie, le buffle ; et le loup lévrier exprimant sa proie, l’antilope. En suivant cette idée, il faudrait décrire l’oiseau comme exprimant l’air et la pesanteur, par la forme du corps et des ailes ; et enfin toute la nature d’un vivant comme extérieure à lui. Seulement nous n’avons encore qu’une esquisse de cette difficile analyse. J’ai souvent réfléchi à ce moyen auxiliaire, tiré de la variété présupposée des individus naissants, parmi lesquels quelques uns sont conservés, à savoir ceux qui expriment le mieux le milieu même où ils ont à vivre. N’est-ce pas là une sorte d’axiome par lequel nous subordonnons l’inhérence à la relation ? Ce qui fait que telle forme survit, ce n’est point elle, c’est à dire sa convenance à elle-même, mais c’est elle plus ou moins portée par le vent, nourrie d’une certaine proie, protégée par une certaine forme de cachette, poursuivie par une certaine forme d’yeux et de griffes. Certes, ce n’est pas par ces conditions que l’animal avait de hasard une petite différence de forme, à lui avantageuse ; telle est la part de l’inhérence, qu’aucune recherche jamais n’élimine. Mais c’est bien par des conditions extérieures à lui et étrangères, tel ennemi, telle proie, tel milieu fluide, qu’il l’emporte sur d’autres, c’est à dire qu’il se maintient dans l’existence.

    Que faut-il entendre par “une intersection de toutes choses” ?

    Comment l’insecte aptère exprime-t-il la force des vents ? Et l’autre ?

    Que signifie la nature “extérieure à lui” ? Est-ce vrai du seul vivant ?

    En quoi la variété est-elle un moyen auxiliaire de cette théorie ?

    Comment un animal se maintient-il dans l’existence ?

    -> un éclairage

  • cf. Platon (XIX,1); Maupertuis (XVIII,6); Diderot (XVIII,8); Alain (VII,14)

  • programme


    XIX Matière / esprit



    1 Platon

    Théétète, 157a-b

    Ce qu’il est, rien ne l’est par soi ; c’est dans le rapport avec les autres que toute chose est produite, et sous des formes de toutes sortes, selon le mouvement, puisqu’on ne peut concevoir de manière fixe, disent-ils, l’agent et le patient chacun à part. Il n’y a pas d’agent avant qu’il n’entre en rapport avec le patient, pas de patient avant qu’il n’entre en rapport avec l’agent. Ce qui dans un rapport est agent se montre patient en un autre. Il ressort de tout cela, comme nous l’avons dit au début, que ce qu’il est, rien ne l’est par soi, et que toujours en rapport à autre chose tout devient. Il faut exclure l’être de toute chose, quoique l’habitude et l’ignorance nous aient contraints souvent et à l’instant même d’utiliser le mot. Si l’on en croit les sages, il faut écarter les quelque chose, ou de quelqu’un, ou de moi, ou ceci, ou cela ou tout autre mot qui fixe les choses. Et pour suivre la nature, il faut dire en train de se produire, de se faire, de se détruire, de s’altérer. Fixer les choses par son langage, c’est s’exposer à la critique. On doit donc pour sa part parler ainsi et des nombreux éléments qui se composent, et de leurs composés qu’on nomme homme, pierre, animal ou espèce.

    (trad. Dorion - La pensée de Platon n’est pas nécessairement engagée par les propos qu’il prête aux personnages de ses dialogues)

    Le mouvement n’affecte-t-il que l’ordre des choses dans l’espace ou le temps ?

    Comment l’agent et le patient interagissent-ils ?

    La notion d’être conserve-t-elle un sens ?

    S’il n’y a pas d’être des prétendues choses, que sont-elles ?

    Que penser de la difficulté du langage à exprimer cette philosophie ?

    -> une explication



    2 Aristote

    Métaphysique, L 1072a

    Il existe quelque chose qui est éternellement mû, d’un mouvement qui ne s’arrête jamais ; et ce mouvement est circulaire. Cette vérité n’est pas évidente seulement pour la raison ; elle est, en outre, évidemment prouvée par les faits eux-mêmes.

    Donc, le premier ciel est éternel ; donc, il existe aussi quelque chose, qui lui donne le mouvement. Mais, comme le mobile intermédiaire est mû et meut à son tour, il faut concevoir quelque chose qui meut sans être mû, quelque chose d’éternel, qui est substance et qui est acte. Or, voici comment il meut : c’est comme le désirable et l’intelligible, qui meut sans être mû. De part et d’autre, pour l’intelligible et le désirable, les primitifs sont les mêmes. L’objet désiré est ce qui nous parait être bien ; et le primitif de la volonté, c’est le bien même. Nous le souhaitons, parce qu’il nous paraît souhaitable, bien plutôt qu’il ne nous paraît souhaitable parce que nous le souhaitons ; car, en ceci, c’est l’intelligence qui est le principe. Or, l’intelligence n’est mue que par l’intelligible.

    L’intelligible est l’autre série, qui existe par elle-même ; c’est en elle qu’est la substance première, et c’est en celle-ci qu’existent la substance absolue et la substance en acte. Mais l’Un et l’Absolu ne se confondent pas ; l’Un exprime la mesure ; l’Absolu exprime la manière d’être de la chose. Toutefois, le bien et le préférable en soi, sont dans la même série ; et c’est le primitif qui est toujours, ou le meilleur, ou ce qui est analogue au meilleur.

    (trad. Barthélemy-Saint Hilaire)

    Ce qui meut en étant lui-même mû constitue-t-il une explication suffisante du mouvement ?

    Le moteur d’un mouvement éternel peut-il n’être pas éternel ?

    De quelle manière est-il déterminé ?

    Comment le souhaité et le souhaitable sont-ils connectés ?

    Quel rapport entre la matière et l’esprit induit cette philosophie ?

  • cf. Aristote (XIV,3)



  • 3 Maïmonide

    Guide des égarés, I 31

    Sache qu’il y a pour l’intelligence humaine des objets de perception qu’il est dans sa faculté et dans sa nature de percevoir ; mais qu’il y a aussi dans ce qui existe des êtres et des choses qu’il n’est point dans sa nature de percevoir d’une manière quelconque, ni par une cause quelconque, et dont la perception lui est absolument inaccessible. Il y a enfin, dans l’être, des choses dont elle perçoit telle circonstance, restant dans l’ignorance sur d’autres circonstances. En effet, de ce qu’elle est quelque chose qui perçoit, il ne s’en suit pas nécessairement qu’elle doive percevoir toute chose ; car les sens également ont des perceptions, sans pourtant qu’ils puissent percevoir les objets à quelque distance que ce soit (...)

    L’intelligence humaine a indubitablement une limite où elle s’arrête. Pour certaines choses donc l’homme reconnaît l’impossibilité de les saisir et ne se sent pas le désir de les connaître, sachant bien que cela est impossible et qu’il n’y a pas de porte par laquelle on puisse entrer pour y arriver. Ainsi par exemple, nous ignorons quel est le nombre des étoiles du ciel, et si c’est un nombre pair ou impair, et nous ignorons également le nombre des espèces des animaux, des minéraux et des plantes, et autres choses semblables. Mais il y a d’autres choses que l’homme éprouve un grand désir de saisir, et les efforts de l’intelligence pour en chercher la réalité et pour les scruter à fond se rencontrent chez toutes les sectes spéculatives du monde et à toutes les époques. Et sur ces choses les opinions sont nombreuses, le désaccord règne entre les penseurs, et il naît des doutes parce que l’intelligence s’attache à saisir ces choses, je veux dire qu’elle y est attirée par le désir, et parce que chacun croit avoir trouvé un chemin pour connaître la réalité de la chose, tandis qu’il n’est point au pouvoir de l’intelligence humaine d’alléguer à cet égard une preuve démonstrative (...)

    Les points sur lesquels règne cette confusion dans les opinions sont très nombreux dans les choses métaphysiques, en petit nombre dans les choses physiques, et nuls dans les choses mathématiques.

    (trad. Munk)

    Quelles sortes d’objets de perception sont-ils distinguées ?

    Comment l’intelligence humaine se comporte-t-elle devant ce qu’elle ne peut percevoir ?

    Quelle conséquence a le désir de saisir l’inaccessible ?

    Quelle portée a la proposition selon laquelle l’intelligence a une limite ?

    Quelle portée a l’assimilation aux perceptions des sens des perceptions de l’intelligence ?

    -> une explication

  • cf. Thomas d’Aquin (XIV,4)



  • 4 Descartes

    Méditations, VI

    Il n’y a point de doute que tout ce que la nature m’enseigne contient quelque vérité : car par la nature considérée en général, je n’entends maintenant autre chose que Dieu même, ou bien l’ordre et la disposition que Dieu a établie dans les choses créées ; et par ma nature en particulier je n’entends autre chose que la complexion ou l’assemblage de toutes les choses que Dieu m’a données.

    Or il n’y a rien que cette nature m’enseigne plus expressément ni plus sensiblement, sinon que j’ai un corps qui est mal disposé quand je sens de la douleur, qui a besoin de manger ou de boire quand j’ai les sentiments de la faim ou de la soif, etc. Et partant je ne dois aucunement douter qu’il n’y ait en cela quelque vérité.

    La nature m’enseigne aussi par ces sentiments de douleur, de faim, de soif, etc., que je ne suis pas seulement logé dans mon corps, ainsi qu’un pilote en son navire, mais outre cela que je lui suis conjoint très étroitement, et tellement confondu et mêlé, que je compose comme un seul tout avec lui. Car si cela n’était, lorsque mon corps est blessé, je ne sentirais pas pour cela de la douleur, moi qui ne suis qu’une chose qui pense, mais j’apercevrais cette blessure par le seul entendement, comme un pilote aperçoit par la vue si quelque chose se rompt dans son vaisseau. Et lorsque mon corps a besoin de boire et de manger, je connaîtrais simplement cela même, sans en être averti par des sentiments confus de faim et de soif. Car en effet tous ces sentiments de faim, de soif, de douleur, etc. ne sont autre chose que de certaines façons confuses de penser, qui proviennent et dépendent de l’union, et comme du mélange de l’esprit avec le corps.

    (trad. De Luynes)

    Qu’est-ce que la nature m’enseigne expressément par les sentiments de la douleur, de la faim ou de la soif ?

    Pourquoi cet enseignement est-il hors de doute ?

    Pourquoi ne suis-je pas seulement logé dans mon corps, ainsi qu’un pilote en son navire ?

    Quelles sortes de pensées les sentiments sont-ils ?

    Que sont, a contrario, les pensées claires et distinctes ?

    -> une explication



    5 Spinoza

    Ethique, II 7 scolie

    Tout ce qui peut être perçu par un entendement infini comme constituant une essence de substance, appartient à une substance unique, et en conséquence substance pensante et substance étendue, c’est une seule et même substance comprise tantôt sous un attribut, tantôt sous l’autre. De même aussi un mode de l’étendue et l’idée de ce mode, c’est une seule et même chose, mais exprimée en deux manières ; c’est ce que quelques Hébreux semblent avoir vu comme à travers un nuage. Je veux dire ceux qui admettent que Dieu, l’entendement de Dieu et les choses dont il forme l’idée, sont une seule et même chose. Par exemple, un cercle existant dans la nature et l’idée du cercle existant, laquelle est aussi en Dieu, c’est une seule et même chose qui s’explique par le moyen d’attributs différents ; et ainsi, que nous concevions la nature sous l’attribut de l’étendue ou sous l’attribut de la pensée ou sous un autre quelconque, nous trouverons un seul et même ordre ou une seule et même connexion de causes, c’est-à-dire les mêmes choses suivant les unes des autres. Et si j’ai dit que Dieu est cause d’une idée, de celle d’un cercle par exemple, en tant seulement qu’il est chose pensante, comme du cercle en tant seulement qu’il est chose étendue, mon seul motif pour tenir ce langage a été qu’on ne peut percevoir l’être formel de l’idée du cercle que par le moyen d’un autre mode de penser, qui en est comme la cause prochaine, qu’on ne peut percevoir cet autre à son tour que par le moyen d’un autre encore et ainsi à l’infini ; de sorte que, aussi longtemps que les choses sont considérées comme des modes du penser nous devons expliquer l’ordre de la nature entière, c’est-à-dire la connexion des causes par le seul attribut de la pensée ; et en tant qu’elles sont considérées comme des modes de l’étendue, l’ordre de la nature entière doit être expliqué aussi par le seul attribut de l’étendue, et je l’entends de même pour les autres attributs. C’est pourquoi Dieu est réellement, en tant qu’il est constitué par une infinité d’attributs, cause des choses comme elles sont en elles-mêmes.

    (trad. Appuhn)

    Peut-on confondre l’esprit et la matière ?

    Comment se distinguent-ils ?

    Peut-on trouver dans des pensées la cause de modes corporels ? Et inversement ?

    L’ordre des causes peut-il être différent dans les choses et dans les pensées ?

    L’esprit et la matière sont-ils deux substances ?

    -> une explication



    6 Bossuet

    Discours sur l’histoire universelle II, ch 1

    Ce n’est pas ici l’univers tel que l’ont conçu les philosophes ; formé, selon quelques-uns, par un concours fortuit des premiers corps ; ou qui, selon les plus sages, a fourni sa matière à son auteur ; qui par conséquent n’en dépend, ni dans le fond de son être, ni dans son premier état, et qui l’astreint à certaines lois que lui-même ne peut violer.

    Moïse et nos anciens pères, dont Moïse a recueilli les traditions, nous donnent d’autres pensées. Le Dieu qu’il nous a montré a bien une autre puissance : il peut faire et défaire ainsi qu’il lui plaît ; il donne des lois à la nature et les renverse quand il veut.

    Si pour se faire connaître, dans le temps que la plupart des hommes l’avaient oublié, il a fait des miracles étonnants, et a forcé la nature à sortir de ses lois les plus constantes, il a continué par là à montrer qu’il en était le maître absolu, et que sa volonté est le seul lien qui entretient l’ordre du monde.

    C’est justement ce que les hommes avaient oublié : la stabilité d’un si bel ordre ne servait plus qu’à leur persuader que cet ordre avait toujours été, et qu’il était de soi-même ; par où ils étaient portés à adorer ou le monde en général, ou les astres, les éléments, et enfin tous ces grands corps qui le composent. Dieu donc a témoigné au genre humain une bonté digne de lui, en renversant dans des occasions éclatantes cet ordre, qui non-seulement ne les frappait plus, parce qu’ils y étaient accoutumés, mais encore qui les portait, tant ils étaient aveuglés, à imaginer hors de Dieu l’éternité et l’indépendance.

    Quelle est la puissance du Dieu des philosophes ?

    Quelle est la puissance du Dieu de l’auteur ?

    Comment le miracle est-il défini ?

    Pourquoi Dieu fait-il des miracles ?

    Quelles croyances l’auteur rejette-t-il ?



    7 Malebranche

    de la Recherche de la vérité, Livre III, partie II, ch 1

    Je crois que tout le monde tombe d’accord que nous n’apercevons point les objets qui sont hors de nous par eux-mêmes. Nous voyons le soleil, les étoiles et une infinité d’objets hors de nous ; et il n’est pas vraisemblable que l’âme sorte du corps et qu’elle aille, pour ainsi dire, se promener dans les cieux pour y contempler tous ces objets. Elle ne les voit donc point par eux-mêmes ; et l’objet immédiat de notre esprit, lorsqu’il voit le soleil, par exemple, n’est pas le soleil, mais quelque chose qui est intimement unie à notre âme, et c’est ce que j’appelle idée. Ainsi par ce mot idée, je n’entends ici autre chose que ce qui est l’objet immédiat, ou le plus proche de l’esprit quand il aperçoit quelque objet, c’est à dire ce qui touche et qui modifie l’esprit de la perception qu’il a d’un objet.

    Il faut bien remarquer qu’afin qu’il aperçoive quelqu’objet, il est absolument nécessaire que l’idée de cet objet lui soit actuellement présente, il n’est pas possible d’en douter ; mais il n’est pas nécessaire qu’il y ait au dehors quelque chose de semblable à cette idée, car il arrive souvent que l’on aperçoive des choses qui ne sont point, et qui même n’ont jamais été.

    Les objets sont-ils perçus parce qu’ils entrent dans l’âme ?

    Qu’est-ce qui entre dans l’âme lorsqu’un objet est perçu ?

    Qu’est-ce qui doit absolument être présent à l’âme pour qu’il y ait perception ?

    Qu’est-ce qui par contre n’est pas nécessaire ?

    De quoi l’auteur veut-il par là distinguer la perception ?

  • cf. Berkeley (XIX,9)



  • 8 Leibniz

    Lettre, 09/10/1687

    Pour ce qui est des esprits, c’est à dire des substances qui pensent, qui sont capables de connaître Dieu et de découvrir des vérités éternelles, je tiens que Dieu les gouverne suivant des lois différentes de celles dont il gouverne le reste des substances. Car, toutes les formes des substances exprimant tout l’univers, on peut dire que les substances brutes expriment plutôt le monde que Dieu, mais que les esprits expriment plutôt Dieu que le monde. Aussi Dieu gouverne les substances brutes selon les lois matérielles de la force ou des communications du mouvement, mais les esprits suivant les lois spirituelles de la justice, dont les autres sont incapables. Et c’est pour cela que les substances brutes se peuvent appeler matérielles, parce que l’économie que Dieu observe à leur égard est celle d’un ouvrier ou machiniste ; mais, à l’égard des esprits, Dieu fait la fonction de prince ou de législateur, qui est infiniment plus relevée. Et Dieu n’étant à l’égard de ces substances matérielles que ce qu’il est à l’égard de tout, savoir l’auteur général des êtres, il prend un autre personnage à l’égard des esprits, qui le fait concevoir revêtu de volonté et de qualités morales, puisqu’il est lui-même un esprit, et comme un d’entre nous, jusqu’à entrer avec nous dans une liaison de société, dont il est le chef. Et c’est cette Société, ou république générale des esprits sous ce souverain monarque, qui est la plus noble partie de l’univers, composée d’autant de petits dieux sous ce grand Dieu. Car on peut dire que les esprits créés ne diffèrent de Dieu que de plus à moins, du fini à l’infini.

    Que sont les substances brutes ?

    Comment Dieu les gouverne-t-il ?

    Est-ce par les mêmes lois qu’il gouverne les esprits ?

    Qu’est Dieu à l’égard des substances brutes ? des esprits ?

    Quelles relations les esprits entretiennent-ils avec Dieu dans leur République générale ?

  • cf. Thomas d’Aquin (XXVII,2)



  • 9 Berkeley

    Principes de la connaissance humaine, § 8

    Mais, dites-vous, bien que les idées elles-mêmes n’existent pas en dehors de l’esprit, il pourrait cependant y avoir des choses leur ressemblant, dont elles seraient des copies ou des imitations, et qui existeraient sans l’esprit, dans une substance qui ne pense pas. Je réponds qu’une idée ne peut ressembler à rien d’autre qu’à une idée, une couleur ou une forme ne peut ressembler à rien d’autre qu’une couleur ou une forme. Si nous regardons, si peu que ce soit, parmi nos pensées, nous trouverons qu’il nous est impossible de concevoir une ressemblance, sinon entre nos idées. D’ailleurs je demande si ces supposés originaux, ou choses externes, dont nos idées sont les images ou représentations, sont eux-mêmes perceptibles ou pas ? S’ils le sont, alors ce sont des idées et nous avons gagné le point. Mais si vous dites qu’ils ne le sont pas, je demande à chacun s’il est sensé d’affirmer qu’une couleur ressemble à quelque chose d’invisible ? Que le dur et le mou ressemblent à quelque chose d’intangible, etc. ?

    (trad. Dorion)

    Si les supposées choses externes sont perceptibles, que sont-elles ?

    Si elles ne sont pas perceptibles, que sont-elles ?

    Est-il sensé d’affirmer que les idées (perceptions) leur ressemblent ?

    Quelle doctrine l’auteur combat-il ?

    Quelle substance écarte-t-il ? Quelle est la seule dont il admette l’existence ?

  • cf. Malebranche (XIX,7)



  • 10 Diderot

    Principes philosophiques sur la matière et le mouvement

    Je ne sais en quel sens les philosophes ont supposé que la matière était indifférente au mouvement et au repos. Ce qu’il y a de bien certain, c’est que tous les corps gravitent les uns sur les autres, c’est que toutes les particules des corps gravitent les unes sur les autres, c’est que, dans cet univers, tout est en translation ou in nisu (dans l’effort), ou en translation et in nisu à la fois.

    Cette supposition des philosophes ressemble peut-être à celle des géomètres qui admettent des points sans aucune dimension, des lignes sans largeur ni profondeur, des surfaces sans épaisseur; ou peut-être parlent-ils du repos relatif d’une masse à une autre. Tout est dans un repos relatif en un vaisseau battu par la tempête. Rien n’y est en un repos absolu, pas même les molécules agrégatives, ni du vaisseau ni des corps qu’il renferme.

    S’ils ne conçoivent pas plus de tendance au repos qu’au mouvement dans un corps quelconque, c’est qu’apparemment ils regardent la matière comme homogène ; c’est qu’ils font abstraction de toutes les qualités qui lui sont essentielles ; c’est qu’ils la considèrent comme inaltérable dans l’instant presque indivisible de leur spéculation, c’est qu’ils raisonnent du repos relatif d’un agrégat à un autre agrégat ; c’est qu’ils oublient que tandis qu’ils raisonnent de l’indifférence du corps au mouvement ou au repos, le bloc de marbre tend à sa dissolution ; c’est qu’ils anéantissent par la pensée et le mouvement général qui anime tous les corps, et leur action particulière des uns sur les autres qui les détruit tous ; c’est que cette indifférence, quoique fausse en elle-même, mais momentanée, ne rendra pas les lois du mouvement erronées.

    Que supposent les philosophes de la matière ?

    Quelle valeur l’auteur accorde-t-il à leur supposition ?

    Que leur faut-il afin de mettre la matière en mouvement ?

    D’où vient leur erreur ?

    Quelle importante conséquence la reconnaissance des qualités essentielles à la matière a-t-elle ?

  • cf. Aristote (XIV,3); Spinoza (XIX,5)



  • 11 Hegel

    Esthétique

    Quelle est donc la part du sensible dans l’art et son véritable rôle ? Il y a deux manières d’envisager les objets sensibles dans leur rapport avec notre esprit. Le premier est celui de la simple perception des objets par les sens. L’esprit alors ne saisit que leur côté individuel, leur forme particulière et concrète ; l’essence, la loi, la substance des choses lui échappe. En même temps le besoin qui s’éveille en nous est celui de les approprier à notre usage, de les consommer, de les détruire. L’âme, en face de ces objets, sent sa dépendance ; elle ne peut les contempler d’un œil libre et désintéressé.

    Un autre rapport des êtres sensibles avec l’esprit est celui de la pensée spéculative ou de la science. Ici l’intelligence ne se contente plus de percevoir l’objet dans sa forme concrète et son individualité, elle écarte le côté individuel pour en abstraire et en dégager la loi, le général, l’essence. La raison s’élève ainsi au-dessus de la forme individuelle, perçue par les sens, pour concevoir l’idée pure dans son universalité.

    L’art diffère à la fois de l’un et de l’autre de ces deux modes ; il tient le milieu entre la perception sensible et l’abstraction rationnelle. Il se distingue de la première en ce qu’il ne s’attache pas au réel, mais à l’apparence, à la forme de l’objet, et qu’il n’éprouve aucun besoin intéressé de le consommer, de le faire servir à un usage, de l’utiliser. Il diffère de la science en ce qu’il s’intéresse à l’objet particulier et à sa forme sensible. Ce qu’il aime à voir en lui, ce n’est ni sa réalité matérielle ni l’idée pure dans sa généralité, mais une apparence, une image de la vérité, quelque chose d’idéal qui apparaît en lui ; il saisit le lien des deux termes, leur accord et leur intime harmonie. Aussi le besoin qu’il éprouve est-il tout contemplatif. En présence de ce spectacle, l’âme se sent affranchie de tout désir intéressé.

    En un mot, l’art crée à dessein des images, des apparences destinées à représenter des idées, à nous montrer la vérité sous des formes sensibles. Par là, il a la vertu de remuer l’âme dans ses profondeurs les plus intimes, de lui faire éprouver les pures jouissances attachées à la vue et à la contemplation du beau.

    (trad. Bénard)

    L’art ne saisit-il que le côté individuel des choses ? De qui est-ce la fonction ?

    Vise-t-il à s’élever dans l’abstraction ? De qui est-ce la fonction ?

    Comment peut-il se situer entre la réalité matérielle des choses et leur idée pure ? Sur quoi se fixe-t-il ?

    la vérité des sciences est-elle susceptible d’émouvoir ?

    Comment la jouissance esthétique se distingue-t-elle du plaisir de consommer ?

  • cf. Hegel (X,6)



  • 12 Alain

    Histoire de mes pensées

    L’idée célèbre du matérialisme historique m’a toujours paru faire pléonasme en son expression générale. Quant à l’application, c’est l’esprit même de l’histoire, qui, suivant les migrations, les campements et les forts, suivant les négoces et les explorations, suivant les métiers et le changement des métiers, suivant l’industrie et le changement de l’industrie, voit apparaître une civilisation et une autre, des classes d’hommes, des préjugés, des passions, des pensées, un idéal et des dieux. Que la géométrie finisse par être la même partout, cela n’empêche pas qu’elle soit née aux lieux comme l’Egypte, où il fallait chaque année retrouver les bornes des champs. L’astronomie n’a pu commencer dans les pays de brouillards. Toute l’hydrostatique et une bonne partie de la physique fut enseignée par la mer, et l’art de construire ainsi que les lois de l’équilibre des solides est encore naturel dans nos montagnes, où même les champs de blé ont quelque chose d’architectural. Mais c’est bien peu de se borner à de tels exemples, qui ne font comprendre que les métiers et les sciences. Les métiers ont leurs gestes, et les gestes, non moins que les mots, sont la naturelle méthode de trouver des idées et de régler les mœurs.

    Quel est le pléonasme ? Qu’est-ce que le matérialisme historique ?

    Quelles civilisations se succèdent ? Quelles classes ? Quels dieux ?

    Que suppose la naissance d’une science ?

    Pourquoi “finit”-elle par être la même partout ?

    Le mouvement des mœurs se lie-t-il à celui des civilisations ? Si oui, comment ?

  • cf. Marx (XIII,8 & 9; XXII,12)

  • programme


    XX Vérité



    1 Platon

    République, 476c-d

    - Celui qui connaît les belles choses, mais ne connaît pas le beau en soi et ne peut pas suivre qui veut le conduire à cette connaissance, sa vie te semble-t-elle rêve ou veille ? Penses-y : rêver n’est-ce pas, dans le sommeil ou dans la veille, prendre l’image d’une chose non pour une image, mais pour la chose même ?
    - Assurément, c’est là rêver.
    - Mais celui qui connaît, au contraire, le beau en soi, qui peut le reconnaître en soi et dans les objets qui y prennent part, qui ne prend jamais les choses belles pour le beau, ni le beau pour les choses belles, la vie de celui-là te semble-t-elle veille ou rêve ?
    - Veille, bien sûr.
    - Nous appellerons à juste titre sa pensée une connaissance, parce qu’il connaît, et opinion celle de l’autre parce qu’il juge en rêve ?
    - Tout à fait.
    - Mais si ce dernier, qui a, selon nous, une opinion et non une connaissance, s’emportait et contestait que nous disions vrai, ne nous faudrait-il pas l’apaiser et l’adoucir tranquillement, tout en lui dissimulant qu’il ne va pas bien ?
    - Il le faudrait.
    - Examine ce que nous devrions faire pour lui. Veux-tu que nous l’interrogions, l’assurant que s’il sait quelque chose nous n’en sommes pas envieux, mais heureux de trouver quelqu’un qui sait ?

    (trad. Dorion - La pensée de Platon n’est pas nécessairement engagée par les propos qu’il prête aux personnages de ses dialogues)

    Dans quel rapport sont l’opinion et la connaissance ?

    L’opinion peut-elle être vraie ?

    Est-elle réformable ?

    Peut-on sans l’irriter dire au rêveur qu’il rêve ?

    Comment peut-on mener un interlocuteur de l’opinion à la connaissance ?

    -> un éclairage



    2 Platon

    Gorgias, 505e-506c

    - Socrate : Il m’arrive à moi ce que est arrivé à Epicharme, de devoir parler pour deux. Mais ça risque d’être absolument nécessaire. Si nous le faisons, je pense qu’il nous faudra mettre tout en œuvre vigoureusement afin de savoir le vrai et le faux de notre question ; car il est de notre intérêt commun à tous de le mettre en évidence. Je continuerai dans mon discours à me faire le porteur de mon point de vue, et si l’un de vous n’est pas d’accord avec mon point de vue, il faut qu’il vienne à mon secours et me convainque d’erreur. Car ce que je dis, quant à moi, je ne dis certes pas que c’est vrai ; je cherche avec vous. Et si celui qui vient à mon secours me semble dire vrai, je serai le premier à lui donner mon accord. Cependant je ne dis ceci que s’il vous semble qu’il faut mener ce propos à son terme : si vous ne le voulez pas, renonçons à nous régaler de discours et rentrons chez nous.
    - Gorgias : Il ne me semble pas à moi, Socrate, qu’il faille rentrer chez soi, mais que tu achèves ton propos ; et je crois que c’est aussi ce que pensent les autres. C’est ce que je veux afin de pouvoir moi-même t’entendre en exposer la fin.
    - Socrate : (...) Mais, puisque tu ne veux pas, Calliclès, achever avec moi ce propos, écoute-moi du moins, et s’il ne te semble pas que je dise vrai, viens à mon secours et convaincs moi d’erreur. Je ne me fâcherai pas contre toi, comme tu le fais contre moi, mais je te désignerai comme mon plus grand bienfaiteur.

    (trad. Dorion - La pensée de Platon n’est pas nécessairement engagée par les propos qu’il prête aux personnages de ses dialogues)

    Peut-on reconnaître qu’on a intérêt à dissimuler le vrai ?

    Peut-on prétendre avoir une fois pour toutes établi le vrai ?

    Comment faut-il accueillir l’objection ?

    De quelle manière établit-on le vrai ?

    Quel est le garant de ma raison ?

    -> une explication



    3 Descartes

    Lettre, 15/04/1630

    Les vérités mathématiques, lesquelles vous nommez éternelles, ont été établies de Dieu et en dépendent entièrement, aussi bien que tout le reste des créatures. C’est en effet parler de Dieu comme d’un Jupiter ou Saturne, et l’assujettir au Styx et aux destinées, que de dire que ces vérités sont indépendantes de lui. Ne craignez point, je vous prie, d’assurer et de publier partout, que c’est Dieu qui a établi ces lois en la nature, ainsi qu’un roi établit des lois en son royaume. Or il n’y en a aucune en particulier que nous ne puissions comprendre si notre esprit se porte à la considérer, et elles sont toutes mentibus nostris ingenitae (innées en notre esprit), ainsi qu’un roi imprimerait ses lois dans le cœur de tous ses sujets, s’il en avait aussi bien le pouvoir. Au contraire nous ne pouvons comprendre la grandeur de Dieu, encore que nous la connaissions. Mais cela même que nous la jugeons incompréhensible nous la fait estimer davantage ; ainsi qu’un roi a plus de majesté lorsqu’il est moins familièrement connu de ses sujets, pourvu toutefois qu’ils ne pensent pas pour cela être sans roi, et qu’ils le connaissent assez pour n’en point douter. On vous dira que si Dieu avait établi ces vérités, il les pourrait changer comme un roi fait ses lois ; à quoi il faut répondre que oui, si sa volonté peut changer. – Mais je les comprends comme éternelles et immuables. – Et moi je juge le même de Dieu. – Mais sa volonté est libre. – Oui, mais sa puissance est incompréhensible ; et généralement nous pouvons bien assurer que Dieu peut faire tout ce que nous pouvons comprendre, mais non pas qu’il ne peut faire ce que nous ne pouvons pas comprendre ; car ce serait témérité de penser que notre imagination a autant d’étendue que sa puissance.

    Pourquoi l’auteur refuse-t-il de qualifier d’éternelles les vérités mathématiques ?

    Comment sont-elles reconnues de nous ?

    Que signifie que Jupiter ou Saturne sont assujettis au Styx et aux destinées ?

    A quelle sorte de roi le dieu de l’auteur est-il analogue ?

    Sa libre volonté se distingue-t-elle de l’arbitraire ?

    -> une explication

  • cf. Thomas d’Aquin (XIV,4); Maïmonide (XIX,3)



  • 4 Descartes

    Lettre, 21/05/1643

    Premièrement je considère qu’il y a en nous certaines notions primitives, qui sont comme des originaux, sur le patron desquels nous formons toutes nos autres connaissances. Et il n’y a que fort peu de telles notions ; car, après les plus générales, de l’être, du nombre, de la durée, etc., qui conviennent à tout ce que nous pouvons concevoir, nous n’avons, pour le corps en particulier, que la notion de l’extension, de laquelle suivent celles de la figure et du mouvement ; et pour l’âme seule nous n’avons que celle de la pensée, en laquelle sont comprises les perceptions de l’entendement et les inclinations de la volonté ; enfin pour l’âme et le corps ensemble, nous n’avons que celle de leur union, de laquelle dépend celle de la force qu’a l’âme de mouvoir le corps, et le corps d’agir sur l’âme, en causant ses sentiments et ses passions.

    Je considère aussi que toute la science des hommes ne consiste qu’à bien distinguer ces notions, et à n’attribuer chacune d’elles qu’aux choses auxquelles elles appartiennent. Car, lorsque nous voulons expliquer quelque difficulté par le moyen d’une notion qui ne lui appartient pas, nous ne pouvons manquer de nous méprendre ; comme aussi lorsque nous voulons expliquer une de ces notions par une autre ; car, étant primitives, chacune d’elles ne peut être entendue que par elle-même. Et d’autant que l’usage des sens nous a rendu les notions de l’extension, des figures et des mouvements, beaucoup plus familières que les autres, la principale cause de nos erreurs est en ce que nous voulons ordinairement nous servir de ces notions, pour expliquer les choses à qui elles n’appartiennent pas, comme lorsqu’on se veut servir de l’imagination pour concevoir la nature de l’âme, ou bien lorsqu’on veut concevoir la façon dont l’âme meut le corps, par celle dont un corps est mû par un autre corps.

    Quel rapport y a-t-il des notions primitives à toutes nos autres connaissances ?

    Comment les notions primitives se distribuent-elles ?

    Qu’implique, quant à leur usage, qu’elles soient primitives ?

    D’où viennent nos erreurs ?

    Quelle en est la principale cause ?

    -> une explication



    5 Spinoza

    Ethique, II 35 scolie

    Les hommes se trompent en ce qu’ils se croient libres ; et cette opinion consiste en cela seul qu’ils ont conscience de leurs actions et sont ignorants des causes par où ils sont déterminés ; ce qui constitue donc leur idée de la liberté, c’est qu’ils ne connaissent aucune cause de leurs actions. Pour ce qu’ils disent en effet : que les actions humaines dépendent de la volonté, ce sont des mots auxquels ne correspond aucune idée. Car tous ignorent ce que peut être la volonté et comment elle peut mouvoir le corps ; pour ceux qui ont plus de prétention et forgent un siège ou une demeure de l’âme, ils excitent habituellement le rire ou le dégoût. De même, quand nous regardons le soleil, nous imaginons qu’il est distant de nous d’environ deux cents pieds, et l’erreur ici ne consiste pas dans l’action d’imaginer cela prise en elle-même, mais en ce que, tandis que nous l’imaginons, nous ignorons la vraie distance du soleil et la cause de cette imagination que nous avons. Plus tard, en effet, tout en sachant que le soleil est distant de plus de 600 fois le diamètre terrestre, nous ne laisserons pas néanmoins d’imaginer qu’il est près de nous ; car nous n’imaginons pas le soleil aussi proche parce que nous ignorons sa vraie distance, mais parce qu’une affection de notre Corps enveloppe l’essence du soleil, en tant que le Corps lui-même est affecté par cet astre.

    (trad. Appuhn)

    Pourquoi les hommes se croient-ils libres ?

    Pourquoi croient-ils le soleil distant de 200 pieds ?

    Ces erreurs s’expliquent-elles par la seule ignorance ?

    Qu’est-ce qu’une affection de notre corps ?

    Dans quelle mesure une affection de notre corps enveloppe-t-elle une connaissance ?

    -> une explication



    6 Spinoza

    Ethique, II 43 scolie

    Nul, ayant une idée vraie, n’ignore que l’idée vraie enveloppe la plus haute certitude ; avoir une idée vraie, en effet, ne signifie rien, sinon connaître une chose parfaitement ou le mieux possible ; et certes personne ne peut en douter, à moins de croire que l’idée est quelque chose de muet comme une peinture sur un panneau et non un mode de penser, savoir l’acte même de connaître et, je le demande, qui peut savoir qu’il connaît une chose, s’il ne connaît auparavant la chose ? c’est-à-dire qui peut savoir qu’il est certain d’une chose, s’il n’est auparavant certain de cette chose ? D’autre part, que peut-il y avoir de plus clair et de plus certain que l’idée vraie, qui soit norme de vérité ? Certes, comme la lumière se fait connaître elle-même et fait connaître les ténèbres, la vérité est norme d’elle-même et du faux. Par là je crois avoir répondu aux questions suivantes, savoir : si une idée vraie, en tant qu’elle est dite seulement s’accorder avec ce dont elle est l’idée, se distingue d’une fausse ; une idée vraie ne contient donc aucune réalité ou perfection de plus qu’une fausse (puisqu’elles se distinguent seulement par une dénomination extrinsèque), et conséquemment un homme qui a des idées vraies ne l’emporte en rien sur celui qui en a seulement de fausses ? Puis d’où vient que les hommes ont des idées fausses ? Et, enfin, d’où quelqu’un peut-il savoir avec certitude qu’il a des idées qui conviennent avec leurs objets ? A ces questions, dis-je, je pense avoir déjà répondu. Quant à la différence, en effet, qui est entre l’idée vraie et la fausse, il est établi qu’il y a entre elles deux la même relation qu’entre l’être et le non être. (...) Quant à la dernière question enfin : d’où un homme peut savoir qu’il a une idée qui convient avec son objet, je viens de montrer suffisamment et surabondamment que cela provient uniquement de ce qu’il a une idée qui convient avec son objet, c’est-à-dire de ce que la vérité est norme d’elle-même.

    (trad. Appuhn)

    Que serait une idée muette comme une peinture sur un panneau ?

    La distinction de l’idée vraie et de la fausse est-elle extrinsèque ?

    Qu’est ce qu’une idée vraie contient de plus qu’une fausse ?

    La certitude est-elle un caractère de l’idée qui s’ajoute à sa vérité ?

    Peut-on ne pas adhérer à une idée vraie ?

    -> une explication



    7 Malebranche

    de la Recherche de la vérité, Livre I, ch 14

    Il sera facile de voir que, de toutes les choses qui se trouvent dans chaque sensation, l’erreur ne se rencontre que dans les jugements que nous faisons, que nos sensations sont dans les objets. Premièrement, ce n’est pas une erreur d’ignorer que l’action des objets consiste dans le mouvement de quelques unes de leurs parties, et que ce mouvement se communique aux organes de nos sens, qui sont les deux premières choses qui se trouvent dans chaque sensation ; car il y a bien de la différence entre ignorer une chose et être dans l’erreur à l’égard de cette chose.

    Secondement, nous ne nous trompons point dans la troisième, qui est proprement la sensation. Lorsque nous sentons de la chaleur, lorsque nous voyons de la lumière, des couleurs ou d’autres objets, il est vrai que nous les voyons, quand même nous serions frénétiques ; car il n’y a rien de plus vrai que tous les visionnaires voient ce qu’ils voient, et leur erreur ne consiste que dans les jugements qu’ils font que ce qu’ils voient existe véritablement au dehors à cause qu’ils le voient au dehors.

    C’est ce jugement qui renferme un consentement de notre liberté, et par conséquent qui est sujet à l’erreur.

    Quelles choses faut-il distinguer dans la sensation ?

    Que signifie que les visionnaires voient ce qu’ils voient ?

    Que jugent-ils, que jugeons-nous à tort ?

    Que renferment les jugements, faux ou vrais ?

    Qu’exprime donc l’erreur ?



    8 Hume

    Traité de la nature humaine, I, III, 14

    En quoi consiste notre idée de nécessité quand nous disons que deux objets sont en connexion nécessaire l’un avec l’autre ? Sur ce point, je répète ce que j’ai souvent eu l’occasion de remarquer, que, puisque nous n’avons que des idées dérivées d’impressions, nous devons trouver une impression qui donne naissance à cette idée de nécessité, si nous affirmons que nous avons réellement une telle idée. A cette fin, je considère dans quels objets on suppose couramment que la nécessité se trouve, et, voyant qu’on l’attribue toujours aux causes et aux effets, je tourne mon regard vers deux objets supposés être placés dans cette relation, et je les examine dans toutes les situations dont ils sont susceptibles. Je perçois immédiatement qu’ils sont contigus dans le temps et dans l’espace, et que l’objet que nous appelons cause précède celui que nous appelons effet. En aucun cas je ne puis aller plus loin, et il ne m’est pas possible de découvrir une troisième relation entre ces objets. J’élargis donc ma vision pour embrasser plusieurs cas où je trouve des objets semblables existant toujours dans des relations semblables de contiguïté et de succession. A première vue, cela ne sert que peu mon dessein. Cette réflexion sur plusieurs cas ne fait que répéter les mêmes objets et ne peut donc jamais faire naître une nouvelle idée. Mais, après une recherche plus poussée, je m’aperçois que la répétition n’est pas en tout point identique, mais qu’elle produit une nouvelle impression et, par ce moyen, l’idée que j’examine à présent. En effet, après une fréquente répétition, je trouve que, à l’apparition de l’un des objets, l’esprit est déterminé par accoutumance à envisager celui qui l’accompagne habituellement, et à l’envisager sous une lumière plus vive en raison de sa relation au premier objet. C’est donc cette impression, cette détermination, qui me fournit l’idée de nécessité.

    (trad. Folliot)

    D’où nos idées sont-elles dérivées ?

    Comment l’idée de connexion nécessaire en dérive-t-elle ?

    La contiguïté et l’ordre de succession suffisent-elles à faire naître cette idée ?

    Qu’y faut-il de plus ?

    Que signifie précisément que des objets semblables existent toujours dans des relations semblables ?



    9 Lagneau

    Cours sur le jugement

    (Le jugement) consiste donc à affirmer comme vrai un rapport entre deux objets de pensée. Ces deux objets de pensée entre lesquels j’affirme des rapports ne sont pas seulement des représentations. Reprenons notre exemple : la rose est odorante. Sans doute en prononçant ces mots, je tends à me représenter une rose. Cependant quand je dis la rose, ce n’est pas une rose particulière, ce n’est pas simplement une image que je me représente, une partie de l’étendue ; je me représente un être, toute une espèce d’êtres. De même le terme odorant n’est pas non plus une pure image. En effet, qu’on puisse se représenter une sensation d’odeur, cela est vrai ; mais quand nous disons que la rose est odorante, nous faisons quelque chose de plus que nous représenter une sensation d’odeur de rose ; nous concevons dans cette odeur une qualité, qualité qui détermine en nous une sensation d’odeur. Le terme odorant désigne l’idée d’une qualité ; comme le terme de rose il s’applique à une idée et non à une pure représentation. Dans ce jugement : la rose est odorante, la pensée ne porte donc pas sur une représentation, mais sur quelque chose de différent déjà, c’est à dire qu’elle affirme une vérité par rapport à des termes dans lesquels elle juge déjà qu’il y a une vérité ; elle affirme une vérité de vérités. Tout jugement porte non sur de pures apparences, mais sur des choses dans lesquelles l’intelligence s’est déjà mise, dans lesquelles elle a déterminé des vérités. Autrement dit la pensée ne peut avoir pour objet que la réalité, c’est à dire la vérité. Cette vérité est celle d’un rapport entre une certaine idée et une autre. Autrement dit, le jugement suppose, comme matière objective sur laquelle il porte, des idées c’est à dire des pensées qui représentent à l’esprit d’autres jugements (jugements antérieurs ou ultérieurs). Le jugement est toujours un jugement de jugements, et ces derniers sont dans ce même cas à leur tour et ainsi de suite indéfiniment.

    Comment l’image, la représentation, l’idée se distinguent-t-elles ?

    Dans quelle mesure le jugement lie-t-il des représentations ?

    Que signifie que l’intelligence se met dans les choses ?

    Comment la réalité se distingue-t-elle de l’apparence ?

    Qu’est-ce qu’un rapport vrai ?

  • cf. Descartes (XVI,3); Malebranche (XX,7)



  • 10 Alain

    Idées, I 5

    Nos idées, par exemple de mathématique, d’astronomie, de physique, sont vraies en deux sens. Elles sont vraies par le succès ; elles donnent puissance dans ce monde des apparences. Elles nous y font maîtres, soit dans l’art d’annoncer, soit dans l’art de modifier selon nos besoins ces redoutables ombres au milieu desquelles nous sommes jetés. Mais, si l’on a bien compris par quels chemins se fait le détour mathématique, il s’en faut de beaucoup que ce rapport à l’objet soit la règle suffisante du bien penser. La preuve selon Euclide n’est jamais d’expérience ; elle ne veut point l’être. Ce qui fait notre géométrie, notre arithmétique, notre analyse, ce n’est pas premièrement qu’elles s’accordent avec l’expérience, mais c’est que notre esprit s’y accorde avec lui-même, selon cet ordre du simple au complexe, qui veut que les premières définitions, toujours maintenues, commandent toute la suite de nos pensées.

    Qu’est-ce qu’annoncer des ombres ? Dans quel domaine ?

    Qu’est-ce que les modifier ? Dans quel domaine ?

    Comment le mathématicien apprécie-t-il ces succès ?

    Comment progresse-t-il dans son savoir ?

    Qu’est-ce qui fonde l’accord de l’esprit avec lui-même ?



    11 Bachelard

    la Psychanalyse du feu

    Il suffit que nous parlions d’un objet pour nous croire objectifs. Mais par notre premier choix, l’objet nous désigne plus que nous ne le désignons et ce que nous croyons nos pensées fondamentales sur le monde sont souvent des confidences sur la jeunesse de notre esprit. Parfois nous nous émerveillons devant un objet élu ; nous accumulons les hypothèses et les rêveries ; nous formons ainsi des convictions qui ont l’apparence d’un savoir. Mais la source initiale est impure : l’évidence première n’est pas une vérité fondamentale. En fait l’objectivité scientifique n’est possible que si l’on a d’abord rompu avec l’objet immédiat, si l’on a refusé la séduction du premier choix, si l’on a arrêté et contredit les pensées qui naissent de la première observation. Toute objectivité, dûment vérifiée, dément le premier contact avec l’objet. Elle doit d’abord tout critiquer : la sensation, le sens commun, la pratique même la plus constante, l’étymologie enfin, car le verbe, qui est fait pour chanter et séduire, rencontre rarement la pensée. Loin de s’émerveiller, la pensée objective doit ironiser. Sans cette vigilance malveillante, nous ne prendrons jamais une attitude vraiment objective.

    La science peut-elle se fonder sur l’évidence première ?

    L’objectivité est-elle dans le premier contact avec l’objet ?

    Que trahit le choix de l’objet ?

    Les noms sont-ils objectifs ?

    En quel sens la pensée objective ironise-t-elle ?

  • cf. Platon (IX,1); Descartes (XVI,4); Leibniz (IX,4)

  • programme


    XXI Politique



    1 Platon

    République, 520d-521a

    - Voici la vérité : l’Etat où sont au pouvoir les moins avides de pouvoir, est nécessairement le mieux gouverné et le moins troublé, et inversement celui où sont au pouvoir ceux qui désirent le pouvoir est gouverné au plus mal.
    - Parfaitement, dit-il.
    - Eh bien ! crois-tu que nos élèves s’opposeront à ces raisons et refuseront de prendre part, à tour de rôle, aux tâches de l’Etat, tout en passant ensemble la plus grande partie de leur temps dans les choses pures ?
    - Impossible, dit-il, nous demandons des choses justes à des hommes justes. Il est certain que chacun d’eux ne viendra au pouvoir que par nécessité, contrairement à ce que font aujourd’hui ceux qui sont au pouvoir dans tous les Etats.
    - Oui, repris-je, c’est ainsi, mon cher : si tu parviens à trouver pour ceux qui doivent exercer le pouvoir mieux que le pouvoir, tu pourras avoir un Etat bien gouverné ; c’est dans cet Etat seul que sont au pouvoir ceux qui sont riches, non pas d’or, mais de cette richesse qui fait le bonheur : une vie bonne et intelligente. Mais si ceux qui en sont pauvres et qui sont envieux de richesses privées viennent aux affaires publiques, afin de s’y livrer au pillage, tu ne le pourras pas ; car ils se battent pour prendre le pouvoir, et cette guerre domestique et intérieure fait leur perte et celle de l’Etat tout entier.
    - Absolument vrai, dit-il.

    (trad. Dorion - La pensée de Platon n’est pas nécessairement engagée par les propos qu’il prête aux personnages de ses dialogues)

    La candidature au pouvoir est-elle un bon critère d’élection ?

    Quel rapport ceux qui sont avides de pouvoir ont-ils avec le bien public ?

    Pourquoi “nos élèves” ne seront-ils pas candidats au pouvoir ?

    Qu’est-ce qui est pour eux meilleur que le pouvoir ?

    Pourquoi accepteront-ils cependant de l’exercer ?

    -> un éclairage



    2 Machiavel

    Discours sur Tite-Live, Livre I, ch 11

    L'autorité de Dieu n'a pas été nécessaire à Romulus pour instituer le Sénat, ni pour établir les autres institutions civiles et militaires. Mais elle a été très nécessaire à Numa, lequel feignit une familiarité avec une Nymphe, qui lui fît connaître ce qu'il avait à faire connaître au peuple. Et tout cela venait de ce qu'il voulait introduire dans l'Etat des institutions nouvelles et insolites et qu'il doutait que sa seule autorité pût y suffire.
    Et de fait il n'y eut jamais aucun législateur qui donnât à un peuple des lois extraordinaires sans recourir à Dieu, faute de quoi elles n'auraient pas été acceptées. Car un homme sage conçoit beaucoup de lois bonnes, que ne signale aucune raison évidente par où il puisse en persuader autrui. Les hommes sages qui veulent s'affranchir de cette difficulté ont recours à Dieu. Ainsi firent Lycurgue, et Solon, et beaucoup d'autres qui poursuivaient le même but.

    (trad. Dorion)

    Le problème de Numa est-il autre que celui de Romulus ?

    Y a-t-il un signe qui distingue les lois sages ?

    La sagesse a-t-elle une autorité naturelle ?

    L’auteur ne pense-t-il qu’à Numa, Lycurgue ou Solon ?

    A quelle condition leur feinte est-elle habile ?

    -> un éclairage



    3 Grotius

    le Droit de la guerre et de la paix, Livre I, ch 3, § VIII

    Ici il faut d’abord rejeter l’opinion de ceux qui prétendent que la puissance souveraine appartient toujours et sans exception au peuple, en sorte qu’il ait droit de réprimer et de punir les rois, toutes les fois qu’ils abusent de leur autorité. Il n’y a point de personne sage et éclairée qui ne voie combien une telle pensée a causé de maux et en peut encore causer, si une fois les esprits en sont bien persuadés. Voici les raisons dont je me sers pour la réfuter.

    Il est permis à chaque homme en particulier de se rendre esclave de qui il veut, comme cela paraît par la loi des anciens Hébreux et par celle des Romains : pourquoi donc un peuple libre ne pourrait-il pas se soumettre à une ou plusieurs personnes, en sorte qu’il leur transférât entièrement le droit de le gouverner, sans s’en réserver aucune partie ? Il ne servirait à rien de dire qu’on ne présume pas un transport de droit si étendu : car il ne s’agit point ici des présomptions sur lesquelles on doit décider dans un doute, mais de ce qui peut se faire légitimement. En vain aussi allègue-t-on les inconvénients qui naissent ou qui peuvent naître de là : car on ne saurait imaginer aucune forme de gouvernement qui n’ait ses incommodités et d’où il n’y ait quelque chose à craindre. Ou il faut prendre le bien avec le mal qui l’accompagne, ou il faut renoncer à l’un et à l’autre. Comme donc entre plusieurs genres de vie, les uns meilleurs que les autres, il est libre à chaque personne d’embrasser celui qui lui plaît, de même un peuple peut choisir telle forme de gouvernement que bon lui semble ; et ce n’est point par l’excellence d’une certaine forme de gouvernement, sur quoi les opinions sont partagées, qu’il faut juger du droit qu’a le souverain sur ses sujets, mais par l’étendue de la volonté de ceux qui lui ont conféré ce droit.

    Or il peut y avoir plusieurs raisons qui portent un peuple à se dépouiller entièrement de la souveraineté, et à la remettre entre les mains de quelque prince, ou d’un autre Etat : par exemple, lorsque se voyant sur le point de périr, il ne trouve pas d’autre moyen pour se conserver ; ou lorsqu’étant pressé d’une extrême disette, il ne lui reste que cette ressource pour avoir de quoi subsister.

    (trad. Barbeyrac)

    A quelle fin l’auteur réfute-t-il la souveraineté du peuple ?

    Comment fonde-t-il le droit d’un particulier de se rendre esclave ?

    Le droit d’un peuple ?

    Quelles raisons pourraient-elles porter un peuple à dépouiller sa souveraineté ? Peut-il par là atteindre son but ?

    Transfère-t-on ce qu’on n’a pas ?



    4 Hobbes

    le Citoyen, ch I, § 2

    Tout le plaisir de l’âme consiste en la gloire (qui est une certaine bonne opinion qu’on a de soi-même) ou se rapporte à la gloire. Les autres plaisirs touchent les sens, ou ce qui y aboutit, et je les embrasse tous sous le nom de l’utile. Je conclus donc derechef, que toutes les sociétés sont bâties sur le fondement de la gloire et des commodités de la vie ; et qu’ainsi elles sont contractées par l’amour-propre, plutôt que par une forte inclination que nous ayons pour nos semblables. Cependant il y a cette remarque à faire, qu’une société fondée sur la gloire ne peut être ni de beaucoup de personnes, ni de longue durée ; parce que la gloire, de même que l’honneur, si elle se communique à tous sans exception, elle ne se communique à personne ; la raison en est, que la gloire dépend de la comparaison avec quelque autre, et de la prééminence qu’on a sur lui ; et comme la communauté de l’honneur ne donne à personne occasion de se glorifier, le secours d’autrui qu’on a reçu pour monter à la gloire en diminue le prix. Car on est d’autant plus grand et à estimer, qu’on a eu de propre puissance, et moins d’assistance étrangère. Mais bien que les commodités de cette vie puissent recevoir augmentation par l’assistance mutuelle que nous nous prêtons, il est pourtant certain qu’elles s’avancent davantage par une domination absolue, que par la société ; d’où il s’ensuit, que si la crainte était ôtée de parmi les hommes, ils se porteraient de leur nature plus avidement à la domination, qu’à la société. C’est donc une chose tout avérée, que l’origine des plus grandes et des plus durables sociétés, ne vient point d’une réciproque bienveillance que les hommes se portent, mais d’une crainte mutuelle qu’ils ont les uns des autres.

    (trad. Sorbière)

    Quelles sortes de plaisirs sont distinguées ?

    Quel rapport est-il établi entre la gloire et les commodités de la vie ?

    Quels sont les deux sortes de contrats qui, par hypothèse, pourraient fonder la société ?

    Que permet la gloire ?

    Qu’est-ce qui freine le désir de domination ?



    5 Spinoza

    Traité théologico-politique, ch 16

    On pense que l’esclave est celui qui agit par commandement et l’homme libre celui qui agit selon son bon plaisir. Cela cependant n’est pas absolument vrai, car en réalité être captif de son plaisir et incapable de rien voir ni faire qui nous soit vraiment utile, c’est le pire esclavage, et la liberté n’est qu’à celui qui de son entier consentement vit sous la seule conduite de la raison. Quant à l’action par commandement, c’est-à-dire à l’obéissance, si elle ôte bien en quelque manière la liberté, elle ne fait cependant pas sur-le-champ un esclave, c’est la raison déterminante de l’action qui le fait. Si la fin de l’action n’est pas l’utilité de l’agent lui-même, mais de celui qui la commande, alors l’agent est un esclave, inutile à lui-même ; au contraire, dans un Etat et sous un commandement pour lesquels la loi suprême est le salut de tout le peuple, non de celui qui commande, celui qui obéit en tout au souverain, ne doit pas être dit un esclave inutile à lui-même, mais un sujet. Ainsi cet Etat est le plus libre, dont les lois sont fondées en droite raison, car dans cet Etat chacun, dès qu’il le veut, peut être libre, c’est-à-dire vivre de son entier consentement sous la conduite de la raison.

    (trad. Appuhn)

    Qu’est-ce qu’agir selon son bon plaisir ?

    Qu’est-ce qu’une vie libre ?

    Quelles raisons peuvent déterminer un commandement ?

    Qu’est-ce qu’un sujet ?

    A quelle condition un Etat est-il libre ?

    -> un éclairage

  • cf. Aristote (XXIV,3)



  • 6 Pascal

    Pensées, 325-326

    Il serait donc bon qu’on obéît aux lois et aux coutumes, parce qu’elles sont lois ; que (le peuple) sût qu’il n’y en a aucune vraie et juste à introduire, que nous n’y connaissons rien, et qu’ainsi il faut seulement suivre les reçues : par ce moyen on ne les quitterait jamais. Mais le peuple n’est pas susceptible de cette doctrine ; et ainsi, comme il croit que la vérité se peut trouver, et qu’elle est dans les lois et coutumes, ils les croit, et prend leur antiquité comme une preuve de leur vérité (et non de leur seule autorité sans vérité). Ainsi il y obéit ; mais il est sujet à se révolter dès qu’on lui montre qu’elles ne valent rien ; ce qui se peut faire voir de toutes, en les regardant d’un certain côté.

    Il est dangereux de dire au peuple que les lois ne sont pas justes, car il n’y obéit qu’à cause qu’il les croit justes. C’est pourquoi il lui faut dire en même temps qu’il y faut obéir parce qu’elles sont lois, comme il faut obéir aux supérieurs, non pas parce qu’ils sont justes, mais parce qu’ils sont supérieurs. Par là, voilà toute sédition prévenue si on peut faire entendre cela, et (ce) que (c’est) proprement que la définition de la justice.

    Pourquoi le peuple obéit-il aux lois ?

    Est-ce une bonne raison ? Pourquoi ?

    Que tient-il pour preuve de vérité ?

    Faut-il le détromper ?

    Quel but politique l’auteur poursuit-il ?

  • cf. Descartes (XXVII,3)



  • 7 Diderot

    in Encyclopédie, Autorité politique

    La puissance qui vient du consentement des peuples suppose nécessaire­ment des conditions qui en rendent l’usage légitime, utile à la société, avanta­geux à la république, et qui la fixent et la restreignent entre des limites : car l’homme ne doit ni ne peut se donner entièrement et sans réserve à un autre homme, parce qu’il a un maître supérieur au-dessus de tout, à qui seul il appartient tout entier. C’est Dieu, dont le pouvoir est toujours immédiat sur la créature, maître aussi jaloux qu’absolu, qui ne perd jamais de ses droits, et ne les communique point. Il permet pour le bien commun et pour le maintien de la société, que les hommes établissent entre eux un ordre de subordination, qu’ils obéissent à l’un d’eux : mais il veut que ce soit par raison et avec mesu­re, et non pas aveuglément et sans réserve, afin que la créature ne s’arroge pas les droits du Créateur. Toute autre soumission est le véritable crime d’idolâ­trie. Fléchir le genou devant un homme ou devant une image n’est qu’une cérémonie extérieure, dont le vrai Dieu qui demande le cœur et l’esprit ne se soucie guère, et qu’il abandonne à l’institution des hommes pour en faire, comme il leur conviendra, des marques d’un culte civil et politique, ou d’un culte de religion. Ainsi ce ne sont point ces cérémonies en elles-mêmes, mais l’esprit de leur établissement qui en rend la pratique innocente ou criminelle. Un Anglais n’a point de scrupule à servir le roi le genou en terre ; le cérémo­nial ne signifie que ce qu’on a voulu qu’il signifiât ; mais livrer son cœur, son esprit et sa conduite sans aucune réserve à la volonté et au caprice d’une pure créature, en faire l’unique et le dernier motif de ses actions, c’est assurément un crime de lèse-majesté divine au premier chef : autrement ce pouvoir de Dieu, dont on parle tant, ne serait qu’un vain bruit dont la politique humaine userait à sa fantaisie, et dont l’esprit d’irréligion pourrait se jouer à son tour ; de sorte que toutes les idées de puissance et de subordination venant à se confondre, le prince se jouerait de Dieu, et le sujet du prince.

    Qu’est-ce qui rend la puissance légitime ?

    Que signifie Dieu dans l’argumentation de l’auteur ?

    Qu’est-ce que l’idolâtrie ?

    Les marques de soumission sont-elles criminelles ?

    Sur quelle mise en garde cet extrait s’achève-t-il ?

  • cf. Grotius (XXI,3)



  • 8 Rousseau

    du Contrat social, Livre I, ch 5

    Il y aura toujours une grande différence entre soumettre une multitude et régir une société. Que des hommes épars soient successivement asservis à un seul, en quelque nombre qu’ils puissent être, je ne vois là qu’un maître et des esclaves, je n’y vois point un peuple et son chef ; c’est si l’on veut une agrégation, mais non pas une association ; il n’y a là ni bien public ni corps politique. Cet homme, eût-il asservi la moitié du monde, n’est toujours qu’un particulier ; son intérêt, séparé de celui des autres, n’est toujours qu’un intérêt privé. Si ce même homme vient à périr, son empire après lui reste épars et sans liaison, comme un chêne se dissout et tombe en un tas de cendres, après que le feu l’a consumé.

    Un peuple, dit Grotius, peut se donner à un roi. Selon Grotius, un peuple est donc un peuple avant de se donner à un roi. Ce don même est un acte civil, il suppose une délibération publique.

    Qu’est-ce qu’une agrégation ? A-t-elle une limite quantitative ?

    Quel est le moyen de soumettre une multitude ?

    Sur quel fondement le bien public s’élève-t-il au-dessus de l’intérêt privé ?

    Comment régit-on une société ?

    La loi peut-elle émaner du roi ?

    -> un éclairage

  • cf. Grotius (XXI,3)



  • 9 Michelet

    Histoire de la Révolution française, de la méthode et de l’esprit de ce livre

    Girondins et Montagnards, ils sont d’accord là-dessus. Ils parlent toujours du peuple, mais se croient bien au-dessus. Leurs deux partis également, nous le mettrons en lumière de manière évidente, reçurent toute leur impulsion des lettrés, d’une aristocratie intellectuelle.

    Les Jacobins portèrent l’orgueil à la seconde puissance ; ils adorèrent leur sagesse. Ils firent de fréquents appels à la violence du peuple, à la force de ses bras : ils le soldèrent, le poussèrent, mais ne le consultèrent point. Ils ne s’informèrent nullement des instincts populaires qui réclamaient dans les masses contre leur système barbare. Tout ce que leurs hommes votaient dans les clubs de 93, par tous les départements, se votait sur un mot d’ordre envoyé du Saint des saints de la rue Saint-Honoré. Ils tranchèrent hardiment par des minorités imperceptibles les questions nationales, montrèrent pour la majorité le dédain le plus atroce, et crurent d’une foi si farouche à leur infaillibilité qu’ils lui immolèrent sans remords un monde d’hommes vivants.

    Voici ce qu’ils dirent à peu près : “Nous sommes les sages, les forts ; les autres sont des idiots de modérés, des enfants, des vieilles femmes. Notre doctrine est la bonne, si notre nombre est minime. Sauvons, malgré lui, ce bétail. Qu’on en tue plus ou moins, qu’importe ? Cela vivait-il, vraiment, pour se plaindre de mourir ? La terre y profitera.”

    “Un jour de crime seulement...” C’est ce que disait ce bon Louis XI : “Encore un petit crime seulement, ma bonne Vierge, seulement la mort de mon frère, et le royaume est sauvé.”

    “Un jour de crime seulement, demain le peuple est sauvé ; nous mettons la morale et Dieu à l’ordre du jour.”

    Parler du peuple, parler au nom du peuple, est-ce exprimer la volonté du peuple ?

    Quelle sorte d’organisation les votes unanimes du club (parti) manifestent-ils ?

    Une minorité de sages a-t-elle le droit de trancher les questions nationales ?

    La sagesse peut-elle légitimement s’autoproclamer ?

    Qui prétend faire du crime le moyen de la justice ?



    10 Bergson

    les Deux sources de la morale et de la religion, ch IV

    L’homme est intelligent et libre. Mais il faut toujours se rappeler que la vie sociale était comprise dans le plan de structure de l’espèce humaine comme dans celui de l’abeille, qu’elle était nécessaire, que la nature n’a pas pu s’en remettre exclusivement à nos volontés libres, que dès lors elle a dû faire en sorte qu’un seul ou quelques-uns commandent, que les autres obéissent. Dans le monde des insectes, la diversité des fonctions sociales est liée à une différence d’organisation ; il y a “polymorphisme”. Dirons-nous alors que dans les sociétés humaines il y a “dimorphisme”, non plus physique et psychique à la fois comme chez l’insecte, mais psychique seulement ? Nous le croyons, a condition toutefois qu’il soit entendu que ce dimorphisme ne sépare pas les hommes en deux catégories irréductibles, les uns naissant chefs et les autres sujets. (...) La vérité est que le dimor­phisme fait le plus souvent de chacun de nous, en même temps, un chef qui a l’instinct de commander et un sujet qui est prêt à obéir, encore que la seconde tendance l’emporte au point d’être seule apparente chez la plupart des hommes. Il est comparable à celui des insectes en ce qu’il implique deux organisations, deux systèmes indivisibles de qualités (dont certaines seraient des défauts aux yeux du moraliste) : nous optons pour l’un ou pour l’autre système, non pas en détail, comme il arriverait s’il s’agissait de contracter des habitudes, mais d’un seul coup, de façon kaléidoscopique, ainsi qu’il doit résulter d’un dimorphisme naturel. (...) C’est de quoi nous avons la vision nette en temps de révolution. Des citoyens modestes, humbles et obéissants jusqu’alors, se réveillent un matin avec la prétention d’être des conducteurs d’hommes. Le kaléidoscope, qui avait été maintenu fixe, a tourné d’un cran, et il y a eu métamorphose. Le résultat est quelquefois bon : de grands hommes d’action se sont révélés, qui eux-mêmes ne se connaissaient pas. Mais il est généralement fâcheux. Chez des êtres honnêtes et doux surgit tout à coup une personnalité d’en bas, féroce, qui est celle d’un chef manqué. Et ici apparaît un trait caractéristique de l’“animal politique” qu’est l’homme.

    Qu’exige la nature de la vie sociale ?

    Qu’est-ce que le polymorphisme des sociétés d’insectes ?

    Comment le dimorphisme humain s’en distingue-t-il ?

    En quel sens une révolution fait-elle tourner le kaléidoscope ?

    Quel trait caractéristique de l’animal politique est-il signalé ?



    11 Alain

    Propos, 09/1929

    Obéissance. Au nom de quoi ? Il est remarquable qu’on ne veuille obéir qu’à un dieu. Mais que couvre donc le manteau royal ? Manger, dormir, et autres choses tyranniques. Trône, chaise percée. Mais les rois ont toujours fait écrire contre ce genre de blasphème. Et pourquoi s’en étonner ? Ne voyons-nous pas que ceux qui nous vendent des boîtes de sardines ou des autos veulent respect aussi ? Que dire des diplomates ? Sont-ils autre chose que des agents à un plus grand carrefour ? Cet immense appareil de banquiers, de fabricants, de militaires, tous ministres d’ordre et recenseurs de peaux de lapin, cet appareil de signaux et d’alignements nous fait assez voir que la nature des choses nous tient serrés. A la pesanteur, à la soif, à la faim, à la fatigue, il faut obéir. Au cyclone, au volcan, à la vague, aux saisons, il faut obéir. Toute la prudence humaine consiste à ne pas attendre le coup ; à se former et grouper en guerre contre l’aveugle nature ; à prévoir, pourvoir, amasser ; et voilà l’ordre. Un garde-manger est une assez bonne image de la politique. Le dépensier fait sonner ses clés, et j’ai compris. J’ai compris à la manière de ces vaches très sages, qui font à peine un ou deux petits sauts, et puis qui s’en vont processionnellement à l’étable. Procession, ordre ; et même saluez, si le cœur vous en dit, c’est le garde-manger qui passe.

    Avec quoi confond-on l’obéissance ?

    Que couvre l’ordre ?

    Pourquoi faut-il obéir ?

    En quoi les “ministres d’ordre” abusent-ils ?

    Qu’est-ce qui appelle légitimement le respect ?

  • cf. Diderot (XXI,7)



  • 12 Alain

    Propos, 04/1939

    Supposons un général choisi par tout un peuple. Encore faut-il qu’il soit acclamé, qu’il apaise les mécontents, qu’il fasse plaider pour lui, qu’il plaide lui-même, quand ce ne serait que par ses actions, afin qu’il se tienne en harmonie avec ceux qu’il gouverne, et qu’il ait les mêmes intérêts qu’eux. Si militaire qu’il soit, il exerce alors un pouvoir civil ; il explore l’opinion, il donne ses raisons, il persuade ; en un mot il ne cesse de négocier. C’est qu’il commande maintenant en son propre nom ; il n’est plus nommé par le roi, il est roi. Et cette contradiction entre les coutumes militaires et les conditions qui s’imposent à un chef élu, fait que les empereurs élevés sur un bouclier ne sont pas de grande durée. Et quant aux pouvoirs civils, on voit comment ils s’établissent, comment ils conquièrent leur empire, comment ils le perdent. Qu’ils soient élus, ou qu’ils soient nés rois, ils sont toujours élus en ce sens qu’on ne cesse de les juger, et qu’ils ne peuvent refuser d’être jugés.

    Comment le pouvoir civil s’établit-il ? se maintient-il ?

    Un prince héréditaire est-il dispensé de persuader ?

    Est-il plus simple à un dictateur militaire de gouverner ?

    Par qui le général est-il nommé ? à qui doit-il des comptes ?

    A qui le pouvoir politique doit-il des comptes ?

    -> un éclairage

    programme


    XXII Société



    1 Platon

    Lois, 625e-626b

    Clinias : Je pense, étranger, qu’il est facile à tous de comprendre nos institutions (...) Toutes ont été établies pour nous préparer à la guerre, et le législateur, me semble-t-il, a tout combiné dans ce but. Il se pourrait bien qu’il assemble les hommes en repas communs, parce qu’il voit que tous, lorsqu’ils sont en guerre, sont contraints par sécurité de prendre leurs repas en commun pendant ce temps. Il me semble qu’il condamne la stupidité de la foule qui ne comprend pas que la guerre est permanente, toujours, entre toutes les Cités durant toute leur existence. Si en guerre il faut par sécurité prendre les repas en commun, et poster des chefs et des hommes à la sécurité, il faut le faire aussi en paix. Car ce que la plupart des hommes nomment la paix n’est qu’un nom. En fait, par nature, toutes les Cités sont les unes contre les autres dans une guerre qui ne dit pas son nom. A examiner les choses de ce point de vue, tu découvriras aussitôt que le législateur des Crétois a disposé en vue de la guerre tous les règlements relatifs tant aux choses publiques que privées. En raison de quoi il nous a confié la garde de ses lois. Car aucune autre propriété ni aucune autre valeur n’est d’aucun profit, si l’on n’a pas la victoire à la guerre, puisque tous les biens des vaincus passent aux vainqueurs.

    (trad. Dorion - La pensée de Platon n’est pas nécessairement engagée par les propos qu’il prête aux personnages de ses dialogues)

    Quel but le législateur assigne-t-il aux lois ?

    Quel est l’objet de ses institutions ?

    Pourquoi les Cités sont-elles par nature en guerre ?

    Qu’est-ce que la paix ?

    A quels biens les citoyens doivent-ils s’attacher en premier lieu ?



    2 Platon

    Lois, 628c-d

    - L’Athénien : Tout législateur n’édicte-t-il pas ses règlements en se donnant pour but le plus grand bien ?
    - Clinias : Dans quel autre but le ferait-il !
    - L’Athénien : Mais le plus grand bien n’est ni la guerre, ni l’insurrection, car il est détestable d’en avoir besoin, c’est la paix et l’amitié réciproque. Et il semble que la victoire de la Cité sur elle-même ne relève pas des plus grands biens mais de la nécessité. Comme si l’on croyait qu’un corps souffrant parvenait à la meilleure santé pour avoir reçu les soins d’un médecin, sans accorder aucune attention au corps qui n’en a aucun besoin ! De la même façon, celui qui conçoit le bonheur de la Cité ou des citoyens ne sera jamais un politique correct, s’il considère seulement ou d’abord la guerre étrangère, ni un législateur clairvoyant, s’il ne légifère pas de la guerre dans le but de la paix, plutôt que de la paix dans le but de la guerre.

    (trad. Dorion - La pensée de Platon n’est pas nécessairement engagée par les propos qu’il prête aux personnages de ses dialogues)

    La meilleure santé appartient-elle à celui que le médecin a guéri ou à celui qui n’a pas été malade ?

    A quoi la guerre est elle comparée ?

    Qu’est-ce que la victoire de la Cité sur elle-même ? Quels en sont les moyens ?

    Quel rapport le législateur doit-il établir entre la guerre et la paix ?

    Qu’est-ce que l’amitié réciproque dans la Cité ?

  • cf. Platon (XXII,1)



  • 3 Aristote

    Politique, 1254b

    Quand on est inférieur à ses semblables autant que le corps l’est à l’âme, la brute, à l’homme, et c’est la condition de tous ceux chez qui l’emploi des forces corporelles est le seul et le meilleur parti à tirer de leur être, on est esclave par nature. Pour ces hommes-là, ainsi que pour les autres êtres dont nous venons de parler, le mieux est de se soumettre à l’autorité du maître ; car il est esclave par nature, celui qui peut se donner à un autre ; et ce qui précisément le donne à un autre, c’est qu’il ne peut aller qu’au point de comprendre la raison quand un autre la lui montre ; mais il ne la possède pas par lui-même. Les autres animaux ne peuvent pas même comprendre la raison, et ils obéissent aveuglément à leurs impressions. Au reste, l’utilité des animaux privés et celle des esclaves sont à peu près les mêmes : les uns comme les autres nous aident, par le secours de leurs forces corporelles, à satisfaire les besoins de l’existence. La nature même le veut, puisqu’elle fait les corps des hommes libres différents de ceux des esclaves, donnant à ceux-ci la vigueur nécessaire dans les gros ouvrages de la société, rendant au contraire ceux-là incapables de courber leur droite stature à ces rudes labeurs, et les destinant seulement aux fonctions de la vie civile, qui se partage pour eux entre les occupations de la guerre et celles de la paix.

    Souvent, j’en conviens, il arrive tout le contraire ; les uns n’ont d’hommes libres que le corps, comme les autres n’en ont que l’âme. Mais il est certain que, si les hommes étaient toujours entre eux aussi différents par leur apparence corporelle qu’ils le sont des images des dieux, on conviendrait unanimement que les moins beaux doivent être les esclaves des autres ; et si cela est vrai en parlant du corps, à plus forte raison le serait-ce en parlant de l’âme ; mais la beauté de l’âme est moins facile à reconnaître que la beauté corporelle. Quoi qu’il en puisse être, il est évident que les uns sont naturellement libres et les autres naturellement esclaves, et que, pour ces derniers, l’esclavage est utile autant qu’il est juste.

    (trad. Barthélemy-Saint Hilaire)

    Quelles différences la nature fait-elle entre les corps des hommes ?

    Entre leurs âmes ? Existe-t-il des hommes qui ne possèdent pas la raison ?

    Qu’est-ce que comprendre la raison sans la posséder ?

    De qui l’esclavage satisfait-il les besoins de l’existence ?

    Les inégalités de nature fondent-elles un ordre social et politique ?



    4 Thomas d’Aquin

    Somme théologique, II, II, qu 66, art 2

    Deux choses conviennent à l’homme au sujet des biens extérieurs. D’abord le pouvoir de les gérer et d’en disposer ; et sous ce rapport il lui est permis de posséder des biens en propre. C’est même nécessaire à la vie humaine pour trois raisons : 1° Chacun donne à la gestion de ce qui lui appartient en propre des soins plus attentifs qu’il n’en donnerait à un bien commun à tous ou à plusieurs ; parce que chacun évite l’effort et laisse le soin aux autres de pourvoir à l’oeuvre commune ; c’est ce qui arrive là où il y a de nombreux serviteurs. 2° Il y a plus d’ordre dans l’administration des biens quand le soin de chaque chose est confié à une personne, tandis que ce serait la confusion si tout le monde s’occupait indistinctement de tout. 3° La paix entre les hommes est mieux garantie si chacun est satisfait de ce qui lui appartient ; aussi voyons-nous de fréquents litiges entre ceux qui possèdent une chose en commun et dans l’indivis.

    Ce qui convient encore à l’homme au sujet des biens extérieurs, c’est d’en user. Et sous tous rapports l’homme ne doit pas posséder ces biens comme s’ils lui étaient propres, mais comme étant à tous, en ce sens qu’il doit les partager volontiers avec les nécessiteux. Aussi Saint Paul écrit-il (I Timothée, VI, 17-18) : “Recommande aux riches de ce monde... de donner de bon coeur et de savoir partager”.

    (trad. Sertillanges)

    Quelles sont les deux choses qui sont distinguées relativement aux biens extérieurs ?

    Qu’est-ce que posséder des biens en propre ?

    Quels arguments le justifient ?

    Que recommande le second § ?

    Quel argument le justifie ?



    5 Machiavel

    L’art de la guerre, Préambule

    Beaucoup ont soutenu et soutiennent encore qu'il n'est aucune chose qui ait moins de rapport avec l'autre que la vie civile avec la vie militaire. (...) Mais si l'on considérait les législations antiques, on n'y trouverait pas de choses plus unies, plus conformes l'une à l'autre, plus nécessairement bienveillantes l'une à l'autre, que ces deux-là. Car toutes les dispositions que l'on prend dans la vie civile en vue du bien commun des hommes, toutes les institutions qu'on y forme pour qu'ils vivent dans la crainte des lois et de Dieu, seraient vaines, si l'on n'en avait pas prévu la défense, laquelle, bien gouvernée, tient les hommes en main, encore qu'eux-mêmes ne soient pas bien gouvernés. Et ainsi, à l'inverse, les bonnes règles sans l'assistance militaire, ne se dérèglent pas autrement que les logements d'un superbe et royal palais, encore qu'ils soient ornés de pierres précieuses et d'or, s'ils n'ont quelque chose qui les défende de la pluie. Et si dans tout autre classe des cités et des royaumes on veillait avec la plus grande attention à maintenir les hommes fidèles, pacifiques et pleins de la crainte de Dieu, on en redoublait à l'égard de la milice. Car en quel homme la patrie doit-elle rechercher la plus haute fidélité, sinon en celui qui doit promettre de mourir pour elle ? En qui doit-il y avoir le plus d'amour de la paix, sinon en celui qui seul peut avoir à souffrir de la guerre ? En qui doit-il y avoir le plus de crainte de Dieu, sinon en celui qui se soumettant chaque jour à de très grands périls a le plus besoin de ses secours ? Bien comprise, et de ceux qui donnaient leurs lois aux Etats et de ceux étaient préposés aux entraînements militaires, cette nécessité faisait que la vie des soldats était louée des autres hommes, suivie et imitée avec le plus grand soin.

    (trad. Dorion)

    Les lois et les institutions se soutiennent-elles d’elles-mêmes ?

    Quel rôle les Anciens confiaient-ils aux soldats ?

    Qu’arrive-t-il s’ils ne le jouent pas ?

    Quelles sont les valeurs des militaires ?

    Quel rapport ont-elles avec celles des civils ?

  • cf. Platon (XXII,1 & 2)



  • 6 Hobbes

    Léviathan, ch XVII

    La seule façon d’ériger un tel pouvoir commun, qui puisse être capable de défendre les hommes de l’invasion des étrangers, et des torts qu’ils peuvent se faire les uns aux autres, et par là assurer leur sécurité de telle sorte que, par leur propre industrie et par les fruits de la terre, ils puissent se nourrir et vivre satisfaits, est de rassembler tout leur pouvoir et toute leur force sur un seul homme, ou sur une seule assemblée d’hommes, qui puisse réduire toutes leurs volontés, à la majorité des voix, à une seule volonté ; autant dire, désigner un homme, ou une assemblée d’hommes, pour tenir le rôle de leur personne ; et que chacun reconnaisse comme sien tout ce que celui qui ainsi tient le rôle de sa personne fera, ou fera faire, dans ces choses qui concernent la paix et la sécurité communes ; que tous, en cela, soumettent leurs volontés d’individu à sa volonté, et leurs jugements à son jugement. C’est plus que consentir ou s’accorder : c’est une unité réelle de tous en une seule et même personne, réalisée par une convention de chacun avec chacun, de telle manière que c’est comme si chacun devait dire à chacun : J’autorise cet homme, ou cette assemblée d’hommes, j’abandonne mon droit de me gouverner à cet homme, ou à cette assemblée, à cette condition que tu lui abandonnes ton droit, et autorise toutes ses actions de la même manière. Cela fait, la multitude ainsi unie en une seule personne est appelée une république.

    (trad. Folliot)

    Quel but politique l’auteur poursuit-il ?

    Quel moyen y pense-t-il adéquat ?

    Comment réduire des volontés différentes à une seule ?

    Par quel moyen l’unité est-elle obtenue ?

    Qu’est-ce que chacun abandonne ce faisant ?



    7 Spinoza

    Traité théologico-politique, ch 16

    Voici maintenant la condition suivant laquelle une société peut se former sans que le droit naturel y contredise le moins du monde, et tout pacte être observé avec la plus grande fidélité ; il faut que l’individu transfère à la société toute la puissance qui lui appartient, de façon qu’elle soit seule à avoir sur toutes choses un droit souverain de nature, c’est-à-dire une souveraineté de commandement à laquelle chacun sera tenu d’obéir, soit librement, soit par crainte du dernier supplice. Le droit d’une société de cette sorte est appelé démocratie et la démocratie se définit ainsi : l’union des hommes en un tout qui a un droit souverain collectif sur tout ce qui est en son pouvoir. De là cette conséquence que le souverain n’est tenu par aucune loi et que tous lui doivent obéissance pour tout ; car tous ont dû, par un pacte tacite ou exprès, lui transférer toute la puissance qu’ils avaient de se maintenir, c’est-à-dire tout leur droit naturel. Si, en effet, ils avaient voulu conserver pour eux-mêmes quelque chose de ce droit, ils devaient en même temps se mettre en mesure de le défendre avec sûreté ; comme ils ne l’ont pas fait, et ne pouvaient le faire sans qu’il y eût division et par suite destruction du commandement, par là même ils se sont soumis à la volonté, quelle qu’elle fût, du pouvoir souverain.

    (trad. Appuhn)

    Quel droit la nature donne-t-elle à l’individu ?

    Est-il compatible avec la société ?

    La société doit-elle abolir le droit de nature ?

    Quel est le contenu du pacte social ?

    Pourquoi ce droit s’appelle-t-il démocratie ?

    -> une explication

  • cf. Hobbes (XXII,6)



  • 8 Pascal

    Pensées, 294

    Sur quoi la fondera-t-il, l’économie du monde qu’il veut gouverner ? Sera-ce sur le caprice de chaque particulier ? quelle confusion ! Sera-ce sur la justice ? il l’ignore. Certainement, s’il la connaissait, il n’aurait pas établi cette maxime, la plus générale de toutes celles qui sont connues parmi les hommes, que chacun suive les mœurs de son pays (...) Trois degrés d’élévation du pôle renversent toute la jurisprudence ; un méridien décide de la vérité ; en peu d’années de possession, les lois fondamentales changent ; le droit a ses époques, l’entrée de Saturne au Lion nous marque l’origine d’un tel crime. Plaisante justice qu’une rivière borne ! Vérité au-deça des Pyrénées, erreur au-delà.

    Ils contestent que la justice n’est pas dans ces coutumes, qu’elle réside dans les lois naturelles, connues en tout pays. Certainement ils le soutiendraient opiniâtrement, si la témérité du hasard qui a semé les lois humaines en avait rencontré au moins une qui fût universelle ; mais la plaisanterie est telle, que le caprice des hommes s’est si bien diversifié, qu’il n’y en a point. Le larcin, l’inceste, le meurtre des enfants et des pères, tout a eu sa place entre les actions vertueuses. Se peut-il rien de plus plaisant, qu’un homme ait droit de me tuer parce qu’il demeure au-delà de l’eau, et que son prince a querelle contre le mien, quoique je n’en aie aucune avec lui ? Il y a sans doute des lois naturelles ; mais cette belle raison corrompue a tout corrompu.

    Comment entendre l’économie du monde ?

    Quelles hypothèses peut-on faire sur le fondement de la justice ?

    La maxime la plus générale est-elle satisfaisante ?

    Est-ce à son universalité qu’on reconnaî une loi naturelle ?

    Pourquoi les lois naturelles sont-elles violées ?

  • cf. Descartes (XXVII,3)



  • 9 Rousseau

    du Contrat social, Livre I, ch 2

    La plus ancienne de toutes les sociétés, et la seule naturelle, est celle de la famille : encore les enfants ne restent-ils liés au père qu’aussi longtemps qu’ils ont besoin de lui pour se conserver. Sitôt que ce besoin cesse, le lien naturel se dissout. Les enfants, exempts de l’obéissance qu’ils devaient au père, le père exempt des soins qu’il devait aux enfants, rentrent tous également dans l’indépendance. S’ils continuent de rester unis, ce n’est plus naturellement, c’est volontairement, et la famille elle-même ne se maintient que par convention.

    Cette liberté commune est une conséquence de la nature de l’homme. Sa première loi est de veiller à sa propre conservation, ses premiers soins sont ceux qu’il se doit à lui-même, et, sitôt qu’il est en âge de raison, lui seul étant juge des moyens propres à se conserver, devient par là son propre maître.

    La famille est donc, si l’on veut, le premier modèle des sociétés politiques ; le chef est l’image du père, le peuple est l’image des enfants, et tous étant nés égaux et libres n’aliènent leur liberté que pour leur utilité. Toute la différence est que dans la famille l’amour du père pour ses enfants le paye des soins qu’il leur rend, et que dans l’Etat le plaisir de commander supplée à cet amour que le chef n’a pas pour ses peuples.

    Qu’est-ce qui fait de la famille une société naturelle ?

    Qui juge légitimement des moyens propres à sa conservation ?

    Pour quelle raison aliène-t-on sa liberté ?

    Pour quelle raison veille-t-on à la conservation d’autrui ?

    Est-ce en tant qu’elle est naturelle que la famille est le modèle des sociétés politiques ?

    -> une explication



    10 Rousseau

    du Contrat social, Livre I, ch 6

    Trouver une forme d’association qui défende et protège de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé, et par laquelle chacun s’unissant à tous n’obéisse pourtant qu’à lui-même et reste aussi libre qu’auparavant”. Tel est le problème fondamental dont le contrat social donne la solution.

    Les clauses de ce contrat sont tellement déterminées par la nature de l’acte, que la moindre modification les rendrait vaines et de nul effet ; en sorte que, bien qu’elles n’aient peut-être jamais été formellement énoncées, elles sont partout les mêmes, partout tacitement admises et reconnues ; jusqu’à ce que, le pacte social étant violé, chacun rentre alors dans ses premiers droits et reprenne sa liberté naturelle, en perdant la liberté conventionnelle pour laquelle il y renonça.

    Ces clauses bien entendues se réduisent toutes à une seule, savoir l’aliénation totale de chaque associé avec tous ses droits à toute la communauté. Car, premièrement, chacun se donnant tout entier, la condition est égale pour tous, et la condition étant égale pour tous, nul n’a intérêt de la rendre onéreuse aux autres.

    De plus, l’aliénation se faisant sans réserve, l’union est aussi parfaite qu’elle peut l’être et nul associé n’a plus rien à réclamer : car s’il restait quelques droits aux particuliers, comme il n’y aurait aucun supérieur commun qui pût prononcer entre eux et le public, chacun étant en quelque point son propre juge prétendrait bientôt l’être en tous, l’état de nature subsisterait et l’association deviendrait nécessairement tyrannique ou vaine.

    Enfin, chacun se donnant à tous ne se donne à personne, et comme il n’y a pas un associé sur lequel on n’acquière le même droit qu’on lui cède sur soi, on gagne l’équivalent de tout ce qu’on perd, et plus de force pour conserver ce qu’on a.

    Si donc on écarte du pacte social ce qui n’est pas de son essence, on trouvera qu’il se réduit aux termes suivants : “Chacun de nous met en commun sa personne et toute sa puissance sous la suprême direction de la volonté générale ; et nous recevons en corps chaque membre comme partie indivisible du tout”.

    Quels sont les deux impératifs que doit concilier le contrat ?

    Ne semble-t-il pas en abandonner un en exigeant l’aliénation ?

    Que dit-il de l’aliénation premièrement ? de plus ? enfin ?

    Qu’est-ce que la liberté conventionnelle ?

    Qu’implique être partie indivisible du tout ?

    -> une explication

  • cf. Hobbes (XXII,6); Spinoza (XXII,7)



  • 11 Hegel

    Propédeutique philosophique

    L’état de nature est l’état de rudesse, de violence et d’injustice. Il faut que les hommes sortent de cet état pour constituer une société qui soit Etat, car c’est là seulement que la relation de droit possède une effective réalité.

    (...) On décrit souvent l’état de nature comme un état parfait de l’homme, en ce qui concerne tant le bonheur que la bonté morale. Il faut d’abord noter que l’innocence est dépourvue, comme telle, de toute valeur morale, dans la mesure où elle est ignorance du mal et tient à l’absence des besoins d’où peut naître la méchanceté. D’autre part, cet état est bien plutôt celui où règnent la violence et l’injustice, précisément parce que les hommes ne s’y considèrent que du seul point de vue de la nature. Or, de ce point de vue-là, ils sont inégaux tout à la fois quant aux forces du corps et quant aux dispositions de l’esprit, et c’est par la violence et la ruse qu’ils font valoir l’un contre l’autre leur différence. Sans doute la raison appartient aussi à l’état de nature, mais c’est l’élément qui a en lui prééminence. Il est donc indispensable que les hommes échappent à cet état pour accéder à un autre état, où prédomine le vouloir raisonnable.

    (trad. De Gandillac)

    Quel rapport y a-t-il entre l’état de nature et l’innocence ?

    Quelle est la loi de la nature ?

    Les hommes sont-ils bons par nature ?

    Sont-ils raisonnables par nature ?

    Où le droit et la raison se réalisent-ils ?



    12 Marx

    Ebauche d’une critique de l’économie politique

    La propriété privée nous a rendus si sots et si bornés qu’un objet n’est nôtre que lorsque nous l’avons, qu’il existe donc pour nous comme capital ou qu’il est immédiatement possédé, mangé, bu, porté sur notre corps, habité par nous, etc., bref qu’il est utilisé par nous. La propriété privée ne saisit toutes ces réalisations immédiates de la possession elle-même que comme des moyens de subsistance, et la vie, à laquelle elles servent de moyens, n’est que la vie de la propriété privée, travail et capitalisation.

    A la place de tous les sens physiques et intellectuels est donc apparue la simple aliénation de tous ces sens, le sens de l’avoir. Il fallait que l’être humain fût réduit à cette pauvreté absolue, afin qu’il engendre sa richesse intérieure en partant de lui-même.

    L’abolition de la propriété privée est donc l’émancipation totale de tous les sens et de toutes les qualités humaines ; mais elle est cette émancipation précisément parce que ces sens et ces qualités sont devenus humains, tant subjectivement qu’objectivement. L’œil est devenu l’œil humain comme son objet est devenu social, humain, un objet venant de l’homme et destiné à l’homme. Les sens sont donc devenus directement des théoriciens dans leur pratique. Ils se rapportent à la chose pour la chose, mais la chose elle-même est un rapport humain objectif à elle-même et à l’homme et inversement. Le besoin ou la jouissance ont perdu de ce fait leur nature égoïste et la nature a perdu sa simple utilité, car l’utilité est devenue l’utilité humaine.

    (trad. marxists.org + Dorion)

    Pourquoi la richesse de la propriété privée est-elle pauvreté ?

    Comment un objet peut-il être nôtre si nous ne l’avons ?

    Comment le sens de l’avoir est-il l’aliénation de tous les sens ?

    Quelle différence y a-t-il entre la simple utilité et l’utilité humaine ?

    Comment l’abolition de la propriété privée est-elle émancipation ?

    -> un éclairage



    13 Marx

    Avant-propos de la critique de l’économie politique

    Le résultat général auquel j’arrivai et qui, une fois acquis, servit de fil conducteur à mes études, peut brièvement se formuler ainsi : dans la production sociale de leur existence, les hommes entrent en des rapports déterminés, nécessaires, indépendants de leur volonté, rapports de production qui correspondent à un degré de développement déterminé de leurs forces productives matérielles. L’ensemble de ces rapports de production constitue la structure économique de la société, la base concrète sur laquelle s’élève une superstructure juridique et politique et à laquelle correspondent des formes de conscience sociales déterminées. Le mode de production de la vie matérielle conditionne le processus de vie social, politique et intellectuel en général. Ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine leur être ; c’est inversement leur être social qui détermine leur conscience. A un certain stade de leur développement, les forces productives matérielles de la société entrent en contradiction avec les rapports de production existants, ou, ce qui n’en est que l’expression juridique, avec les rapports de propriété au sein desquels elles s’étaient mues jusqu’alors. De formes de développement des forces productives qu’ils étaient ces rapports en deviennent des entraves. Alors s’ouvre une époque de révolution sociale. Le changement dans la base économique bouleverse plus ou moins rapidement toute l’énorme superstructure. Lorsqu’on considère de tels bouleversements, il faut toujours distinguer entre le bouleversement matériel -  qu’on peut constater d’une manière scientifiquement rigoureuse - des conditions de production économiques et les formes juridiques, politiques, religieuses, artistiques ou philosophiques, bref, les formes idéologiques sous lesquelles les hommes prennent conscience de ce conflit et le mènent jusqu’au bout.

    (trad. marxists.org)

    Les rapports dans lesquels les hommes entrent entre eux sont-il choisis ?

    Qu’exprime la conscience des hommes ?

    Pourquoi les forces productives et les rapports de production entent-ils en conflit ?

    Dans ce conflit qu’est-ce qui subit le bouleversement ?

    A quelle condition ce bouleversement est-il achevé ?

    -> un éclairage



    14 Marx

    Manifeste du parti communiste

    La bourgeoisie a joué dans l’histoire un rôle éminemment révolutionnaire. Partout où elle a conquis le pouvoir, elle a foulé aux pieds les relations féodales, patriarcales et idylliques. Tous les liens complexes et variés qui unissent l’homme féodal à ses “supérieurs naturels”, elle les a brisés sans pitié pour ne laisser subsister d’autre lien, entre l’homme et l’homme, que le froid intérêt, les dures exigences du “paiement au comptant”. Elle a noyé les frissons sacrés de l’extase religieuse, de l’enthousiasme chevaleresque, de la sentimentalité petite-bourgeoise dans les eaux glacées du calcul égoïste. Elle a fait de la dignité personnelle une simple valeur d’échange ; elle a substitué aux nombreuses libertés, si chèrement conquises, l’unique et impitoyable liberté du commerce. En un mot, à la place de l’exploitation que masquaient les illusions religieuses et politiques, elle a mis une exploitation ouverte, éhontée, directe, brutale. La bourgeoisie a dépouillé de leur auréole toutes les activités qui passaient jusque-là pour vénérables et qu’on considérait avec un saint respect. Le médecin, le juriste, le prêtre, le poète, le savant, elle en a fait des salariés à ses gages. La bourgeoisie a déchiré le voile de sentimentalité qui recouvrait les relations de famille et les a réduites à n’être que de simples rapports d’argent.

    (trad. Laura Lafargue)

    Pourquoi le rôle révolutionnaire de la bourgeoisie est-il éminent ?

    En quel sens les rapports féodaux étaient-il complexes et variés ?

    Quelles étaient les valeurs féodales ? Quelle est la valeur bourgeoise ?

    Quelle place la bourgeoisie accorde-t-elle aux activités désintéressées ?

    Y a-t-il des relations qu’épargnent les rapports d’argent ?



    15 Nietzsche

    Par delà le bien et le mal, IX, § 259

    S’interdire mutuellement l’humiliation, la violence, l’exploitation, tenir sa volonté pour égale à celle d’autrui : cela peut en un certain sens, grossier, tourner en bonne pratique entre individus, quand les conditions nécessaires en sont données, à savoir l’égalité effective de leur force et de leur valeur et leur appartenance commune à un seul corps. Mais si l’on voulait étendre ce principe et en faire le principe fondamental de la société, il montrerait aussitôt ce qu’il est : la volonté de négation de la vie, un principe de dissolution et de décadence. Il faut ici fondamentalement penser au fond, et se garder de toute faiblesse sentimentale : la vie elle-même est essentiellement usurpation, humiliation, domination de l’étranger et du plus faible, oppression, dureté, imposition de sa propre forme, incorporation et au moins, dans le cas le plus doux, exploitation - mais pourquoi faut-il toujours user de ces mots, auxquels depuis les temps les plus reculés est imprimée une intention calomnieuse ? Ce corps lui-même, dans lequel, comme il a été supposé ci-dessus, les éléments se traitent en égaux, - cela arrive dans toute aristocratie saine - doit aussi, s’il est un corps vivant et non mourant, faire contre les autres corps tout ce que s’interdisent mutuellement les éléments qui le composent : il devra être la volonté de puissance en chair et en os, il voudra grandir, s’accroître, annexer, gagner en domination, non pas en raison d’une quelconque moralité ou immoralité, mais parce qu’il vit et parce que la vie est volonté de puissance. Mais sur aucun point la commune conscience des Européens n’est plus opposée qu’ici à entendre la leçon : partout aujourd’hui on est entiché, même sous travesti scientifique, de lendemains d’où devrait être exclu le “caractère exploiteur” : cela sonne à mes oreilles comme si on jurait d’inventer une vie qui s’interdirait toute fonction organique. L’“exploitation” n’appartient pas à une société pervertie ou inaboutie et primitive, elle appartient à l’essence du vivant comme fonction organique fondamentale, elle est une conséquence de son essentielle volonté de puissance, qui n’est rien d’autre que la volonté de vivre. A supposer que ceci soit en tant que théorie une nouveauté, en tant que réalité c’est le fait originaire de toute histoire ; il faudrait quand même être honnête avec soi-même  !

    (trad. Dorion)

    Quel est le principe de la vie ?

    Est-il correctement exprimé par les mots ?

    Sous quelles conditions est-il légitime que les hommes se traitent en égaux ?

    Qui est aujourd’hui entiché d’une valeur opposée à celle que soutient l’auteur ?

    Que devrait-il au moins avoir l’honnêteté de reconnaître ?

    -> une explication



    16 Durkheim

    Les Règles de la méthode sociologique

    La proposition d’après laquelle les faits sociaux doivent être traités comme des choses - proposition qui est à la base même de notre méthode - est de celles qui ont provoqué le plus de contradictions. On a trouvé paradoxal et scandaleux que nous assimilions aux réalités du monde extérieur celles du monde social. C’était se méprendre singulièrement sur le sens et la portée de cette assimilation, dont l’objet n’est pas de ravaler les formes supérieures de l’être aux formes inférieures, mais, au contraire, de revendiquer pour les premières un degré de réalité au moins égal à celui que tout le monde reconnaît aux secondes. Nous ne disons pas, en effet, que les faits sociaux sont des choses matérielles, mais sont des choses au même titre que les choses matérielles, quoique d’une autre manière.

    Qu’est-ce en effet qu’une chose ? La chose s’oppose à l’idée comme ce que l’on connaît du dehors à ce que l’on connaît du dedans. Est chose tout objet de connaissance qui n’est pas naturellement compénétrable à l’intelligence, tout ce dont nous ne pouvons nous faire une notion adéquate par un simple procédé d’analyse mentale, tout ce que l’esprit ne peut arriver à comprendre qu’à condition de sortir de lui-même, par voie d’observations et d’expérimentations, en passant progressivement des caractères les plus extérieurs et les plus immédiatement accessibles aux moins visibles et aux plus profonds. Traiter des faits d’un certain ordre comme des choses, ce n’est donc pas les classer dans telle ou telle catégorie du réel ; c’est observer vis-à-vis d’eux une certaine attitude mentale. C’est en aborder l’étude en prenant pour principe qu’on ignore absolument ce qu’ils sont, et que leurs propriétés caractéristiques, comme les causes inconnues dont elles dépendent, ne peuvent être découvertes par l’introspection même la plus attentive.

    Quel contresens a-t-on commis sur la méthode sociologique ?

    Qu’est-ce que connaître du dedans ?

    Les faits sociaux sont-ils objets d’expérience ?

    Comment distinguer les formes supérieures de l’être ?

    Pourquoi partir du principe qu’on ignore les faits ?

  • cf. Descartes (XVI,4)



  • 17 Alain

    Libre Propos, 1931

    Si l’on scrute l’ordre social, il faut lui ôter cette couronne qu’il remet toujours. L’ordre n’est jamais vénérable ; il nous rappelle seulement l’urgence des besoins inférieurs. L’homme ne peut penser que s’il a dormi et mangé. Et la loi de fer des besoins consiste en ceci, que celui qui essaie de mépriser les besoins s’y trouve aussitôt soumis comme une bête. Essayez d’ajourner le dormir ou le manger, ils vous assigneront, et sans délai ! C’est la pensée toujours qu’il faut ajourner, c’est à dire l’égalité, la liberté, la justice. Ces choses éminentes peuvent attendre ; elles doivent attendre. Tels sont les axiomes de l’ordre. Campé sur les besoins animaux, l’ordre est invincible.

    Que d’hommes ont cherché l’ordre ! Ils entendaient l’ordre selon l’idée, et les fonctions rangées selon les valeurs. Ces recherches peuplent le grand royaume d’Utopie. L’ordre n’est pas à chercher ; il est ; sa vertu propre est d’exister ; on y vient buter. L’ordre ne demande pas permission ; admirez le double sens du mot ; l’ordre est impérieux ; rappeler quelqu’un à l’ordre, c’est une opération de force. Et cette force de l’ordre, attribut de tous les agents de l’ordre, ne fait que traduire la force des besoins inférieurs, non moins brutale.

    Quels sont les besoins inférieurs ? Pourquoi les nommer ainsi ?

    Quelles choses ont de la valeur ?

    L’ordre fait-il l’égalité, la liberté, la justice ?

    Quels sont les deux sens du mot ordre ? Sont-ils liés

    Que prétend signifier la couronne de l’ordre ?

  • cf. Alain (XXI,11)

  • programme


    XXIII Droit / justice



    1 Platon

    République, 343b-344c

    Tu t’imagines que les bergers et les bouviers se proposent le bien de leurs moutons et de leurs bœufs, et les engraissent et les soignent en vue d’autre chose que le bien de leurs maîtres et le leur propre. Et de même tu crois que ceux qui ont le pouvoir dans les Etats, qui l’exercent vraiment, tiennent ceux sur lesquels ils l’exercent pour autre chose que des moutons et que, jour et nuit, ils pensent à autre chose qu’à tirer d’eux un profit. Tu sais si peu du juste et de la justice, de l’injuste et de l’injustice, que tu ignores que la justice et le juste font le bien de l’autre, celui du plus fort, qui est au pouvoir, et le mal de celui qui lui obéit et le sert ; que l’injustice fait le contraire et qu’elle exerce le pouvoir sur les simples et les justes ; que les sujets travaillent au bien et au bonheur du plus fort en le servant, mais pas au leur. Vois donc, ô très simple Socrate, que partout l’homme juste est soumis à l’injuste. (...) Le plus facile pour le comprendre est d’aller à l’injustice la plus complète, qui rend l’injuste le plus heureux du monde, et ceux qui la subissent et refusent de la commettre, les plus malheureux du monde. C’est la tyrannie qui, par tromperie et par violence, s’empare du bien d’autrui, non pas en petit, mais en bloc : sacré, profane, particulier, public. Pour chacune de ces injustices, celui qui est pris est puni et maudit : on le traite de sacrilège, marchand d’esclaves, perceur de murailles, spoliateur, voleur, suivant l’injustice commise. Mais lorsqu’un homme, en plus des richesses des citoyens, s’empare de leur personne et les réduit en esclavage, au lieu de recevoir ces noms honteux il est appelé heureux et bienheureux, non seulement par les citoyens, mais encore par tous ceux qui apprennent son injustice sans bornes ; car on ne blâme pas l’injustice par crainte de la commettre, mais par crainte de la subir.

    (trad. Dorion - La pensée de Platon n’est pas nécessairement engagée par les propos qu’il prête aux personnages de ses dialogues)

    Au bonheur de qui le berger travaille-t-il ?

    Quelle allégorie éclaire le rôle du pouvoir politique ?

    Le bonheur de qui la justice fait-elle ?

    Qu’arrive-t-il à celui qui commet l’injustice en petit ?

    Qui commet l’injustice en grand ? Quel est son sort ?

    -> un éclairage



    2 Platon

    Gorgias, 482e-483c

    Généralement la nature et la loi s’opposent l’une à l’autre ; c’est pourquoi, si on est pusillanime et qu’on n’a pas l’audace de dire ce qu’on pense, on se contredit nécessairement. Et toi qui as compris ce distingo tu en abuses dans tes propos. Quand on parle de la loi, tu interroges sur la nature, et si on parle de la nature, tu interroges sur la loi. Ainsi il y a un instant, à propos de commettre l’injustice et de la subir, Polos parlait de ce qui est mal selon la loi et toi tu le poursuivais au nom de la nature. Car, tandis que selon la loi c’est de la commettre, ce qui est le plus laid et le plus mal selon la nature c’est de subir l’injustice. Ce n’est pas être un homme en effet de subir l’injustice, mais un vaincu, à qui la mort est meilleure que la vie, qui subit l’injustice et les outrages sans être capable de se secourir soi-même, ni de venir en aide à quiconque. Mais les lois ont été établies, je pense, par les faibles, qui sont la majorité. C’est pour eux-mêmes et pour leur profit qu’ils ont établi les lois, et qu’ils distribuent l’éloge ou le blâme. Incapables de se satisfaire eux-mêmes, pour intimider les plus forts, qui sont capables d’obtenir satisfaction, ils disent qu’il est mal et injuste d’avoir plus que les autres et que l’injustice consiste à chercher à obtenir plus que les autres. Ces minables se satisfont, je pense, de l’égalité.

    (trad. Dorion - La pensée de Platon n’est pas nécessairement engagée par les propos qu’il prête aux personnages de ses dialogues)

    Qu’est-ce qui est juste selon la nature ?

    La nature veut-elle l’égalité ?

    Que signifie avoir plus que les autres ?

    Que méritent les faibles ?

    Où mène cette doctrine ?

    -> une explication



    3 Aristote

    Ethique de Nicomaque, V, 1137b

    Il convient de voir quel rapport existe entre la justice et l’équité, entre ce qui est juste et ce qui est équitable. (...) Ce qui fait la difficulté, c’est que l’équitable, bien qu’il soit juste, n’est pas exactement conforme à la loi ; il est plutôt une modification avantageuse du juste qui est rigoureusement légal. Cela vient de ce que toute loi est générale, et qu’il y a des cas sur lesquels il n’est pas possible de prononcer généralement avec une parfaite justesse. Et, par conséquent, dans les choses sur lesquelles la loi est obligée de s’expliquer d’une manière générale, quoique ses décisions ne soient pas susceptibles d’une extrême précision, elle embrasse ce qui arrive le plus communément, sans se dissimuler l’erreur de détail [qui peut résulter de ses décisions] ; elle n’en est pas moins ce qu’elle doit être, car l’erreur ne vient ni de la loi, ni du législateur, mais de la nature même de la chose, puisque la matière des actions humaines est précisément telle.

    Lors donc que la loi s’explique d’une manière générale, et qu’il se rencontre des circonstances auxquelles ces expressions générales ne peuvent pas s’appliquer, alors on a raison de suppléer ce que le législateur a omis, ou de rectifier l’erreur qui résulte de ses expressions trop générales, en interprétant ce qu’il dirait lui-même s’il était présent, et ce qu’il aurait prescrit par sa loi s’il avait eu connaissance du fait. Voilà pourquoi il y a une justice préférable à la justice rigoureuse dans tel cas particulier ; non pas à la justice absolue, mais à celle qui prononce en des termes absolus, qui dans ce cas sont une cause d’erreur ; et telle est précisément la nature de l’équité ; elle remédie à l’inconvénient qui naît de la généralité de la loi. Car ce qui fait que tout n’est pas compris dans la loi, c’est qu’il y a des cas particuliers sur lesquels il est impossible qu’elle s’explique : en sorte qu’il faut avoir recours à une décision particulière ; car la règle de ce qui est indéterminé doit être elle-même indéterminée. Comme ces règles de plomb dont les Lesbiens font usage dans leurs constructions, et qui, s’adaptant à la forme de la pierre, ne conservent pas l’invariable direction de la ligne droite ; ainsi les décisions particulières doivent s’accommoder aux cas qui se présentent.

    (trad. Barthélemy-Saint Hilaire)

    Quelle est la définition du juste ?

    Pourquoi une modification du juste peut-elle être avantageuse ?

    De quelle manière la loi se prononce-t-elle ?

    Comment distinguer la justice absolue de celle qui prononce en des termes absolus ?

    Qu’est-ce qu’une règle indéterminée ? Un cas indéterminé ?



    4 Thomas d’Aquin

    Somme théologique, II, II, qu 66, art 7

    Ce qui est de droit humain ne saurait déroger au droit naturel ou au droit divin. Or selon l’ordre naturel établi par la providence divine les êtres inférieurs sont destinés à subvenir aux nécessités de l’homme. C’est pourquoi leur division et leur appropriation, oeuvre du droit humainn n’empêchent pas de s’en servir pour subvenir aux nécessités de l’homme. Voilà pourquoi les biens que possèdent certains en surabondance sont dus, de droit naturel, à l’alimentation des pauvres ; ce qui fait dire à Saint Ambroise, et ses paroles sont reproduites dans les Décrets : “C’est le pain des affamés que tu détiens ; c’est le vêtement de ceux qui sont nus que tu renfermes ; ton argent, c’est le rachat et la délivrance des miséreux, et tu l’enfouis dans la terre.”

    Toutefois, comme il y a beaucoup de miséreux et qu’une fortune privée ne peut venir au secours de tous, c’est à l’initiative de chacun qu’est laissé le soin de disposer de ses biens de manière à venir au secours des pauvres. Si cependant la nécessité est tellement urgente et évidente que manifestement il faille secourir ce besoin pressant avec les biens que l’on rencontre - par exemple, lorsqu’un péril menace une personne et qu’on ne peut autrement la sauver - alors quelqu’un peut licitement subvenir à sa propre nécessité avec le bien d’autrui, repris ouvertement ou en secret. Il n’y a là ni vol ni rapine à proprement parler.

    (trad. Sertillanges)

    Que sont les êtres inférieurs à l’homme ?

    Que sont les nécessités de l’homme ?

    Quel rapport est-il établi entre la surabondance et les nécessités ?

    Qu’est-ce qui relève de l’initiative des fortunes privées ?

    De celle des pauvres ?



    5 Machiavel

    Discours sur Tite-Live, Livre I, ch 1

    Parce que les hommes travaillent ou par nécessité ou par choix, et parce qu'on voit qu'il y a plus de vertu où le choix a moins de part, il faut se demander s'il ne faudrait pas préférer pour l'édification des villes des lieux stériles, afin que les hommes, contraints à trimer, moins adonnés à l'oisiveté, ayant à cause de la pauvreté du site moins d'occasions de discorde, vécussent plus unis. C'est ce qui advint à Raguse et en beaucoup d'autres villes construites en de tels lieux. Cette préférence serait sans doute la plus sage et la plus utile, si les hommes se satisfaisaient de vivre librement et ne prétendaient pas chercher à commander aux autres. Mais les hommes ne peuvent se donner de sécurité qu'avec la puissance. Par conséquent il faut écarter les lieux stériles et établir la ville dans les plus fertiles, où la fécondité du site permettant de l'étendre, on puisse et la défendre de qui l'attaquerait et vaincre quiconque s'opposerait à sa grandeur. Quant à l'oisiveté que pourrait induire le site, il faut donner des lois qui contraignent à la nécessité à laquelle le site ne contraint pas. Il faut imiter les sages qui, habitant des pays très agréables et très fertiles, aptes à engendrer des hommes oisifs et incapables de tout activité vertueuse, pour obvier aux maux que l'agrément du pays aurait provoqués par le biais de l'oisiveté, ont rendu l'activité nécessaire à ceux qui devaient être soldats. Si bien que grâce à une telle disposition ils sont devenus meilleurs soldats que ceux des pays dont la nature est âpre et stérile.

    (trad. Dorion)

    Qu’est-ce qui pourrait pousser à fonder une ville dans un lieu âpre et stérile ?

    A quel inconvénient cette situation ne pourrait-elle remédier ?

    Quel est l’inconvénient de l’alternative ?

    Quelle est sa solution ? Qui l’applique ?

    Quel est son but ?

    -> un éclairage



    6 Machiavel

    Discours sur Tite-Live, Livre I, ch 58

    “Rien n’est plus vain ni plus inconstant que le peuple” ; c’est ce qu’affirme Tite-Live, comme tous les autres historiens. (...) Et ailleurs  : “Telle est la nature du peuple : ou il sert avec bassesse, ou il commande avec orgueil”. (...)

    J’affirme que de ce défaut, dont les écrivains accusent le peuple, on peut accuser aussi tous les hommes en particulier, et surtout les princes ; car quiconque ne serait pas gouverné par les lois commettrait les mêmes erreurs que le peuple déchaîné. On peut s’en apercevoir aisément, car il y a et il y a eu de nombreux princes, mais il y en a eu peu de bons et de sages. Je parle de ces princes que ne retenait pas ce frein qui pouvait les corriger ; de ce nombre ne sont pas les rois qui naquirent en Egypte dans la plus haute Antiquité, quand ce pays se gouvernait par les lois ; ni ceux qui naquirent à Sparte ; ni ceux qui, de notre temps, naissent en France, car ce royaume est plus gouverné par les lois qu’aucun autre aujourd’hui. Les rois qui naissent sous de pareilles constitutions ne peuvent être mis au nombre de ceux dont on peut découvrir la nature personnelle, et voir si elle est semblable à celle du peuple. Car on devrait leur comparer un peuple gouverné comme eux par des lois ; et on trouverait en lui cette même bonté qu’on voit en eux, et on ne le verrait ni servir avec bassesse, ni commander avec orgueil. Tel était le peuple romain qui, tant que la République se maintint sans corruption, jamais ne servit avec bassesse ni ne commanda avec orgueil. Au contraire ses magistrats dans leurs charges tinrent leur rang avec honneur. Quand il était nécessaire de s’élever contre un puissant, il le faisait, comme contre Manlius (...) et d’autres qui cherchaient à l’opprimer ; et quand il était nécessaire au salut public d’obéir à un dictateur, à des consuls, il le faisait. (...) Ce que dit notre historien de la nature du peuple, il ne le dit pas de celui qui est gouverné par les lois, comme celui de Rome, mais de celui qui est déchaîné, comme celui de Syracuse, qui commet les mêmes erreurs que commettent les hommes furieux et déchaînés, comme Alexandre (...). On ne doit donc pas plus accuser la nature du peuple que celle d’un prince, parce qu’ils errent tous également, lorsque ne les en empêche le respect d’aucune loi.

    (trad. Dorion)

    Que signifient les reproches adressés au peuple ?

    Dans quel but politique lui sont-ils adressés ?

    Sur quel critère l’auteur distingue-t-il deux sortes de peuples ?

    Le même critère vaut-il pour distinguer entre les princes ?

    Quel est le projet politique de l’auteur ?



    7 Spinoza

    Ethique, IV 37 scolie 2

    Chacun existe par le droit suprême de la nature, et conséquemment chacun fait par le droit suprême de la nature ce qui suit de la nécessité de sa propre nature ; et ainsi chacun juge par le droit suprême de la nature quelle chose est bonne, quelle mauvaise, ou avise à son intérêt suivant sa complexion, se venge et s’efforce de conserver ce qu’il aime, de détruire ce qu’il a en haine. Que si les hommes vivaient sous la conduite de la raison, chacun posséderait le droit qui lui appartient, sans aucun dommage pour autrui. Mais comme les hommes sont soumis à des affections qui surpassent de beaucoup leur puissance ou l’humaine vertu, ils sont traînés en divers sens et sont contraires les uns aux autres, alors qu’ils ont besoin d’un secours mutuel. Afin donc que les hommes puissent vivre dans la concorde et être en aide les uns aux autres, il est nécessaire qu’ils renoncent à leur droit naturel et s’assurent les uns aux autres qu’ils ne feront rien qui puisse donner lieu à un dommage pour autrui.

    (trad. Appuhn)

    Quel est le fondement du droit ?

    Qui sait quel est mon droit ?

    La nature fait-elle des autres hommes mes ennemis ?

    Quelle est l’origine des actes hostiles ?

    Sous quelles conditions peut-on renoncer au droit naturel ?

    -> une explication



    8 Pascal

    Pensées, 298-299

    Il est juste que ce qui est juste soit suivi, il est nécessaire que ce qui est le plus fort soit suivi. La justice sans la force est impuissante : la force sans la justice est tyrannique. La justice sans force est contredite, parce qu’il y a toujours des méchants ; la force sans la justice est accusée. Il faut donc mettre ensemble la justice et la force ; et pour cela faire que ce qui est juste soit fort, ou que ce qui est fort soit juste.

    La justice est sujette à dispute, la force est très reconnaissable et sans dispute. Ainsi on n’a pu donner la force à la justice, parce que la force a contredit la justice et a dit qu’elle était injuste, et a dit que c’était elle qui était juste. Et ainsi ne pouvant faire que ce qui est juste fût fort, on a fait que ce qui est fort fût juste.

    (...) Ne pouvant faire qu’il soit force d’obéir à la justice, on a fait qu’il soit juste d’obéir à la force ; ne pouvant fortifier la justice, on a justifié la force, afin que le juste et le fort fussent ensemble, et que la paix fût, qui est le souverain bien.

    De quel ordre de choses relève le nécessaire ? Le juste ?

    Qu’est-ce que l’impuissance ? La tyrannie ?

    Pourquoi la justice est-elle sujette à dispute ?

    Qu’impose le souverain bien ?

    Qu’est-ce que justifier la force ?



    9 Bossuet

    Politique tirée des propres paroles de l’Ecriture sainte, II, 1, XII

    On doit s’attacher à la forme du gouvernement qu’on trouve établie dans son pays.

    “Que toute âme soit soumise aux puissances supérieures : car il n’y a point de puissance qui ne soit de Dieu ; et toutes celles qui sont, c’est Dieu qui les a établies : ainsi, qui résiste à la puissance, résiste à l’ordre de Dieu.” (St Paul, Epître aux Romains XIII, 1-2).

    Il n’y a aucune forme de gouvernement, ni aucun établissement humain qui n’ait ses inconvénients ; de sorte qu’il faut demeurer dans l’Etat auquel un long temps a accoutumé le peuple. C’est pourquoi Dieu prend en sa protection tous les gouvernements légitimes, en quelque forme qu’ils soient établis : qui entreprend de les renverser, n’est pas seulement ennemi public, mais encore ennemi de Dieu.

    Une forme de gouvernement est-elle préférable à une autre ?

    A quoi reconnaît-on qu’un gouvernement est légitime ?

    Quelle sorte de crime est la tentative de renversement d’un gouvernement ?

    Y a-t-il une seule puissance qui ne soit établie de Dieu ?

    La rébellion a-t-elle une chance ?



    10 Hume

    Traité de la nature humaine, Livre III, partie 2, section 2

    Les impressions qui donnent naissance à ce sens de la justice ne sont pas naturelles à l’esprit de l’homme mais naissent d’un artifice et des conventions humaines car, puisqu’un important changement du tempérament et des circonstances détruit également la justice et l’injustice et puisqu’un tel changement a un effet seulement en changeant notre propre intérêt et l’intérêt public, il s’ensuit que le premier établissement des règles de justice repose sur ces différents intérêts. Mais si les hommes poursuivaient l’intérêt public naturellement et avec une affection cordiale, ils n’auraient jamais songé à se limiter les uns les autres par ces règles ; et s’ils poursuivaient leur propre intérêt sans aucune précaution, ils se jetteraient tête baissée dans toutes les sortes d’injustices et de violences. Ces règles sont donc artificielles et cherchent à atteindre leur but d’une façon oblique et indirecte ; et l’intérêt qui leur donne naissance n’est pas du genre de ceux qui pourraient être poursuivis par des passions humaines naturelles et non artificielles.

    (trad. Folliot)

    Que serait la justice si les hommes poursuivaient naturellement l’intérêt public ?

    S’ils poursuivaient leur propre intérêt sans aucune précaution ?

    Pourquoi la première hypothèse est-elle écartée ?

    Quelle conclusion l’auteur en tire-t-il ?

    Pourquoi les règles cherchent-elles à atteindre leur but d’une façon oblique et indirecte ?

  • cf. Pascal (XXII,8 & XXIII,8)



  • 11 Montesquieu

    de l’Esprit des lois, Livre I, ch 1

    Les lois, dans la signification la plus étendue, sont les rapports nécessaires qui dérivent de la nature des choses ; et dans ce sens tous les êtres ont leurs lois, la divinité a ses lois, le monde matériel a ses lois, les intelligences supérieures à l’homme ont leurs lois, les bêtes ont leurs lois, l’homme a ses lois.

    Ceux qui ont dit qu’une fatalité aveugle a produit tous les effets que nous voyons dans le monde, ont dit une grande absurdité ; car quelle plus grande absurdité qu’une fatalité aveugle qui aurait produit des êtres intelligents ?

    Il y a donc une raison primitive ; et les lois sont les rapports qui se trouvent entre elle et les différents êtres, et les rapports de ces divers êtres entre eux.

    Parle-t-on des lois de l’homme dans le même sens que des lois du monde matériel ?

    Que veut l’auteur en prenant les lois dans la signification la plus étendue ?

    A quelle idée s’oppose celle de rapports nécessaires ?

    Que sont les rapports des différents êtres à la raison primitive ?

    Que sont les rapports des divers êtres entre eux ?

  • cf. Maupertuis (XVIII,6); Diderot (XVIII,9)



  • 12 Diderot

    Réfutation suivie de l’ouvrage d’Helvétius intitulé l’Homme

    Le gouvernement arbitraire d’un prince juste et éclairé est toujours mauvais. Ses vertus sont la plus dangereuse et la plus sûre des séductions : elles accoutument insensiblement un peuple à aimer, à respecter, à servir son successeur quel qu’il soit, méchant et stupide. Il enlève au peuple le droit de délibérer, de vouloir ou ne vouloir pas, de s’opposer même à sa volonté, lorsqu’il ordonne le bien ; cependant ce droit d’opposition, tout insensé qu’il est, est sacré : sans quoi les sujets ressemblent à un troupeau dont on méprise la réclamation, sous prétexte qu’on le conduit dans de gras pâturages. En gouvernant selon son bon plaisir, le tyran commet le plus grand des forfaits. Qu’est-ce qui caractérise le despote ? est-ce la bonté ou la méchanceté ? Nullement ; ces deux notions n’entrent pas seulement dans sa définition. C’est l’étendue et non l’usage de l’autorité qu’il s’arroge. Un des plus grands malheurs qui pût arriver à une nation, ce seraient deux ou trois règnes d’une puissance juste, douce, éclairée, mais arbitraire : les peuples seraient conduits par le bonheur à l’oubli complet de leurs privilèges, au plus parfait esclavage. Je ne sais si jamais un tyran et ses enfants se sont avisés de cette redoutable politique ; mais je ne doute aucunement qu’elle ne leur eût réussi. Malheur aux sujets en qui l’on anéantit tout ombrage sur leur liberté, même par les voies les plus louables en apparence. Ces voies n’en sont que plus funestes pour l’avenir. C’est ainsi que l’on tombe dans un sommeil fort doux, mais dans un sommeil de mort, pendant lequel le sentiment patriotique s’éteint, et l’on devient étranger au gouvernement de l’Etat.

    Par quelle raison souhaite-t-on parfois le gouvernement d’un despote éclairé ?

    Par quelle raison l’auteur le rejette-t-il ?

    Comment peut-on définir le despotisme ?

    Le sentiment patriotique ?

    Pourquoi le droit d’opposition, tout insensé qu’il est, est-il sacré ?

  • cf. Platon (XXIII,1); Descartes (XXVI,6)



  • 13 Rousseau

    du Contrat social, Livre I, ch 3

    Le plus fort n’est jamais assez fort pour être toujours le maître, s’il ne transforme sa force en droit et l’obéissance en devoir. De là le droit du plus fort, droit pris ironiquement en apparence, et réellement établi en principe. Mais ne nous expliquera-t-on jamais ce mot ? La force est une puissance physique ; je ne vois point quelle moralité peut résulter de ses effets. Céder à la force est un acte de nécessité, non de volonté ; c’est tout au plus un acte de prudence. En quel sens pourra-ce être un devoir ?

    Supposons un moment ce prétendu droit. Je dis qu’il n’en résulte qu’un galimatias inexplicable. Car sitôt que c’est la force qui fait le droit, l’effet change avec la cause ; toute force qui surmonte la première succède à son droit. Sitôt qu’on peut désobéir impunément, on le peut légitimement, et puisque le plus fort a toujours raison, il ne s’agit que de faire en sorte qu’on soit le plus fort. Or qu’est-ce qu’un droit qui périt quand la force cesse ? S’il faut obéir par force, on n’a pas besoin d’obéir par devoir, et si l’on n’est plus forcé d’obéir, on n’y est plus obligé. On voit donc que ce mot de droit n’ajoute rien à la force ; il ne signifie ici rien du tout.

    Obéissez aux puissances. Si cela veut dire : cédez à la force, le précepte est bon, mais superflu, je réponds qu’il ne sera jamais violé. Toute puissance vient de Dieu, je l’avoue ; mais toute maladie en vient aussi. Est-ce à dire qu’il soit défendu d’appeler le médecin ? Qu’un brigand me surprenne au coin d’un bois : non seulement il faut par force donner la bourse, mais, quand je pourrais la soustraire, suis-je en conscience obligé de la donner ? car enfin le pistolet qu’il tient est aussi une puissance.

    Convenons donc que force ne fait pas droit, et qu’on n’est obligé d’obéir qu’aux puissances légitimes. Ainsi ma question primitive revient toujours.

    Dans quel but veut-on transformer la force en droit ?

    Pourquoi cette notion n’a-t-elle pas de sens ?

    Pourquoi n’en résulte-t-il qu’un galimatias ?

    “Obéissez aux puissances... toute puissance vient de Dieu”, qui dit cela ?

    De quoi la maladie et le brigand sont-ils la métaphore ?

    -> une explication

  • cf. Pascal (XXIII,8); Bossuet (XXIII,9)



  • 14 Rousseau

    du Contrat social, Livre II, ch 6

    Quand tout le peuple statue sur tout le peuple, il ne considère que lui-même, et s’il se forme alors un rapport, c’est de l’objet entier sous un point de vue à l’objet entier sous un autre point de vue, sans aucune division du tout. Alors la matière sur laquelle on statue est générale comme la volonté qui statue. C’est cet acte que j’appelle une loi.

    Quand je dis que l’objet des lois est toujours général, j’entends que la loi considère les sujets en corps et les actions comme abstraites, jamais un homme comme individu ni une action particulière. Ainsi la loi peut bien statuer qu’il y aura des privilèges, mais elle n’en peut donner nommément à personne ; la loi peut faire plusieurs classes de Citoyens, assigner même les qualités qui donneront droit à ces classes, mais elle ne peut nommer tels et tels pour y être admis ; elle peut établir un gouvernement royal et une succession héréditaire, mais elle ne peut élire un roi, ni nommer une famille royale ; en un mot, toute fonction qui se rapporte à un objet individuel n’appartient point à la puissance législative.

    Que signifie que tout le peuple statue ?

    Qu’il statue sur tout le peuple ?

    Quel objet la loi considère-t-elle ?

    A qui la puissance législative appartient-elle ?

    Qu’est-ce que la loi ?

    -> un éclairage



    15 Marx

    Misère de la philosophie

    Les économistes ont une singulière manière de procéder. Il n’y a pour eux que deux sortes d’institutions, celles de l’art et celles de la nature. Les institutions de la féodalité sont des institutions artificielles, celles de la bourgeoisie sont des institutions naturelles. Ils ressemblent en ceci aux théologiens, qui, eux aussi, établissent deux sortes de religions. Toute religion qui n’est pas la leur est une invention des hommes, tandis que leur propre religion est une émanation de Dieu. En disant que les rapports actuels - les rapports de la production bourgeoise - sont naturels, les économistes font entendre que ce sont là des rapports dans lesquels se crée la richesse et se développent les forces productives conformément aux lois de la nature. Donc ces rapports sont eux-mêmes des lois naturelles indépendantes de l’influence du temps. Ce sont des lois éternelles qui doivent toujours régir la société. Ainsi il y a eu de l’histoire, mais il n’y en a plus. Il y a eu de l’histoire, puisqu’il y a eu des institutions de féodalité, et que dans ces institutions de féodalité on trouve des rapports de production tout à fait différents de ceux de la société bourgeoise, que les économistes veulent faire passer pour naturels et partant éternels.

    (trad. marxists.org)

    Qu’est aux yeux d’un théologien sa propre religion ? toute autre ?

    Quel rapport permet de comprendre ce qu’est aux yeux des économistes la nature ?

    Quelle autre idée est-elle associée à celle de nature ?

    Quel terme est-il opposé à celles-ci ?

    Quelle conséquence découle-t-elle de cette opposition ?



    16 Alain

    Libre Propos, 1921

    Hier un homme juste et raisonnable disait, après tant d’autres : “Si j’étais tyran de France, je ferais une loi”. Il n’acheva pas. Le Juriste riait déjà. “Vous êtes de ceux, dit-il, qui croient qu’on fait les lois. Mais, dans aucun pays, personne ne fait les lois. Elles se font”.
    “Comment ? dit l’autre. Les députés ne font point de lois ? Il me semble qu’ils en font souvent de mauvaises.”
    “Nous y sommes, dit le juriste. Toutes les lois qu’ils font sont en effet mauvaises, parce que ce sont des lois faites. Mais mauvaises, c’est trop peu dire. Lois inapplicables. Scandales juridiques. Mais les vraies lois se font, et poussent de la société des hommes comme des rejetons poussent d’un rosier. Non pas où on les voudrait, ni comme on les voudrait. Mais on en prend son parti ; le jardinier n’a plus qu’à leur donner des soins et de l’air, en coupant les branches fatiguées.”
    “Fort bien, dit le raisonneur, mais qui donc les fait ?”
    “Tout le monde y travaille, dit le Juriste. Chacun pousse l’outil devant soi. Cela commence par le plaideur, qui perd le sommeil, et se retourne dans son lit, et forme une idée de son propre droit ; mal venue. Mais l’avoué à son tour, l’examine, la nettoie, la redresse, la présente sous de convenables dehors. L’usine est en marche. Car l’autre plaideur, attaqué en son droit, perd le sommeil aussi, et produit à son avoué quelque défense passionnée et informe, que cet avoué à son tour nettoie et présente. Je n’oublie pas les parents et amis des deux côtés, conseillers gratuits, enthousiastes ou prudents, qui apportent chacun un petit brin d’idée, perdu dans une masse incroyable de sottise. L’Esprit commun est maintenant au travail ; et, par l’élaboration des deux avoués, la contradiction se produit. Une contradiction annonce toujours quelque chose...”

    Quelqu’un fait-il les lois ?

    Qu’est-ce qu’une mauvaise loi ?

    De quoi poussent les lois ?

    Quelle est la marche de l’Esprit commun ?

    Pourquoi une loi faite est-elle inapplicable ?

  • cf. Montesquieu (XXIII,11); Alain (XI,14)

  • programme


    XXIV Etat



    1 Platon

    République, 488a-489a

    Représente-toi ce genre de faits sur un navire ou plusieurs. Le pilote est le plus grand et le plus fort de tous sur le navire ; mais il est un peu sourd, un peu myope, et il a des connaissances en navigation aussi courtes que sa vue. Les marins se battent entre pour eux le gouvernail : chacun estime qu’il lui revient de gouverner, n’en ayant jamais étudié l’art, et ne pouvant prouver quand ni avec quel instructeur il l’a étudié. Ils prétendent même que cela ne relève pas de l’instruction, et ils sont prêts à couper en morceaux qui oserait dire que cela demande une instruction. Toujours ils serrent de près le pilote, et le conjurent, faisant tout pour cela, de leur abandonner la barre ; et si eux n’y parviennent pas, mais d’autres, ils les mettent à mort ou les jettent hors du navire. Ayant drogué ou saoulé le légitime pilote, ils le mettent aux fers. Maîtres à bord, ils s’emparent de la cargaison, ils boivent, ils gueuletonnent et naviguent comme ils peuvent. Ils louent et nomment capitaine ou amiral qui a participé à la mutinerie en trompant ou en brutalisant le pilote ; ils blâment et nomment bon à rien qui n’y a pas participé. Ils ne s’aperçoivent même pas qu’il est nécessaire au vrai pilote de connaître l’année astronomique, ses périodes, le ciel, les étoiles, les vents, et tout ce qui concerne son art, pour être en mesure d’exercer l’autorité sur un navire. Comment tenir la barre, tant quand les autres en sont d’accord que quand ils ne le sont pas, il n’ y a aucun art ni aucune expérience, pensent-ils, susceptible de l’enseigner, pas davantage que le pilotage.

    (trad. Dorion - La pensée de Platon n’est pas nécessairement engagée par les propos qu’il prête aux personnages de ses dialogues)

    De quel navire celui-ci est-il l’image ?

    Que désigne le “légitime pilote” ? Les marins ?

    Que signifie que ceux-ci droguent ou saoûlent celui-là ?

    Qu’ils mettent à mort leurs rivaux ou les jettent hors du navire ?

    Quels sont les éléments de la science du pilotage ?

    -> un éclairage



    2 Platon

    République, 380a-c

    Si un poète représente les malheurs de Niobé, ceux de la famille de Pélops ou ceux des Troyens, ou quelque récit de ce genre, nous n’accepterons pas qu’il prétende que ces malheurs sont l’ouvrage de Dieu ; ou s’il les lui attribue, il faudra qu’il en donne raison à peu près comme nous nous y efforçons maintenant : il devra dire que Dieu ne fait que des choses justes et bonnes, et que les coupables gagnent au châtiment. Nous n’accepterons pas que le poète appelle le châtiment un malheur, ni qu’il attribue le malheur à Dieu ; nous l’autoriserons à dire que les méchants, étant malheureux, avaient besoin d’un châtiment, et que Dieu, les châtiant, a fait leur bien. Mais celui qui dirait que Dieu, qui est bon, est l’auteur d’un quelconque malheur, nous le combattrons par tous les moyens : jamais, dans un Etat qui doit avoir de bonnes lois, ni un vieux ni un jeune, ne doit proférer ni entendre, ni en vers ni en prose de pareils propos mythologiques, qui sont malheureux pour nous et contradictoires entre eux.

    (trad. Dorion - La pensée de Platon n’est pas nécessairement engagée par les propos qu’il prête aux personnages de ses dialogues)

    Le châtiment est-il un malheur ?

    Dieu est-il l’auteur d’un quelconque malheur ?

    Qu’autorise-t-on les poètes à dire de Dieu ?

    L’autorité de l’Etat s’exerce-t-elle sur les poèmes  ?

    Quelle sorte d’autorité est-ce là ?

    -> un éclairage



    3 Aristote

    Politique, 1278b-1279a

    Bien que l’intérêt du maître et l’intérêt de son esclave s’identifient, quand c’est le vœu réel de la nature qui assigne au maître et à l’esclave le rang qu’ils occupent tous deux, le pouvoir du maître a cependant pour objet direct l’avantage du maître, et pour objet accidentel, l’avantage de l’esclave, parce que, l’esclave une fois détruit, le pouvoir du maître disparaît avec lui. (...)

    Dans les pouvoirs politiques, lorsque la parfaite égalité des citoyens, tous semblables, en fait la base, chacun a droit d’exercer l’autorité à son tour. D’abord, chose toute naturelle, tous regardent cette alternative comme parfaitement légitime, et ils accordent à un autre le droit de décider par lui-même de leurs intérêts, comme ils ont eux-mêmes antérieurement décidé des siens ; mais, plus tard, les avantages que procurent le pouvoir et l’administration des intérêts généraux, inspirent à tous les hommes le désir de se perpétuer en charge ; et si la continuité du commandement pouvait seule infailliblement guérir une maladie dont ils seraient atteints, ils ne seraient certainement pas plus âpres à retenir l’autorité, une fois qu’ils en jouissent.

    Donc évidemment, toutes les constitutions qui ont en vue l’intérêt général sont pures, parce qu’elles pratiquent rigoureusement la justice. Toutes celles qui n’ont en vue que l’intérêt personnel des gouvernants, viciées dans leurs bases, ne sont que la corruption des bonnes constitutions ; elles tiennent de fort près au pouvoir du maître sur l’esclave, tandis qu’au contraire la cité n’est qu’une association d’hommes libres.

    (trad. Barthélemy-Saint Hilaire)

    La nature assigne-t-elle aux hommes des rangs différents ?

    Pourquoi le maître doit-il veiller à l’avantage de l’esclave ?

    Qui sont les citoyens qui exercent alternativement le pouvoir ?

    La continuité du commandement se fait-elle dans l’intérêt général ?

    Le maintien des mêmes au pouvoir conserve-t-il la liberté des citoyens ?



    4 Machiavel

    Discours sur Tite-Live, Livre I, ch 4

    Je dis que ceux qui condamnent les luttes entre les nobles et la plèbe blâment ce qui fut la première cause qui conserva Rome libre. Ils font plus attention au bruit et aux cris qui en naissaient qu’aux bons effets qu’elles engendraient ; ils ne font pas attention qu’il y a dans toute république deux classes différentes, celle du peuple et celle des grands, et que toutes les lois qui se font en faveur de la liberté naissent de leur conflit, comme on peut facilement voir qu’il est arrivé à Rome. Car des Tarquins aux Gracques, ce qui fait plus de trois cents ans, les luttes de Rome engendrèrent de rares peines d’exil et de rarissimes peines de mort. On ne peut par conséquent juger nuisibles ces luttes, ni divisée une république qui dans le temps de ces différends n’a pas envoyé en exil plus de huit ou dix citoyens, n’en a exécuté qu’un tout petit nombre, et n’en a même condamné que peu à des peines d’amende. On ne peut pas raisonnablement appeler anarchique une république où l’on trouve de si nombreux exemples de vertu, car les bons exemples naissent de la bonne éducation, la bonne éducation des bonnes lois, et les bonnes lois de ces luttes que beaucoup condamnent inconsidérément. Car qui examinera bien leurs effets ne trouvera pas qu’elles aient engendré au détriment du bien commun aucun exil ni violence, mais des lois et des décisions favorables à la liberté publique. (...) Les désirs des peuples libres sont rarement nuisibles à la liberté.

    (trad. Dorion)

    Quelles classes trouve-t-on dans toute république ?

    Pourquoi y a-t-il entre elles des luttes ?

    Laquelle veut le maintien de la législation existante ?

    Que veut l’autre, qui entre en conflit avec elle ?

    Les luttes engendrent-elles le désordre ou l’injustice ?

    -> une explication



    5 Machiavel

    Discours sur Tite-Live, Livre I, ch 18

    Le peuple romain n'attribuait le consulat, et les autres principales fonctions de la cité, qu'à ceux qui les demandaient. Cette disposition fut bonne dans les débuts, parce que ne les demandaient que les citoyens qui s'en jugeaient dignes et qu'il était honteux d'être refusé. Si bien que pour en être jugé digne chacun agissait bien. Ensuite, dans la cité corrompue, elle devint très pernicieuse, parce que ce ne furent plus ceux qui avaient le plus de vertu qui demandèrent les magistratures, mais ceux qui avaient le plus de puissance. Et ceux qui manquaient de puissance, quand bien même ils étaient vertueux, par crainte s'abstenaient de les demander. Ce défaut n'apparut pas d'un seul coup, mais petit à petit, comme il arrive de tous les autres défauts. Parce les Romains avaient dompté l'Afrique et l'Asie, et soumis quasi toute la Grèce à leur autorité, ils étaient assurés de leur liberté et ils ne se voyaient plus d'ennemis qui dussent leur faire peur. Cette sûreté et cette faiblesse des ennemis firent que le peuple romain, pour attribuer le consulat, ne considérait plus la vertu, mais la faveur, et choisissait pour cette fonction ceux qui savaient le mieux plaire aux hommes et non ceux qui savaient le mieux vaincre les ennemis. Par la suite, de ceux qui jouissaient du plus de faveur il en vint à l'attribuer à ceux qui avaient le plus de puissance. Si bien que les meilleurs, à cause de ce défaut, en furent totalement exclus.

    (trad. Dorion)

    Pourquoi ne sollicitaient les magistratures que les citoyens qui les méritaient ?

    Est-il bon de donner les magistratures à ceux qui les demandent ?

    Qu’est-ce qu’un citoyen puissant ?

    Comment plait-on aux hommes ?

    Comment rendre les magistratures aux hommes de bien ?

  • cf. Platon (XXI,1)



  • 6 Machiavel

    Discours sur Tite-Live, Livre I, ch 2

    Bien que ses Rois aient perdu le pouvoir par les causes et les voies que j'ai exposées, il n'en demeure pas moins que ceux qui les ont chassés, établissant aussitôt deux Consuls qui tenaient lieu de Rois, ne chassèrent de Rome que leur nom et nullement la puissance royale. Ainsi, parce qu'il y avait dans cette république les Consuls et le Sénat, elle n'était encore qu'un mixte de deux natures sur les trois que j'ai décrites, à savoir le Principat (la Monarchie) et les Optimates (l'Aristocratie). Il ne restait à faire place qu'au gouvernement populaire (la Démocratie). Or la Noblesse romaine étant devenue insolente dans les circonstances que j'exposerai plus loin, le peuple se souleva contre elle, si bien que pour ne pas tout perdre, elle fut contrainte à lui concéder une participation au pouvoir, tandis que celle du Sénat et du Consul conservait une autorité telle qu'ils pussent tenir leur rang dans cette république. C'est ainsi que furent institués les Tribuns de la plèbe, après l'institution desquels la situation de cette république devint plus stable, puisque les trois natures de gouvernement y avaient part. Et la fortune lui fut tellement favorable que, bien qu'elle passât du gouvernement du Roi et des Optimates à celui du Peuple, par ces degrés et ces circonstances dont j'ai parlé plus haut, elle ne supprima jamais toute l'autorité royale pour la donner aux Optimates, ni toute l'autorité des Optimates pour la donner au Peuple, mais s'en trouvant mixte, elle fit une république parfaite.

    (trad. Dorion)

    Qu’est-ce qu’une république parfaite ?

    Comment sont caractérisés les trois natures de gouvernement ?

    Qui les détient ?

    Quelle est leur origine ?

    Quelle est la fonction d’un tribun du peuple ?

    -> un éclairage



    7 Spinoza

    Traité théologico-politique, ch 20

    Des fondements de l’Etat (...) il résulte avec la dernière évidence que sa fin dernière n’est pas la domination ; ce n’est pas pour tenir l’homme par la crainte et faire qu’il appartienne à un autre que l’Etat est institué ; au contraire c’est pour libérer l’individu de la crainte, pour qu’il vive autant que possible en sécurité, c’est-à-dire conserve, aussi bien qu’il se pourra, sans dommage pour autrui, son droit naturel d’exister et d’agir. Non, je le répète, la fin de l’Etat n’est pas de faire passer les hommes de la condition d’êtres raisonnables à celle de bêtes brutes ou d’automates, mais au contraire il est institué pour que leur âme et leur corps s’acquittent en sûreté de toutes leurs fonctions, pour qu’eux-mêmes usent d’une raison libre, pour qu’ils ne luttent point de haine, de colère ou de ruse, pour qu’ils se supportent sans malveillance les uns les autres. La fin de l’Etat est donc en réalité la liberté.

    (trad. Appuhn)

    Qu’est-ce que la sécurité ?

    La malveillance est-elle compatible avec elle ?

    Qu’est-ce que la liberté ?

    Quelle est la condition des automates ?

    Qu’implique la condition d’être raisonnable ?

    -> un éclairage

  • cf. Hobbes (XXII,5)



  • 8 Spinoza

    Traité théologico-politique, ch 20

    Pour former l’Etat, une seule chose est nécessaire : que tout le pouvoir de décréter appartienne soit à tous collectivement, soit à quelques-uns, soit à un seul. Puisque, en effet, le libre jugement des hommes est extrêmement divers, que chacun pense être seul à tout savoir et qu’il est impossible que tous opinent pareillement et parlent d’une seule bouche, ils ne pourraient vivre en paix si l’individu n’avait renoncé à son droit d’agir suivant le seul décret de sa pensée. C’est donc seulement au droit d’agir par son propre décret qu’il a renoncé, non au droit de raisonner et de juger. Par suite nul à la vérité ne peut, sans danger pour le droit du souverain, agir contre son décret, mais il peut avec une entière liberté opiner et juger et en conséquence aussi parler, pourvu qu’il n’aille pas au-delà de la simple parole ou de l’enseignement, et qu’il défende son opinion par la raison seule ; non par la ruse, la colère ou la haine, ni dans l’intention de changer quoi que ce soit dans l’Etat de l’autorité de son propre décret.

    (trad. Appuhn)

    Qu’est-ce que le pouvoir de décréter ? Pourquoi faut-il y renoncer ?

    Comment nomme-t-on un pouvoir qui appartient à un seul ? A quelques uns ? A tous ?

    Ces différences jouent-elles un rôle dans le raisonnement ?

    Quel danger la désobéissance fait-elle courir au droit du souverain ?

    Quelle liberté l’auteur défend-il ? Et pourquoi ?

    -> un éclairage

  • cf. Platon (XXVI,1)



  • 9 Rousseau

    du Contrat social, Livre II, ch 1

    La volonté générale peut seule diriger les forces de l’Etat selon la fin de son institution, qui est le bien commun : car si l’opposition des intérêts particuliers a rendu nécessaire l’établissement des sociétés, c’est l’accord de ces mêmes intérêts qui l’a rendu possible. C’est ce qu’il y a de commun dans ces différents intérêts qui forme le lien social, et s’il n’y avait pas quelque point dans lequel tous les intérêts s’accordent, nulle société ne saurait exister. Or c’est uniquement sur cet intérêt commun que la société doit être gouvernée.

    Je dis donc que la souveraineté n’étant que l’exercice de la volonté générale ne peut jamais s’aliéner, et que le Souverain, qui n’est qu’un être collectif, ne peut être représenté que par lui-même ; le pouvoir peut bien se transmettre, mais non pas la volonté.

    En effet, s’il n’est pas impossible qu’une volonté particulière s’accorde sur quelque point avec la volonté générale, il est impossible au moins que cet accord soit durable et constant ; car la volonté particulière tend par sa nature aux préférences, et la volonté générale à l’égalité. Il est plus impossible encore qu’on ait un garant de cet accord quand même il devrait toujours exister ; ce ne serait pas un effet de l’art mais du hasard.

    L’accord d’une volonté particulière avec la volonté générale peut-il être garanti ?

    Pourquoi la souveraineté ne peut-elle être aliénée ?

    Quelle est la fin de l’Etat ?

    Qu’est-ce qui forme le lien social ?

    A qui le pouvoir du souverain peut-il être transmis ?

    -> une explication



    10 Rousseau

    Discours sur les sciences et les arts

    Que les rois ne dédaignent donc pas d’admettre dans leurs conseils les gens les plus capables de les bien conseiller : qu’ils renoncent à ce vieux préjugé inventé par l’orgueil des Grands, que l’art de conduire les peuples est plus difficile que celui de les éclairer : comme s’il était plus aisé d’engager les hommes à bien faire de leur bon gré que de les y contraindre par la force. Que les savants du premier ordre trouvent dans leur cours d’honorables asiles. Qu’ils y obtiennent la seule récompense digne d’eux ; celle de contribuer par leur crédit au bonheur des peuples à qui ils auront enseigné la sagesse. C’est alors seulement qu’on verra ce que peuvent la vertu, la science et l’autorité animées d’une noble émulation et travaillant de concert à la félicité du genre humain. Mais tant que la puissance sera seule d’un côté ; les lumières et la sagesse seules d’un autre, les savants penseront rarement de grandes choses, les princes en feront plus rarement de belles, et les peuples continueront d’être vils, corrompus et malheureux.

    Pour nous, hommes vulgaires, à qui le ciel n’a point départi de si grands talents et qu’il ne destine pas à tant de gloire, restons dans notre obscurité. Ne courons point après une réputation qui nous échapperait, et qui, dans l’état présent des choses ne nous rendrait jamais ce qu’elle nous aurait coûté, quand nous aurions tous les titres pour l’obtenir. A quoi bon chercher notre bonheur dans l’opinion d’autrui si nous pouvons le trouver en nous-mêmes ? Laissons à d’autres le soin d’instruire les peuples de leurs devoirs, et bornons-nous à bien remplir les nôtres, nous n’avons pas besoin d’en savoir davantage.

    La fonction de l’autorité et celle du conseil appartiennent-elles au même homme ?

    Quel dommage résulte-t-il de leur séparation ?

    Que peuvent-elles si elles s’exercent de concert ?

    L’exercice de l’une est-il plus aisé que celui de l’autre ?

    L’exercice de la fonction de conseil n’apporte-t-elle que réputation ?



    11 Hegel

    Principes de la Philosophie du Droit

    Dans leurs relations entre eux, les Etats se comportent en tant que particuliers. Par suite, c’est le jeu le plus mobile de la particularité intérieure, des passions, des intérêts, des buts, des talents, des vertus, de la violence, de l’injustice et du vice, de la contingence extérieure à la plus haute puissance que puisse prendre ce phénomène. C’est un jeu où l’organisme moral lui-même, l’indépendance de l’Etat, est exposée au hasard.

    Les principes de l’esprit de chaque peuple sont essentiellement limités à cause de la particularité dans laquelle ils ont leur réalité objective et leur conscience de soi en tant qu’individus existants. Aussi leurs destinées, leurs actions dans leurs relations réciproques sont la manifestation phénoménale de la dialectique de ces esprits en tant que finis ; dans cette dialectique se produit l’esprit universel, l’esprit du monde en tant qu’illimité, et en même temps c’est lui qui exerce sur eux son droit (et c’est le droit suprême), dans l’histoire du monde comme tribunal du monde.

    (trad. Kaan)

    Quelle sorte d’organisme l’Etat est-il ?

    Quelles sont les relations de ces organismes entre eux ?

    Dans quelle mesure l’Etat d’un peuple réalise-t-il l’esprit du monde ?

    Qu’est-ce qui se produit dans la relation réciproque des Etats ?

    En quel sens l’histoire du monde est-elle le tribunal du monde ?



    12 Marx

    l’Idéologie allemande

    C’est justement cette contradiction entre l’intérêt particulier et l’intérêt collectif qui amène l’intérêt collectif à prendre, en qualité d’Etat, une forme indépendante, séparée des intérêts réels de l’individu et de l’ensemble et à faire en même temps figure de communauté illusoire, mais toujours sur la base concrète des liens existants dans chaque conglomérat de famille et de tribu, tels que liens du sang, langage, division du travail à une vaste échelle et autres intérêts ; et parmi ces intérêts nous trouvons en particulier, comme nous le développerons plus loin, les intérêts des classes déjà conditionnées par la division du travail, qui se différencient dans tout groupement de ce genre et dont l’une domine toutes les autres. Il s’ensuit que toutes les luttes à l’intérieur de l’Etat, la lutte entre la démocratie, l’aristocratie et la monarchie, la lutte pour le droit de vote, etc., etc., ne sont que les formes illusoires sous lesquelles sont menées les luttes effectives des différentes classes entre elles (...) ; et il s’ensuit également que toute classe qui aspire à la domination, même si sa domination détermine l’abolition de toute l’ancienne forme sociale et de la domination en général, comme c’est le cas pour le prolétariat, il s’ensuit donc que cette classe doit conquérir d’abord le pouvoir politique pour représenter à son tour son intérêt propre comme étant l’intérêt général, ce à quoi elle est contrainte dans les premiers temps. Précisément parce que les individus ne cherchent que leur intérêt particulier, — qui ne coïncide pas pour eux avec leur intérêt collectif, l’universalité n’étant somme toute qu’une forme illusoire de la collectivité, — cet intérêt est présenté comme un intérêt qui leur est “étranger”, qui est “indépendant” d’eux et qui est lui-même à son tour un intérêt “général” spécial et particulier, ou bien ils doivent se mouvoir eux-mêmes dans cette dualité comme c’est le cas dans la démocratie.

    (trad. marxists.org)

    Pourquoi faut-il un Etat ? Quelle est sa fonction ?

    Quel rôle joue dans les sociétés la division du travail ?

    Les luttes politiques sont-elles des luttes d’idées ?

    L’intérêt général est-il illusoire ?

    En quoi la démocratie est-elle un cas particulier de l’Etat ?

    -> un éclairage



    13 Lénine

    l’Etat et la révolution

    La démocratie est une forme de l’Etat, une de ses variétés. Elle est donc, comme tout Etat, l’application organisée, systématique, de la contrainte aux hommes. Ceci, d’une part. Mais, d’autre part, elle signifie la reconnaissance officielle de l’égalité entre les citoyens, du droit égal pour tous de déterminer la forme de l’Etat et de l’administrer. Il s’ensuit donc qu’à un certain degré de son développement, la démocratie, tout d’abord, unit le prolétariat, la classe révolutionnaire anticapitaliste, et lui permet de briser, de réduire en miettes, de faire disparaître de la surface de la terre la machine d’Etat bourgeoise, fût-elle bourgeoise républicaine, l’armée permanente, la police, la bureaucratie, et de les remplacer par une machine d’Etat plus démocratique, mais qui n’en reste pas moins une machine d’Etat, sous la forme des masses ouvrières armées, puis, progressivement, du peuple entier participant à la milice.

    Ici, “la quantité se change en qualité” : parvenu à ce degré, le démocratisme sort du cadre de la société bourgeoise et commence à évoluer vers le socialisme. Si tous participent réellement à la gestion de l’Etat, le capitalisme ne peut plus se maintenir. Et le développement du capitalisme crée, à son tour, les prémisses nécessaires pour que “tous” puissent réellement participer à la gestion de l’Etat. Ces prémisses sont, entre autres, l’instruction générale déjà réalisée par plusieurs des pays capitalistes les plus avancés, puis “l’éducation et la formation à la discipline” de millions d’ouvriers par l’appareil socialisé, énorme et complexe, de la poste, des chemins de fer, des grandes usines, du gros commerce, des banques, etc., etc.

    (trad. marxists.org)

    Existe-t-il des formes d’Etat non contraignantes ?

    Comment la démocratie se distingue-t-elle des autres ?

    Au bénéfice de qui la démocratie bourgeoise exerce-t-elle la contrainte ?

    Comment la démocratie bourgeoise contribue-t-elle à transformer l’Etat ?

    Quelle différence y a-t-il entre l’armée permanente et la milice de la démocratie socialiste ?



    14 Alain

    Propos, 12/07/1910

    L’exécutif est monarchique nécessairement. Il faut toujours dans l’action qu’un homme dirige. (...) Le législatif, qui comprend sans doute l’administratif, est oligarchique nécessairement. Car, pour régler quelque organisation, il faut des savants, juristes ou ingénieurs, qui travaillent par petits groupes dans leur spécialité. (...)

    Où est donc la démocratie, sinon dans ce troisième pouvoir que la science politique n’a point défini, et que j’appelle le Contrôleur ? Ce n’est autre chose que le pouvoir, continuellement efficace, de déposer les Rois et les Spécialistes à la minute, s’ils ne conduisent pas les affaires selon l’intérêt du plus grand nombre. Ce pouvoir s’est longtemps exercé par révolutions et barricades. Aujourd’hui, c’est par l’Interpellation qu’il s’exerce. La démocratie serait, à ce compte, un effort perpétuel des gouvernés contre les abus du pouvoir. Et, comme il y a, dans un individu sain, nutrition, élimination, reproduction, dans un juste équilibre, ainsi il y aurait dans une société saine : Monarchie, Oligarchie, Démocratie, dans un juste équilibre.

    Qui exerce le pouvoir exécutif ? Le législatif ?

    Que signifient monarchique, oligarchique ?

    De quels moyens dispose la démocratie ?

    Dans quel but en use-t-elle ? Contre quoi ?

    La définition de la démocratie comme un pouvoir en écarte une autre : laquelle ?

    -> un éclairage

  • cf. Machiavel (XXIV,6)

  • programme


    XXV Morale



    1 Platon

    Gorgias, 491e-492b

    Comment un homme peut-il être heureux, s’il est esclave d’un autre ? Je vais te dire franchement ce qui est bon et juste selon la nature : pour bien bien vivre sa vie, il faut concevoir les plus grandes passions, et ne pas les tempérer, mais avoir le courage et l’intelligence de les satisfaire, et les assouvir de telle sorte qu’elles croissent toujours. Mais c’est, je pense, ce dont la majorité des hommes est incapable. Alors, par honte, pour cacher leur propre impuissance, ils blâment ceux qui en sont capables. Ils disent que l’intempérance est mauvaise, comme je l’ai déjà dit, afin d’asservir ceux qui sont meilleurs par nature. Eux-mêmes, incapables de se procurer ce qui les mettrait au comble du plaisir, par lâcheté ils louent la tempérance et la justice. Mais pour ceux qui sont supérieurs par nature, ou fils de roi, alors qu’ils sont capables par nature de se pourvoir d’un commandement, d’un pouvoir ou d’un gouvernement, y a-t-il en vérité plus honteux et plus mauvais que la tempérance ? Ceux à qui est permise, entravée par personne, une jouissance de tous les biens, ils se donneraient à eux-mêmes pour maître la loi de la majorité, son sermon et son blâme ? Soumis à la loi de la justice et de la tempérance, empêchés de donner à leurs amis et à eux-mêmes plus qu’à leurs ennemis, tout cela alors qu’ils commandent dans leur propre Etat, comment ne seraient-ils pas malheureux ? Mais la vérité, Socrate, celle que tu recherches, dis-tu, c’est que, bien soutenues, la jouissance, l’intempérance et la liberté font la vertu et le bonheur. Toutes les coquetteries, les conventions contre nature, sont des niaiseries sans aucune portée.

    (trad. Dorion - La pensée de Platon n’est pas nécessairement engagée par les propos qu’il prête aux personnages de ses dialogues)

    Que signifie satisfaire ses passions ? Les faire croître ?

    Y faut-il du courage et de l’intelligence ?

    Pourquoi le fils de roi devrait-il être plus honteux qu’un autre ?

    A quelles coquetteries fait-on allusion ?

    Jusqu’où peut aller la conduite louée ici ?

    -> une explication



    2 Platon

    République, 401b-d

    Est-ce seulement les poètes qu’il faudra surveiller et contraindre à ne produire dans leurs œuvres que des images des bonnes mœurs, ou à ne rien écrire chez nous ? Ou faudra-t-il encore surveiller les autres artistes et les empêcher d’imiter le vice, l’intempérance, la bassesse, l’inconvenance dans la peinture des êtres vivants, dans l’architecture ou tout autre art, ou sinon leur interdire l’exercice de leur art chez nous ? Ne faut-il pas craindre que les gardiens de l’Etat, élevés au milieu des images du vice, comme dans une mauvaise pâture, n’y broutent et n’y paissent chaque jour le poison peu à peu, mais finalement en grande quantité, accumulant ainsi sans s’en rendre compte un grand vice dans leur âme ? Ne faut-il pas au contraire rechercher les artistes heureusement doués qui poursuivent la nature du beau et du distingué, afin que les jeunes comme ceux qui habitent un pays sain, fassent leur profit de tout, en quelque organe qu’ils soient frappés par les belles œuvres, tant par les yeux que par les oreilles, comme par un vent qui apporte la santé, et reçoivent sans cesse, en quelque sorte par les yeux et les oreilles, l’impression des beaux ouvrages, comme un air pur qui leur apporte la santé des pays heureux, et tout droit les conduit discrètement dès l’enfance vers l’image, l’amour et l’accord du beau discours.

    (trad. Dorion - La pensée de Platon n’est pas nécessairement engagée par les propos qu’il prête aux personnages de ses dialogues)

    De quoi la santé est-elle l’image ?

    De quoi le vent et l’air pur le sont-ils ?

    En quoi les arts donnent-ils l’image du vice ?

    Quelle mission assigne-t-on aux artistes ?

    Quelle politique surveille et contraint les artistes ?

    -> un éclairage



    3 Aristote

    Ethique de Nicomaque, II 1106b

    Puisque dans l’âme on trouve uniquement passions, capacités d’action, dispositions acquises, la vertu doit appartenir à une de ces classes. Or, j’appelle passions le désir, la colère, la peur, la témérité, l’envie, la joie, l’amitié, la haine, le regret, l’émulation, la pitié, en un mot tout ce qui s’accompagne de plaisir ou de peine. J’appelle capacités nos possibilités d’éprouver ces passions, par exemple ce qui nous rend propres à ressentir de la colère, ou de la haine, ou de la pitié. Enfin les dispositions nous mettent, eu égard aux passions, dans un état heureux ou fâcheux ; par exemple, en ce qui concerne la colère, si l’on y est trop porté ou insuffisamment, nous nous trouvons en de mauvaises dispositions ; si nous y sommes portés modérément, nous sommes dans d’heureuses dispositions ; il en va ainsi dans d’autres cas. Ainsi donc ni les vertus ni les vices ne sont des passions, car ce n’est pas d’après les passions qu’on nous déclare bons ou mauvais, tandis qu’on le fait d’après les vertus et les vices. On ne se fonde pas non plus sur les passions pour nous décerner l’éloge ou le blâme ; on ne félicite pas l’homme craintif ni l’homme porté à la colère ; le blâme ne s’adresse pas à un homme d’une façon générale, mais selon les circonstances, tandis que c’est d’après les vertus et les vices qu’on nous dispense l’éloge ou le blâme. Ajoutons que la colère et la crainte ne proviennent pas de notre volonté, tandis que les vertus comportent un certain choix réfléchi, ou tout au moins n’en sont pas dépourvues. Enfin l’on dit que les passions nous émeuvent, les vertus et les vices ne nous émouvant pas, mais nous disposant l’âme d’une certaine manière. Les mêmes raisons font que vertus et vices ne sont pas non plus en nous de simples possibilités. On ne dit pas que nous sommes bons et mauvais par le seul fait de pouvoir éprouver des passions ; ce n’est pas là ce qui nous vaut la louange et le blâme. En outre, si la nature nous a donné ces possibilités, ce n’est pas elle qui fait que nous sommes bons ou mauvais — nous nous sommes exprimé plus haut à ce sujet. Si donc les vertus ne sont ni des passions ni des possibilités, il reste qu’elles sont des dispositions acquises.

    (trad. Barthélemy-Saint Hilaire)

    Pourquoi les vertus ne sont-elles pas des passions ?

    Des capacités d’action ?

    Quel est le raisonnement de l’auteur ?

    Qu’est-ce qu’une mauvaise disposition ? Une bonne ?

    Quel choix réfléchi comportent les vertus ? Et les vices ?



    4 Descartes

    les Passions de l’âme, §§ 152-153

    Parce que l’une des principales parties de la sagesse est de savoir en quelle façon et pour quelle cause chacun se doit estimer ou mépriser, je tâcherai ici d’en dire mon opinion. Je ne remarque en nous qu’une seule chose qui nous puisse donner juste raison de nous estimer, à savoir l’usage de notre libre arbitre et l’empire que nous avons sur nos volontés ; car il n’y a que les seules actions qui dépendent de ce libre arbitre pour lesquelles nous puissions avec raison être loués ou blâmés ; et il nous rend en quelque façon semblables à Dieu en nous faisant maîtres de nous-mêmes, pourvu que nous ne perdions point par lâcheté les droits qu’il nous donne.

    Ainsi je crois que la vraie générosité, qui fait qu’un homme s’estime au plus haut point qu’il se peut légitimement estimer, consiste seulement partie en ce qu’il connaît qu’il n’ y a rien qui véritablement lui appartienne que cette libre disposition de ses volontés, ni pourquoi il doive être loué ou blâmé sinon pour ce qu’il en use bien ou mal, et partie en ce qu’il sent en soi-même une ferme et constante résolution d’en bien user, c’est à dire de ne manquer jamais de volonté pour entreprendre et exécuter toutes les choses qu’il jugera être les meilleures ; ce qui est suivre parfaitement la vertu.

    Qu’est-ce qui ne m’appartient pas véritablement ?

    Suis-je louable ou blâmable pour ce qui ne dépend pas de mon libre arbitre ?

    Où est la lâcheté ?

    Quel est le bon usage du libre arbitre ?

    Qui juge du bien et du mal ?

    -> une explication



    5 Spinoza

    Ethique, V 41 scolie

    La plupart semblent croire qu’ils sont libres dans la mesure où il leur est permis d’obéir à l’appétit sensuel et qu’ils renoncent à leurs droits dans la mesure où ils sont astreints à vivre suivant les prescriptions de la loi divine. La moralité donc et la religion, et absolument parlant tout ce qui se rapporte à la force d’âme, ils croient que ce sont des fardeaux dont ils espèrent être déchargés après la mort pour recevoir le prix de la servitude, c’est-à-dire de la moralité et de la religion, et ce n’est pas seulement cet espoir, c’est aussi et principalement la crainte d’être punis d’affreux supplices après la mort qui les induit à vivre suivant les prescriptions de la loi divine autant que leur petitesse et leur impuissance intérieure le permettent. Et, si les hommes n’avaient pas cet espoir et cette crainte, s’ils croyaient au contraire que les âmes périssent avec le corps et que les malheureux, épuisés par le fardeau de la moralité, n’ont devant eux aucune vie à venir, ils reviendraient à leur complexion et voudraient tout gouverner suivant leur appétit sensuel et obéir à la fortune plutôt qu’à eux-mêmes. Ce qui ne me paraît pas moins absurde que si quelqu’un, parce qu’il ne croit pas pouvoir nourrir son corps de bons aliments dans l’éternité, aimait mieux se saturer de poisons et de substances mortifères ; ou parce qu’on croit que l’âme n’est pas éternelle ou immortelle, on aimait mieux être dément et vivre sans raison ; absurdités telles qu’elles méritent à peine d’être relevées.

    (trad. Appuhn)

    Comment “la plupart” entendent-ils la liberté ?

    Pourquoi y renoncent-ils ? Sous quelle condition ?

    Que feraient-ils s’ils découvraient qu’il n’y a rien après la mort ?

    La force d’âme est-elle un fardeau ?

    Que signifie obéir à soi-même ?

    -> un éclairage



    6 Spinoza

    Traité de la réforme de l’entendement

    Je me bornerai à dire ici brièvement ce que j’entends par un bien véritable et aussi ce qu’est le souverain bien. Pour l’entendre droitement il faut noter que bon et mauvais se disent en un sens purement relatif, une seule et même chose pouvant être appelée bonne et mauvaise suivant l’aspect sous lequel on la considère ; ainsi en est-il de parfait et d’imparfait. Nulle chose, en effet, considérée dans sa propre nature ne sera dite parfaite ou imparfaite, surtout quand on aura connu que tout ce qui arrive se produit selon un ordre éternel et des lois de nature déterminées. Tandis cependant que l’hommme, dans sa faiblesse, ne saisit pas cet ordre par la pensée, comme il conçoit une nature humaine de beaucoup supérieure en force à la sienne et ne voit point d’empêchement à ce qu’il en acquière une pareille, il est poussé à chercher des intermédiaires le conduisant à cette perfection ; tout ce qui dès lors peut servir de moyen pour y parvenir est appelé bien véritable ; le souverain bien étant d’arriver à jouir, avec d’autres individus s’il se peut, de cette nature supérieure. Quelle est donc cette nature ? Nous l’exposerons en son temps et montrerons qu’elle est la connaissance de l’union qu’a l’âme pensante avec la nature entière. Telle est donc la fin à laquelle je tends : acquérir cette nature supérieure et faire de mon mieux pour que beaucoup l’acquièrent avec moi ; car c’est encore une partie de ma félicité de travailler à ce que beaucoup connaissent clairement ce qui est clair pour moi, de façon que leur entendement et leur désir s’accordent pleinement avec mon propre entendement et mon propre désir. Pour parvenir à cette fin il est nécessaire d’avoir de la Nature une connaissance telle qu’elle suffise à l’acquisition de cette nature supérieure ; en second lieu de former une société telle qu’il est à désirer pour que le plus d’hommes possible arrivent au but aussi facilement et sûrement qu’il se pourra.

    (trad. Appuhn)

    Dans quelle mesure bon et mauvais n’ont-ils de sens que relatif ?

    Pourquoi la connaissance des lois de la nature s’oppose-t-elle à l’emploi de ces mots dans ce sens ?

    Quel est le bien véritable ?

    Sous quelle condition peut-on l’acquérir ?

    Pourquoi m’importe-t-il que beaucoup l’acquièrent ?



    7 Leibniz

    Discours de métaphysique, § XV

    La vertu d’une substance particulière est de bien exprimer la gloire de Dieu, et c’est par là qu’elle est le moins limitée. Et chaque chose quand elle exerce sa vertu ou puissance, c’est à dire quand elle agit, change en mieux et s’étend en tant qu’elle agit : lors donc qu’il arrive un changement dont plusieurs substances sont affectées (comme en effet tout changement les touche toutes), je crois qu’on peut dire que celle qui immédiatement par là passe à un plus grand degré de perfection ou à une expression plus parfaite, exerce sa puissance et agit, et celle qui passe à un moindre degré fait connaître sa faiblesse et pâtit. Aussi tiens-je que toute action d’une substance qui a de la perception emporte quelque volupté, et toute passion quelque douleur, et vice versa. Cependant il peut bien arriver qu’un avantage présent soit détruit par un plus grand mal dans la suite. D’où vient qu’on peut pécher en agissant ou exerçant sa puissance et en trouvant du plaisir.

    Qu’est-ce qu’un changement dont plusieurs substances sont affectées ?

    Quand une chose change-t-elle en mieux ? en pire ?

    Qu’est-ce que bien exprimer la gloire de Dieu ?

    Qu’est-ce qu’une substance qui a de la perception  ?

    Tout plaisir exprime-t-il bien la gloire de Dieu ?

  • cf. Spinoza (XXV,6)



  • 8 Hume

    Traité de la nature humaine, Livre III, partie 1, section 2

    Or, puisque les impressions distinctives, par lesquelles le bien et le mal moraux nous sont connus, ne sont rien que des douleurs ou des plaisirs particuliers, il s’ensuit que, dans toutes les recherches sur ces distinctions morales, il suffira de montrer les principes qui nous font éprouver une satisfaction ou un déplaisir à la vue d’un caractère pour que nous soyons éclairés sur la raison qui fait que le caractère est louable ou blâmable. Une action, un sentiment ou un caractère est vertueux ou vicieux. Pourquoi ? Parce sa vue cause un plaisir ou un déplaisir d’un genre particulier. Donc, en donnant une raison du plaisir ou du déplaisir, nous expliquons suffisamment le vice ou la vertu. Avoir le sens de la vertu n’est rien que ressentir une satisfaction d’un genre particulier à la vue d’un caractère. Le sentiment même constitue notre éloge ou notre admiration. Nous n’allons pas plus loin et nous n’enquêtons pas sur la cause de la satisfaction. Nous n’inférons pas qu’un caractère est vertueux parce qu’il nous plaît mais, en sentant qu’il plaît d’une manière particulière, nous sentons effectivement qu’il est vertueux. Le cas est le même que dans nos jugements sur toutes sortes de beautés, de goûts et de sensations. Notre approbation est impliquée dans le plaisir immédiat qu’ils nous communiquent.

    (trad. Folliot)

    Pourquoi approuvons-nous une conduite ?

    En quoi le plaisir que procure la vertu se distingue-t-il des autres ?

    Qu’est-ce que le bien ?

    L’explication du jugement moral en appelle-t-elle à une loi supérieure ?

    Se distingue-t-elle de celle du jugement esthétique ?

    -> une explication



    9 Diderot

    in Encyclopédie, Irréligieux

    On n’est irréligieux que dans la société dont on est membre ; il est certain qu’on ne fera à Paris aucun crime à un mahométan de son mépris pour la loi de Mahomet, ni à Constantinople aucun crime à un chrétien de l’oubli de son culte. Il n’en est pas ainsi des principes moraux ; ils sont les mêmes partout. L’inobservance en est et en sera répréhensible dans tous lieux et dans tous les temps. Les peuples sont partagés en différents cultes, religieux ou irréligieux, selon l’endroit de la surface de la terre où ils se transportent ou qu’ils habitent ; la morale est la même partout. C’est la loi universelle que le doigt de Dieu a gravée dans tous les cœurs. C’est le précepte éternel de la sensibilité et des besoins communs. II ne faut donc pas confondre l’immoralité et l’irréligion. La moralité peut être sans la religion ; et la religion peut être, est même souvent avec l’immo­ralité.

    Sans étendre ses vues au-delà de cette vie, il y a une foule de raisons qui peuvent démontrer à un homme, que pour être heureux dans ce monde, tout bien pesé, il n’y a rien de mieux à faire que d’être vertueux. Il ne faut que du sens et de l’expérience pour sentir qu’il n’y a aucun vice qui n’entraîne avec lui quelque portion de malheur, et aucune vertu qui ne soit accompagnée de quelque portion de bonheur ; qu’il est impossible que le méchant soit tout à fait heureux, et l’homme de bien tout à fait malheureux ; et que malgré l’intérêt et l’attrait du moment, il n’a pourtant qu’une conduite à tenir.

    Qu’est-ce qui oppose les principes moraux aux principes religieux ?

    Lesquels ont-ils plus de valeur et pourquoi ?

    Quel jugement cela induit-il sur les principes religieux ?

    Que signifie étendre ses vues au-delà de cette vie ?

    Pourquoi importe-t-il que ce ne soit pas nécessaire à la vertu ?



    10 Rousseau

    Profession de foi du Vicaire savoyard

    Exister pour nous, c’est sentir ; notre sensibilité est incontestablement antérieure à notre intelligence, et nous avons eu des sentiments avant des idées. Quelle que soit la cause de notre être, elle a pourvu à notre conservation en nous donnant des sentiments convenables à notre nature ; et l’on ne saurait nier qu’au moins ceux-là ne soient innés. Ces sentiments, quant à l’individu, sont l’amour de soi, la crainte de la douleur, l’horreur de la mort, le désir du bien être. Mais si, comme on n’en peut douter, l’homme est sociable par sa nature, ou du moins fait pour le devenir, il ne peut l’être que par d’autres sentiments innés, relatifs à son espèce ; car, à ne considérer que le besoin physique, il doit certainement disperser les hommes au lieu de les rapprocher. Or c’est du système moral formé par ce double rapport à soi-même et à ses semblables que naît l’impulsion de la conscience.

    Connaître le bien, ce n’est pas l’aimer : l’homme n’en a pas la connaissance innée, mais sitôt que sa raison le lui fait connaître, sa conscience le porte à l’aimer : c’est ce sentiment qui est inné.

    Comment la nature pourvoit-elle à la conservation d’une espèce ?

    Quels sentiments relatifs à celle-ci sont-ils innés ?

    Quel autre but la nature donne-t-elle à l’homme ? Quels autre sentiments innés ?

    Qu’est-ce que le système moral ?

    Quel rôle la raison joue-t-elle à son égard ?

    -> une explication



    11 Rousseau

    Profession de foi du Vicaire savoyard

    Il est donc au fond des âmes un principe inné de justice et de vertu, sur lequel, malgré nos propres maximes, nous jugeons nos actions et celles d’autrui comme bonnes ou mauvaises, et c’est à ce principe que je donne le nom de conscience.

    Mais à ce mot j’entends s’élever de toutes parts la clameur des prétendus sages : Erreurs de l’enfance, préjugés de l’éducation ! s’écrient-ils tous de concert. Il n’y a rien dans l’esprit humain que ce qui s’y introduit par l’expérience, et nous ne jugeons d’aucune chose que sur les idées acquises. Ils font plus : cet accord évident et universel de toutes les nations, ils l’osent rejeter ; et, contre l’éclatante uniformité du jugement des hommes, ils vont chercher dans les ténèbres quelque exemple obscur et connu d’eux seuls ; comme si tous les penchants de la nature étaient anéantis par la dépravation d’un peuple, et que, sitôt qu’il est des monstres, l’espèce ne fût plus rien. Mais que servent au sceptique Montaigne les tourments qu’il se donne pour déterrer en un coin du monde une coutume opposée aux notions de la justice ? Que lui sert de donner aux plus suspects voyageurs l’autorité qu’il refuse aux écrivains les plus célèbres ? Quelques usages incertains et bizarres fondés sur des causes locales qui nous sont inconnues détruiront-ils l’induction générale tirée du concours de tous les peuples, opposés en tout le reste, et d’accord sur ce seul point ? O Montaigne ! toi qui te piques de franchise et de vérité, sois sincère et vrai, si un philosophe peut l’être, et dis moi s’il est quelque pays sur la terre où ce soit un crime de garder sa foi, d’être clément, bienfaisant, généreux ; où l’homme de bien soit méprisable et le perfide honoré.

    Qu’est-ce que nos maximes ?

    Quelle philosophie affirme-t-elle qu’il n’y a rien dans l’esprit qui ne soit acquis par expérience ?

    Comment le scepticisme lui est-il lié ?

    Quels sont ses arguments ?

    Comment l’auteur les rejette-t-il ?

    -> une explication

  • cf. Pascal (XXII,8); Diderot (XXV,9)



  • 12 Sade

    les Instituteurs immoraux, Troisième dialogue

    La destruction étant une des premières lois de la nature, rien de ce qui détruit ne saurait être un crime. Comment une action qui sert aussi bien la nature pourrait-elle jamais l’outrager ? Cette destruction, dont l’homme se flatte, n’est d’ailleurs qu’une chimère ; le meurtre n’est point une destruction ; celui qui le commet ne fait que varier les formes ; il rend à la nature des éléments dont la main de cette nature habile se sert aussitôt pour recomposer d’autres êtres ; or, comme les créations ne peuvent être que des jouissances pour celui qui s’y livre, le meurtrier en prépare donc une à la nature ; il lui fournit des matériaux qu’elle emploie sur le champ, et l’action que des sots ont eu la folie de blâmer ne devient plus qu’un mérite aux yeux de cette agente universelle. C’est notre orgueil qui s’avise d’ériger le meurtre en crime. Nous estimant les premières créatures de l’univers, nous avons sottement imaginé que toute lésion qu’endurerait cette sublime créature devrait nécessairement être un crime énorme ; nous avons cru que la nature périrait si notre merveilleuse espèce venait à s’anéantir sur ce globe, tandis que l’entière destruction de cette espèce, en rendant à la nature la faculté créatrice qu’elle nous cède, lui redonnerait une énergie que nous lui enlevons en nous propageant.

    En quel sens la destruction est-elle une des premières lois de la nature ?

    En quel autre n’est elle qu’une chimère ?

    Quels éléments la destruction rend-elle à la nature ?

    Que signifie les premières créatures de l’univers ?

    Celui qui parle accorde-t-il un sens à cette expression ?



    13 Kant

    Fondements de la métaphysique des mœurs, section 1

    Ce qui fait que la bonne volonté est telle, ce ne sont pas ses œuvres ou ses succès, ce n’est pas son aptitude à atteindre tel ou tel but proposé, c’est seulement le vouloir ; c’est-à-dire que c’est en soi qu’elle est bonne ; et, considérée en elle-même, elle doit sans comparaison être estimée bien supérieure à tout ce qui pourrait être accompli par elle uniquement en faveur de quelque inclination et même, si l’on veut, de la somme de toutes les inclinations. Alors même que, par une particulière défaveur du sort ou par l’avare dotation d’une nature marâtre, cette volonté serait complètement dépourvue du pouvoir de faire aboutir ses desseins ; alors même que dans son plus grand effort elle ne réussirait à rien ; alors même qu’il ne resterait que la bonne volonté toute seule (je comprends par là, à vrai dire, non pas quelque chose comme un simple vœu, mais l’appel à tous les moyens dont nous pouvons disposer), elle n’en brillerait pas moins, ainsi qu’un joyau, de son éclat à elle, comme quelque chose qui a en soi sa valeur tout entière. L’utilité ou l’inutilité ne peut en rien accroître ou diminuer cette valeur. L’utilité ne serait en quelque sorte que la sertissure qui permet de mieux manier le joyau dans la circulation courante ou qui peut attirer sur lui l’attention de ceux qui ne s’y connaissent pas suffisamment, mais qui ne saurait avoir pour effet de le recommander aux connaisseurs ni d’en déterminer le prix.

    (trad. Delbos)

    Comment la bonne volonté est-elle entendue ?

    En quoi est-elle bonne ?

    Quelle valeur lui accorde-t-on ?

    Qu’apporte l’image du joyau et de la sertissure ?

    Qu’implique l’avare dotation d’une nature marâtre ?



    14 Kant

    Critique de la raison pratique, partie I, livre 1, ch 2

    A supposer que nous ayons voulu partir du concept du bien pour en dériver les lois de la volonté, alors ce concept d’un objet (en tant que bon) serait en même temps que celui-ci donné comme l’unique principe déterminant de la volonté. Parce que ce concept n’aurait pour règle aucune loi pratique a priori, on ne pourrait placer la pierre de touche du bien ou du mal dans aucune autre chose que dans l’accord de l’objet avec notre sentiment du plaisir ou de la peine, et l’usage de la raison ne pourrait consister qu’à déterminer d’une part ce plaisir ou cette peine dans l’ensemble de ses rapports avec toutes les sensations de mon existence, d’autre part les moyens de m’en procurer l’objet. Parce que on ne peut décider de ce qui est conforme au sentiment du plaisir que sur l’expérience, comme la loi pratique dans cette hypothèse doit être fondée sur ce sentiment comme condition, la possibilité de lois pratiques a priori serait exclue par le fait qu’on croirait nécessaire de trouver auparavant pour la volonté un objet dont le concept, en tant que celui d’un objet bon, devrait former le principe de détermination universel, quoique empirique, de la volonté. Il était donc nécessaire de rechercher auparavant s’il n’y a pas aussi a priori un principe déterminant de la volonté.

    (trad. Dorion)

    Qu’est-ce qu’une loi pratique a priori ?

    Le plaisir se connaît-il a priori ?

    Un principe de détermination empirique est-il universel ?

    Quel usage ferait-on de la raison si le plaisir était le critère du bien ?

    Pourquoi ne peut-on définir le bien avant un principe déterminant a priori la volonté ?

    -> un éclairage

  • cf. Diderot (XXV,9); Rousseau (XXV,11)



  • 15 Hegel

    ???

    Il faut distinguer droit et morale. Le droit peut très bien permettre une action qu’interdise la morale. Le droit, par exemple, m’autorise à disposer de mon bien de façon tout fait inconditionnelle, mais la morale contient des déterminations qui limitent ce droit de disposition. Il peut sembler que la morale permette bien des actions que le droit interdit, mais la morale n’exige pas seulement l’observation du droit à l’égard d’autrui, elle ajoute de plus au droit la disposition d’esprit qui consiste à respecter le droit pour lui-même. C’est la morale elle-même qui impose que, d’abord, le droit soit respecté, et que, là où cesse le domaine du droit, interviennent des déterminations morales. Pour qu’une conduite ait une valeur morale, il est nécessaire de discerner si cette conduite est juste ou injuste, bonne ou méchante. Ce qu’on appelle innocence des enfants ou des nations non civilisées n’est pas encore moralité. Si les enfants ou les non civilisés s’abstiennent d’un grand nombre de méchantes conduites, c’est parce qu’ils n’ont encore aucune représentation de pareilles conduites, parce que les relations qui donnent lieu à ces conduites n’existent encore d’aucune manière ; le fait qu’ils s’abstiennent de ces conduites méchantes est sans valeur morale. Ils accomplissent, d’autre part, des actions conformes à la morale et qui cependant ne sont pas encore proprement morales, car ils n’ont aucun discernement qui leur permettrait de savoir si, par nature, cette conduite est bonne ou méchante.

    (trad. ?)

    Pourquoi les enfants s’abstiennent-ils des conduites méchantes ?

    La conformité de leurs actions à la morale a-t-elle une valeur morale ?

    Le droit peut-il contredire la morale ?

    La morale peut-elle contredire le droit ?

    Qu’est-ce qui fait la supériorité de la morale sur le droit ?



    16 Nietzsche

    Généalogie de la morale, Avant-Propos § 6

    La valeur de ces valeurs était tenue pour acquise, réelle, au-dessus de toute mise en question. On n’a non plus jusqu’à ce jour douté ni hésité le moins du monde à donner le “bon” pour plus élevé que le “méchant”, plus élevé au sens du développement, de l’adaptation, de la maturité relative aux hommes en général (y compris de l’avenir de l’homme). Mais si l’inverse était le vrai ? Mais s’il y avait dans le “bon” aussi un symptôme de régression ? Et même un danger, un fourvoiement, un poison, un narcotique en raison duquel le présent vivrait éventuellement aux frais de l’avenir ? Peut-être plus agréable, moins dangereux, mais aussi plus mesquin, plus bas ? De sorte que la morale précisément serait coupable de l’interdiction d’atteindre jamais la plus haute puissance et splendeur en soi possible du type humain ? De sorte que précisément la morale serait le danger des dangers ?

    (trad. Dorion)

    A quoi la morale oppose-t-elle ce qui est élevé ?

    Quel est le rôle de la morale ?

    Que signifient les mots développement, régression, puissance ?

    Comment les valeurs peuvent-elles être narcotiques ?

    Si la morale était le danger des dangers, que faudrait-il faire ?

    -> une explication

  • cf. Diderot (XXVII,8); Nietzsche (V,8)



  • 17 Alain

    La conscience morale, 2

    Quand j’écarte les règles de police, quand je refuse de voir la diversité des règles de police, quand je cherche l’homme, c’est la même chose que si je décide que la règle de police, la contrainte, ne peut prétendre à remplacer mon gouvernement intérieur. Je dois juger par moi-même ; et alors tout est dit. La morale est une solitude ; et par cela même elle commence la vraie société (les fins). C’est ainsi par de solitaires raisons que l’on cherche la société vraie et libre. C’est ainsi qu’on écarte ces règles de police. Imitation, coutume, peur, abrutissement profond, délire, fureur, rien de tout cela ne peut faire la moindre vertu. Nous voilà donc à l’intention, au régime intérieur, au drame incommunicable, mais y cherchant la forme universelle. Quand un homme dit qu’il a pour lui sa conscience (ou contre lui), on comprend très bien.

    On voit que retrouvant une idée universelle, je ne prends nullement la Conscience Morale comme principe d’obéissance, mais au contraire de résistance (résistance qui fera l’accord vrai), non comme principe d’esclavage, mais au contraire de liberté, mais toujours revenant sur soi. Ne nous emportons pas.

    Peut-on fonder la morale sur l’imitation, la coutume, etc ?

    En quoi la règle de police s’oppose-t-elle au gouvernement intérieur ?

    Pourquoi la morale est-elle une solitude ?

    Qu’est-ce que chercher la forme universelle dans l’intention ?

    Comment la solitude fait-elle la vraie société ?

  • cf. Descartes (XXVII,3); Diderot (XXVII,8)



  • 18 Jankélévitch

    la Mauvaise conscience, ch I, 3

    La finesse morale ne ressemble-t-elle pas en cela à la clairvoyance de l’artiste ? N’est-elle pas aussi une perception de l’invisible ? Là où les “âmes cadavéreuses” ne voient rien, les natures morales discernent au contraire une foule de problèmes possibles ou, comme nous disons, de cas de conscience ; un rien les fait souffrir, elles vibrent et résonnent à tous les bruits de l’univers ; un acte indifférent pour tout le monde fera pour elles question et les plaisirs les plus innocents leur paraîtront suspects. C’est là ce qu’on appelle le scrupule. Rien de ce qui intéresse ou approche l’âme humaine n’est indifférent ; n’y eût-il au monde qu’une seule conscience morale, cela suffirait déjà pour que les choses se répartissent dans l’univers selon une dimension toute nouvelle, d’après un certain ordre de profondeur qui est celui de leur excellence ; elles ne sont plus simplement des choses qui existent ; elles “méritent” ou ne “méritent” pas d’exister, elles se distribuent autour de nous selon une hiérarchie qui n’est pas fondée dans leur nature objective, mais dans nos préférences surnaturelles. En somme la conscience ne dit pas autre chose que ceci : tout ne peut pas se faire ; certaines actions, en dehors de leur utilité, parfois même contre toute raison, rencontrent en nous une résistance inexplicable qui les rend “scrupuleuses”, c’est à dire quelque chose qui les freine ; quelque chose en elles ne va plus de soi. La conscience est l’aversion invincible que nous inspirent certaines façons de vivre, de sentir ou d’agir ; c’est une répugnance imprescriptible, une espèce d’horreur sacrée.

    En quoi la finesse morale ressemble-t-elle à la clairvoyance de l’artiste ?

    Qu’est-ce qu’une âme cadavéreuse ?

    Que fait apparaître dans l’univers la conscience morale ?

    Comment son critère de répartition des actions se fonde-t-il ?

    Par quelle affection le scrupule se caractérise-t-il ?

    programme


    XXVI Liberté



    1 Platon

    République, 557b-558a

    - Les hommes ne sont-ils pas libres dans l’Etat démocratique, n’y trouvent-ils pas la liberté, le droit de dire ce qu’ils pensent, et le droit de faire ce qu’ils veulent ?
    - C’est ce qu’on dit, répondit-il.
    - Partout où l’on a le droit de faire ce qu’on veut, il est évident que chacun a le droit de donner à sa propre vie sa propre organisation et l’organise comme il lui plaît.
    - C’est évident.
    - Les hommes prendront toutes sortes de formes sous cette constitution, les plus différentes.
    - Comment pourrait-ce n’être pas le cas ?(...)
    - C’est donc sous celle-ci, mon bienheureux ami, qu’il faut chercher une constitution.
    - Pourquoi ?
    - Avec le droit de faire ce qu’on veut, on y trouve tous les genres de constitutions ; et il faut que celui qui veut organiser un Etat, comme nous le faisons, tente sa chance dans un Etat démocratique pour choisir le modèle qui lui plaît, car il y trouvera toutes sortes de constitutions et choisira laquelle importer chez lui.
    - Il est vraisemblable, dit-il, qu’il n’y manquera pas de modèles.
    - N’avoir aucune obligation d’exercer le pouvoir dans cet Etat, si l’on y est propre, ni de se soumettre au pouvoir, si on ne le veut pas, ni d’aller à la guerre quand les autres vont à la guerre, ni de faire la paix quand les autres la font si on ne la désire pas, exercer le pouvoir ou commander alors que la loi l’interdit, ne se soumettre ni au pouvoir ni au commandement si l’on n’en a pas envie, une telle conduite n’est-elle pas divine et jouissive dans l’instant ?
    - Dans l’instant c’est vraisemblable.

    (trad. Dorion - La pensée de Platon n’est pas nécessairement engagée par les propos qu’il prête aux personnages de ses dialogues)

    La démocratie est-elle l’Etat libre ?

    Comment trouve-t-on des modèles de constitutions dans l’Etat démocratique ?

    La démocratie implique-t-elle le droit de ne pas obéir à la loi ?

    Faire ce qu’on veut relève-t-il du même droit que dire ce qu’on pense ?

    Où va un Etat où n’exercent pas le pouvoir ceux qui y sont propres ?

    -> un éclairage

  • cf. Platon (XXI,1)



  • 2 Maïmonide

    le Traité des huit chapitres, ch 8

    Quant à toi, sache que le point sur lequel s’accordent et notre doctrine religieuse et la philosophie grecque et que corroborent des preuves péremptoires, c’est que toutes les actions de l’homme relèvent de lui-même, qu’aucune nécessité ne pèse sur lui à cet égard,et qu’aucune force étrangère ne l’oblige à tendre à une vertu ou à un vice, à moins d’une prédisposition de tempérament qui, comme nous l’avons expliqué, lui rend une chose aisée ou malaisée, mais quant à y être contraint ou empêché, en aucune manière. D’ailleurs, si l’homme était contraint dans ses actions, les commandements et les défenses de la loi divine deviendraient sans objet, et toute la législation mosaïque serait absolument vaine, l’homme ne possédant pas le libre choix de ses actions ; et pareillement, il en résulterait l’inutilité de l’enseignement et de l’éducation, comme de l’apprentissage des professions ; tout cela serait vain, l’homme, d’après les partisans de cette opinion, ne pouvant absolument pas se dispenser, y étant contraint par une cause extérieure, d’accomplir telle action, d’acquérir telle science et de contracter telle ou telle manière d’être. En outre, la récompense et le châtiment seraient alors une pure injustice de la part des hommes, les uns à l’égard des autres, et de la part de Dieu à notre égard.

    (trad. Wolf)

    A quelle doctrine l’auteur s’oppose-t-il ?

    Une prédisposition entrave-t-elle le libre choix ?

    Sous quelle réserve la législation mosaïque (celle de Moïse) a-t-elle un sens ?

    L’enseignement, l’éducation et l’apprentissage sont-ils autre chose que des conditionnements ?

    Une sanction divine des actions humaines est-elle à redouter, à espérer ?

  • cf. Thomas d’Aquin (XXVI,3)



  • 3 Thomas d’Aquin

    Somme théologique, I, qu 83

    Le libre arbitre appartient à l’homme. Autrement les conseils, les exhortations, les préceptes, les interdictions, les récompenses et les châtiments seraient inutiles. Pour le mettre en évidence il faut considérer que les choses qui agissent sans jugement, comme la pierre qui tombe vers le bas, et toutes celles qui font de même, le font étant privées de connaissance. D’autres, comme les bêtes brutes, agissent par un jugement, mais qui n’est pas libre. Voyant le loup, la brebis juge qu’il lui faut fuir, par un jugement naturel mais non libre, parce qu’elle juge non par une comparaison mais par un instinct naturel. Il en va de même de tout jugement des bêtes brutes. Mais l’homme agit par jugement, jugeant par la puissance de connaître si quelque chose doit être fui ou poursuivi. Et parce que ce jugement ne se fait pas par un instinct naturel opérant sur le particulier, mais par une certaine comparaison de la raison, il agit par un jugement libre qu’il peut porter sur diverses choses.

    (trad. Dorion)

    Les choses, comme la pierre, agissent-elles avec jugement ?

    Les bêtes agissent-elles avec jugement ? Est-il libre ?

    Comment les jugements non libre et libre s’opposent-ils ?

    Quel rapport le jugement libre a-t-il avec le particulier ?

    Quelle preuve l’auteur donne-t-il de l’appartenance à l’homme du jugement libre ?

  • cf. Maïmonide (XXVI,2)



  • 4 Machiavel

    Discours sur Tite-Live, Livre II, ch 2

    Il est facile de comprendre d'où vient aux peuples la passion de la vie libre, car l'expérience montre que les cités ne se sont jamais accrues, ni en territoires ni en richesses, sinon lorsqu'elles ont été en liberté. Et c'est une chose merveilleuse à considérer que la grandeur où parvint Athènes en l'espace de cent ans, après s'être libérée de la tyrannie de Pisistrate. Mais la plus merveilleuse à considérer est la grandeur où parvint Rome après s'être libérée de ses Rois. La raison en est facile à comprendre. Car ce n'est pas le bien privé, mais le bien public qui fait grandes les cités. Et sans doute ne peut-on découvrir le bien commun que dans les républiques, parce que tout ce qui se fait est exécuté à cette fin. Et alors même que cela tourne au désavantage de telle ou telle personne privée, il y en a tant à qui il est avantageux, qu'elles peuvent le faire prévaloir sur la volonté du petit nombre qui en serait affligé. C'est le contraire qui arrive lorsqu'il y a un Prince, où la plupart du temps ce qui est fait pour lui offense la cité, et ce qui est fait pour la cité l'offense lui. Si bien que dès qu'il naît une tyrannie où la vie était libre, le moindre mal qui en résulte pour cette cité est de ne plus aller de l'avant, ni de croître ni en puissance ni en richesse. Mais la plupart du temps, pour ne pas dire toujours, il lui arrive de régresser.

    (trad. Dorion)

    Qu'est-ce que le bien privé ? Fait-il la grandeur des Etats ?

    Où le bien commun est-il le mieux respecté ?

    Quel rapport y a-t-il de la puissance et des richesses d’une cité avec la liberté des peuples ?

    Quels obstacles le petit nombre pourrait-il opposer à une mesure utile au bien commun ?

    Que résulte-t-il de la perte de la liberté ?

    -> un éclairage



    5 Descartes

    Méditations, IV

    Il n’y a que la seule volonté, que j’expérimente en moi être si grande, que je ne conçois point l’idée d’aucune autre plus ample et plus étendue : en sorte que c’est elle principalement qui me fait connaître que je porte l’image et la ressemblance de Dieu. Car, encore qu’elle soit incomparablement plus grande dans Dieu, que dans moi, soit à raison de la connaissance et de la puissance, qui s’y trouvant jointes la rendent plus ferme et plus efficace, soit à raison de l’objet, d’autant qu’elle se porte et s’étend infiniment à plus de choses ; elle ne me semble pas toutefois plus grande, si je la considère formellement et précisément en elle-même. Car elle consiste seulement en ce que nous pouvons faire une chose, ou ne la faire pas (c’est à dire affirmer ou nier, poursuivre ou fuir), ou plutôt seulement en ce que, pour affirmer ou nier, poursuivre ou fuir les choses que l’entendement nous propose, nous agissons en telle sorte que nous ne sentons point qu’aucune force extérieure nous y contraigne. Car, afin que je sois libre, il n’est pas nécessaire que je sois indifférent à choisir l’un ou l’autre des deux contraires ; mais plutôt, d’autant plus que je penche vers l’un, soit que je connaisse évidemment que le bien et le vrai s’y rencontrent, soit que Dieu dispose ainsi l’intérieur de ma pensée, d’autant plus librement j’en fais choix et je l’embrasse. Et certes la grâce divine et la connaissance naturelle, bien loin de diminuer ma liberté, l’augmentent plutôt et la fortifient.

    (trad. De Luynes)

    En raison de quoi ma volonté peut-elle être moindre que celle de Dieu ?

    Le peut-elle être, considérée en elle-même ?

    Qu’est une volonté contrainte par aucune force extérieure ?

    N’existe-t-il pas des forces intérieures à ma pensée ?

    Comment nommer l’état d’une volonté sur laquelle elles ne s’exerceraient pas ?

    -> une explication



    6 Descartes

    Lettre, 09/02/1645

    Pour ce qui est du libre arbitre (...) je voudrais noter à ce sujet que l’indifférence me semble signifier proprement l’état dans lequel est la volonté lorsqu’elle n’est pas poussée d’un côté plutôt que de l’autre par la perception du vrai et du bien ; et c’est en ce sens que je l’ai prise lorsque j’ai écrit que le plus bas degré de la liberté est celui où nous nous déterminons aux choses pour lesquelles nous sommes indifférents. Mais peut-être que d’autres entendent par indifférence une faculté positive de se déterminer pour l’un ou l’autre de deux contraires, c’est à dire pour poursuivre ou pour fuir, pour affirmer ou pour nier. Cette faculté positive, je n’ai pas nié qu’elle fût dans la volonté. Bien plus, j’affirme qu’elle y est, non seulement dans ces actes où elle n’est pas poussée par des raisons évidentes d’un côté plutôt que de l’autre, mais aussi dans tous les autres ; à ce point que, lorsqu’une raison très évidente nous porte d’un côté, bien que, moralement parlant, nous ne puissions guère aller à l’opposé, absolument parlant, néanmoins, nous le pourrions. En effet, il nous est toujours possible de nous retenir de poursuivre un bien clairement connu ou d’admettre une vérité évidente, pourvu que nous pensions que c’est un bien d’affirmer par là notre libre arbitre.

    (trad. Bridoux)

    Comment l’auteur entend-il l’indifférence ?

    Pour quelle raison dit-il positive la faculté de se déterminer ?

    Que peut être une raison très évidente ? Est-elle suffisante ?

    Pourquoi se déterminerait-on contre celle-ci ?

    Est-ce un bien d’affirmer son libre arbitre ?

    -> une explication



    7 Spinoza

    Lettre LVIII

    J’appelle libre, quant à moi, une chose qui est et agit par la seule nécessité de sa nature ; contrainte, celle qui est déterminée par une autre à exister et à agir d’une certaine façon déterminée. (...) Pour rendre cela clair et intelligible, concevons une chose très simple : une pierre par exemple reçoit d’une cause extérieure qui la pousse, une certaine quantité de mouvement et, l’impulsion de la cause extérieure venant à cesser, elle continuera à se mouvoir nécessairement. Cette persistance de la pierre dans le mouvement est une contrainte, non parce qu’elle est nécessaire, mais parce qu’elle doit être définie par l’impulsion d’une cause extérieure. Et ce qui est vrai de la pierre il faut l’entendre de toute chose singulière, quelle que soit la complexité qu’il vous plaise de lui attribuer, si nombreuses que puissent être ses aptitudes, parce que toute chose singulière est nécessairement déterminée par une cause extérieure à exister et à agir d’une certaine manière déterminée.

    Concevez maintenant, si vous voulez bien, que la pierre, tandis qu’elle continue de se mouvoir, pense et sache qu’elle fait effort, autant qu’elle peut, pour se mouvoir. Cette pierre assurément, puisqu’elle a conscience de son effort seulement et qu’elle n’est en aucune façon indifférente, croira qu’elle est très libre et qu’elle ne persévère dans son mouvement que parce qu’elle le veut. Telle est cette liberté humaine que tous se vantent de posséder et qui consiste en cela seul que les hommes ont conscience de leur appétits et ignorent les causes qui les déterminent. Un enfant croit librement appéter le lait, un jeune garçon irrité vouloir se venger et, s’il est poltron, vouloir fuir. Un ivrogne croit dire par un libre décret de son âme ce qu’ensuite, revenu à la sobriété, il aurait voulu taire. De même un délirant, un bavard, et bien d’autres de même farine, croient agir par un libre décret de l’âme et non se laisser contraindre. Ce préjugé étant naturel, congénital parmi tous les hommes, ils ne s’en libèrent pas aisément. Bien qu’en effet l’expérience enseigne plus que suffisamment que, s’il est une chose dont les hommes soient peu capables, c’est de régler leurs appétits et, bien qu’ils constatent que partagés entre deux affections contraires, souvent ils voient le meilleur et font le pire, ils croient cependant qu’ils sont libres, et cela parce qu’il y a certaines choses n’excitant en eux qu’un appétit léger, aisément maîtrisé par le souvenir fréquemment rappelé de quelque autre chose.

    (trad. Appuhn)

    Quelle distinction l’auteur établit-il entre nécessité et contrainte ?

    Y a-t-il contradiction entre nécessité et liberté ?

    Quelle représentation les hommes se font-ils de la liberté ?

    Dans quelle mesure les hommes sont-ils comparés à des pierres conscientes ?

    La notion de liberté n’a-t-elle aucun sens ?

    -> un éclairage



    8 Rousseau

    du Contrat social, Livre I, ch 4

    Renoncer à sa liberté, c’est renoncer à sa qualité d’homme, aux droits de l’humanité, même à ses devoirs. Il n’y a nul dédommagement possible pour quiconque renonce à tout. Une telle renonciation est incompatible avec la nature de l’homme, et c’est ôter toute moralité à ses actions que d’ôter toute liberté à sa volonté. Enfin c’est une convention vaine et contradictoire de stipuler d’une part une autorité absolue et de l’autre une obéissance sans bornes. N’est-il pas clair qu’on n’est engagé à rien envers celui dont on a droit de tout exiger, et cette seule condition, sans équivalent, sans échange n’entraîne-t-elle pas la nullité de l’acte ? Car quel droit mon esclave aurait-il contre moi, puisque tout ce qu’il a m’appartient, et que son droit étant le mien, ce droit de moi contre moi-même est un mot qui n’a aucun sens ?

    Comment le renoncement à la liberté est-il le renoncement aux devoirs ?

    Par quels arguments l’auteur soutient-il son affirmation ?

    Pourquoi la convention examinée est-elle vaine ? contradictoire ?

    Qu’est-ce qu’une condition sans équivalent, sans échange ?

    Quelle est la philosophie politique combattue par l’auteur ?

    -> un éclairage

  • cf. Grotius (XXI,3); Hobbes (XXII,6)



  • 9 Rousseau

    du Contrat social, Livre I, ch 8

    Ce passage de l’état de nature à l’état civil produit dans l’homme un changement très remarquable, en substituant dans sa conduite la justice à l’instinct, et donnant à ses actions la moralité qui leur manquait auparavant. C’est alors seulement que la voix du devoir succédant à l’impulsion physique et le droit à l’appétit, l’homme, qui jusque-là n’avait regardé que lui-même, se voit forcé d’agir sur d’autres principes, et de consulter sa raison avant d’écouter ses penchants. Quoiqu’il se prive dans cet état de plusieurs avantages qu’il tient de la nature, il en regagne de si grands, ses facultés s’exercent et se développent, ses idées s’étendent, ses sentiments s’ennoblissent, son âme tout entière s’élève à tel point, que si les abus de cette nouvelle condition ne le dégradaient souvent au-dessous de celle dont il est sorti, il devrait bénir sans cesse l’instant heureux qui l’en arracha pour jamais, et qui, d’un animal stupide et borné, fit un être intelligent et un homme.

    Réduisons toute cette balance à des termes faciles à comparer. Ce que l’homme perd par le contrat social, c’est sa liberté naturelle et un droit illimité à tout ce qui le tente et qu’il peut atteindre ; ce qu’il gagne, c’est la liberté civile et la propriété de tout ce qu’il possède.

    Quels principes d’action connait l’état de nature ?

    L’état civil ?

    Que signifie stupide ? Que signifie borné ?

    Se développer, s’étendre, s’ennoblir, s’élever ?

    Comment la propriété est-elle liée à la liberté ?

    -> une explication



    10 Kant

    Critique de la raison pratique, partie I, livre 1, ch 1

    La détermination de la causalité, en tant que telle, des êtres dans un monde sensible, ne pouvait jamais être inconditionnée, et cependant il doit nécessairement pour toute série de conditions y avoir quelque chose d’inconditionné, par suite aussi une causalité se déterminant totalement d’elle-même. C’est pourquoi l’idée de la liberté, comme d’un pouvoir d’absolue spontanéité, n’était pas un besoin, mais en ce qui concerne sa possibilité, un principe analytique de la raison pure spéculative. Mais parce qu’il est absolument impossible de donner dans une expérience quelconque un exemple qui lui corresponde, vu que parmi les causes des choses en tant que phénomènes, on ne peut rencontrer aucune détermination de la causalité qui soit absolument inconditionnée, nous ne pouvions défendre que la pensée d’une cause agissant librement, si nous l’appliquions à un être du monde sensible, dans la mesure où par ailleurs il est aussi considéré comme noumène, pourvu que nous montrions qu’il n’était pas contradictoire de considérer ses actes comme physiquement conditionnés, dans la mesure où ils sont des phénomènes, et cependant en même temps sa causalité comme physiquement inconditionnée, dans la mesure où l’être agissant est un être qui dispose de l’entendement, et à faire ainsi du concept de la liberté un principe régulateur de la raison.

    (trad. Dorion)

    Qu’est une causalité inconditionnée ?

    Pourquoi la possibilité de la liberté est-elle un principe analytique de la raison pure ?

    Est-il possible d’en montrer la réalité dans une expérience ?

    Quelle différence y a-t-il entre la pensée d’une cause libre et son concept ?

    Comment un être du monde sensible peut-il être une cause libre ?

    -> un éclairage



    11 Hegel

    Leçons sur l’histoire de la philosophie.

    Pour que la philosophie apparaisse il faut la conscience de la liberté, et le peuple dans lequel la philosophie commence doit avoir la liberté comme principe ; pratiquement, cela est lié à l’épanouissement de la liberté réelle, la liberté politique. Celle-ci commence seulement là où l’individu se sait comme individu pour soi, comme universel, comme essentiel, comme ayant une valeur infinie en tant qu’individu ; où le sujet a atteint la conscience de la personnalité, où donc il veut affirmer sa valeur absolument pour soi. La libre pensée de l’objet y est incluse, — de l’objet absolu, universel, essentiel. Penser, cela veut dire mettre quelque chose dans la forme de l’universalité ; se penser veut dire se savoir comme universel, se donner la détermination de l’universel, se rapporter à soi. Là est contenu l’élément de la liberté pratique (...). Dans l’histoire la philosophie apparaît donc seulement là où et en tant que se forment de libres constitutions. L’Esprit doit se séparer de son vouloir naturel, de son immersion dans la matière.

    (trad. ?)

    Qu’est-ce que l’immersion de l’Esprit dans la matière ?

    Qu’est-ce que se penser ? penser l’objet ?

    Où commence la liberté politique ?

    De quoi l’apparition de la philosophie est-elle le signe ?

    En quel sens la philosophie est-elle un fait historique ?



    12 Marx

    l’Idéologie allemande, Avant-propos

    Jusqu’à présent les hommes se sont toujours fait des idées fausses sur eux-mêmes, sur ce qu’ils sont ou devraient être. Ils ont organisé leurs rapports en fonction des représentations qu’ils se faisaient de Dieu, de l’homme normal, etc. Ces produits de leur cerveau ont grandi jusqu’à les dominer de toute leur hauteur. Créateurs, ils se sont inclinés devant leurs propres créations. Libérons-les donc des chimères, des idées, des dogmes, des êtres imaginaires sous le joug desquels ils s’étiolent. Révoltons-nous contre la domination de ces idées. Apprenons aux hommes à échanger ces illusions contre des pensées correspondant à l’essence de l’homme, dit l’un, à avoir envers elles une attitude critique, dit l’autre, à se les sortir du crâne, dit le troisième et la réalité actuelle s’effondrera.

    Ces rêves innocents et puérils forment le noyau de la philosophie actuelle des Jeunes-Hégéliens, qui, en Allemagne, n’est pas seulement accueillie par le public avec un respect mêlé d’effroi, mais est présentée par les héros philosophiques eux-mêmes avec la conviction solennelle que ces idées d’une virulence criminelle constituent pour le monde un danger révolutionnaire. Le premier tome de cet ouvrage se propose de démasquer ces moutons qui se prennent et qu’on prend pour des loups, de montrer que leurs bêlements ne font que répéter dans un langage philosophique les représentations des bourgeois allemands et que les fanfaronnades de ces commentateurs philosophiques ne font que refléter la dérisoire pauvreté de la réalité allemande. Il se propose de ridiculiser ce combat philosophique contre l’ombre de la réalité, qui convient à la somnolence habitée de rêves où se complaît le peuple allemand, et de lui ôter tout crédit.

    Naguère un brave homme s’imaginait que, si les hommes se noyaient, c’est uniquement parce qu’ils étaient possédés par l’idée de la pesanteur. Qu’ils s’ôtent de la tête cette représentation, par exemple, en déclarant que c’était là une représentation religieuse, superstitieuse, et les voilà désormais à l’abri de tout risque de noyade. Sa vie durant il lutta contre cette illusion de la pesanteur dont toutes les statistiques lui montraient, par des preuves nombreuses et répétées, les conséquences pernicieuses. Ce brave homme, c’était le type même des philosophes révolutionnaires allemands modernes.

    (trad. marxists.org)

    Qui s’exprime dans le premier § ?

    Qu’y a-t-il d’innocent et puéril dans ces propos ?

    La réalité reflétée est-elle purement allemande ? Ne relève-t-elle que du XIXe siècle ?

    Pourquoi l’auteur qualifie-t-il ces propos de bêlements ?

    Pourquoi leur combat est-il contre l’ombre ?

    -> une explication



    13 Nietzsche

    le Crépuscule des idoles, Les quatre grandes erreurs, § 7

    Nous n’avons aujourd’hui plus aucune pitié pour l’idée du “libre arbitre” : nous ne savons que trop ce qu’il est : le plus louche des tours de passe-passe des théologiens, dans le but de rendre l’humanité “responsable” à leur façon, c’est à dire de la rendre dépendante d’eux... Je ne donne ici que la psychologie de toute responsabilisation. - Partout où l’on cherche des responsabilités, c’est habituellement l’instinct du vouloir punir et juger qui les cherche. On a dénudé le devenir de son innocence lorsque n’importe quel état de fait est ramené à une volonté, à des intentions, à des actes de responsabilité : la doctrine de la volonté a été principalement inventée dans le but de la punition, c’est-à-dire du vouloir-trouver-un-coupable. Toute la vieille psychologie, la psychologie de la volonté, repose sur cette prémisse que ses inventeurs, les prêtres à la tête des communautés anciennes, voulaient se créer le droit de faire peser une punition - ou le créer pour Dieu... Les hommes ont été tenus pour “libres”, pour pouvoir être jugés et punis, - pour pouvoir être coupables : par suite il fallut tenir tout acte pour voulu, et l’origine de tout acte pour donnée dans la conscience (par quoi le plus fondamental faux-monnayage fut érigé en principe de la psychologie elle-même). Aujourd’hui, où nous sommes entrés dans le mouvement de retour, où nous immoralistes cherchons à la fois de toutes nos forces à expulser du monde la culpabilité et la punition et à en nettoyer la psychologie, l’histoire, la nature, les institutions et sanctions sociales, il n’y a pas à nos yeux d’opposition plus radicale que celle des théologiens, qui persévèrent avec l’idée de l’“ordre moral” à contaminer l’innocence du devenir par la punition et la culpabilité. Le christianisme est une métaphysique du bourreau.

    (trad. Dorion)

    Qu’est l’innocence du devenir ?

    Pourquoi le libre arbitre est-il un louche tour de passe-passe  ?

    Comment la dépendance voulue par les théologiens se manifeste-t-elle ?

    De quel faux-monnayage parle-t-on concernant l’origine de tout acte  ?

    Que veulent positivement les immoralistes ?

    -> une explication

  • cf. Maïmonide (XXVI,2); Thomas d’Aquin (XXVI,3)



  • 14 Alain

    Entretiens au bord de la mer, VIII

    La position humaine est telle que l’homme ne se sent jamais plus libre qu’au moment même où il se glisse au plus près dans la grande mer de toutes parts secouée. Et au contraire l’homme qui se retire en ses projets et en ses pensées sent alors le poids du monde, et se trouve alors en attente de ce qu’il ne peut changer ; hors du monde, il n’y peut plus rentrer. Je dirais, en imitant un mot célèbre, que l’homme est libre à son poste. J’entends en un point de cette chaîne de travaux humains, soutenu de provisions et d’outils, aidé et aidant. (...) L’homme qui est spectateur ne peut rien contre la tempête ; il attend ; telle est la position fataliste. Mais le pilote ne cesse point de gouverner en cédant ; et toutes les fautes qu’il peut faire, et qui le ramènent en éclair à la position du spectateur, viennent toujours de ce qu’il n’a point suivi le mouvement de tourbillon qui l’emporte ; je dis qu’il ne l’a point suivi d’assez près ; il s’agit de passer la vague, et sur la vague même, et de s’accorder à l’instant ; c’est ainsi que cet homme navigue là-bas ; et s’il prend mal le temps de tourner le nez de sa barque, c’est alors qu’il cesse d’aller où il veut aller.

    Trouve-t-on la liberté en se retirant du monde ?

    Qu’est-ce que le poids du monde ? Le fatalisme ?

    Qu’est-ce que suivre le mouvement ?

    Comment est-on à son poste ?

    Comment le pilote est-il libre ?

    -> un éclairage

    programme


    XXVII Devoir



    1 Platon

    République, 606a-d

    - Si tu considères que cet élément de l’âme que, dans nos propres malheurs, nous contenons par force, qui a soif de larmes et voudrait se rassasier largement de lamentations - choses qu’il est dans sa nature de désirer - est précisément celui que les poètes s’appliquent à satisfaire et à réjouir ; et que, d’autre part, l’élément le meilleur de nous-mêmes, n’étant pas suffisamment formé par la raison et l’habitude, se relâche de son rôle de gardien vis-à-vis de cet élément porté aux lamentations, sous prétexte qu’il est simple spectateur des malheurs d’autrui, que pour lui il n’y a point de honte, si un autre qui se dit homme de bien verse des larmes mal à propos, à le louer et à le plaindre, qu’il estime que son plaisir est un gain dont il ne souffrirait pas de se priver en méprisant tout l’ouvrage ; comme il est donné à peu de personnes, j’imagine, de faire réflexion que ce qu’on a éprouvé à propos des malheurs d’autrui, on l’éprouve à propos des siens propres, après avoir nourri notre sensibilité dans ces malheurs-là il n’est pas facile de la contenir dans les nôtres.
    - C’est très vrai.
    - Or, le même argument ne s’applique-t-il pas au ridicule ? Si, tout en ayant toi-même honte de faire rire, tu prends un vif plaisir à une représentation comique, ou, dans le privé, à une conversation bouffonne, et que tu ne haïsses pas ces choses comme basses, ne te comportes-tu pas de même que dans les situations qui excitent la pitié ? Car cette volonté de faire rire que tu contenais par la raison, craignant de t’attirer une réputation de bouffonnerie, tu la détends alors, et quand tu lui as donné de la vigueur il t’échappe souvent que, parmi tes familiers, tu t’abandonnes au point de devenir auteur comique.
    - En effet, dit-il.
    - Et à l’égard de l’amour, de la colère et de toutes les autres passions de l’âme, qui, disons-nous, accompagnent chacune de nos actions, l’imitation poétique ne produit-elle pas sur nous de semblables effets ? Elle les nourrit en les arrosant, alors qu’il faudrait les dessécher, elle les fait régner sur nous, alors que nous devrions régner sur elles pour devenir meilleurs et plus heureux, au lieu d’être plus vicieux et plus misérables.
    - Je ne pense pas qu’il en aille autrement.

    (trad. Cousin+Dorion - La pensée de Platon n’est pas nécessairement engagée par les propos qu’il prête aux personnages de ses dialogues)

    Quel élément de l’âme a-t-on le devoir de contenir dans le malheur ?

    Est-ce le même qui est en cause dans le ridicule ?

    Quel est le meilleur élément de l’âme ?

    De quoi les poètes sont-ils coupables ?

    Que faut-il faire des passions ?

    -> un éclairage



    2 Thomas d’Aquin

    Somme théologique, II, 1, qu 91

    La loi, parce qu’elle est règle et mesure, peut dans les choses être présente de deux manières, l’une en celles qui donnent règle et mesure, l’autre en celles qui reçoivent règle et mesure, car si quelque chose participe de la règle et mesure, il est réglé et mesuré. Donc parce que toutes les choses qui sont soumises à la providence divine sont réglées et mesurées par la loi éternelle, il est manifeste que toutes participent en quelque sorte à la loi éternelle, à savoir que, par l’impression qu’elles en reçoivent, elles ont une inclination à leurs actes et fins propres. Mais parmi les autres la créature raisonnable est subordonnée à la providence divine d’une manière plus excellente, en tant qu’elle devient elle aussi participante de la providence, prévoyant pour elle-même et pour les autres. Ainsi participe-t-elle à la raison éternelle, par laquelle elle a une inclination naturelle à l’acte et à la fin légitimes. Une telle participation à la loi éternelle dans la créature raisonnable est appelée loi naturelle. Ainsi quand le Psalmiste dit : “sacrifiez le sacrifice de justice”, il ajoute, comme pour ceux qui demanderaient quelles sont les œuvres de justice : “beaucoup disent : qui nous montrera ce qu’est le bien ?”, et répondant à cette question il dit : “nous portons l’empreinte de la lumière de votre face, Seigneur”, comme si la lumière de la raison naturelle, par où nous discernons ce qu’est le bien et le mal, chose qui relève de la loi naturelle, n’était rien d’autre que l’impression sur nous de la lumière divine. D’où il est évident que la loi naturelle n’est rien d’autre qu’une participation de la créature raisonnable à la loi éternelle.

    (trad. Dorion)

    Quelle subordination à la loi éternelle faut-il distinguer de l’impression ?

    Quel rapport y a-t-il entre la raison éternelle et la loi éternelle ?

    Quel est le nom théologique de la raison éternelle ?

    De quelle autre fin se distingue la fin propre ? Comment ?

    De quoi “la lumière de votre face” est-il le nom poétique ?



    3 Descartes

    Discours de la méthode, III

    Je me formai une morale par provision, qui ne consistait qu’en trois ou quatre maximes dont je veux bien vous faire part

    La première était d’obéir aux lois et aux coutumes de mon pays, retenant constamment la religion en laquelle Dieu m’a fait la grâce d’être instruit dès mon enfance, et me gouvernant en toute autre chose suivant les opinions les plus modérées et les plus éloignées de l’excès, qui fussent communément reçues en pratique par les mieux sensés de ceux avec lesquels j’aurais à vivre. Car, commençant dès lors à ne compter pour rien les miennes propres, à cause que je les voulais remettre toutes à l’examen, j’étais assuré de ne pouvoir mieux que de suivre celles des mieux sensés. Encore qu’il y en ait peut-être d’aussi bien sensés parmi les Perses ou les Chinois que parmi nous, il me semblait que le plus utile était de me régler selon ceux avec lesquels j’aurais à vivre ; et que, pour savoir véritablement quelles étaient leurs opinions, je devais plutôt prendre garde à ce qu’ils pratiquaient qu’à ce qu’ils disaient.

    Que prouve a contrario le fait de s’en remettre à la coutume ?

    A quoi la modération vise-t-elle ?

    Le bon sens est-il une exclusivité de mon pays ?

    Dois-je croire les théories ou la pratique ?

    Que signifie que cette morale est par provision ?

    -> une explication



    4 Descartes

    Lettre, 02/05/1644

    En tout ce où il y a occasion de pécher, il y a de l’indifférence ; et je ne crois point que, pour mal faire, il soit besoin de voir clairement que ce que nous faisons est mauvais ; il suffit de voir confusément, ou seulement de se souvenir qu’on a jugé autrefois que cela l’était, sans le voir en aucune façon, c’est à dire, sans avoir attention aux raisons qui le prouvent ; car, si nous le voyions clairement, il nous serait impossible de pécher, pendant le temps que nous le verrions en cette sorte ; c’est pourquoi on dit que omnis peccans est ignorans (tout pécheur l’est par ignorance). Et on ne laisse pas de mériter, bien que, voyant très clairement ce qu’il faut faire, on le fasse infailliblement, et sans aucune indifférence, comme a fait Jésus-Christ en cette vie. Car l’homme pouvant n’avoir pas toujours une parfaite attention aux choses qu’il doit faire, c’est une bonne action que de l’avoir, et de faire, par son moyen, que notre volonté suive si fort la lumière de notre entendement, qu’elle ne soit point du tout indifférente.

    Fait-on le mal en connaissance de cause ?

    Pourquoi le fait-on ?

    Celui qui voit clairement le mal manque-t-il de mérite à faire le bien ?

    Qu’est-ce que l’indifférence ? Pourquoi Jésus-Christ n’en avait-il aucune ?

    Comment définir la volonté qui suit la lumière de l’entendement ?

    -> une explication

  • cf. Descartes (XXVI,5)



  • 5 Spinoza

    Ethique, IV 45 scolie

    Le rire, comme aussi la plaisanterie, est une pure joie et, par suite, pourvu qu’il soit sans excès, il est bon par lui-même. Seule assurément une farouche et triste superstition interdit de prendre des plaisirs. En quoi, en effet, convient-il mieux d’apaiser la faim et la soif que de chasser la mélancolie ? Telle est ma règle, telle ma conviction. Aucune divinité, nul autre qu’un envieux, ne prend plaisir à mon impuissance et à ma peine, nul autre ne tient pour vertu nos larmes, nos sanglots, notre crainte et autres marques d’impuissance intérieure ; au contraire, plus grande est la joie dont nous sommes affectés, plus grande la perfection à laquelle nous passons, plus il est nécessaire que nous participions de la nature divine. Il est donc d’un homme sage d’user des choses et d’y prendre plaisir autant qu’on le peut (sans aller jusqu’au dégoût, ce qui n’est plus prendre plaisir). Il est d’un homme sage, dis-je, de faire servir à sa réfection et à la réparation de ses forces des aliments et des boissons agréables pris en quantité modérée, comme aussi les parfums, l’agrément des plantes verdoyantes, la parure, la musique, les jeux exerçant le corps, les spectacles et d’autres choses de même sorte dont chacun peut user sans aucun dommage pour autrui. Le corps humain en effet est composé d’un très grand nombre de parties de nature différente qui ont continuellement besoin d’une alimentation nouvelle et variée, pour que le corps entier soit également apte à tout ce qui peut suivre de sa nature et que l’âme soit également apte à comprendre à la fois plusieurs choses. Cette façon d’ordonner la vie s’accorde ainsi très bien et avec nos principes et avec la pratique en usage ; nulle règle de vie donc n’est meilleure et plus recommandable à tous égards.

    (trad. Appuhn)

    Quelle superstition l’auteur évoque-t-il ?

    Quel rapport y a-t-il entre l’impuissance et l’interdiction du plaisir ?

    Qu’est-ce que la joie ?

    Y a-t-il lieu d’établir un distinguo entre les plaisirs ?

    Comment ce qui est bon pour le corps l’est-il aussi pour l’âme ?

    -> une explication

  • cf. Spinoza (XXV,6)



  • 6 Malebranche

    Traité de morale, I, 1

    Voici donc le principal de nos devoirs ; celui pour lequel Dieu nous a créés : l’amour duquel est la vertu mère, la vertu universelle, la vertu fondamentale : vertu qui nous rend justes et parfaits, vertu qui nous rendra quelque jour heureux. Nous sommes raisonnables, notre vertu, notre perfection c’est d’aimer la Raison, ou plutôt c’est d’aimer l’Ordre. Car la connaissance des vérités spéculatives, ou des rapports de grandeur ne règle point nos devoirs. C’est principalement la connaissance et l’amour des rapports de perfection, des vérités pratiques, qui fait notre perfection. Appliquons-nous donc à connaître, à aimer, à suivre l’Ordre : travaillons à notre perfection. A l’égard de notre bonheur, laissons-le entre les mains de Dieu, dont il dépend uniquement. Dieu est juste, il récompense nécessairement la vertu. Tout le bonheur que nous aurons mérité, n’en doutons point, nous ne manquerons pas de le recevoir.

    C’est l’obéissance que l’on rend à l’Ordre, c’est la soumission à la Loi Divine qui est la vertu en tout sens. La soumission à la nature, aux suites des décrets Divins, ou à la puissance de Dieu est plutôt nécessité que vertu. Notre devoir consiste donc à nous soumettre à la loi de Dieu et à suivre l’Ordre : ce nous sera une nécessité de nous soumettre à sa puissance absolue.

    Qu’est-ce que la vertu ?

    Comment la connaissons-nous ?

    Quelle différence fait-on entre la soumission à la nature et la soumission à la Loi divine ?

    Qu’appelle-t-on l’Ordre ?

    Que signifie que la vertu nous rendra quelque jour heureux ?

  • cf. Spinoza (XXV,6)



  • 7 Hume

    Traité de la nature humaine, Livre III, partie 2, section 5

    Aucune action ne peut être exigée de nous comme notre devoir s’il n’existe pas, implantés dans la nature humaine, une passion ou un motif agissants, capables de produire l’action. Ce motif ne peut pas être le sens du devoir. Le sens du devoir suppose une obligation antérieure et, si une action n’est exigée par aucune passion naturelle, elle ne peut être exigée par aucune obligation naturelle puisqu’elle peut être omise sans que cela prouve un défaut ou une imperfection de l’esprit, et donc qu’elle peut être omise sans aucun vice. Or il est évident que nous n’avons aucun motif distinct du sens du devoir qui nous conduise à l’accomplissement des promesses. Si nous pensions que les promesses n’ont aucune obligation morale, nous n’éprouverions jamais aucune inclination à les observer. Ce n’est pas le cas avec les vertus naturelles. Même s’il n’y avait aucune obligation de soulager les malheureux, notre humanité nous conduirait à le faire et, quand nous omettons ce devoir, l’immoralité de l’omission vient de ce que nous avons alors la preuve que nous manquons des sentiments naturels d’humanité. Un père sait que son devoir est de s’occuper de ses enfants mais il a aussi une inclination naturelle à le faire. Et, si aucune créature humaine n’avait cette inclination, personne ne se trouverait sous une telle obligation. Mais, comme il n’existe naturellement aucune inclination à observer les promesses qui soit distincte du sentiment de leur obligation, il s’ensuit que la loyauté n’est pas une vertu naturelle et que les promesses n’ont aucune force avant les conventions humaines.

    (trad. Folliot)

    Quel est le fondement de l’obligation naturelle ?

    Est-ce une obligation naturelle de soulager les malheureux ?

    En est-ce une de tenir ses promesses ?

    Où est l’immoralité d’une conduite ?

    Par quoi sommes-nous obligés à ce que n’exige aucune passion naturelle ?

    -> un éclairage



    8 Diderot

    Supplément au voyage de Bougainville

    Je ne sais quels sont ces personnages que tu appelles magistrats et prêtres, dont l’autorité règle votre conduite ; mais, dis-moi, sont-ils maîtres du bien et du mal ? Peuvent-ils faire que ce qui est juste soit injuste, et que ce qui est injuste soit juste? Dépend-il d’eux d’attacher le bien à des actions nuisibles et le mal à des actions innocentes ou utiles ? Tu ne saurais le penser, car à ce compte il n’y aurait ni vrai ni faux, ni bon ni mauvais, ni beau ni laid, du moins que ce qu’il plairait à ton grand ouvrier, à tes magistrats, à tes prêtres de prononcer tel et d’un moment à l’autre tu serais obligé de changer d’idées et de conduite. Un jour on te dirait de la part de l’un de tes trois maîtres, Tue, et tu serais obligé en conscience de tuer; un autre jour, Vole, et tu serais tenu de voler; ou Ne mange pas de ce fruit, et tu n’oserais en manger ; Je te défends ce légume ou cet animal, et tu te garderais d’y toucher. Il n’y a point de bonté qu’on ne pût t’interdire, point de méchan­ceté qu’on ne pût t’ordonner; et où en serais-tu réduit, si tes trois maîtres, peu d’accord entre eux, s’avisaient de te permettre, de t’enjoindre et de te défendre la même chose, comme je pense qu’il arrive souvent ? Alors pour plaire au prêtre, il faudra que tu te brouilles avec le magistrat ; pour satisfaire le magis­trat, il faudra que tu mécontentes le grand ouvrier, et pour te rendre agréable au grand ouvrier, il faudra que tu renonces à la nature. Et sais-tu ce qui en arrivera ? c’est que tu les mépriseras tous les trois, et que tu ne seras ni homme, ni citoyen, ni pieux, que tu ne seras rien ; que tu seras mal avec toutes les sortes d’autorité, mal avec toi-même, méchant, tourmenté par ton cœur, persécuté par tes maîtres insensés, et malheureux (...). Veux-tu savoir en tout temps et en tout lieu ce qui est bon et mauvais ? attache-toi à la nature des choses et des actions, à tes rapports avec ton semblable, à l’influence de ta conduite sur ton utilité particulière et le bien général. Tu es en délire, si tu crois qu’il y ait rien, soit en haut, soit en bas, dans l’univers qui puisse ajouter ou retrancher aux lois de la nature. Sa volonté éternelle est que le bien soit préféré au mal et le bien général au bien particu­lier. Tu ordonneras le contraire, mais tu ne seras pas obéi. Tu multiplieras les malfaiteurs et les malheureux par la crainte, par le châtiment et par les re­mords ; tu dépraveras les consciences, tu corrompras les esprits : ils ne sauront plus ce qu’ils ont à faire ou à éviter; troublés dans l’état d’innocence, tranquil­les dans le forfait, ils auront perdu de vue l’étoile polaire de leur chemin.

    Dans quel domaine l’autorité des magistrats s’exerce-t-elle ? celle des prêtres ?

    A quelle autre autorité s’opposent-elles ?

    Qu’est-ce que le grand ouvrier et qui l’invoque-t-il ?

    Quelle est l’autorité qui s’exerce sur l’homme ? le citoyen ? le pieux ?

    Qu’est-ce qu’être mal avec toi-même ?

  • cf. Hume (XXVII,7)



  • 9 Rousseau

    Profession de foi du Vicaire savoyard

    Je n’ai qu’à me consulter sur ce que je veux faire : tout ce que je sens être bien est bien, tout ce que je sens être mal est mal : le meilleur de tous les casuistes est la conscience ; et ce n’est que quand on marchande avec elle qu’on a recours aux subtilités du raisonnement. Le premier de tous les soins est celui de soi-même : cependant combien de fois la voix intérieure nous dit qu’en faisant notre bien aux dépens d’autrui nous faisons mal ! Nous croyons suivre l’impulsion de la nature, et nous lui résistons ; en écoutant ce qu’elle dit à nos sens, nous méprisons ce qu’elle dit à nos cœurs ; l’être actif obéit, l’être passif commande. La conscience est la voix de l’âme, les passions sont la voix du corps. Est-il étonnant que souvent ces deux langages se contredisent ? Et alors lequel faut-il écouter ? Trop souvent la raison nous trompe, nous n’avons que trop acquis le droit de la récuser ; mais la conscience ne trompe jamais ; elle est le vrai guide de l’homme : elle est à l’âme ce que l’instinct est au corps ; qui la suit obéit à la nature, et ne craint point de s’égarer.

    Qu’est-ce qui distingue les casuistes ?

    En quoi la conscience est-elle le meilleur de tous ?

    A quoi sa voix se reconnaît-elle ?

    Que signifie l’opposition de l’être actif et de l’être passif ?

    Comment l’image de l’instinct joue-t-elle ?

    -> une explication

  • cf. Pascal (XXII,8); Hume (XXVII,7); Diderot (XXVII,8)



  • 10 Rousseau

    Profession de foi du Vicaire savoyard

    Conscience ! conscience ! instinct divin, immortelle et céleste voix ; guide assuré d’un être ignorant et borné, mais intelligent et libre ; juge infaillible du bien et du mal, qui rends l’homme semblable à Dieu, c’est toi qui fais l’excellence de sa nature et la moralité de ses actions ; sans toi je ne sens rien en moi qui m’élève au-dessus des bêtes, que le triste privilège de m’égarer d’erreurs en erreurs à l’aide d’un entendement sans règle et d’une raison sans principe.

    Grâce au ciel, nous voilà délivrés de tout cet effrayant appareil de philosophie : nous pouvons être hommes sans être savants ; dispensés de consumer notre vie à l’étude de la morale, nous avons à moindres frais un guide plus assuré dans ce dédale immense des opinions humaines. Mais ce n’est pas assez que ce guide existe, il faut savoir le reconnaître et le suivre. S’il parle à tous les cœurs, pourquoi donc y en a-t-il si peu qui l’entendent ? Eh ! c’est qu’il nous parle la langue de la nature, que tout nous a fait oublier. La conscience est timide, elle aime la retraite et la paix ; le monde et le bruit l’épouvantent : les préjugés dont on la fait naître sont ses plus cruels ennemis ; elle fuit ou se tait devant eux : leur voix bruyante étouffe la sienne et l’empêche de se faire entendre ; le fanatisme ose la contrefaire, et dicter le crime en son nom. Elle se rebute enfin à force d’être éconduite ; elle ne nous parle plus, elle ne nous répond plus, et, après de si longs mépris pour elle, il en coûte autant de la rappeler qu’il en coûta de la bannir.

    Quel qualificatif tempère intelligent ? libre ?

    Pourquoi l’entendement est-il dit sans règle et la raison sans principe ?

    De quelle philosophie la conscience délivre-t-elle ?

    A quelle langue celle de la nature s’oppose-t-elle ?

    Quel crime le fanatisme dicte-t-il ?

    -> une explication

  • cf. Pascal (XXII,8); Rousseau (XII,9)



  • 11 Kant

    Critique de la raison pratique, partie I, livre 1, ch 1

    En raison précisément de l’universalité de la législation qui en fait le principe formel suprême de détermination de la volonté, abstraction faite de toute différence subjective, ce principe de la moralité, qualifie la raison du même coup comme loi pour tous les êtres raisonnables, dans la mesure où ils ont une volonté en général, c’est à dire un pouvoir de déterminer leur causalité sous la représentation de règles, et où ils sont par suite capables d’actes d’après des principes et par conséquent aussi d’après des principes pratiques a priori, car ceux-ci seuls ont cette nécessité qu’exige la raison d’un principe. (...) Dans le cas des hommes, la loi a la forme d’un impératif, parce que, si l’on peut supposer en eux en tant qu’êtres raisonnables une volonté pure, cependant en tant qu’êtres soumis à des besoins et à des mobiles sensibles, on ne peut leur attribuer une volonté sainte, c’est à dire telle qu’elle ne soit capable d’aucune maxime contradictoire avec la loi morale. Il suit de là que pour eux la loi morale est un impératif, qui commande catégoriquement, parce que la loi est inconditionnée. Le rapport d’une telle volonté à cette loi est la dépendance. Sous le nom d’obligation elle désigne la contrainte, exercée il est vrai par la simple raison et sa loi objective, de produire un acte qui pour cette raison s’appelle devoir.

    (trad. Dorion)

    Qu’est-ce que déterminer sa causalité sous la représentation de règles ?

    Comment peut-on le faire a priori ?

    Pourquoi la loi morale prend-elle la forme d’un impératif ?

    Une volonté peut-elle avoir à la loi un autre rapport que la dépendance ?

    Pourquoi l’acte produit sous la représentation de la loi s’appelle-t-il un devoir ?

    -> un éclairage

  • cf. Thomas d’Aquin (XXVII,2); Leibniz (XIX,8)



  • 12 Kant

    Critique de la raison pratique, partie I, livre 1, ch 3

    Devoir ! Nom sublime et grand, toi qui ne renfermes rien en toi d’agréable, rien qui implique insinuation, mais qui réclames la soumission, qui cependant ne menaces de rien de ce qui éveille dans l’âme une aversion naturelle et épouvante pour mettre en mouvement la volonté, mais poses simplement une loi qui trouve d’elle-même accès dans l’âme et qui cependant gagne elle-même, contre notre volonté, la vénération, même si ce n’est toujours l’obéissance, devant laquelle se taisent tous les penchants, même s’ils agissent contre elle en secret, quelle origine est digne de toi, et où trouve-t-on la racine de ton noble tronc, qui repousse fièrement toute parenté avec les penchants, et de quelle racine faut-il faire sortir, comme de son origine, la condition indispensable de cette valeur que les hommes peuvent seule se donner à eux-mêmes ?

    Ce ne peut être rien de moins que ce qui élève l’homme au-dessus de lui-même, en tant que partie du monde sensible, ce qui le lie à un ordre de choses que l’entendement peut seulement penser, et qui en même temps se subordonne tout le monde sensible et avec lui l’existence empiriquement déterminable de l’homme dans le temps, et l’ensemble de toutes les fins, qui est seul conforme à ces lois pratiques et inconditionnées comme la loi morale. Ce n’est pas autre chose que la personnalité, c’est à dire la liberté et l’indépendance à l’égard du mécanisme de la nature entière.

    (trad. Dorion)

    Quelle insinuation peut mouvoir la volonté ? Quelle épouvante ?

    La désobéissance à la loi prouve-t-elle qu’elle est méprisée ?

    Pourquoi la valeur du devoir est-elle celle de l’homme lui-même ?

    Comment se revendique l’indépendance de l’homme à l’égard de la nature ?

    Qu’est-ce que l’ensemble de toutes les fins ?

    -> une explication

  • cf. Thomas d’Aquin (XXVII,2); Rousseau (XXVII,10)



  • 13 Kant

    Critique du jugement, § 87

    Supposé un homme persuadé, partie à cause de la faiblesse de tous les arguments spéculatifs si prisés, partie à cause de tant de dérèglements survenus autour de lui dans la nature et dans le monde sensible, qu’il n’y a pas de Dieu, il serait pourtant à ses propres yeux un vaurien, si pour cette raison il prétendait tenir les lois du devoir pour seulement imaginaires, non valables, facultatives, et les transgresser sans crainte. Quand bien même cet individu pourrait se convaincre ensuite de ce qu’il avait d’abord mis en doute, avec ce raisonnement il serait toujours un vaurien, même s’il remplissait son devoir aussi ponctuellement, dans ses effets, qu’on peut toujours l’attendre, mais par crainte ou en vue d’un salaire, sans le sens du respect qui lui est dû. Si au contraire il le remplit en tant que croyant, sincère et désintéressé, selon sa conscience, et que néanmoins aussi souvent qu’il s’essaye à poser le cas où il n’y aurait pas de Dieu, il se croit aussitôt libre de toute obligation morale, sa moralité ne peut être que fort mauvaise.

    (trad. Dorion)

    Quels arguments spéculatifs sont-ils faibles ?

    Quels dérèglements peuvent-ils donner à penser qu’il n’y a pas de Dieu ?

    Quelle immoralité y a-t-il à tenir les lois du devoir pour seulement imaginaires s’il n’y a pas de Dieu ?

    Pourquoi est-on immoral si l’on remplit son devoir ponctuellement, mais par crainte ou en vue d’un salaire ?

    Pourquoi le croyant qui se croirait libre de toute obligation morale sans Dieu, est-il de moralité mauvaise ?

    -> un éclairage



    14 Alain

    Lettres à Sergio Solmi, VII

    La morale consiste à se savoir esprit et, a ce titre, obligé absolument ; car noblesse oblige. Il n’y a rien d’autre dans la morale, que le sentiment de la dignité. Tout dérive du respect que j’ai pour moi-même, pour l’Esprit absolu et pour mes semblables, en qui je reconnais le même esprit. Au reste, la moralité consiste justement à juger l’existence (...), et à juger qu’elle est de peu, et qu’elle ne doit pas commander. L’immoralité n’est autre chose que la soumission à l’existence, aux circonstances, aux choses de peu dont dépend notre durée et ce que le vulgaire appelle notre destin. Le destin, pour un esprit qui se sait esprit, est tout autre. C’est d’interroger, comme on dit, la volonté de Dieu, qui n’est autre que notre propre être. Faire ce qu’on veut est le bien, pourvu qu’on sache vouloir.

    Qu’est-ce que l’existence ? Pourquoi est-elle de peu ?

    Qu’est-ce que l’immoralité ?

    Qu’est-ce que la noblesse ? la dignité ?

    Pourquoi dois-je reconnaître en mes semblables le même esprit ?

    Où est Dieu ?

  • cf. Rousseau (XXVII,9 & 10); Kant (XXVII,12); Alain (VII,14)

  • programme


    XXVIII Bonheur



    1 Platon

    République, 589c-590a

    - Demandons lui : ne faut-il pas reconnaître que la distinction usuelle du bien et du mal vient de ceci : est bien ce qui soumet à l’homme, ou plutôt au divin, le bestial de sa nature, et mal ce qui soumet le cultivé au sauvage. En conviendra-t-il, ou non ?
    - Il y consentira, d’après moi, dit-il.
    - Ceci étant, poursuivis-je, d’après cet argument est-il avantageux à quelqu’un de s’emparer de l’or injustement, s’il s’ensuit que, ce faisant, il asservit le meilleur de lui-même au plus pervers ? Si pour s’emparer de l’or il asservissait son fils ou sa fille à des hommes sauvages et mauvais, ce ne serait pas un avantage, même s’emparant de quantités énormes ; il asservirait sans pitié le plus divin de lui-même au plus déréglé et au plus impur. N’est-il pas malheureux ? et en se laissant corrompre pour l’or ne se ruine-t-il pas plus effroyablement qu’Eriphyle en échangeant contre une parure la vie de son époux ?
    - Bien davantage, dit Glaucon ; je réponds pour lui.

    (trad. Dorion - La pensée de Platon n’est pas nécessairement engagée par les propos qu’il prête aux personnages de ses dialogues)

    Quelle est la double nature de l’homme ?

    Comment définir le bien ? le mal ?

    Quel sens a l’image de l’enfant asservi à des méchants ?

    Celle d’Eriphyle faisant la mort de son époux pour une parure ?

    Quel rapport ces images établissent-elles entre le bien et le bonheur ?

    -> un éclairage



    2 Platon

    Gorgias, 507c-508a

    Pour être heureux, il faut, me semble-t-il, rechercher la tempérance et la pratiquer, fuir à toutes jambes l’intempérance et, du mieux qu’on peut, agir pour ne pas mériter de châtiment ; mais si on le mérite, soi ou ses proches, particulier ou Etat, il faut se soumettre au jugement et au châtiment pour pouvoir être heureux. Tel est le but, me semble-t-il, qu’il faut assigner à sa vie et vers lequel il faut tendre toutes ses forces et celles de l’Etat : mettre la justice et la tempérance en celui qui veut être heureux, faire qu’il n’entreprenne d’assouvir des désirs intempérants : mal sans fin, et vie de bandit. Cet homme ne peut recevoir l’amitié ni des autres ni de Dieu. Il est incapable de partage, et là où il n’y a pas de partage, il n’y a pas d’amitié non plus. Les sages, Calliclès, disent que le ciel, la terre, les dieux et les hommes ont en commun le partage, l’amitié, la modération, la tempérance et la justice ; qu’à cause de tout cela l’univers ils l’appellent l’ordre, mon cher, pas le chaos, ni la débauche. Toi, je pense, tu ne considères pas ces choses. Si malin que tu sois, tu oublies que l’égalité, celle de la géométrie, s’impose aux dieux et aux hommes. Toi, tu crois qu’il faut s’efforcer d’avoir plus que les autres : tu oublies la géométrie.

    (trad. Dorion - La pensée de Platon n’est pas nécessairement engagée par les propos qu’il prête aux personnages de ses dialogues)

    Qu’est-ce qu’un désir intempérant ? Pourquoi avoir plus ?

    Pourquoi vaut-il mieux recevoir le châtiment de ses intempérances ?

    Quel est le ressort de l’amitié ?

    Le chaos est-il inadmissible ?

    Qu’est-ce que l’égalité géométrique ?

    -> une explication



    3 Aristote

    Ethique de Nicomaque, Livre X, ch 7, 1177a

    Si le bonheur est une manière d’agir toujours conforme à la vertu, il est naturel de penser que ce doit être à la vertu la plus parfaite, c’est-à-dire, à celle de l’homme le plus excellent. Que ce soit donc l’esprit, ou quelque autre principe auquel appartient naturellement l’empire et la prééminence, et qui semble comprendre en soi l’intelligence de tout ce qu’il y a de sublime et de divin ; que ce soit même un principe divin, ou au moins ce qu’il y a en nous de plus divin, le parfait bonheur ne saurait être que l’action de ce principe dirigée par la vertu qui lui est propre ; et nous avons déjà dit qu’elle est purement spéculative, ou contemplative. Au reste, cela semble s’accorder entièrement avec ce que nous avons dit sur ce sujet, et avec la vérité : car cette action est, en effet, la plus puissante, puisque l’entendement est ce qu’il y a en nous de plus merveilleux, et qu’entre les choses qui peuvent être connues, celles qu’il peut connaître sont les plus importantes. Son action est aussi la plus continue ; car il nous est plus possible de nous livrer, sans interruption, à la contemplation, que de faire sans cesse quelque chose que ce soit. Nous pensons aussi qu’il faut que le bonheur soit accompagné et, pour ainsi dire, mêlé de quelque plaisir : or, entre les actes conformes à la vertu, ceux qui sont dirigés par la sagesse sont incontestablement ceux qui nous causent le plus de joie.

    (trad. Thurot)

    Quelle est l’action à laquelle il nous est le plus possible de nous livrer sans interruption ?

    A quelle part de nous même cette action appartient-elle ?

    Qu’y a-t-il en nous de plus puissant ?

    De quel principe le bonheur est-il l’action ?

    Quel rapport y a-t-il entre le bonheur et la vertu ?



    4 Descartes

    Lettre, 18/08/1645

    Epicure n’a pas eu tort, considérant en quoi consiste la béatitude, et quel est le motif, ou la fin à laquelle tendent nos actions, de dire que c’est la volupté en général, c’est à dire le contentement de l’esprit ; car, encore que la seule connaissance de notre devoir nous pourrait obliger à faire de bonnes actions, cela ne nous ferait toutefois jouir d’aucune béatitude, s’il ne nous en revenait aucun plaisir. Mais pour ce qu’on attribue souvent le nom de volupté à de faux plaisirs, qui sont accompagnés ou suivis d’inquiétude, d’ennuis et de repentirs, plusieurs ont cru que cette opinion d’Epicure enseignait le vice ; et, en effet, elle n’enseigne pas la vertu. Mais comme lorsqu’il y a quelque part un prix pour tirer au blanc, on fait avoir envie d’y tirer à ceux à qui on montre ce prix, mais ils ne le peuvent gagner pour cela, s’ils ne voient le blanc, et que ceux qui voient le blanc ne sont pas pour cela induits à tirer, s’ils ne savent qu’il y ait un prix à gagner : ainsi la vertu, qui est le blanc, ne se fait pas fort désirer, lorsqu’on la voit toute seule ; et le contentement, qui est le prix, ne peut être acquis, si ce n’est qu’on la suive.

    C’est pourquoi je crois pouvoir ici conclure que la béatitude ne consiste qu’au contentement de l’esprit, c’est à dire au contentement en général ; car bien qu’il y ait des contentements qui dépendent du corps, et les autres qui n’en dépendent point, il n’y en a toutefois aucun que dans l’esprit : mais que, pour avoir un contentement qui soit solide, il est besoin de suivre la vertu, c’est à dire d’avoir une volonté ferme et constante d’exécuter tout ce que nous jugerons être le meilleur, et d’employer toute la force de notre entendement à en bien juger.

    Pourquoi la philosophie d’Epicure a-t-elle été si souvent maudite ?

    Quelle définition l’auteur donne-t-il de la volupté ? de la béatitude ?

    Quel rapport établit-il entre la vertu et la volupté ?

    Quelle distinction établit-il entre les contentements ?

    Quelle définition donne-t-il de la vertu ?

    -> une explication



    5 Descartes

    Lettre, 06/10/1645

    Je me suis quelquefois proposé un doute : savoir, s’il est mieux d’être gai ou content, en imaginant les biens qu’on possède être plus grands et plus estimables qu’ils ne sont, et ignorant ou ne s’arrêtant pas à considérer ceux qui manquent, que d’avoir plus de considération et de savoir, pour connaître la juste valeur des uns et des autres, et qu’on devienne plus triste. Si je pensais que le souverain bien fût la joie, je ne douterais point qu’on dût tâcher de se rendre joyeux, à quelque prix que ce peut être, et j’approuverais la brutalité de ceux qui noient leurs déplaisirs dans le vin, ou les étourdissent avec du pétun. Mais je distingue entre le souverain bien, qui consiste en l’exercice de la vertu, ou, ce qui est le même, en la possession de tous les biens dont l’acquisition dépend de notre libre arbitre, et la satisfaction d’esprit qui suit de cette acquisition. C’est pourquoi, voyant que c’est une plus grande perfection de connaître la vérité, encore même qu’elle soit à notre désavantage, que l’ignorer, j’avoue qu’il vaut mieux être moins gai et avoir plus de connaissance. Aussi n’est-ce pas toujours, lorsqu’on a le plus de gaieté, qu’on a l’esprit plus satisfait ; au contraire, les grandes joies sont ordinairement mornes et sérieuses, et il n’y a que les médiocres et passagères, qui soient accompagnées du ris. Ainsi je n’approuve point qu’on tâche à se tromper, en se repaissant de fausses imaginations ; car tout le plaisir qui en revient ne peut toucher que la superficie de l’âme, laquelle sent cependant une amertume intérieure, en s’apercevant qu’ils sont faux. Et encore qu’il pourrait arriver qu’elle fût si continuellement divertie ailleurs, que jamais elle ne s’en aperçût, on ne jouirait pas pour cela de la béatitude dont il est question, parce qu’elle doit dépendre de notre conduite, et cela ne viendrait que de la fortune.

    Quelle alternative commune est-elle examinée ?

    Quel rapport les fausses imaginations ont-elles avec le vin ou le pétun (le tabac) ?

    Quels paradis sont ici écartés ?

    Qu’est-ce que le souverain bien ?

    Quel rapport a-t-il avec la joie ? la béatitude ?

    -> une explication



    6 Spinoza

    Ethique, IV 18 scolie

    Comme la raison ne demande rien qui soit contre la nature, elle demande donc que chacun s’aime lui-même, cherche l’utile propre, ce qui est réellement utile pour lui, appète tout ce qui conduit réellement l’homme à une perfection plus grande et, absolument parlant, que chacun s’efforce de conserver son être, autant qu’il est en lui. Et cela est vrai aussi nécessairement qu’il est vrai que le tout est plus grand que la partie. Ensuite, puisque la vertu ne consiste en rien d’autre qu’à agir suivant les lois de sa nature propre, et que personne ne peut conserver son être sinon suivant les lois de sa nature propre, il suit de là : 1° que le principe de la vertu est l’effort même pour conserver l’être propre et que la félicité consiste en ce que l’homme peut conserver son être ; 2° que la vertu doit être appétée pour elle-même, et qu’il n’existe aucune chose valant mieux qu’elle ou nous étant plus utile, à cause de quoi elle devrait être appétée ; 3° enfin que ceux qui se donnent la mort, ont l’âme frappée d’impuissance et sont entièrement vaincus par les causes extérieures en opposition avec leur nature.

    (trad. Appuhn)

    Comment faut-il comprendre l’utile ?

    Comment faut-il comprendre la perfection ?

    Quel rapport est établi entre la vertu et la félicité ?

    La vertu est-elle un moyen, éventuellement coûteux ?

    Quel est le fond de l’argument contre le suicide ?

    -> un éclairage

  • cf. Spinoza (XXV,6)



  • 7 Leibniz

    Nouveaux Essais, II, ch 21, § 41

    Je ne sais si le plus grand plaisir est possible. Je croirais plutôt qu’il peut croître à l’infini ; car nous ne savons pas jusqu’où nos connaissances et nos organes peuvent être portés dans toute cette éternité qui nous attend. Je croirais donc que le bonheur est un plaisir durable, ce qui ne saurait avoir lieu sans une progression continuelle à de nouveaux plaisirs. Ainsi de deux, dont l’un ira incomparablement plus vite et par de plus grands plaisirs que l’autre, chacun sera heureux en soi-même, quoique leur bonheur soit fort inégal. Le bonheur est donc pour ainsi dire un chemin par des plaisirs, et le plaisir n’est qu’un pas et un avancement vers le bonheur, le plus court qui se peut faire suivant les présentes impressions, mais non pas toujours le meilleur (...) On peut manquer le vrai chemin en voulant suivre le plus court, comme la pierre allant droit peut rencontrer trop tôt des obstacles qui l’empêchent d’avancer assez vers le centre de la terre. Ce qui fait connaître que c’est la raison et la volonté qui nous mènent vers le bonheur, mais que le sentiment et l’appétit ne nous portent que vers le plaisir.

    Y a-t-il un plaisir insurpassable ?

    Comment le bonheur se rapporte-t-il au plaisir ?

    Comment le bonheur de l’un est-il plus grand que celui de l’autre ?

    Pourquoi un plaisir peut-il être un mauvais pas sur le chemin du bonheur ?

    Qu’est-ce que le bonheur demande d’autre que le plaisir ?



    8 Kant

    Critique de la raison pratique, partie I, livre 2, ch 2, § I

    Dans le souverain bien, pour nous pratique, c’est à dire que nous devons réaliser par notre volonté, la vertu et le bonheur sont pensés comme nécessairement liés. C’est à dire que l’un ne peut être admis par la raison pure pratique sans que l’autre lui appartienne aussi. (...) Il faut donc ou que le désir du bonheur soit le mobile des maximes de la vertu, ou que la maxime de la vertu soit la cause efficace du bonheur. La première hypothèse est absolument impossible, parce que (...) des maximes qui placent le principe déterminant de la volonté dans l’aspiration à son propre bonheur ne sont en rien morales et ne peuvent fonder aucune vertu. La seconde est aussi impossible parce qu’aucune liaison pratique des causes et des effets dans le monde, comme suite de la détermination de la volonté, ne se règle sur les orientations de la volonté, mais sur la connaissance des lois de la nature et la puissance physique de les employer à ses desseins. Par suite on ne peut attendre de l’obéissance ponctuelle aux lois morales aucune liaison nécessaire entre le bonheur et la vertu dans le monde, suffisante au souverain bien.

    (trad. Dorion)

    Quelle liaison demande le souverain bien ?

    Le bonheur fait-il la vertu ?

    La vertu le bonheur ?

    Que suppose de la nature du bonheur la liaison pratique des causes et des effets dans le monde ?

    D’où l’auteur attend-il la liaison de la vertu et du bonheur ?

    -> un éclairage

  • cf. Malebranche (XXVII,6)



  • 9 Kant

    Critique de la raison pratique, partie I, livre 2, ch 2, § V

    Le bonheur est l’état d’un être raisonnable dans le monde, à qui dans l’ensemble de son existence tout arrive selon son souhait et sa volonté. Il repose donc sur la conformité de la nature à l’ensemble de ses buts, en même temps qu’au principe essentiel de détermination de sa volonté. Mais la loi morale, en tant que loi de la liberté, ordonne par des principes de détermination qui doivent être totalement indépendants de la nature et de son accord avec notre faculté de désirer (en tant que ressort). L’être raisonnable agissant dans le monde n’est pas cependant du même coup cause du monde et de la nature elle-même. Par conséquent il n’y a pas dans la loi morale le plus petit fondement d’un rapport nécessaire entre la moralité et le bonheur à elle proportionné d’un être appartenant au monde en tant que partie, qui donc dépend de lui, et justement pour cette raison ne peut par sa volonté être cause de cette nature, ni réaliser par ses propres forces le total accord, qu’implique son bonheur, de celle-ci avec ses principes pratiques.

    (trad. Dorion)

    Qu’est-ce qu’appartenir au monde en tant que partie ?

    Etre cause du monde et de la nature ?

    Les principes de la loi morale sont-ils ceux de la nature ?

    Où le bonheur est-il possible ? Qui le rend possible ?

    Qu’est-ce qu’un bonheur qui arrive ?

    -> un éclairage

  • cf. Malebranche (XXVII,6)



  • 10 Nietzsche

    le Gai savoir, I, § 42

    Se chercher un travail pour le gain, presque tous les hommes sont semblables en cela dans les pays de la civilisation ; le travail leur est à tous un moyen, et non le but lui-même ; c’est pourquoi ils sont peu exigeants dans son choix, sauf qu’il doit leur rapporter gros. Il y a cependant des hommes rares, qui préfèrent disparaître plutôt que de travailler sans joie au travail ; ce sont les exigeants, les difficiles à contenter et qu’un gros rapport ne satisfera pas, si le travail lui-même n’est pas rapport des rapports. A cette rare espèce d’hommes appartiennent les artistes et les contemplatifs de toute sorte, mais aussi ces oisifs qui passent leur vie à la chasse, au voyage, au commerce amoureux ou à l’aventure. Tous ceux-ci veulent le travail et la peine en raison de la joie qui leur est liée, et le travail le plus difficile, le plus dur qui soit. Mais en dehors de cela, ils sont d’une paresse résolue, fût-elle cause de ruine, de déshonneur, de mise en danger de la santé et de la vie. Ils ne craignent pas l’ennui autant que le travail sans joie : il leur faut même beaucoup d’ennui pour parvenir à faire leur travail. Au penseur et à tout esprit inventif l’ennui est cette désagréable “pétole” de l’âme, qui précède le bon voyage au vent joyeux : il doit le supporter, il doit en attendre l’effet en lui, - c’est justement ce que les natures plus mesquines ne peuvent absolument pas obtenir d’elles-mêmes ! Chasser l’ennui de soi de toutes les manières est commun : comme il est commun de travailler sans joie.

    (trad. Dorion)

    Qu’est-ce que les hommes demandent au travail de leur rapporter ?

    Quels sont les hommes qui méprisent le gain ?

    Que signifie l’exigence que le travail soit rapport des rapports ?

    De quoi la paresse résolue est-elle l’autre face ?

    L’ennui a-t-il une fonction ?

    -> une explication

  • cf. Nietzsche (XI,11)



  • 11 Alain

    Propos, 15/09/1924

    On dit que le bonheur nous fuit toujours. Cela est vrai du bonheur reçu, parce qu’il n’y a point de bonheur reçu. Mais le bonheur que l’on se fait ne trompe point. C’est apprendre, et l’on apprend toujours. Plus on sait, et plus on est capable d’apprendre. D’où le plaisir d’être latiniste, qui n’a point de fin, mais qui plutôt s’augmente par le progrès. Le plaisir d’être musicien est de même. Et Aristote dit cette chose étonnante, que le vrai musicien est celui qui se plaît à la musique, et le vrai politique celui qui se plaît à la politique. “Les plaisirs, dit-il, sont les signes des puissances.” (...) Le signe du progrès véritable en toute action est le plaisir qu’on y sait prendre. D’où l’on voit que le travail est la seule chose délicieuse, et qui suffit. J’entends travail libre, effet de puissance à la fois et source de puissance. Encore une fois, non point subir, mais agir.

    Peut-on recevoir le bonheur ?

    Qu’est-ce que la puissance ?

    Quel est le rapport du travail à la puissance ?

    De la puissance au plaisir ?

    Du plaisir au bonheur ?

  • cf. Spinoza (XXVIII,6); Kant (XXVIII,9)



  • 12 Alain

    Propos, 05/11/1922

    Les sages d’autrefois cherchaient le bonheur ; non pas le bonheur du voisin, mais leur bonheur propre. Les sages d’aujourd’hui s’accordent à enseigner que le bonheur propre n’est pas une noble chose à chercher, les uns s’exerçant à dire que la vertu méprise le bonheur, et cela n’est pas difficile à dire ; les autres enseignant que le commun bonheur est la vraie source du bonheur propre, ce qui est sans doute l’opinion la plus creuse de toutes, car il n’y a pas d’occupation plus vaine que de verser du bonheur dans les gens autour comme dans des outres percées : j’ai observé que ceux qui s’ennuient d’eux-mêmes, on ne peut point les amuser ; et au contraire à ceux qui ne mendient point, c’est à ceux-là que l’on peut donner quelque chose, par exemple la musique à celui qui s’est fait musicien. Bref il ne sert point de semer dans le sable ; et je crois avoir compris, en y pensant assez, la célèbre parabole du semeur, qui juge incapables de recevoir ceux qui manquent de tout. Qui est puissant et heureux par soi sera donc heureux et puissant par les autres encore en plus.

    Les sages d’aujourd’hui sont-ils meilleurs que ceux d’autrefois ?

    Quelle conception du bonheur défendent les premiers ?

    Et les autres ? Leur conception est-elle égoïste ?

    Comment peut-on être heureux par les autres ?

    Qu’est-ce que la puissance ? Comment s’associe-t-elle au bonheur ?

  • cf. Spinoza (XXV,6)

  • programme

     


    Index des auteurs et des œuvres

    NB : Les traductions signées de mon nom sont libres de tout droit

    (les chiffres renvoient aux notions du programme et aux textes cités)


    Alain

    - les Aventures du cœur (VI,10; IX,10)
    - la Conscience morale (XXV,17)
    - les Dieux (III,10; V,9; V,10)
    - Entretiens au bord de la mer (VII,14; XVIII,18; XXVI,14)
    - Histoire de mes pensées (XIX,12)
    - Idées (III,9; XX,10)
    - Lettres à Sergio Solmi (XXVII,14)
    - Préliminaires à la mythologie (XIV,19; XV,15)
    - Propos (IV,9; VII,15; VIII,10; XI,12; XI,13; XI,14; XII,13; XIII,11; XIV,18; XVI,8; XVII,9; XXI,11; XXI,12; XXII,17; XXIII,16; XXIV,14; XXVIII,11; XXVIII,12)
    - Vingt leçons sur les Beaux-arts (X,16)
    - Manuscrits (I,10; II,10)


    d’Alembert

    - Encyclopédie (X,4)


    Aristote

    - seconds Analytiques (XV,2)
    - Ethique de Nicomaque (XI,2; XXIII,3; XXV,3; XXVIII,3)
    - Métaphysique (VII,2; XIX,2)
    - les Parties des animaux (XVIII,2)
    - Physique (XIV,3)
    - Politique (V,2; XXII,3; XXIV,3)


    Bachelard

    - la Formation de l’esprit scientifique (XIV,20; XVII,10)
    - le Nouvel esprit scientifique (XIII,12; XV,16)
    - la Psychanalyse du feu (IV,10; XX,11)


    Bergson

    - Essai sur les données immédiates de la conscience (II,9)
    - Matière et mémoire (IV,8)
    - l’Evolution créatrice (XVIII,17)
    - les Deux sources de la morale et de la religion (VI,9; XXI,10)
    - la Pensée et le mouvant (I,9)


    Berkeley

    - Alciphron (XVI,7)
    - Principes de la connaissance humaine (I,4; III,5; V,5; VII,7; XIX,9)


    Bossuet

    - Discours sur l’histoire universelle (XIII,3; XIX,6)
    - Politique tirée des propres paroles de l’Ecriture sainte (XXIII,9)


    Buffon

    - Histoire naturelle (XVIII,5)


    Chateaubriand

    - Génie du christianisme (XVIII,14)


    Clarke

    - Lettre (VII,6)


    Dante

    - de la Langue vulgaire (IX,2)


    Darwin

    - L’origine des espèces (XVIII,15)


    Descartes

    - Discours de la méthode (VI,5; IX,3; XI,3; XIV,6; XV,3; XVI,4; XXVII,3)
    - Lettres (IV,3; V,3; XX,3; XX,4; XXVI,6; XXVII,4; XXVIII,4; XXVIII,5)
    - Méditations (I,2; I,3; II,3; III,2; VII,3; XIX,4; XXVI,5)
    - les Passions de l’âme (XXV,4)
    - Règles pour la direction de l’esprit (XVI,3)


    Diderot

    - Encyclopédie (X,2; XXI,7; XXV,9)
    - Entretien d’un philosophe avec la Maréchale de *** (XII,8)
    - Essais sur la peinture (X,3)
    - de l’Interprétation de la nature (XV,7; XVIII,8; XVIII,9)
    - Lettre sur les aveugles (XVIII,10)
    - Principes philosophiques sur la matière et le mouvement (XIX,10)
    - Réfutation suivie de l’ouvrage d’Helvétius intitulé l’Homme (XXIII,12)
    - Supplément au voyage de Bougainville (XXVII,8)


    Durkheim

    - Les Règles de la méthode sociologique (XXII,16)


    Freud

    - Le moi et le ça (IV,7)
    - Psychopathologie de la vie quotidienne (XVII,8)


    Galilée

    - L’Essayeur (XIV,5)
    - Lettre (XVI,2)


    Grotius

    - le Droit de la guerre et de la paix (XXI,3)


    Hegel

    - Esthétique (II,5; X,6; X,7; X,8; X,9; X,10; X,11; X,12; X,13; XIX,11)
    - La raison dans l’Histoire (XIII,4; XIII,5; XIII,6; XIII,7)
    - Leçons sur l’histoire de la philosophie (XXVI,11)
    - la Phénoménologie de l’esprit (XI,5; XIV,12; XVI,7)
    - Principes de la philosophie du droit (XXIV,11)
    - Propédeutique philosophique (XXII,11)
    - ??? (VIII,6; IX,6; XIV,13; XXV,15)


    Hobbes

    - le Citoyen (XXI,4)
    - Léviathan (XI,4; XXII,6)


    Hume

    - Traité de la nature humaine (III,6; VII,8; XX,8; XXIII,10; XXV,8; XXVII,7)


    Jankélévitch

    - la Mauvaise conscience (XXV,18)


    Jdanov

    - Intervention (X,17)


    Kant

    - Critique de la raison pratique (V,6; XXV,14; XXVI,10; XXVII,11; XXVII,12; XXVIII,8; XXVIII,9)
    - Critique de la raison pure (I,6; VII,9; XV,8; XV,9; XV,10; XVI,6)
    - Critique du jugement (VIII,5; XVIII,12; XVIII,13; XXVII,13)
    - Fondements de la métaphysique des mœurs (XXV,13)


    Lagneau

    - Fragments (I,8; II,8; III,8; IV,6)
    - Cours sur Dieu (VII,13)
    - cours sur le jugement (XX,9)


    Langevin

    - la Notion de corpuscules et d’atomes (XV,14)
    - Préface (XIV,17)


    Leibniz

    - Discours de métaphysique (XVII,6; XXV,7)
    - Lettres (VII,5; XIX,8)
    - Monadologie (XVI,6; XVIII,4)
    - Nouveaux Essais (III,4; IV,4; IX,4; XIV,9; XV,5; XXVIII,7)


    Lénine

    - l’Etat et la révolution (XXIV,13)


    Machiavel

    - L’art de la guerre (XXII,5)
    - Discours sur Tite-Live (VIII,2; XII,3; XIII,2; XVII,3; XXI,2; XXIII,5; XXIII,6; XXIV,4; XXIV,5; XXIV,6; XXVI,4)


    Maïmonide

    - Guide des égarés (VI,3; XIX,3)
    - le Traité des huit chapitres (XXVI,2)


    Malebranche

    - de la Recherche de la vérité (II,4; III,3; XIV,10; XIX,7; XX,7)
    - Traité de morale (XXVII,6)


    Malinowski

    - les Argonautes du Pacifique occidental (VIII,9)


    Maupertuis

    - Essai de cosmologie (XVIII,7)
    - Essai sur la formation des corps organisés (XVIII,6)


    Marx

    - Avant-propos de la critique de l’économie politique (XXII,13)
    - le Capital (XI,7; XI,8; XI,9; XI,10)
    - Critique de la philosophie du droit (XII,11)
    - Ebauche d’une critique de l’économie politique (V,7; VIII,7; XXII,12)
    - l’Idéologie allemande (II,6; VII,10; IX,7; XI,6; XIII,8; XIV,14; XV,11; XXIV,12; XXVI,12)
    - Introduction générale à la critique de l’économie politique (X,14; XIII,9; XV,12)
    - Lettre (XIV,15)
    - Manifeste du parti communiste (XXII,14)
    - Misère de la philosophie (XXIII,15)


    Michelet

    - Histoire de la Révolution française (XIII,10; XXI,9)


    Montesquieu

    - de l’Esprit des lois (XXIII,11)


    Nietzsche

    - Aurore (XI,11)
    - Considérations inactuelles (VII,11)
    - le Crépuscule des idoles (VI,8; XXVI,13)
    - le Gai savoir (II,7; IX,8; XVII,7; XXVIII,10)
    - Généalogie de la morale (I,7; XII,12; XV,13; XVIII,16; XXV,16)
    - Humain, trop humain (X,15)
    - Par-delà le bien et le mal (IV,5; V,8; VIII,8; XXII,15)
    - Fragments inédits (VII,12; XIV,16)


    Pascal

    - Pensées (XXI,6; XXII,8; XXIII,8)
    - Traité du vide (XIV,8; XV,6)
    - de l’Esprit géométrique et de l’art de persuader (XVI,5)


    Platon

    - Banquet (V,1; VII,1)
    - Cratyle (IX,1)
    - Euthyphron (XII,1; XII,2)
    - Gorgias (VI,1; XX,2; XXIII,2; XXV,1; XXVIII,2)
    - Ion (X,1)
    - Lois (XIII,1; XXII,1; XXII,2)
    - Ménon (IV,1)
    - Phédon (II,1; VI,2)
    - Phèdre (XVII,1; XVIII,1)
    - Philèbe (II,2)
    - Politique (XVII,2)
    - République (VIII,1; XIV,1; XIV,2; XV,1; XVI,1; XX,1; XXI,1; XXIII,1; XXIV,1; XXIV,2; XXV,2; XXVI,1; XXVII,1; XXVIII,1)
    - Sophiste (XI,1)
    - Théétète (I,1; III,1; IV,2; XIX,1)


    Rousseau

    - du Contrat social (XII,10; XXI,8; XXII,9; XXII,10; XXIII,13; XXIII,14; XXIV,9; XXVI,8; XXVI,9)
    - Discours sur les sciences et les arts (VIII,3; VIII,4; XIV,11; XXIV,10)
    - Essai sur l’origine des langues (IX,5)
    - Lettre à d’Alembert (X,5)
    - la Nouvelle Héloïse (VI,7)
    - Profession de foi du vicaire savoyard (I,5; III,7; XII,9; XVIII,11; XXV,10; XXV,11; XXVII,9; XXVII,10)


    Sade

    - les Instituteurs immoraux (XXV,12)


    Saussure

    - Cours de linguistique générale (IX,9)


    Spinoza

    - Ethique (V,4; VI,6; VII,4; XV,4; XVIII,3; XIX,5; XX,5; XX,6; XXIII,7; XXV,5; XXVII,5; XXVIII,6)
    - Lettre (XXVI,7)
    - Traité de la réforme de l’entendement (XIV,7; XXV,6)
    - Traité théologico-politique (XII,5; XII,6; XII,7; XVII,4; XVII,5; XXI,5; XXII,7; XXIV,7; XXIV,8)


    Thérèse d’Avila

    - Le livre de la vie (XII,4)


    Thomas d’Aquin

    - Somme théologique (VI,4; XIV,4; XXII,4; XXIII,4; XXVI,3; XXVII,2)

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